« Depuis toute petite j'ai un côté féministe » – Adam Dicko (Mali) – 1/3
Dans cette première partie de notre conversation avec Adam Dicko, elle nous parle du décès de sa meilleure amie et sa décision de participer au Mouvement d'Action pour la Jeunesse (MAJ). Nous avons aussi parlé avec elle de solidarité et de l’importance de partager l’information sur la santé sexuelle et reproductive (Partie 2). À la fin, elle nous explique les impacts de sa résistance – dans la région, dans le pays, et dans sa communauté (Partie 3).
Adam a été interviewée par Françoise Moudouthe fin 2019 dans le cadre d'un projet mondial documentant la résistance des filles. La conversation a été éditée dans cette interview en trois parties par Nana Bruce-Amanquah et Edwige Dro pour notre série #GirlsResistWA. Vous pouvez trouver plus d'informations sur la série ici.
Avertissement: cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.
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Quand tu considères ton adolescence, la période de ta vie où tu disais "je suis une fille", tu la considères dans quelle tranche d’âge ? Et pourquoi cet âge ?
Je pense que mon adolescence a commencé à 14 ans. C'est véritablement à partir de 14 ans que j'ai commencé à découvrir la transformation de mon corps et à prendre certaines décisions en tant que fille.
Quels genres de décisions ?
À 16 ans, j'ai commencé à m’engager suite à une histoire assez triste. J'avais une amie qui est décédée à la suite d'un avortement. C'est là où j'ai pris conscience de certaines choses et que je me suis engagée. J'étais sa meilleure amie, elle était un peu plus âgée que moi. On partait à l'école ensemble. Quand elle est tombée enceinte, elle m'en a parlé mais j'étais assez petite, c'était assez hors du commun pour moi.
Son père était l'Imam du quartier et elle m'a dit qu'elle voulait mettre un terme à sa grossesse car si son père l'apprenait, il la tuerait et sa maman aussi. Je lui ai répondu qu'elle n'était peut-être pas enceinte. En plus, le garçon qui était responsable était au lycée. Il a nié en disant que la grossesse n'était pas de lui. Un jour, toutes les deux nous avons menti à la maison disant qu'on avait besoin de 2500 FCFA à l'école pour une sortie. C'était pour aller à l’hôpital faire une radiographie, qui coûtait 5000 francs, afin de savoir si elle était enceinte.
Nous sommes allées à l'hôpital toutes les deux faire la radiographie et c’est là que le médecin a dit qu'elle était enceinte de quatre mois. Elle ne savait pas. Elle tombait malade depuis quelques mois mais quand elle allait à l'infirmerie du lycée, qui n'était pas bien équipée, l'infirmière lui donnait du paracétamol ou de l'Efferalgan, disant qu'elle souffrait du paludisme. Elle m'a dit qu'elle allait avorter. Je lui ai dit non, que je ne pensais pas que ce soit une bonne idée. On pouvait trouver une solution. Un jour, on a dit qu'elle a tenté d’avorter, de se suicider. On l'a emmené à l'hôpital, mais elle est décédée avant d'y arriver. C'est après son décès que sa mère a découvert qu'elle était enceinte. Et là, ça a été horrible.
Ça a été une année très difficile pour moi. Non seulement j'avais perdu ma meilleure amie, mais je perdais aussi l'estime de certains membres de ma famille. Les gens pensaient que comme elle était enceinte et que j'étais sa meilleure amie, peut-être que moi aussi j'étais sexuellement active. J’étais indexée et c’était vraiment dur. Le seul refuge pour moi était l'école, pendant les heures de cours. Les gens étaient alors plus concentrés sur les cours que sur moi. Pendant les récréations, je restais dans la classe.
Je suis désolée que tu aies vécu ça. Qu’est-ce qui s’est passé après ? A part tes cours, comment as-tu passé ton temps à l’école ?
J’étais dans pas mal d’activités à l'école, que je représentais quand il y avait des événements. Un jour, le proviseur de l'école m'a envoyé à une activité. C'était le 1er décembre. Le MAJ [le Mouvement d'Action pour la Jeunesse, la cellule jeune de l’Association Malienne Pour la Protection et la Promotion de la Famille], avait invité notre école à participer à la célébration de la journée internationale contre le SIDA. Quand j'y suis allée, les jeunes ont fait un sketch sur l'utilisation du préservatif et les méthodes contraceptives. Ça a été un choc pour moi. C'était la première fois de ma vie que j'entendais parler de cela, je ne connaissais rien de tout cela. A la maison nous n’osions pas rester devant la télévision quand il y avait des publicités de préservatifs. Et c’étaient des choses qu'on n'apprenait pas à l'école.
Mais je me suis dit que si j’avais su cela avant, ma meilleure amie serait peut-être encore avec nous aujourd’hui. Elle n'aurait peut-être pas commis les erreurs qu'elle a faites si elle avait eu ces informations. Après l’événement, je me suis rapprochée des jeunes en leur demandant comment faire pour devenir comme eux, savoir tout ce qu’ils savaient, et pouvoir en parler. Ils m'ont parlé du mouvement, et m'ont expliqué comment je pouvais m'y inscrire.
