« Il est crucial pour les femmes de commencer à prêter attention et à suivre leur voix intérieure » – Gwendolyn Myers (Libéria) – 2/2

C’est la seconde et dernière partie de notre entretien avec Gwendolyn Myers une activiste pour la coalition mondiale pour la jeunesse, la paix et la sécurité, originaire du Libéria. Dans la première partie de l’interview, Gwendolyn nous a parlé de son enfance dans le Comté de Montserrado, et comment elle est devenue célèbre, à l'adolescence, pour avoir parlé à la radio de la défense des enfants et du travail de consolidation de la paix. Après avoir souligné l'importance de sa foi et du rôle que celle-ci a joué dans sa capacité à déterminer quelle était sa mission dans la vie, nous discutons désormais de la manière dont elle a poursuivi cet objectif malgré le danger et les opinions discordantes des autres.

Gwendolyn a été interviewée par Françoise Moudouthe fin 2019 dans le cadre d'un projet mondial qui documente la résistance des filles. La conversation a été éditée dans cette interview en deux parties par Nana Bruce-Amanquah pour notre série #GirlsResistWA. Vous trouverez plus d'informations sur la série ici.

Avertissement : Cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.

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Lorsque je t’ai contactée, je t’ai expliqué que nous tentions de documenter les différentes manières dont les jeunes filles avaient mené une résistance à travers la région. Que t’évoque le mot « résistance » lorsque tu l’entends ? 

Je dis toujours aux jeunes, ne faites pas les choses simplement parce que les autres veulent que vous le fassiez. Toutes les personnes importantes pour vous – vos parents, vos enseignants, vos mentors, vos chefs religieux – peuvent constamment vous dire ce que vous devez faire, où vous devez aller et pourquoi vous devez le faire. Et ne vous méprenez pas, nous en avons tou.te.s besoin parfois et j’ai eu d’excellents mentors. Mais si vous ne ressentez pas en vous ce dont ils parlent, si ce n'est pas ce qui vous anime matin et soir vous devez refuser respectueusement. C'est ce que je définis comme une résistance. 

Pourrais-tu me donner un exemple d’une situation où tu as dû poliment refuser quelque chose ? 

Je faisais tout ce travail d’activiste, mais j’étudiais une licence de biologie-chimie. Mon mentor religieux souhaitait que je devienne médecin. Il me disait : « Tu es si intelligente. Il ne faut pas gâcher ça. Étudie les sciences. Tu seras un grand médecin. ». Je n’ai jamais été passionnée par les sciences et lorsque cela s’est vu dans mes notes en maths, je me suis dit « ça suffit ». La consolidation de la paix est ma vocation, ce qui me motive. C’est de cette manière que j’ai tenu bon, tout en restant respectueuse. Le même mentor religieux m’a dit « Il n’y a pas d’avenir pour une jeune femme dans la consolidation de la paix ». Il ne m’a pas dit ça parce qu’il ne croyait pas en moi, mais parce qu’il ne me voyait pas autrement que médecin. J’avais cependant ma détermination personnelle. Ma résistance était une résistance positive. Ma foi intérieure m’animait et aujourd’hui mon mentor religieux m’a appelée pour me dire « Tu m’as dit que tu me rendrais fier, et tu as réussi ». Il était déterminé à tout faire pour me voir réussir, et je ne pourrais pas être plus reconnaissante qu’il ait été mon mentor. Il m’a encouragée. Je parle toujours de l’importance de la gratitude dans mon parcours. Les gens ne vous mèneront peut-être pas au bout du chemin, mais nous pouvons apprécier tous les petits efforts qu’ils ont fourni au long du voyage. 

J’aime beaucoup cette idée de résistance positive ! Ce qui ressort dans ce que tu dis c’est tu avais une idée très claire de ce qu’était ta vocation. Et cette clarté d’esprit t’a permis de dire non – respectueusement comme tu l’as souligné – à d’autres parcours. Maintenant, je souhaite te demander, ressentais-tu de la peur en disant non dans ces moments ?

Oh bien sûr ! Évidemment ! Dire « non, je ne veux pas faire ceci mais cela à la place. Ça ne me dit rien », appelle à une réaction. Les gens parlent. Ils disaient « D’accord, tu seras seule ». Dans ma culture lorsque l’on te dit que tu seras seule, cela signifie en réalité, quoi qu’il arrive, ne reviens pas demander de l’aide, parce que nous t’avions prévenue et tu as dit « non, je veux faire ce que je veux ». 

