« Aujourd'hui, je ne doute plus, je ne me pose plus la question de savoir si je vais y arriver » - Clémentine Yannagda (Burkina Faso) - 3/3

Nous finissons notre conversation avec Clémentine Yannagda, une militante burkinabè pour les droits en matière de santé sexuelle. Elle a déjà parlé de sa résistance pour réussir son baccalauréat (Partie 1) et pour plaidoyer pour les droits en matière de santé sexuelle (Partie 2). Maintenant Clémentine explique l’influence de ses résistances sur sa communauté et ses rêves pour l’avenir. 

Clémentine a été interviewé par Françoise Moudouthe à la fin de 2019, dans le cadre d'un projet mondial documentant la résistance des filles. La conversation a été éditée dans cette interview en trois parties par Nana Bruce-Amanquah pour notre série #GirlsResistWA. Vous pouvez trouver plus d'informations sur la série ici.

Avertissement: cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.

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En cette période-là, est-ce que tu ressentais des craintes ou de la peur, en même temps que tu posais ces actes de résistance ? Qu'est ce qui te faisait peur ?

Oui je ressentais de la crainte. J’avais peur que quelqu'un me reconnaisse pendant que je travaillais pour l'ABBF et le dise à mon tuteur. C'est arrivé plusieurs fois et je me suis fait bastonner à la maison. Ma seconde crainte était la peur de ne pas y arriver. Face à certaines mauvaises notes, je me disais que je n'allais pas y arriver. Je me posais la question de ce qui m'arriverait en cas d'échec ? Serais-je obligée de rentrer vivre au village ?

Quand tu repenses aux défis auxquels tu as fait face, y a-t-il un moment où tu t'es senti en danger du fait de ta résistance ? Quel est le moment où tu as trouvé le plus difficile de ta résistance ?  

Dans mon village, lorsqu'une jeune fille tombe enceinte, il y a un arbre où on réunit tous les jeunes. Puis tous les jeunes du village doivent la bastonner. Ensuite elle est chassée du village sans plus avoir le droit d'entrer dans une maison. Le garçon par contre n'a pas été inquiété. 

C’étaient des convictions culturelles et ancestrales. Je m'insurgeais en public contre de telles injustices, et contre l'excision. Quand j'ai commencé à militer pour l'ABBF, dans mon village on pratiquait encore l'excision. Ils justifiaient l'excision par le fait que ça empêchait les filles de tomber enceintes à la maison. Chaque fois que je partais au village, j'en profitais pour en parler et rappeler que c'était interdit. Je leur faisais remarquer que des jeunes filles battues et chassées dans le village avaient pourtant été excisées. Je mettais ainsi à nu leurs propres contradictions. 

A un certain niveau de mon opposition, les vieux du village m'ont menacé. Mes propres frères me demandaient de me taire car ils craignaient qu'on me jette un sort ou qu'on puisse me faire du mal. J'étais engagée mais j'avais peur que quelqu'un ne me détruise à travers des pratiques mystiques. J'ai eu peur, je priais beaucoup. J'ai parfois eu la pensée d’abandonner, mais j'ai continué. Voilà une période où j’ai eu vraiment peur. Ça a été difficile, mais aujourd'hui les choses ont évolué, de telles pratiques sont devenues clandestines.

Avec le recul, de quoi aurais-tu eu besoin pour rendre ta résistance plus efficace ? Qu'est ce qui aurait pu t'aider à mieux résister ?

Si une personne de la famille élargie était un allié, ou si les propres filles de mon tuteur étaient des alliées. Si ses filles étaient des alliées, mon oncle allait être plus réceptif. J'étais toute seule, et c'était plus difficile. Moralement, elles contribuaient à me décourager et à me déstabiliser.

Comment ta résistance a-t-elle évolué avec le temps ? Quelles sont les formes de ta résistance aujourd’hui ? 