Quand je suis rentrée au lycée, j'en ai parlé à mon proviseur. Je lui ai dit que je voulais adhérer à ce mouvement. J'étais à Sébéninkoro, et le siège du mouvement était à Kalaban. C'était très loin. Le proviseur m'a proposé de m'y accompagner le lendemain pour qu'on aille prendre les informations. Ce que je voulais, c’était avoir les informations pour faire de la sensibilisation dans mon lycée. Je savais que mes camarades avaient besoin d'informations. Nous sommes allés, j'ai reçu ma carte de membre et puis on m'a dit que le renouvellement des membres du bureau du district avait lieu ce même jour et je pouvais rester pour assister. Je leur ai dit que j'avais uniquement besoin des informations qui me permettraient de commencer la sensibilisation dès le lendemain dans mon lycée. Ils m'ont répondu que j'avais besoin de formation. La coordonnatrice du MAJ qui y était, voyant mon engouement, m'a conseillé d'assister à ce renouvellement de bureau, afin de comprendre le mouvement. Mon proviseur a été d'accord pour qu'on y assiste.
Nous sommes entrés dans la salle d'élection. Je ne connaissais personne. Ils ont commencé le renouvellement avec le poste de président du district. Il y avait six candidats et tous étaient des jeunes hommes. Depuis toute petite j'ai un côté féministe. J'ai levé ma main, à la stupeur de mon proviseur qui voulait que je tienne tranquille, et que j'écoute plutôt. J'ai demandé si le poste de président était réservé aux hommes. La formatrice présente m'a répondu que tout le monde pouvait postuler. J’ai proposé ma candidature. On a donné deux minutes de temps de parole à chaque candidat. A mon tour, je me suis présentée, ensuite j'ai expliqué que je voulais surtout prouver aux hommes que les femmes aussi pouvaient être candidates. Sur le champ, quatre hommes ont désisté et m'ont donné leurs voix. Finalement on a fait les élections, et j'ai gagné. C'est comme ça qu' à 16/17 ans je suis devenue la présidente du MAJ du district de Bamako.
C’est super ! Ta victoire me fait rappeler quelque chose : quand je t’ai demandé de me montrer un objet qui représente ta jeunesse, tu m’as envoyé une photo d’un trophée. Est-ce que tu peux me dire plus de pourquoi tu as choisi cet objet ?
J'ai reçu ce trophée en 2014, de la part du ministère de la Jeunesse. J'étais la Présidente nationale du MAJ, c'est dans ce sens-là que le trophée m'a été remis. C'est écrit dessus « Le trophée de l'espoir ». C'est un objet qui m'a beaucoup plu parce que ça parle d'espoir, et avoir reçu cela, ça a été un coup de pouce pour moi, et à chaque fois que je regarde cet objet, je me dis que je dois aller de l'avant. Des gens ont porté de l'espoir sur moi et je ne dois pas abandonner.
Oui, c’est vraiment une grande responsabilité que tu as portée. Est-ce que tu étais toujours si engagée pendant ta jeunesse ? Quand tu étais jeune fille, tu étais comment ?
En dehors de la famille, j’étais engagée; mais dans la famille j’étais rebelle. Complètement rebelle, je remettais tout en cause.
Dehors j'étais engagée. Je peux dire que j'étais même surexcitée. J'en faisais trop. Quand j'ai commencé les formations, et que je voyais un groupe de jeunes assis, je venais m’asseoir près d'eux et je leur demandais s'ils connaissaient le préservatif. Je ne savais même pas ce que c'était exactement. J'avais reçu une formation et je voulais que tout le monde sache la même chose que moi. Les gens étaient étonnés et me regardaient. Ils disaient que j'étais trop jeune. Je parlais beaucoup, jusqu'à ce qu'ils me demandent d'arrêter.
Tu étais passionnante, ça c’est clair ! Est-ce que ton engagement a vraiment changé les perceptions négatives de toi ? Est-ce qu’il a changé le fait que tu étais obligée de te cacher ?
Oui, petit à petit, il y a eu des changements positifs. Quand je suis devenue la présidente du MAJ au niveau du district, ça demandait beaucoup d'activités comme des causeries et formations. Et moi qui était surexcitée, tous les jours je venais avec une liste d'activités que je proposais à la coordonnatrice. Elle me disait « calme-toi, calme-toi » (rires).
J'ai mis en place plusieurs initiatives. J'ai créé un club de jeunes dans notre quartier. Dans mon école, je voulais créer un club anti-SIDA. J'ai demandé à l'AMPPF s'ils pouvaient venir nous former, ils ont accepté et notre club anti-SIDA était formé. Chaque semaine, nous devions réaliser sept causeries. Les samedis, les représentantes de l’AMPPF venaient, on leur montrait nos cahiers, le nombre de personnes touchées, et les sujets abordés. J'allais dans les radios pour parler de ces questions-là. Avec l'AMPPF, on a pu aménager notre infirmerie. Donc petit à petit au niveau de l'école, je suis devenue une référence. Je n'étais plus l'amie de celle qui avait avorté et qui était décédée. J'ai pu créer une image positive de moi.
Dans la deuxième partie, nous parlons de comment Adam a grandi et ses premiers vécus avec la résistance. Cliquez ici pour cette prochaine partie !