« Si les jeunes peuvent être instrumentalisé.e.s pour attiser la violence et le conflit, il est possible de les mobiliser pour faire régner la paix. » – Gwendolyn Myers (Libéria) – 1/2

Nous sommes en conversation avec Gwendolyn Myers une activiste pour la coalition mondiale pour la jeunesse, la paix et la sécurité, originaire du Libéria. Dans cette première partie, Gwendolyn nous parle de son enfance dans le Comté de Montserrado, et comment elle est devenue célèbre, à l'adolescence, pour avoir parlé à la radio de la défense des enfants et du travail de consolidation de la paix. Après avoir souligné l'importance de sa foi et du rôle que celle-ci a joué dans sa capacité à comprendre son objectif, nous discutons de la manière dont elle a poursuivi cet objectif malgré le danger et les opinions discordantes des autres (deuxième partie).

Gwendolyn a été interviewée par Françoise Moudouthe fin 2019 dans le cadre d'un projet mondial qui documente la résistance des filles. La conversation a été éditée dans cette interview en deux parties par Nana Bruce-Amanquah pour notre série #GirlsResistWA. Vous trouverez plus d'informations sur la série ici.

Avertissement : Cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.

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Lorsque tu penses à la période de ta vie où tu étais jeune fille, une adolescente, quel âge précis te vient en tête ? Pourquoi ? 

Pour moi, cette période a commencé vers l’âge de 13 ans. C’est là que j’ai vraiment senti que mon adolescence commençait et que mon enfance se terminait. À 13 ans j’étais encore dans cet état d’esprit où je voulais vivre des aventures, et même si j’avais la langue bien pendue, je devais endurer le fait d’être perçue comme une petite fille. Treize ans, ça a été en quelque sorte un point de rupture. C'est là que tout le parcours pour trouver ma voix a commencé. Même si j'étais toujours considérée comme une petite fille, les autres reconnaissaient que cette petite fille avait une voix. 

Dis-m’en plus sur le fait d’avoir une voix. 

À 13 ans, je suis devenue présentatrice d’une célèbre émission pour enfants au Libéria, The Golden Kids News, produite par Search for Common Ground (an international NGO). Le but de l'émission était de mettre en avant et de parler des sujets qui touchent et enrichissent la vie des enfants. J’ai été encadrée par Search for Common Ground. En tant que présentatrice, je rentrais de l’école en uniforme et j’interrogeais les enfants dans la rue avec mon micro, puis je les emmenais au studio. Grâce à cela, les enfants et même les personnes plus âgées que moi étaient toujours ravi.e.s de m’entendre. À l'époque où Golden Kids News passait, les enfants couraient à la radio et disaient « oh, nous voulons entendre Gwendolyn, nous voulons écouter cette jeune fille qui passe à la radio. » Je suis donc devenue célèbre à l'âge de 13 ans parce que j'avais une voix.

L’un des objets que tu as apportés pour symboliser ton adolescence était un microphone. Est-ce un objet en lien avec ce que tu disais sur le fait d’avoir une voix ? 

Absolument. J’ai choisi le micro parce qu’une grande partie de mon histoire concerne le fait de guider et de rester fort. Je suis constamment une voix, et c'est la meilleure représentation de tout mon parcours. Que ce soit en tenant moi-même un micro ou en ayant cette conversation avec toi, ou lorsque je croise dans la rue quelqu'un qui a besoin d'être encouragé et motivé, je parle aux gens. Je le fais quand je suis dans le train, quand je suis dans un taxi, quand je conduis... C'est ma vie. Je suis constamment en train d'encourager et de motiver les gens à aller de l'avant et à vivre dans un monde pacifique.

Nous reviendrons sur ton expérience de la célébrité à un jeune âge, mais pourrais-tu d’abord me parler de l’endroit que tu considères comme chez toi ? Où te sens-tu chez toi ?