C’est très compliqué, mais j’aime beaucoup ce que tu as dit à propos de la clarté et le fait de savoir déjà ce que je voulais. C’est le moment décisif pour beaucoup de gens. Il est très important, surtout pour les jeunes femmes, d’atteindre ce stade où elles savent quelle est leur vocation. Parfois cela arrive tôt, parfois un peu plus tard. Parfois, sans y penser, on se retrouve à faire une activité de manière naturelle. Toutefois, comme je l’ai dit, je me suis rendu compte que nous ne faisons pas attention à notre soi intérieur. Il est crucial pour les femmes, même les jeunes femmes de la génération suivante, de commencer à prêter attention et à suivre leur voix intérieure. Cette voix ne vous trompera jamais. 

Quel est selon toi ton tout premier acte de résistance grand ou petit, lorsque tu étais petite fille ? 

Je suis très reconnaissante de l’éducation que j’ai reçue, parce que mes parents ont créé un environnement où même en cas de désaccord, on pouvait l’exprimer et en parler en famille dans le respect. Donc, ayant été élevée comme ça, j’ai toujours eu ce sens de résistance. Je crois que cela a beaucoup forgé la personne que je suis aujourd’hui. Parce qu’en raison de la manière différente dont je pense et perçois les choses, les gens me demandent « es-tu normale ? ». J’ai parfois l'impression de vivre dans une autre partie du monde, car la façon dont je pense que les choses devraient être peut sembler si différente aux autres. Mais ma famille est habituée à cet aspect de ma personnalité. Quand quelqu'un dit quelque chose en pensant que tout va bien, Gwendolyn intervient pour dire « allons plus loin ».  Alors maintenant, ma famille et même certains de mes amis m'appellent Gwendolyn l'analyste. Je ne me contente pas de regarder les choses en surface, et cela est dû à ma formation en médiation. Il s'agit de poser constamment des questions : « pourquoi faisons-nous les choses de cette façon ? Que se passe-t-il si on le fait de cette façon ? » Et plus vous initiez ce dialogue, plus cela permet à une personne de voir des choses qu'elle n'avait même pas remarquées auparavant. Cela donne une vue d'ensemble qui contribue au bien commun.

La consolidation de la paix et la résolution de conflits sont des domaines dangereux et tu as commencé ce travail très jeune. Te souviens-tu d’un moment particulier où tu ne t’es pas sentie en sécurité en raison de la résistance que tu opposais dans ce domaine ? 

Tu as tout à fait raison, ce n’est pas un domaine facile. Je me souviens d’une fois où j’avais une mission au Tchad. Lorsque j’en ai parlé à ma mère, elle m’a dit « Tu vas là-bas ? Le gouvernement là-bas, ils peuvent faire ci ou ça… », tu sais comment peuvent être les parents. Ils s’inquiètent de tout. Je lui ai répondu : « Tu crois que je ne travaille pour la paix que lorsque tout va bien ? Quelle que soit la situation là-bas, j’irai ». Elle m’a dit « Tu plaisantes ? Tu veux dire que tu es prête à risquer ta vie ? ». Et j'ai répondu : « Oui. Je ne fais pas seulement du travail de paix là où il y a de la stabilité. Je vais partout où il y a de la détresse ».

Tu as parlé avec éloquence du soutien que tu as reçu de tes parents, de tes mentors et de ta foi. Cependant, je suis aussi consciente que dans toute histoire de résistance, surtout venant d'une jeune femme, il y a aussi des gens qui ne sont pas de ton côté. En tant que jeune femme qui militait pour la paix, qui s’opposait à toi ?

De nombreux professionnels et des personnes au pouvoir. Des personnes dont on s’attend à ce qu’elles montrent la voie parce qu’elles occupent déjà une certaine place. À l’époque, j’avais du mal à gérer le manque de soutien de ces personnes. Mais je veux être positive à leur sujet et dire que ce sont quand même des gens bien. Tout le monde n'a pas la patience ou la tolérance de se faire manquer de respect par les mêmes personnes que l'on veut soutenir et faire profiter de son travail. Mais vous savez pourquoi je le fais ? C'est encore à cause de ma foi. La consolidation de la paix nécessite un travail d'équipe. Il n'y aura pas qu'une seule personne pour le faire. 

Je veux être claire, je ne pense pas que les personnes au pouvoir refusent d’agir. Je pense que les circonstances ont un rôle à jouer. Vous ne pouvez pas blâmer les gens qui ont déjà été dans des silos et qui se distancient ensuite des défis soulevés par celles et ceux qu'ils veulent soutenir. Peu de gens peuvent supporter cela. C'est une chose difficile. Mais c'est ce que j'ai vécu. Et si je dis cela, c'est parce que je suis maintenant mieux placée pour comprendre. 

