Abroger la loi contre les #MGF sera une trahison des filles et des femmes en Gambie - Jama Jack

SOURCE: THINK YOUNG WOMEN GAMBIA

Depuis août 2023, la Gambie voit se développer un mouvement en faveur de l'abrogation de la loi qui interdit la pratique des Mutilations Génitales Féminines (MGF) dans le pays. Il y a deux semaines, Almameh Gibba, un député du district gambien Foni Kansala, a déposé au parlement une proposition de loi visant cette abrogation.

Ce 18 mars 2024, la proposition a été présentée en deuxième lecture. Après débat, les parlementaires gambiens ont approuvé à la majorité le renvoi de la proposition devant les commissions compétentes. Celles-ci devraient consulter divers acteurs et recueillir l’opinion publique pour ensuite publier un rapport avec des recommandations pour la voie à suivre. Cette évolution a ses avantages et ses inconvénients, dont je laisse l’analyse à nos experts juridiques.

En tant que personne qui a activement travaillé pour le plaidoyer #StopMGF pendant plus de dix ans, j’aimerais analyser les dynamiques en jeu dans ce qui se déroule actuellement sous nos yeux. Avec notamment l’examen de la mobilisation sociale et de l’engagement social, sous la perspective d’une féministe gambienne.

En décembre 2015, le parlement gambien a adopté le Women’s (Amendment) Act 2015, un amendement qui sanctionne pénalement la pratique des MGF dans le pays. Cet amendement précise les caractérisations de la « circoncision féminine » pour y ajouter la classification de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ainsi que toutes les formes de « mutilations sexuelles féminines ». La loi prévoit également des sanctions strictes à l’encontre des personnes qui pratiquent les MGF, celles qui les sollicitent, les encouragent ou en font la promotion ; ainsi que pour les personnes qui ont connaissance d’une procédure planifiée ou achevée et qui ne l’ont pas signalée aux autorités compétentes.

Quelques mois plus tôt, en août 2015, ce même parlement avait rejeté une proposition visant à interdire la pratique des MGF en Gambie dans un communiqué du Comité gambien sur les pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants (the Gambia Committee on Traditional Practices Affecting the Health of Women and Children - GAMCOTRAP). Ce n’était pas la première fois que le parlement gambien rejetait des propositions de lois contre la pratique.

Le fait qu’il adopte une loi interdisant la pratique des MGF, quatre mois plus tard, était donc un signe encourageant. Cela a eu lieu au lendemain de l’annonce surprise du chef de l’État de l’époque, Yahya Jammeh, de l’interdiction immédiate des MGF en Gambie. Annonce également survenue après des années de travail des militant.e.s et des associations de défense des droits des femmes. Un travail souvent réalisé dans des conditions dangereuses et intimidantes, et essentiellement grâce à l’engagement avec les communautés et des plaidoyers pour avoir des lois et des politiques qui protègent les filles et les femmes et interdisent les MGF.

Depuis l’adoption de la loi il y a presque dix ans, UNE seule poursuite a abouti : en août 2023, trois femmes ont été reconnues coupables d’avoir pratiqué des MGF sur des filles âgées de 4 mois à 1 an. Chaque femme a été condamnée à payer une amende de 15 000 dalasi ou purger une peine d’un an d’emprisonnement. Malgré le décalage évident entre le verdict et les peines prévues par la loi, la décision du tribunal a tout de même été saluée comme une jurisprudence historique.

 Ce qui aurait dû être une occasion de renforcer l’application de la loi et de garantir la protection des filles dans le pays, a ouvert la voie à des initiatives plus audacieuses par certains chefs religieux musulmans pour encourager l’abrogation de la loi sur les MGF.  L’un d’entre eux, Abdoulie Fatty, a rassemblé les moyens nécessaires pour régler les amendes des trois femmes. Il a profité de l’occasion pour s’attaquer aux activistes, aux organisations et aux associations de la société civile qui œuvrent pour mettre fin aux MGF. Monsieur Fatty et compagnie, ont inlassablement encouragé l’idée que la loi contre les MGF s’oppose à l’Islam, ce qui mobilise et incite leurs fidèles à soutenir l’abrogation de la loi et considérer leurs actions comme un « djihad » en défense de l’Islam.