Je me sens chez moi lorsque je peux avoir l’esprit tranquille. Quel que soit l’endroit où je vais, ou ce que je fais, chez moi, c’est là où je peux être calme. Dans le tumulte de la vie, quand je suis calme, je me sens chez moi. Là où je me sens en paix avec les gens, c'est là que je me sens chez moi. Et je me considère toujours comme une citoyenne du monde, ce qui signifie que ça ne me pose aucun problème de voyager et de porter des messages de paix. Mais avant tout, mon chez-moi est l'endroit où je suis en paix avec moi-même.

Peux-tu me parler de l’endroit où tu as grandi ?

J’ai grandi dans le Comté de Montserrado. Monrovia est la capitale libérienne mais c’est à Montserrado que j’ai grandi. Je suis née et ai grandi dans les années 90, en plein cœur de la guerre civile libérienne. Le Liberia a traversé 14 ans de guerre civile et de conflits. Je suis née alors que les balles volaient dans tous les sens. Ma mère m’a expliqué à quel point il lui avait été difficile de trouver ne serait-ce qu’une couverture pour me protéger bébé.  Mon père, lui, peinait à avoir les quelques dollars libériens nécessaires pour acheter du talc.  C'est pourquoi, aujourd'hui, ça me réjouit de voir que lorsqu’il y a une naissance dans ma famille, tout le monde se rend à l'hôpital pour offrir des cadeaux, comme des vêtements pour bébé et d'autres objets de luxe pour le nouveau-né. Je n'ai jamais connu cela. Je n'ai jamais vécu cela. Mon entrée dans ce monde n'a jamais rien eu de glamour et il marquera mes défis. Mais mon parcours montre aussi que l'important n'est pas de savoir comment on est né.e ou ce qu'on a, mais comment on retourne chaque situation et comment on trouve sa propre voie. Cette enfant qui n'a jamais eu de couverture ni de talc à cause des troubles civils a quand même pu trouver la tranquillité d’esprit. Je suis toujours la même enfant. Ces histoires donnent de l'espoir aux gens.

C’est certainement une histoire très inspirante. Qu’en est-il des personnes avec lesquelles tu as grandi et ta relation avec eux ?

J’ai grandi en vivant avec ma mère et mon père aujourd’hui décédé. Mes parents sont restés mariés pendant 25 ans et j’ai vécu dans un foyer très axé sur la famille. Mes parents ont élevé de nombreux enfants. Comme nous étions catholiques, nous avons accueilli beaucoup de gens dans notre maison. Nous avons toujours pu nous occuper des autres enfants chez nous, nous les soignions lorsqu’ils étaient malades et nous les avons scolarisés. Nous n’avions pas tout à la maison, mais je t’assure que nous nous sentions toujours bien avec ce que nous avions. En grandissant, ma mère soulignait toujours l'importance de vivre d'une certaine manière et de suivre les enseignements de notre église. Cela dit, ce n'était pas le genre de foyer où tout ce que disaient les parents étaient la loi et l'Évangile. Mes parents nous disaient des choses à la maison, mais ma mère demandait toujours : « Qu’en dis-tu, Gwen ? ». 

Je dis toujours ce que je pense, mais d'une manière très respectueuse et positive. Et mes parents y ont prêté attention. Quand vous avez des enfants, vous pouvez remarquer celui ou celle qui parmi eux a un franc-parler. Cette voix que ma mère a reconnue en moi, elle pouvait voir qu'elle ne se tairait pas. Ma mère a toujours su qu'elle devait rester forte et être présente pour que son enfant puisse vivre ce qu'elle n'a pas pu vivre. Elle n'a jamais eu cette voix pour elle-même, alors elle voulait la voir chez sa fille. C'est pourquoi elle me servait constamment de guide et de mentor. Ma mère est quelqu'un qui, souvent, ne dit rien, mais aujourd'hui encore, elle tient bon. C’est une femme très active. Tous les gens qui connaissent ma famille diraient que j'ai hérité de son énergie.

C’est certain avec tout ce que tu faisais jeune fille ! Comment tes parents ont-ils réagi à ton ascension fulgurante ?

