« Je savais que ce baccalauréat était la clé de la libération pour moi » - Clémentine Yannagda (Burkina Faso) - 1/3

Nous sommes en conversation avec Clémentine Yannagda, une militante burkinabè pour les droits en matière de santé sexuelle. Dans cette interview, Clémentine nous parle de tragédies qu’elle a vécues pendant son adolescence et de ses résistances qui les suivaient, d’abord pour sa formation (Partie 1) et puis pour participer dans une organisation pour la santé sexuelle en l’honneur de son amie (Partie 2). À la fin, Clémentine explique l’influence de ses résistances sur sa communauté et ses rêves pour l’avenir (Partie 3). 

Clémentine a été interviewé par Françoise Moudouthe à la fin de 2019, dans le cadre d'un projet mondial documentant la résistance des filles. La conversation a été éditée dans cette interview en trois parties par Nana Bruce-Amanquah et Chanceline Mevowanou pour notre série #GirlsResistWA. Vous pouvez trouver plus d'informations sur la série ici.

Avertissement: cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.

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Merci de parler avec moi, Clémentine. On commence avec cette question : quand tu penses à cette période où tu étais jeune fille, adolescente, tu te réfères à quelle tranche d’âge et pourquoi ?

Je me vois adolescente de 12 à 18 ans. Ce qui s'est passé à 12 ans, c'est le décès de ma mère. La personne la plus importante de ma vie pendant cette période, c'était ma mère. Je pouvais tout lui dire. Elle m'écoutait et me conseillait. Peu après, j’ai perdu ma meilleure amie qui s'appelait Delphine. Elle était plus âgée que moi d'un an. C’était une sœur d’une autre mère, la personne vers qui je me suis tournée après la perte de ma mère. Mais je l’ai aussi perdu suite à avortement clandestin. Alors trop tôt, j’ai perdu les deux personnes les plus importantes de ma vie. Je me suis ainsi retrouvée toute seule. Je n'avais plus personne. Je devais grandir. C’est une période douloureuse où j'ai été très affectée.

Je suis navrée de ta perte. Comme c’était une période charnière, j’imagine que ces vécus ont vraiment influencé la jeune fille que tu étais. Quand tu penses à cette période de ton adolescence entre 12 et 18 ans, tu étais quel genre de jeune fille ? Comment est-ce que tu te décrirais ?

Une fille timide et très fragile. Je ne parlais presque pas. À la moindre opposition, mes larmes coulaient. C'est cette personnalité qui a contribué à forger ce que je suis aujourd'hui mais à l’époque c’était difficile. Particulièrement à l’école, où j'ai dû subir le harcèlement de mes camarades garçons. 

Mes parents m'ont fait changer d'école au CP2, parce qu'ils estimaient que la première école ne remplissait pas leurs critères de qualités. Dans la nouvelle école, un groupe de garçons m’attendaient le soir à la sortie des cours pour me menacer, ou me frapper lorsque j’avais obtenu de meilleures notes qu'eux. Ils pensaient qu'une fille n'avait pas le droit d'être devant eux. Je suis restée dans cette école pendant trois ou quatre ans et ça a été un traumatisme. Mes résultats scolaires ont baissé. Je suis passée des premiers rangs à onzième au CE2. Mon père n'était pas content, et j'ai dû me confier à la maison sur ce qui se passait à l'école. Je n'avais pas osé en parler jusque-là de crainte des représailles de mes camarades. Au début, j'avais parlé de leurs menaces au professeur, et ils avaient été punis en classe. Malheureusement, ils m’avaient violenté en retour le même soir à la sortie des cours, et j'avais pris peur. 

Désolée, c’est clair que l’école était vraiment pénible pour toi ! Est-ce que tu as trouvé plus de paix chez toi ? Comment as-tu grandi et avec qui? 