Et quand je m'en sortais bien, j'avais aussi du mal à voir les personnes dont j'attendais qu'elles m'encouragent devenir envieuses de moi. Parfois, elles ne me le disaient pas en face, mais elles savaient comment le faire de manière très professionnelle et diplomatique. Elles me bloquaient. Bien sûr, cela fait mal, je ne prétendrai pas que ce n'est pas le cas. Mais il y a quelque chose que les gens ne comprennent pas chez moi. Chaque fois que quelqu'un me bloque, je crée toujours un nouveau chemin. C'est ce qui, à mon avis, frustre les gens : chaque fois que je vois que vous bloquez mes plans, je me dis d'accord, vous avez bloqué cette partie de la route, alors j'en crée une nouvelle. Et je franchis les obstacles cachés grâce à cette force et à cette innovation.

Penses-tu que les défis que tu as dû relever en tant que jeune militante pour la paix étaient liés au fait que tu sois une jeune fille qui résistait ? 

Oui ! J’imagine les gens se demander : « Pour qui se prend-elle ? ». Mais là encore, je reste positive, parce que lorsque les gens disent de telles choses à ton sujet, c’est parce qu’ils sont anxieux de voir ce que tu es capable de faire. Pas besoin de se fâcher contre ces personnes, parce qu’elles voient quelque chose en toi et c’est pour ça qu’elles font tous ces commentaires. 

Un incident, qui me touche, me vient en tête et c’est à propos du harcèlement sexuel. C’est un message important pour les jeunes filles. Certains hommes disent qu’il faut compromettre sa dignité pour une proposition de projet afin d’obtenir de l’argent. Je le dis tout le temps, et je le répète : si je dois avoir une relation avec quelqu’un, c’est parce que j’éprouve des sentiments et que je veux vraiment être en couple avec cette personne. Des prétendants se présenteront, mais il y aura un prix à payer. Je continue à voir cela se produire, parce que je m'y oppose toujours fermement. Je me concentre sur la résistance à cela. 

Et tu sais ce que disent ces hommes ? « Oh, ne t’occupe pas d’elle, elle ne survivra pas longtemps sans cet argent ».  C'est là que vous leur dites – et je l'ai dit à beaucoup d'hommes qui m'ont dit ça – « Vous finirez par regretter vos paroles ». Et c’est ce qui arrive. Ce sont les mêmes hommes qui se lèvent et applaudissent chaleureusement lorsque je fais un discours ou que je suis interviewée. C'est ainsi qu'on ose arrêter des gens comme ça, et de manière positive. 

Aujourd'hui, je dirige une association que je finance toujours moi-même. Le peu d'argent que je reçois des conférences et d'autres activités personnelles, je l'investis constamment dans l’association. La première subvention importante que Messengers of Peace a reçue venait du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement). Et c'est pourquoi je dis que les bonnes personnes sont toujours là. Quelqu'un du PNUD a dit : « Vous savez quoi, ces gens font leur travail. Pourquoi ne peuvent-ils pas être soutenus ? Qu’est-ce qui empêche une jeune femme qui a fait tout ce travail, non seulement au Liberia mais sur tout le continent, d'obtenir de l'argent ? Que se passe-t-il ? ». Au cours de cette réunion, nous avons montré que, grâce à la cohérence, quelqu'un – une jeune femme avec une multitude de jeunes – pouvait faire tout ce travail sans le financement des donateurs.

D’après ce que je comprends, tu as toujours travaillé de manière collective. Tu as toujours fait partie d’un programme ou guidé les autres. Pourquoi cette approche collective est-elle si importante ? À quel moment ta résistance personnelle est-elle devenue collective ? 

J’essaie toujours de voir le positif dans tout ce que je fais. Certaines personnes ne sont pas comme ça, mais je suis dans un état d’esprit où je me dis que je ne peux pas abandonner ces jeunes. Je suis sérieuse, si aujourd’hui je m’énerve et ne les encourage pas à réussir, qui les aidera ? Qui le fera pour eux ? Je reste en contact avec la plupart des jeunes que j’encadre jusqu’à ce que je les voie réussir. Et lorsqu’ils commencent à avoir du succès, parfois ils postent sur les réseaux sociaux, « Oh mon Dieu ! Que ferions-nous sans cette femme ? ». Je suis seule la plupart du temps, mais c'est vraiment bien, d’avoir le soutien de tou.te.s, qu'il s'agisse d'un groupe d'organisations différentes ou d'agences internationales. Je crois sincèrement au travail collectif.