Mes parents ont joué un rôle essentiel. J’ai parlé de ma mère, mais mon père qui était un homme taciturne a également beaucoup contribué. Mes parents ont fait équipe pour me soutenir. C’est grâce à ça que j’ai participé à Talking Drum, une autre émission produite par Search for Common Ground au Libéria, où l’on pouvait écouter des enfants à la radio. À chaque fois que je rentrais de l’école mon père allumait la radio et nous écoutions ce programme ensemble. Il l’aimait beaucoup et me disait « Gwen, tu peux faire ça aussi. » Je lui ai répondu : « Mais comment, Papa ? Je crois que c’est uniquement pour les enfants issu.e.s des familles aisées. Je peux certainement bien m’exprimer et lire, mais je ne pense pas que ce programme soit fait pour moi. Ne perds pas ton temps. » Mais il a toujours cru en moi et voulait que je tente ma chance. Nous nous sommes donc rendus dans les bureaux de Search for Common Ground. Il ne s'attendait pas à rencontrer une de ses connaissances là-bas, mais en parlant à la sécurité, mon père a vu un de ses vieux amis. Il lui a dit que même si je pouvais venir pendant que les jeunes produisaient et m'asseoir là pour apprendre, il en serait reconnaissant. C'est donc mon père qui est allé frapper à la porte pour trouver une occasion de me donner une voix.

C’est super que tes parents t’aient tant soutenu. Qu’est-ce que ça faisait d’être si jeune et célèbre pour ton travail ?

Honnêtement, je voulais juste laisser faire les choses. Pour ce qui est de la célébrité, la radio est un outil puissant, donc une fois que je me suis retrouvée à parler constamment sur les canaux médiatiques, les gens disaient « oh oui, je la connais ». Mais ce n'était que le côté médiatique de mon parcours. La célébrité a été un point de transition pour moi. Étant donné que Search for Common Ground était également une organisation de consolidation de la paix, j'ai également utilisé leur plateforme médiatique pour faire beaucoup de travail de défense des enfants et de consolidation de la paix. Puis, à l'âge de 17 ans – je ne dirais pas que j’étais une « petite fille », mais plutôt une « jeune femme » – j’ai créé mon association à but non lucratif, Messengers of Peace. Je ne peux pas parler de ce parcours sans parler de la jeune fille de 13 ans. Il y a un lien entre l'âge de 13 ans et l'âge de 17 ans, entre la défense des enfants avec Search for Common Ground à l'âge de 13 ans et la création de Messengers for Peace à 17 ans.

Peux-tu m’en dire plus sur ce qui t’a incitée à créer Messengers of Peace ? S’est-il passé quelque chose à tes 17 ans qui t’a donné envie d’avancer ?

C’est l’état de crise de mon pays et de savoir que l’on se servait constamment des jeunes pour attiser la violence et le conflit. Je me suis inspirée de la mission de maintien de la paix des Nations unies qui se déroulait sur le terrain. La mission de l'ONU avait un programme fantastique dans le cadre duquel des jeunes venaient représenter différentes missions de l'ONU dans le monde pour parler de la paix. En 2008, une vidéoconférence a été organisée pour les jeunes du monde entier et de nombreux jeunes, moi également, y ont participé pour représenter la mission de maintien de la paix au Libéria. Cette vidéoconférence a été très instructive. Nous avons écouté les histoires des gens du monde entier pendant les présentations des différentes nations de maintien de la paix. 

J'ai rapidement commencé à me demander ce qui se passerait si la mission de maintien de la paix des Nations unies prenait fin. Cela signifierait-il que la participation des jeunes à ce travail s'arrêterait comme ça ? Ne pourrait-on rien faire d'autre ? Avec les questions que je me posais, j'ai contacté les responsables de certains des programmes de sensibilisation de l'ONU à l'époque. Je leur ai dit : « Écoutez, que se passe-t-il si les gens peuvent être utilisés pour prévenir la violence ? Je pense que les mêmes jeunes peuvent être utiles à l’instauration de la paix. Il est temps pour la conversation d’évoluer. Je pense que nous pouvons le faire. » C'était avant la création de Messengers for Peace, mais cela a été une grande source d'inspiration pour le lancement de l'association. Et les gens citaient souvent ce que j'avais dit : « Si les jeunes peuvent être des instruments pour attiser la violence et le conflit, il est possible de les mobiliser pour faire régner la paix. »  

C’est incroyable d’être si perspicace si jeune. D’où est-ce que tu tiens ça ? 

