« L'activisme m'a permis d'être moi-même, d'être en contact avec d'autres personnes, de partager des expériences » -Kadiatou Konate (Guinée) - 3/3
Nous continuons notre conversation avec Kadiatou, militante féministe originaire de la Guinée.
Après avoir parlé de la situation des filles en Guinée (Partie 1), de ses défis et motivations (Partie 2), Kadiatou s’exprime sur l’impact de l'activisme sur sa personne et sa communauté, ses perspectives et ses rêves pour les filles.
Kadiatou a été interviewée par Françoise Moudouthe fin 2019 dans le cadre d'un projet mondial documentant la résistance des filles. La conversation a été éditée dans cette interview en trois parties par Nana Bruce-Amanquah et Chanceline Mevowanou pour notre série #GirlsResistWA. Vous pouvez trouver plus d'informations sur la série ici.
Avertissement: cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.
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Si tu devais faire le point aujourd'hui, tu es engagée depuis 6 ans, qu'est-ce que tu as vu comme changements? Quel impact ta propre résistance a-t-elle eu dans ta propre vie, et dans la vie des personnes autour de toi ?
L'activisme m'a permis d'être moi-même, de retrouver mon monde réel, d'être en contact avec d'autres personnes, de partager des expériences, de dialoguer avec des gens, de partager des moments forts en émotion. Des filles me contactent pour me dire que je les inspire, qu'elles veulent s'engager comme moi. Ça me fait sincèrement plaisir. Le taux de mariage précoce a commencé à diminuer. On est parti de 64% à 51%. Nous ne prétendons pas être les seules à avoir œuvré pour ce changement de statistiques mais nous y avons beaucoup contribué. Le taux d'excision est passé de 97% à 95%. Les cas de viols qui n’étaient pas dénoncés ont commencé à être dénoncés. Nos actions portent fruit. Nous ne nous limitons pas aux médias. Nous sommes en contact direct avec la population. Nos actions sont relayées par les médias, ça impacte beaucoup parce que les gens ont maintenant tendance à nous contacter quand il y a un cas de violence. C’est un changement positif que nous avons imposé dans le pays. J'observe dans le pays, ces 3 dernières années, au niveau du primaire et du collège, plus de filles sont scolarisées et elles prennent le leadership à l'école. Cette tendance va continuer si on continue à donner de la force à l'éducation des filles.
Quelle est la place de la solidarité dans ta résistance ? Déjà pour toi la solidarité ça veut dire quoi ?
La solidarité c’est de s’entraider, se tenir les mains, ne pas se lâcher, travailler ensemble. Pour moi la solidarité c'est une équipe. J’aime beaucoup le travail d'équipe. Je travaille mieux quand je travaille avec les autres, quand je peux demander aux autres leurs opinions. Je suis habituée au travail collectif. Tout ce que je peux faire, je veux vraiment le partager avec les gens. Quand je vois tout le monde sourire, ça me redonne le sourire. J'aime bien qu'on s'oppose à ce que je dis. Je n'aime pas qu'on dise que tout ce que je fais est toujours bien.
En plus de la solidarité entre jeunes au sein du club, est-ce que toi individuellement en tant que personne, tu ressens une solidarité ou tu as fait l'expérience d'une solidarité avec des femmes plus âgées ?
A l'occasion de nos caravanes, de nos campagnes de sensibilisation ou de nos marches, ou de nos panels de discussion il y a des groupes de femmes qui nous rejoignent, qui discutent avec nous, qui épousent nos causes, qui acceptent de venir partager leurs expériences avec nous. C'est un exemple de solidarité de ces femmes, dont le vécu nous permet de mieux réaliser nos activités.
Quand tu regardes l'avenir, comment est-ce que tu imagines le monde que tu essaies de bâtir pour les filles, ça ressemble à quoi ?
Un grand monde, une grande famille. Je dis souvent que le club est une grande famille, que les filles qui s'y retrouvent sont chez elles. L'objectif est de créer une grande famille où toutes les jeunes filles vont se retrouver, en Guinée et au-delà, pour qu'on puisse conjuguer les mêmes verbes, pour qu'on puisse donner les mêmes informations partout où on passe, pour qu'on puisse dire les mêmes choses partout où on se pointe, pour qu'on puisse lutter ensemble, pour qu'on puisse se dire un soir qu'on a pu changer quelque chose dans le monde. C'est avoir nos droits, c'est être écoutées, c'est pouvoir imposer ce que l'on veut dans la vie.
Il s’agit de se créer un environnement sûr, protecteur, où les femmes seront libres de faire tout ce qu'elles veulent, où elles ne seront pas jugées, où on ne dira pas « tu es belle » parce que tu es une femme, où on ne dira pas « parce que tu es une femme » on te met à tel poste, où on ne dira pas « parce que tu es une femme, je te pardonne », « parce que tu es une femme, je t'abandonne ». Où on ne dira pas « parce que tu as mal fait, je te sanctionne », « parce que tu as mal fait tu vas être licenciée » ou « Non parce que tu es une mère tu ne pourras pas assumer tel ou tel poste ». Une fille naît un peu partout dans le monde avec un statut d'infériorité que la société nous octroie. De manière directe ou indirecte, tu vas toujours ressentir ce statut d'infériorité.
Ma vision, mon rêve, c’est de voir partout dans le monde, des femmes présidentes, ministres, chefs d'entreprises…qui pourront dire qu’elles ont réussi parce le club leur a apporté une aide, parce qu’elles ont rencontré des jeunes filles géniales qui ont fait d’elles ce qu’elles sont.
C’est vraiment une vision puissante. Merci Kadiatou d’avoir partagé ton récit avec nous.
Cette conversation se déroule dans le cadre d’une série de conversations avec des femmes originaires de l’Afrique de l’Ouest sur le thème de la résistance. Cliquez ici pour voir toutes les conversations.