J'ai vécu avec mes parents jusqu'en classe de sixième, quand j'ai perdu successivement mes parents, d’abord ma mère et puis mon père deux ans après. Après le décès de nos parents, nous avons été séparés. Ma petite sœur était avec une aînée dans une autre ville. Un de nos frères avait eu le baccalauréat et était allé à Ouagadougou pour faire l'université. 

J'ai rejoint premièrement mon tuteur, un cousin très proche de mon père. Il a même vécu chez mes parents pour faire sa formation professionnelle. Ensuite il s'est marié et j’ai vécu avec lui, son épouse, et ses plusieurs enfants. Mais chez mon tuteur, j’ai vécu ce même traumatisme que j'ai vécu à l’école primaire. C'était comme si je n'étais pas un membre de la famille. Les réunions se faisaient sans moi, on ne me considérait pas. En plus, mon tuteur, il n’était pas pour qu'une fille parte à l'école. Pour lui, la fille devait rester à la maison et s'occuper des travaux ménagers. Ma place était à la cuisine auprès de ma tante. Lorsque je voulais étudier, on trouvait toujours à m'occuper. Et c’était pire pendant les grèves. 

Pendant cette période de ton adolescence, quels sont les événements au plan social ou politique qui t'ont marquée ?

Le contexte politique était marqué par les grèves à répétition. Il y avait beaucoup de marches et de grèves au niveau des établissements scolaires. Je ne pouvais plus aller à l'école, alors que mes études me tenaient à cœur. Je ne pouvais pas sortir de la maison. J’étais obligée de rester chez mon tuteur et tant que j'y étais, je ne pouvais pas étudier parce que j’étais accablée de travaux ménagers. 

À la maison tu ne pouvais pas étudier, mais tu as pu réussir ton baccalauréat. Comment t'y prenais-tu pour travailler ?

Quand j’ai pu aller à l’école, j'utilisais mes temps libres là-bas pour étudier pendant les récréations et les heures creuses. Avant de rentrer le soir à la maison, j'étudiais. Je travaillais aussi tard dans la nuit, ou quand mon oncle et la famille n'étaient pas là. J’avais besoin de réussir mon baccalauréat. Il me fallait ce baccalauréat pour pouvoir rejoindre mes frères à Ouagadougou, pour pouvoir aller à l'université. Sinon, j'aurais été obligée de rester avec ce tuteur, et de continuer à subir tout ce que je subissais. Je travaillais avec acharnement pour avoir ce baccalauréat parce que je savais que c'était la clé de la libération pour moi. Plus tard, je suis allée vivre chez ma grand-mère maternelle et j'ai réussi le baccalauréat à 18 ans.

Enfin ! Et je me rends compte que nous retournons à l’âge qui a marqué la fin de ta période d’adolescence.

Oui, 18 ans, c'est l'année où j'ai eu mon baccalauréat, et c'était quelque chose qui me tenait à cœur. Je pouvais avoir un avenir professionnel. Je pouvais quitter la ville de Koudougou, dont je n'ai pas gardé de bons souvenirs. Je me suis dit que j'avais grandi et que je pouvais passer à autre chose. Avoir le baccalauréat me libérait à la fois du souvenir de ma copine décédée, de ma souffrance à l'école, et de la souffrance que je vivais chez mon tuteur. Je laissais toutes ces difficultés derrière moi pour commencer une nouvelle vie. Je suis allée vivre à Ouagadougou avec mes frères. Aujourd'hui je vis en famille avec mes frères et sœurs à Ouagadougou dans une maison construite par mes parents. C’est un endroit où je me sens chez moi, plus à l'aise que dans le passé où j'étais chez des tuteurs.

Clémentine a vraiment lutté pour sa formation mais ce n’était pas sa seule résistance adolescente. Dans la deuxième partie, nous parlons plus de l’influence de la perte de son amie et comment Clémentine a commencé à résister pour les droits en matière de santé sexuelle. Cliquez ici pour cette prochaine partie.