Malheureusement, le débat va bien plus loin que la simple opinion d’une seule personne. M. Fatty est un seul individu, il ne faut toutefois pas sous-estimer son influence dans un pays majoritairement musulman. Lors de la première lecture de la loi, ses partisans et lui se sont fortement mobilisés. Ils ont attiré une foule de gens, parmi eux de nombreuses femmes et des enfants, qui scandaient « Allahou Akbar » et clamaient protéger et défendre leur religion. Le Conseil islamique suprême a également joué un rôle phare dans l’enhardissement de ce mouvement pro-abrogation, et armé ses militant.e.s de fatwas qui ne font rien d’autre qu’écarter les expériences des victimes et des survivantes, plaider pour le maintien de la pratique et même préconiser la MGF médicale comme solution. Le fait de présenter le travail anti-MGF et les militants anti-MGF comme étant anti-Islam est stratégique pour révolter leurs partisans et obtenir leur soutien dans un pays où l'on apprend à la population à ne pas remettre en question les chefs religieux.

Les Organisations de la Société Civile (OSC), celles de défense des droits des femmes et militantes féministes gambiennes, travaillent activement à la manière de réagir à cette évolution de la situation. La continuité du travail réalisé ces dernières années afin de s’engager auprès des communautés et des responsables politiques. De réelles inquiétudes existent concernant le manque de mécanismes de coordination solides, notamment à propos des questions qui affectent les femmes, les filles et les autres groupes minoritaires du pays. Ce moment déterminant, met encore une fois cela en évidence. Aujourd'hui, plus que jamais, nous est rappelée la nécessité d'investir dans des stratégies holistiques de construction de mouvements qui faciliteront l'action collective, renforceront la solidarité, soutiendront une documentation et un apprentissage efficaces et consolideront un bloc uni animé par un intérêt commun : la protection des droits des femmes, des jeunes filles et d'autres groupes vulnérables.

Malgré ce défi, le Réseau contre les violences faites aux femmes (the Network Against Gender-Based Violence) et ses organisations membres ont joué un rôle de premier plan dans les actions menées jusqu'à présent, et la société civile doit continuer à rationaliser ses efforts à travers cet organisme cadre pour garantir l’harmonisation et la coordination des actions. Et également s’assurer qu’il n’y a pas de place pour la cooptation du mouvement, ou pour des zones grises qui pourraient mener à la perte de la loi… et plus encore.

Le gouvernement gambien demeure silencieux sur la question. C’est le cas depuis que le gouvernement d’Adama Barrow est entré au pouvoir, ce qui a conduit à la rhétorique publique dans certaines communautés que la loi interdisant les MGF a été évincée en même temps que le président Jammeh. Les groupes de la société civile appellent inlassablement le gouvernement à communiquer de manière proactive sur l’existence de la loi et à exprimer la volonté politique d’assurer sa mise en œuvre effective.

Près de huit ans plus tard, nous attendons toujours que cela se produise. Si certaines voix au sein du gouvernement se sont élevées, notamment celle du vice-président de l’Assemblée nationale, il reste tant à espérer d’un gouvernement qui persiste à promouvoir une rhétorique de soin et de respect des droits des femmes et des filles dans le pays. En outre, il existe des allégations selon lesquelles la police retarderait ou refuserait carrément de faire avancer les cas de MGF qui lui sont signalés parce qu'elle a reçu des directives de l'exécutif à cet effet.  

