« L'impact au niveau communautaire est ma plus grande fierté et ma source de motivation » – Adam Dicko (Mali) – 3/3

Nous arrivons à la fin de notre conversation avec Adam Dicko. D’abord, Adam nous a parlé de la perte de sa meilleure amie et sa décision de participer au Mouvement d'Action pour la Jeunesse ou MAJ (Partie 1). Puis, nous avons parlé de solidarité et de l’importance de partager l’information sur la santé sexuelle et reproductive (Partie 2). Dans cette dernière partie, elle nous explique les impacts de sa résistance – dans la région, dans le pays, et dans sa communauté.  

Adam a été interviewée par Françoise Moudouthe fin 2019 dans le cadre d'un projet mondial documentant la résistance des filles. La conversation a été éditée dans cette interview en trois parties par Nana Bruce-Amanquah et Edwige Dro pour notre série #GirlsResistWA. Vous pouvez trouver plus d'informations sur la série ici.

Avertissement: cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.

Aujourd'hui ta résistance t'a menée où ? 

J'ai été présidente du MAJ pour la région Afrique. J'ai commencé avec le district, j'ai été au niveau national, ensuite j'ai été présidente pour la région Afrique, 44 pays. C'était la première fois qu'une malienne occupait ce poste. Ma résistance m'a aussi amenée à créer une organisation avec d'autres jeunes, une organisation sur la citoyenneté active et la démocratie. Aujourd'hui cette organisation fait la fierté de la jeunesse malienne parce qu'elle fait beaucoup d’activités avec l'accent sur la gouvernance locale, l'accès aux services sociaux de base, en termes d'interpellation, en termes de participation des jeunes dans la vie publique, et dans la vie politique.

Ma résistance m'a aidée à accéder à plusieurs instances de prise de décision au niveau national et international. Ça m'a permis de rencontrer des personnes importantes et puissantes. Actuellement je suis à Tunis pour participer à l'observation des élections. Le Centre Carter a fait appel à moi en tant qu’observateur international pour les élections. La résistance m'a permis aussi d'être membre du FEMWISE qui est le réseau des femmes de l'Union africaine.

Au moment de ton adolescence, est-ce que ta résistance au MAJ était connectée à un mouvement plus large au niveau international ?

Le MAJ est international mais j'étais focus sur mon environnement immédiat. Quand j'allais au MAJ, ce n'était pas pour être dans le bureau. C'est quand j'ai été élue au niveau national que je suis allée à Nairobi pour représenter le MAJ. Quand je suis arrivée à Nairobi, les candidats au poste régional étaient tous anglophones. J’ai demandé pourquoi les francophones ne compétissaient pas. Les francophones m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas être présidents, et qu'ils cherchaient le poste de vice-président. J'ai décidé de chercher le poste de président. J'ai battu campagne auprès des lusophones pour qu'ils me soutiennent. 

Tu as parlé de rencontrer des personnes importantes et puissantes. Quelle est la rencontre qui t'a le plus marquée ?

Ce qui m'a le plus marqué, c'est une dame que j'ai rencontrée dans un village du Mali, avec une ONG qui m'avait contactée pour sensibiliser les filles au niveau des villages. J'avais en charge 37 villages et je devais passer dans les écoles. J'ai fait une session dans le village Moutougoula. J'ai fait la session le matin et l'après-midi la mère d'une fille que j'avais sensibilisée ce jour-là est passée me voir. Elle m'a raconté son histoire. Elle m'a beaucoup marquée. J'ai gardé une relation spéciale avec elle. De temps en temps j'appelle sa fille qui lui passe le téléphone et on discute un peu. Je l'ai trouvé très forte. Pour moi, ce sont elles les vraies femmes leaders. 

Est-ce que tu as trouvé que ton activisme a élargi son champ d'action ? 

Oui, au départ j'étais sur des questions très précises concernant les femmes, la santé sexuelle et reproductive, ensuite j'ai évolué sur les questions de gouvernance et de participation politique, de démocratie, et de citoyenneté active.

Qu'est ce qui a enclenché cette évolution vers une approche un peu plus large ? 

Je suis passée de la résistance personnelle à une résistance plus collective et ça a changé la méthode de combat. Ça a changé ma vision globale des choses et ma cible a évolué aussi. Quand j'étais encore au collège ou à l'université, la cible était les jeunes et les communautés. Maintenant, ma cible est aussi les dirigeants et les décideurs, pour que le changement puisse avoir plus d'impact. Mon activisme ne s'occupe plus spécifiquement de la santé sexuelle et reproductive des filles, mais des questions de services sociaux de base en général, et ce sont des questions de gouvernance. Je crois que l'évolution, c'est le cours normal des choses. 