Actuellement je suis très active sur les réseaux sociaux. Nous interpellons les décideurs. Dans mon quartier, généralement une fois dans le mois, je réunis les jeunes filles pour pouvoir échanger avec elles sur ce qu'elles vivent et les encourager à faire mieux. Je n'ai plus d'opposant. Une fois que tu rentres dans la vie professionnelle, et que tu peux donner de l’argent, tu ne fais plus face à de l'opposition directe. Les opposants d'autrefois–mon tuteur et ma famille élargie–sont devenus des alliés. Ils savent que je peux leur apporter un soutien financier. Aujourd’hui, mon oncle est fier de mon parcours. Il m’appelle encore « prési » pour un mandat de président de l’ABBF au niveau national, qui s’est achevé depuis longtemps. 

 Comment est-ce que tu vois la continuité ou les connexions entre la résistance de jeune fille et ton activisme d’aujourd’hui ? Qu'est ce qui est différent dans la façon dont tu résistes aujourd'hui versus l’époque de ton adolescence ?

Professionnellement, je m'assure toujours que les personnes de sexe opposés soient considérées au même pied d'égalité. Lors de mes sessions de formation, je pousse et j'encourage les filles à s'exprimer. Lorsqu'il y a des activités, j'encourage les filles à prendre le leadership. Maintenant que je suis devenue autonome, c'est plus facile pour moi de m'engager. Mon entourage immédiat est déjà voué à la cause. La tâche n'est plus aussi difficile. Par ailleurs, dans le passé je doutais. Mais aujourd'hui, je ne doute plus, je ne me pose plus la question de savoir si je vais y arriver. 

A ton avis, quel impact tu penses que ta résistance a apporté dans ta communauté, dans ta famille, dans le pays, ou dans le monde ?

Au sein de mon village, les filles ne sont plus victimes de pratiques telles que l'excision. Le travail de sensibilisation, et aussi l’avancée judiciaire, qui a pénalisé l'excision, ont porté des fruits. Puisque l'excision a été pénalisée, je suis allée jusqu’à les menacer de dénonciation si jamais ils excisaient encore une fille. Ceux qui le font toujours, c'est dans les villages très reculés. Dans ma famille du village, les mentalités ont évolué. C’est un impact positif de ma résistance. En début juillet, j'étais au village pour un mariage, des voisins sont venus me saluer. J'ai été présentée par mon cousin comme celle qui combat l'excision à Ouagadougou.

La vision de la fille en tant que femme au foyer ou femme de ménage a évolué, même pour mon oncle. Actuellement il a inscrit ses filles en cours de soir. Je contribue à leurs frais de scolarité. Dernièrement la mère d'une de mes nièces lui a demandé ce qu'elle ferait quand elle serait grande. Elle a répondu qu'elle veut grandir parce qu'elle veut ressembler à tata Clémentine. Dans ma famille, j’ai été actrice de la révolution des mentalités. Dans la communauté, j’ai contribué au changement de mentalités. Je n’ai pas hésité à parler de ma propre histoire pour convaincre des jeunes filles. J’ai parfois dû marcher 20 km lorsque mon vélo était en panne, pour aller sensibiliser. Plusieurs jeunes témoignent qu'ils s'identifient à moi et qu'ils veulent me ressembler. 

 Quand tu regardes vers le futur, à quoi ressemble le monde que tu essaies de construire ? 

Mon rêve est que toutes les filles puissent aller à l'école. D’avoir banni tout ce qui est violences, mutilations génitales, excisions, bannissement de filles victimes de grossesses non désirées, c’est vraiment idéal. Je rêve d’une société où la femme a le même poids que l'homme en termes de décision et de gouvernance, où ils sont sur le même niveau et que toutes les femmes soient autonomes. Dans le temps qui me reste à vivre, je voudrais qu’au moins que dans mon propre pays, chaque femme puisse connaître ses droits et l’égalité entre elle et l’homme puisse être au même niveau de prise de décision que les hommes. 

Tout à fait ! Merci beaucoup pour avoir partagé ton récit avec nous, Clémentine! Cliquez ici pour découvrir les autres récits.