Il y a une flamme en moi qui est constamment à la recherche de la prochaine étape. Je dis toujours que je ne m’attribue pas le mérite de cette détermination intérieure ou de cette passion. Je remercie Dieu pour cela. Je ne peux pas ne pas mentionner l’aspect de mon parcours en lien avec ma foi. Je ne peux pas parler pour les autres, mais en ce qui me concerne, cette passion et cette vision me viennent de ma foi. Je n’ai pas d’autre manière de partager mon histoire. Je n’ai pas honte, au contraire, je suis fière de parler du lien entre ma foi et mon parcours. La vision dont je parle, c’est cette petite voix – ce que nous appelons l’esprit du discernement. C’est un don de le posséder. S’il te parle, il faut y prêter attention. 

Elle apparaît sous différentes formes pour tout le monde. Parfois, c’est dans les détails que nous tenons pour acquis mais qui sont très importants. J’ai l’occasion d’encadrer d’autres jeunes femmes qui partagent certaines choses avec moi : « Oh, vous savez Mademoiselle Myers lorsque je parle aux autres, ou lorsque je fais telle mission, je me sens bien. » J’écoute et je leur dis : « Prête attention à ce sentiment ». Ces moments de bonheur dont elles me parlent les mènent dans la bonne direction et quelqu'un peut exploiter ce potentiel caché pour les aider. Dans beaucoup d'endroits, vous verrez des gens qui suivent la foule. Je suis le genre de personne qui dit qu'il ne faut pas se laisser porter par le vent. Je dis aux jeunes : ne suivez pas le mouvement.

Tu viens tout juste de parler de ta foi et je comprends désormais pourquoi l’un des objets que tu as choisis pour symboliser ton adolescence est un chapelet. En dehors de la perspicacité et de la passion, peux-tu m’en dire davantage sur le rôle que ta foi a joué dans ton activisme ? 

Ma paix intérieure et ma force pour continuer à avancer me viennent de mes racines chrétiennes catholiques. Le chapelet et le crucifix résument tout mon parcours. Si mon parcours avait un slogan, ce serait « par la foi, elle mène ». Donc, pour toutes les personnes qui connaissent Gwendolyn, c’est ce que tous ceux et celles qui me suivent sur les réseaux sociaux voient : elle mène par la foi. Je crois fermement que, quoi qu'il arrive, je peux surmonter toutes les circonstances et tous les défis auxquels je suis confrontée grâce à ma foi. C'est toujours la seule chose que je sais être profondément ancrée dans tout ce que je fais. Il y a toujours cette tranquillité d’esprit et cette stabilité, même au milieu de la tempête.  

Je peux surmonter tous les obstacles grâce à ma foi. Peu importe le nombre de fois où je tomberai, je continuerai à me relever parce que la personne en qui j'ai placé ma foi est aussi tombée, et a pu se relever. Ma foi est la raison pour laquelle j'ai toujours été spirituellement incitée à tendre la main aux gens et à les aider. C'est pourquoi je peux être résiliente et continuer à être à l'avant-garde du travail pour la paix et la sécurité malgré tous les défis auxquels je suis confrontée. Je suis une jeune femme qui vient d'un pays pauvre en conflit et qui vit dans une société dominée par les hommes, faisant ce qui est considéré comme un travail d'hommes. Je me dis toujours que je n'aurais pas fait tout ce chemin si je n'avais pas eu cette force puissante derrière moi.


Dans la partie suivante, nous poursuivons notre discussion avec Gwendolyn sur la manière dont elle a déterminé quel était son but dans la vie et persévéré pour le concrétiser. Cliquez ici pour lire la suite.