En réfléchissant à la question de travail d’équipe et de solidarité, te souviens-tu d’un moment lorsque tu étais petite fille où tu as réalisé que tu n’avais réussi à faire quelque chose uniquement parce que tu ne le faisais seule ? Quelle leçon as-tu tiré de cette expérience ?

Maintenant que tu me le demandes, je dois vraiment revenir en arrière et y réfléchir ! Qu’est-ce que j’ai réussi à faire ? Il existe différents styles de leadership – qu'il s'agisse de coordonner, d'accommoder, de soutenir – et différentes étapes de la constitution d'une équipe et du travail en équipe. En qualité de leader, il faut faire preuve d’une grande conscience de soi. Il faut trouver le bon moment pour faire preuve d’autorité en tant que leader, mais aussi savoir quand dire « OK, je dois attendre les autres ». Dans mon travail, je suis responsable de 1 500 jeunes bénévoles. Lors de l’épidémie d’Ébola, je devais rassurer leurs parents. Je devais rassurer sur la vie des personnes sue lesquelles je n’avais aucune autorité – tu imagines ? Étant donné que nous étions dans un foyer d’Ébola, je devais accompagner ces enfants et appliquer des mesures de sécurité. Tout ce qui arriverait à l’enfant de quelqu’un était ma responsabilité. Imagine cette pression. Et à ce moment-là, mes parents m'ont dit – tu risques ta vie de tellement de façons. C'est à ce moment-là que mon père a dit : « Ce truc te rend folle. Pourquoi tu prends des responsabilités comme ça ? »

J'ai répondu : « Papa, si on ne le fait pas, qui le fera pour nous ? » Je pose toujours cette question : qui le fera pour vous ?

Avec ce grand nombre de jeunes bénévoles, les gens me demandent comment je fais ? Ce n'est pas facile. Mais le fait est que je prends soin de moi. Je médite, je danse, je fais tout ce qu'il faut pour prendre soin de moi et être dans cet état de bien-être, car il n'est pas facile de s'occuper de tous ces gens. Et je prie beaucoup. Je prie, je chante, je danse. Toutes les choses que je dois faire pour me garder en sécurité et être prête pour ce voyage.

Avec tout ce tu accomplis, quel monde essaies-tu de créer, en particulier pour les jeunes filles ? À quoi ressemble un monde issu de ton travail ? 

Ce serait un monde où les gens seraient capables de vivre et de se respecter mutuellement, honnêtement, quelles que soient leurs différences. Même avec toutes les différences dont nous parlons, il y a toujours un signe d'espoir pour s'aimer et se soutenir mutuellement. Même si vous ne m'aimez pas à cause de ce que je fais, il y a toujours quelque chose que vous pouvez trouver à apprécier chez moi, un simple effort suffit. Nous devrions nous traiter mutuellement avec respect, avec reconnaissance.

J'imagine un monde où chaque jeune fille est capable d'exprimer son point de vue, d'être audacieuse mais aussi objective. Savoir que même si l'on est audacieuse et que l'on s’exprime, on peut aussi prendre en considération ce que l'autre personne a vécu, même si elle ne vous respecte pas ou ne comprend pas ce que vous faites. C'est en se mettant constamment à la place des gens que nous faisons fonctionner le système. Si quelque chose ne fonctionne pas, n'en profitez pas pour juger et fustiger quelqu'un. Ce sont des choses qui engendrent la haine, la tension et toutes les mauvaises choses de ce monde. Si quelque chose ne fonctionne pas, voyons comment nous pouvons y remédier, trouver une solution et en parler. Je crois que chaque fois que nous passons par un dialogue sain, cet engagement constant de communication sur une question particulière, nous trouverons quelque chose que nous apprécions chez l'autre. Honnêtement, c'est le monde dont je rêve vraiment. Et je ne m’arrêterai pas tant que ce ne sera pas une réalité. Je continuerai à servir jusqu'à mon dernier souffle. 

C'est une vision magnifique. Merci beaucoup d’avoir partagé ta vision inspirante et transmis ce que tu as appris.

Cette conversation se déroule dans le cadre d’une série de conversations avec des femmes originaires de l’Afrique de l’Ouest sur le thème de la résistance. Cliquez ici pour voir toutes les conversations.