« Sans même le savoir, j'étais une fille qui fait ce qu'elle voulait » - Dr. Aissa Bouwaye Ado (Niger) – 1/4
Notre conversation avec Dr. Aissa Bouwaye Ado, originaire du Niger et fonctionnaire depuis longtemps, commence.
Dans l’interview, elle nous parle d’abord de son envie d’être scolarisée alors que cela était interdit à cause de son statut d’enfant de la cour royale et de sa lutte contre un mariage forcé à la fin de son adolescence (Partie 2). Ensuite nous discutons du développement de sa résistance (Partie 3), de son impact sur des jeunes filles et finalement de ses espoirs pour elles (Partie 4).
Dr. Aissa a été interviewée par Françoise Moudouthe à la fin de 2019, dans le cadre d'un projet mondial documentant la résistance des filles. La conversation a été éditée dans cette interview en quatre parties par Nana Bruce-Amanquah et Chanceline Mevowanou pour notre série #GirlsResistWA. Vous pouvez trouver plus d'informations sur la série ici.
Avertissement: cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.
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Bonjour Dr. Aissa et merci pour votre participation dans cette série. Quand vous considérez la période de votre vie où vous étiez une fille, ça se situe entre quel âge et quel âge ?
Mon adolescence a commencé à partir de 10 ans et a duré jusqu’à 20 ans. Mais ma lutte a commencé avant 10 ans, même vers 7 ans. J’ai grandi dans une chefferie et on ne scolarise pas systématiquement les enfants, surtout les filles. Chaque fois qu'on demande de donner un quota, on cherche les enfants d'autres familles pour mettre à l'école et non les propres enfants de la famille. On se dit que les enfants de la famille royale n'ont pas besoin d'être scolarisés, qu’ils doivent rester dans la famille, pour assurer la perpétuité. Mais je souhaitais aller à l’école donc je suis partie à l'école moi-même.
Qu'est-ce qui a fait que vous aviez tellement envie d'aller à l'école ?
Ça, je ne sais pas. Peut-être qu'il y avait quelque part de la curiosité qui me poussait. L’école était une nouvelle structure au sein du village et on ne savait pas à qui on avait affaire. Je voyais des gens et je les suivais pour aller à l'école. Je me rappelle bien, on était dans les hangars, je m'asseyais avec les filles.
Comment d’autres personnes ont répondu à votre essai d’aller à l’école ?
Les autres filles, mes camarades m’ont dit : « Hé, wallah on va te frapper hein, il ne faut pas nous suivre ». Chaque fois qu’on me voit revenir de l’école, on me dit : « Tu n'arrêtes pas d'aller à l'école là ? » Chaque jour, je me réveille, je dis à ma maman que je vais l'aider, je vais faire tout le travail qu'il y a à faire. Je fais tout, je finis tout, rien que pour pouvoir aller à l'école. Quand j’allais, ce n’était pas vraiment en cachette. Les gens me voyaient. On me gronde, on m'empêche et je les contourne pour aller. C’est en CE1 qu'on a accepté de m'inscrire à l'école.
Vous avez vraiment lutté pour votre formation, et si jeune en plus. Est-ce que vous étiez toujours si audacieuse ? À cette époque-là, quel genre de fille étiez-vous ?
J'étais en quelque sorte une fille bien révoltée. Sans même le savoir, j'étais une fille qui fait ce qu'elle voulait. J'étais entourée par mes oncles et mes tantes. Mais ils ne savaient pas ce que je germais.
Vous pouvez m’expliquer plus comment vous avez grandi ? Chez vous, c'est où ?
Chez moi, c'est dans une région éloignée qui s’appelle Dakoro, à 700 km de Niamey. J’ai grandi dans une famille où c'est l'homme qui a la parole, pas la femme, pas la maman, pas les tantes. Je suis une Peule et j'ai même des tatouages sur le visage. Il faut dire que tout ça a contribué à me révolter. Mon grand-père maternel est le petit frère du chef. Chez nous, il y a la cour royale. Ça me révoltait toujours d'enlever les chaussures pour saluer mon grand-père, pour accéder à la cour. Ça me révoltait cette séparation entre la famille royale et l'autre famille qui n'est pas royale.
Dans notre famille, nous avons les traditions, comme des mariages de famille et le fait que le premier enfant est la responsabilité de l'oncle et de la tante. Mes parents n'appellent même pas mon nom. Je suis leur première, mais comme ils sont entourés de leurs frères et sœurs, ils ne parlent pas au premier enfant. Quand je rentre dans la chambre, mon papa, paix à son âme, sort. Quand les gens sont là, ma maman m'évite. On ne me parle pas, on ne m'adresse pas la parole directement. Donc, je me réfugie chez mes oncles maternels, mes oncles paternels et les tantes aussi. C’est une société qui vit ensemble. C'est comme ça que j'ai grandi.
Vous avez beaucoup parlé de ce qui vous révoltait, mais qu’est-ce qui vous apportait de la joie ?
Vraiment, j’étais encadrée par un amour social. J’ai mes oncles, mes tantes tout le monde m’aimait. Et puis j’étais choyée de tous côtés. Chez nous, même quand tu vas passer les congés chez une tante, on te donne un cadeau, un mouton, une chèvre et tout ça. J’étais choyée. Ça me donnait de la joie. Cette lutte pour aller à l’école me rendait joyeuse aussi.
Est-ce que votre famille continuait de s’opposer à votre scolarisation même après vous étiez inscrite à l’école en CE1 ?
Oui, la famille faisait de l’influence pour ne pas me laisser venir à l’école. Ma maman m'empêchait d'apprendre les leçons à la maison jusqu'à mon CM2. Quand j’ai essayé d'apprendre, on m’a frappé, on a arraché les cahiers et on m’a donné beaucoup de travaux domestiques. C'était interdit que j'apprenne les leçons à la maison. Au moment où les mamans aident les enfants à apprendre les leçons, nous, c'est le contraire. Il a fallu que le maître leur parle pour dire que je suis la première de la classe pour qu’on me permette d’être scolarisée.
Quand j'ai fait mon entrée en sixième pour venir au collège et au lycée, j'ai été retenue pour venir à l'internat à Niamey. J'étais pressée de venir dans la grande ville, comme toutes les autres filles campagnardes comme moi. Ils essayaient de m’empêcher. Ils m’ont dit que c’est loin. Ils ont même influencé ma maman. J'ai surpris ma maman et ma tante en train de causer pour dire que « bon on est en Afrique, il faut chercher les marabouts pour ne pas qu'elle parte ».
Oh wow.
J'ai informé mon directeur d'école, je lui ai dit que ma maman ne voulait pas que je parte à Niamey. Mon directeur est parti voir mes parents et leur a signalé que s'ils ne me laissaient pas venir à l'internat dans la capitale que c'était à leurs risques et périls. Au temps là c'était le régime militaire. Ils ont alors eu peur et c'est ainsi qu'ils m'ont laissé venir en sixième en 1970. J'ai fait ma sixième. Pendant ma cinquième, j’ai su qu’on avait décidé que je ne reviendrais pas à l’école et que je devais me marier.
Après qu’elle nous a donné le contexte autour son enfance et sa famille, nous allons parler plus de ce mariage dans la deuxième partie. Cliquez ici pour cette prochaine partie.