Le ministère du Genre, de l'Enfance et de la Protection sociale s’est révélé être la plus grande déception de tout le dispositif gouvernemental, et démontre non seulement la nécessité d’un leadership féminin, mais d’un leadership qui repose sur une politique féministe radicale qui s’opposera à la structure patriarcale qu'est l'État. Cinq ans après la création du ministère, je rencontre encore des difficultés à comprendre ce qu’il fait pour améliorer la condition des femmes et des filles en Gambie, au-delà de la répétition de la mise en place de projets et d’activités qui ne mènent à aucun réel changement. Au cœur de cette crise flagrante, ils ont tout de même jugé bon de célébrer la Journée internationale des droits des femmes avec un défilé, vêtus de vêtements assortis de fantaisie, et de régurgiter des discours et des déclarations que nous avons entendus à maintes reprises. Au moment où j’écris ces lignes, ils sont actuellement à la Commission de la condition de la femme des Nations Unies ( Commission on the Status of Women - CSW) et expriment des messages de « solidarité » avec les OSC qui ont mené le travail et la mobilisation pour mettre fin aux MGF. Où est le leadership ? Quand le ministère reconnaîtra-t-il et assumera-t-il ses responsabilités en tant qu’organe de coordination et travaillera-t-il en étroite collaboration avec les OSC au lieu de les considérer comme des ennemis, des opposants ou des lanceurs d’alerte « sans classe » ? Fatou Kinteh et son équipe peuvent-elles se mobiliser ?

Les femmes Gambiennes sont épuisées ! Le patriarcat continue de trouver des moyens de nous briser et nous tuer chaque jour, et il existe une limite à ce que les gens peuvent endurer. Un grand travail est réalisé pour assurer notre sécurité, mais en tant que société civile, nous devons délibérément aborder ces questions d'un point de vue radical, et au-delà de nos réactions superficielles initiales. Nous devons aborder les mutilations génitales féminines, les mariages précoces et bon nombre de problématiques auxquelles nous sommes confrontés en tant que formes de violence patriarcale et trouver des solutions pour y remédier. Nous ne devons pas avoir peur d'offenser le patriarcat, car le patriarcat n'hésitera pas à nous tuer à la première occasion.

Tandis que nous cherchons la voie à suivre, nous devons également rejeter les appels de plus en plus forts à la médicalisation et la normalisation de la pratique des MGF, car cela créera un terrible précédent. Nous devons admettre que la pratique est enracinée dans la volonté de contrôler nos corps et notre sexualité. Toutes les concessions que nous ferons aujourd’hui s’appliqueront aux autres formes de violences que nous subissons car les cibles changeront toujours. Abdoulie Fatty a déjà mentionné la loi interdisant les mariages précoces, et comme nous l’avions prévu, ils s’attaqueront à toutes les lois qui protègent les femmes et les filles. Nous ne devons pas céder à leur volonté de contrôler nos corps, ou de nous utiliser comme garantie dans leurs jeux politiques.

Mon esprit est lassé, et je lutte pour ne pas travailler d’un point de vue défaitiste. Je vais donc garder espoir. L’espoir de voir le gouvernement gambien assumer en priorité ses responsabilités envers son peuple, au lieu de jouer la comédie pour faire bonne figure aux yeux de la communauté internationale. L’espoir que tous ceux qui œuvrent pour continuer à porter préjudice aux femmes répondront de leurs actes et que nous aurons les protections nécessaires dans un environnement manifestement de plus en plus dangereux pour les activistes qui s’expriment ouvertement.

Dans l’intérêt des filles qui risquent TOUJOURS de subir une MGF et qui ne disposent pas d’espaces pour partager leurs craintes, j’espère que, la Gambie prendra la bonne décision, cette fois-ci.

À propos de l'auteur

Jama est une écrivaine féministe et Spécialiste en communication originaire de Gambie. Elle défend la justice sociale et s’intéresse aux recoupements entre les droits humains, la communication et l’engagement communautaire, surtout dans le domaine du changement du comportement social. Elle écrit sur son blog, Linguere, produit et co-anime le Musso Podcast et se construit un portfolio dans le domaine du cinéma.


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