« On a dit que parce que je suis allée à l’école voilà ce qui m’a rendue effrontée » - Dr. Aissa Bouwaye Ado (Niger) – 2/4
Notre conversation avec Dr. Aissa Bouwaye Ado, originaire du Niger et fonctionnaire depuis longtemps, continue.
Après qu’elle ait parlé de son envie d’être scolarisée quand son statut d’enfant de la cour royale l’interdisait dans la première partie, elle nous raconte sa lutte contre un mariage forcé à la fin de son adolescence dans cette partie.
Dr. Aissa a été interviewée par Françoise Moudouthe à la fin de 2019, dans le cadre d'un projet mondial documentant la résistance des filles. La conversation a été éditée dans cette interview en quatre parties par Nana Bruce-Amanquah et Chanceline Mevowanou pour notre série #GirlsResistWA. Vous pouvez trouver plus d'informations sur la série ici.
Avertissement: cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.
************
Quels sont les grands moments qui se passaient dans le contexte de l’histoire de votre pays ou même de votre communauté qui vous ont marqué quand vous aviez entre 10 et 20 ans ?
On est venu au lycée en 1970 comme ça et quatre ans après, le premier régime depuis l’indépendance a connu le premier coup d’Etat en 1974. C’était le régime militaire. Il a régné avec un bras de fer comme ça. Donc nous on était à l’internat et c’était un régime militaire.
Est-ce que ça vous a affecté ou pas du tout au quotidien ?
Non. À l’internat, on savait que c’est la discipline et tout. Ce qui nous a marqué, c’était quand j’étais en première. On a fait la grève et le président, écoutez c’est un militaire. Il a fermé les internats et nous a renvoyé soudainement au village. Il nous a conduit avec les gardes et tout. Amenés là-bas, on donne des consignes, au préfet, de s’occuper de nous. Il se trouvait que dans mon département à Dakoro, j’étais la seule lycéenne. Donc, chaque fois qu’il y a un mouvement au collège, il faut qu’on me convoque à la préfecture pour voir si je ne suis pas à la base de tout ça. On nous surveillait. On a fait un an comme ça, il n’a pas ouvert toute l’année 76. Un an sans aller à l’école, on était tous renvoyés chez nous. Il n’a pas ouvert les écoles. C’est à la rentrée 76-77 qu’il a ouvert.
Vous avez évoqué un mariage forcé. Vous pouvez me raconter plus ?
À cette époque-là, j’avais deux cousins directs : l’un, c'est le fils de la grande sœur de mon papa, et l'autre c'est le fils de la grande sœur de maman, ou le grand frère de mon papa, quelque chose comme ça. Ils étaient plus âgés, mais c'étaient des jeunes quand même qui ne sont pas mariés. Tout le temps quand j'étais enfant, on disait que « voilà, tu es réservée pour les deux maris, l'un ou l'autre, tu seras la femme de untel ou untel ». Je voyais les deux hommes même faire des histoires à cause de moi : « Non, elle est réservée pour moi », « Non, elle est réservée pour moi ». Et les gens disaient, « Bon on va voir. » Entre temps il y a eu coup d'État. Le cousin qui était militaire est mort dans le coup d'État. Donc ça veut dire que l'autre a eu le chemin libre.
Et vous l'avez épousé ? Que s'est-il passé ?
J’avais mon oncle qui m’a soutenu. Il m’aimait beaucoup parce que je travaillais beaucoup. Il a dit à la famille qu’il faut qu'on me laisse revenir à l’école. Donc difficilement, j'ai fait mon BEPC en 1974 et puis mon bac D [scientifique] en 1978, quand j’avais vingt ans. Comme j’avais mon bac, je devrais aller à l'université. L'oncle qui me protégeait était parti à Dakar. Il a demandé que je sois orientée à Dakar aussi pour étudier là-bas chez lui. J’étais prête à aller étudier à Dakar. Quand ma famille a appris que j'avais eu le bac, on a décidé qu’on allait célébrer le mariage, si moi ou mon oncle étaient d’accord ou pas. Le chef, donc mon grand-père, était aussi d’accord. Mon oncle qui me couvrait ne pouvait rien faire, il ne pouvait pas surpasser la parole du chef. Quand je suis venue pour partir à Dakar, on m’a dit que « Non, il y a le monsieur qui est venu présenter son certificat de mariage. Tu es mariée, donc tu ne vas pas à Dakar. » Voilà comment j’ai découvert que le mariage était fait. Le cousin en question a choisi de faire le certificat de mariage à la préfecture. Il est aussi parti au ministère de la santé pour assurer que je restais à Niamey.
J'ai dit OK et j’ai commencé l'université à Niamey. J’ai habité chez le même oncle qui m'a toujours soutenu, jusqu’à ce qu'il dise que comme je suis mariée, je dois rejoindre mon mari. J'ai dit non. J'ai déménagé de chez lui et je suis venue dans une chambre à la cité universitaire. D'emblée, j'ai déclenché la bagarre entre mon oncle et moi. Après je suis allé à l'internat de l’université. Mon oncle a informé la famille à Dakoro que j'ai refusé de rester avec lui et que je suis retournée à l'internat, là où les hommes et les filles sont mélangés. Un ou deux mois après mon début à l’université, le cousin est venu pour me trouver. À cette époque-là, j’ai rencontré quelqu'un.