Tout à l’heure, tu as parlé de l'impact de ta résistance d'adolescence au niveau de tes parents ? Quand tu penses à l'impact de ta résistance au niveau de ta famille élargie et ta communauté, mais aussi sur toi, aurais-tu quelque chose à ajouter ?

L'impact est visible sur ma propre vie. J'ai pu continuer mes études jusqu'à l'université, et je n'ai pas eu à faire un mariage forcé. Comme j’ai dit, au niveau de ma famille aussi il y a eu un changement de comportement. La résistance a véritablement changé la vision de mes parents et notre vie. Mes sœurs aussi ont continué leurs études. Elles sont toutes au lycée ou à l'université. Celle qu'on a voulu exciser passe le baccalauréat cette année. En plus, la mère de ma meilleure amie, qui me détestait, est devenue ma grande amie. Elle m’a confié les petites sœurs de ma meilleure amie et je les ai intégré dans le MAJ, et le Parlement des jeunes. C'est un impact direct sur ma vie. 

Au niveau du lycée, cet impact est aussi perceptible par l'engagement de mes camarades. J'ai quitté le lycée depuis longtemps mais ce club anti-sida que j'ai créé existe toujours. Il bénéficie des formations sur la santé sexuelle et reproductive.  Chaque année le club est renouvelé, et l'AMPPF continue de former ses membres. Chaque jeudi, ils continuent les causeries éducatives sur le planning familial la santé sexuelle et reproductive, et le droit des jeunes. Mes camarades sont pratiquement tous devenus des jeunes engagés. Certains sont entrés en politique, ou engagés dans les organisations de la société civile. A travers le club anti-sida, ces jeunes ont appris l'engagement.

Au niveau de la communauté, je vois que quand je passe dans les villages où j'ai été faire des sessions, j'ai inspiré plusieurs jeunes filles qui me témoignent qu'elles veulent devenir comme moi. Des parents aussi dans les villages prennent devant moi la décision de laisser les filles étudier et ne plus les forcer à se marier. Des mères ont décidé publiquement de ne plus accabler leurs filles de travaux ménagers, de les traiter comme elles le font avec leurs fils, pour leur laisser le temps à elles aussi d'étudier. C'est ce qui me marque et est ma plus grande fierté. Ce ne sont pas les rencontres au niveau international ou la rencontre des personnes influentes mais c'est vraiment l'impact au niveau communautaire qui est ma plus grande fierté et ma source de motivation. 

Ma dernière question : quel est ce monde que tu essaies de créer et qu'est ce qui est possible et réalisable dans le temps qui te reste à vivre ?

Dans l'avenir je vois plus de liberté pour les filles et les femmes et beaucoup plus d'engagement dans la vie politique. Je vois un monde où on a un gouvernement non plus de 30 % de femmes, mais de 80% de femmes, même 94%. Pour que cela arrive il faudrait que les femmes s'engagent, qu'elles soient plus que des bénéficiaires pour devenir des acteurs politiques. Je n'aime pas les discours où on dit que « les femmes sont au cœur de notre politique. » Je voudrais que ce soient les femmes qui soient les acteurs et non les bénéficiaires, pour que cela arrive les femmes doivent s'engager.

A l’Association des Jeunes pour la Citoyenneté Active et la Démocratie [AJCAD], on a des Clubs d'Action Citoyenne, au niveau communautaire. J'exige la participation minimale de 50% de femmes pour qu'on puisse valider un CLAC. Je sais que les femmes ont juste besoin d'un petit coup de pouce pour damer les hommes. Pour que les filles viennent au niveau du CLAC, c'est très difficile. Il faut aller les chercher, et les convaincre. Quand elles acceptent et elles viennent, elles arrachent tout naturellement le leadership. Elles ont ce leadership et elles évoluent à des vitesses exponentielles, c’est impressionnant. Au niveau communautaire, il faut les pousser à l'engagement. Je rêve d'un jour où on ne sera plus obligé de venir parler du quota des femmes, mais du quota des hommes.

C’est la fin de notre conversation avec Adam. Merci beaucoup Adam d’avoir partagé ton récit avec nous!

Cette conversation se déroule dans le cadre d’une série de conversations avec des femmes originaires de l’Afrique de l’Ouest sur le thème de la résistance. Cliquez ici pour voir toutes les conversations.