Ah, vous avez trouvé quelqu’un d’autre à l’université ?
Oui, j'étais en première année de médecine, et il était en troisième année de médecine. Il nous apprenait les leçons et les répétitions des cours en groupe et il a commencé à s'intéresser à moi. C'est d'ailleurs lui mon mari, le papa de mes enfants.
Je l'ai informé clairement de la situation. Je lui ai dit « Écoute, moi, je suis une fille à problèmes et je cherche justement un soutien. Si tu sais que tu peux, on y va ». Il a dit qu'il peut. C'est comme ça qu’on a commencé. Je lui ai dit : « le monsieur qui était choisi par ma famille vient jusqu'ici parce qu'il dit que je suis sa femme » et quand ce monsieur venait, nous lui avons dit de ne plus venir.
Six mois plus tard, j'ai envoyé un message à la maison pour dire que j'ai trouvé quelqu'un et demander si je devais me marier afin de défaire l'autre mariage. Ils ont dit : « Pas question. C'est lui que nous avons choisi. Même si cet homme que tu as choisi est le fils du président, on n'est pas preneur. » Quand j'ai appris ça, j'ai informé mon futur mari qu'on doit se fiancer et expliquer la situation au procureur.
Qu’est-ce qu’il est passé avec le procureur ?
J'ai mobilisé les étudiants, ils nous ont accompagnés. Tu t'imagines, on partait à pied jusqu'à la justice. J'ai expliqué au procureur qu'on m'a fait un mariage forcé et que maintenant que j’ai voulu me marier, la famille a refusé. Je ne pouvais pas attaquer la famille directement, mais administrativement, et c'est comme ça que j'ai fait. En bref, le procureur a convoqué le préfet qui a célébré le mariage forcé, qui a signé le certificat de mariage. On l'a appelé et on lui a demandé : « Est-ce que quand tu as signé la fille était là ? »
Bien sûr, je n'étais pas là. C'est toute ma famille qui était là, de mon côté et du côté du mari, en question. Le procureur a dit non, un certificat de mariage ça se signe quand les deux conjoints sont là. Donc il a dit d'annuler ce mariage. Ma famille a refusé d'annuler le mariage. On a dit « Non, le chef a parlé, le chef a parlé. Personne ne peut aller à l'encontre de ce que le chef a dit. »
Comment avez-vous affronté la situation avec le chef ?
Quand je suis partie en vacances, je suis partie voir mon grand-père. Il fallait voir, c’était tout un scandale. Une fille qui va à la cour parler au chef traditionnel, c'est un affront. Ma famille était dépassée. On a dit que parce que je suis allée à l’école voilà ce qui m’a rendue effrontée.
On a repris la deuxième année de médecine et je suis revenue dans la capitale. On les a convoqués encore à la justice. À une occasion, le chef est venu à Niamey pour une consultation. Tu t'imagines, y'avait que lui qui peut me libérer. Il a sorti un papier et il a créé un certificat de divorce. Il a mis son cachet. J'ai amené le certificat à la justice et donc ça a été validé.
Wow ! Et après le chemin était libre pour le mariage que vous voulez ?
Pas si vite. Il reste une autre phase, que ma famille accepte l’homme que je vais amener. Refuser un membre de la famille et amener quelqu'un qui est de l’extérieur… culturellement parlant, c'est un affront. C'est comme si tu as montré que dans la famille, les hommes étaient incapables, qu'il faut que tu ailles chercher ailleurs. Alors la condition posée, il faut vérifier la famille de l’autre homme, son ethnie et sa richesse. Il faut qu'on aille voir sa famille. Donc il y a eu une délégation qui est partie jusqu'au village de mon futur mari. Ils ont été, ils ont vu, ils étaient satisfaits. C'est là qu’on a donné l'accord que mon mari pourrait me prendre.
La famille naturellement, s'est divisée en deux : ceux qui sont de son côté et ceux qui sont de mon côté. On ne savait même pas où célébrer le mariage avec notre état. Comment célébrer quand ils ont donné leur accord, mais ils ne sont pas dedans parce que j'ai refusé l'autre ? Finalement et difficilement, on a trouvé des tuteurs et ils ont convaincu ma famille de célébrer. Puis notre mariage s'est fait.
Qui était de votre côté ?
Même si mes parents ne me parlaient pas directement, je sentais qu’ils m’aimaient et qu’ils me soutenaient. Quand j’affrontais la famille, il a fallu que je leur demande : « Dans cette affaire, vous êtes dedans ? » Ils m’ont dit « Non, non, non. Nous on n’est pas dedans, mais on ne peut pas parler. » L’essentiel pour moi c’est qu’ils ne soient pas dedans. Je vais attaquer la famille, pas eux.
Après qu’elle nous a raconté comment elle a vraiment dû se battre pour épouser la personne qu’elle voulait, nous allons continuer la discussion avec son avis sur la résistance dans la troisième partie. Cliquez ici pour lire la prochaine partie.