« Je n'aime pas qu'on m'impose quelque chose, surtout si ça ne me convient pas » - Dr. Aissa Bouwaye Ado (Niger) – 3/4
Nous sommes toujours en conversation avec Dr. Aissa Bouwaye Ado, originaire du Niger et fonctionnaire depuis dix ans.
Elle nous a déjà parlé de son désir d’aller à l’école comme petite fille (Partie 1) et sa lutte contre un mariage forcé à la fin de son adolescence (Partie 2). Dans cette troisième partie, nous discutons du développement de sa résistance.
Dr. Aissa a été interviewée par Françoise Moudouthe à la fin de 2019, dans le cadre d'un projet mondial documentant la résistance des filles. La conversation a été éditée dans cette interview en quatre parties par Nana Bruce-Amanquah et Chanceline Mevowanou pour notre série #GirlsResistWA. Vous pouvez trouver plus d'informations sur la série ici.
Avertissement: cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.
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Comment est-ce que vous, vous définiriez la résistance ? Qu'est-ce que ça veut dire pour vous ?
D'abord, il faut savoir ce qu'on veut. Je n'aime pas qu'on m'impose quelque chose, surtout si ça ne me convient pas. Dans toute la famille, on me connaît. Depuis l'enfance c’est comme ça. Je suis très respectueuse et je respecte la hiérarchie et tout. Mais quand on essaie de me montrer que « ce n’est pas ça, c'est par commandement qu'on doit... » et que je dois faire quelque chose obligatoirement, bon, je vais peser si ça me convient de faire. Mais si ça ne me convient pas, quel que soit, même dans ma vie professionnelle, je ne pense pas si je peux le faire.
Pendant ton adolescence entre 10 et 20 ans, qu'est ce qui était le plus dur dans la résistance que vous meniez dans cette période ?
Il y avait le manque de liberté et le manque d'accompagnement. À cette époque, tu n'as pas de processus d'accompagnement. Soit que tu es à l’internat, soit que tu es chez ton tuteur, on t’empêche les sorties, on t’empêche la liberté de voir quelqu’un qui veut venir te voir…et tu n’as pas de conseil. C’était dicté comme ça.
Par exemple, à cette époque, on n'a pas d'éducation sexuelle, personne ne nous parle. Nous les filles, seules à l’internat, on ne sait rien de notre cycle, et personne ne nous dit pourquoi. À cette époque, personne ne te dit que quand tu commences les règles, si tu rencontres un homme, tu vas tomber enceinte. On a grandi comme ça, on n'a pas eu de conseillers. Tu as des copains et tu sors quand tu peux mais la difficulté est qu'il ne faut pas que je trahisse mes parents. Il ne faut pas que je prenne une grossesse en l'air comme ça. Parce que ça tu sais, c'est une honte de la famille. Quand je vois les filles dit maintenant : « Les enfants, il faut parler avec eux, il faut une éducation sexuelle complète avec les enfants et tout. » Nous, on n'avait pas ça.
Quand vous étiez jeune, vous étiez dans un contexte très conservateur. Est-ce qu'à l'époque, vous aviez des exemples autour de vous, de personnes qui résistaient ?
Non, j'étais la seule. Avant, ils faisaient les mariages forcés comme ça : on donnait des jeunes filles aux gens qui viennent dire qu'ils ne sont pas mariés, après la fille devient la deuxième femme, la troisième femme, parfois même la quatrième femme. Mais après ma résistance, j’ai entendu mes cousines dire : « Ouh, depuis que Aissa a refusé ». J'ai entendu les oncles dire voilà, « Tout ça c'est Aissa, depuis qu'elle leur a donné l'exemple, les gens sont révoltés » des choses comme ça. Je n'avais pas imaginé que je faisais un grand changement comme ça.
À quel moment avez-vous décidé que vous n’allez pas porter votre combat seulement pour vous ?
Quand j'ai commencé à devenir professionnelle. Dans ma vie professionnelle, je faisais la planification familiale. Les religieux se soulevaient contre moi tout le temps. Ils ont dit non, ils n'autorisent pas les femmes à avoir la contraception. J'étais obligée de lutter pour la contraception légale au Niger. Avant ça, quand j’aide une femme à avoir des services de contraception, les religieux ont l'habitude de me convoquer à la justice.
On peut dire que le système s'est quand même beaucoup opposé à vous.
Oui, tu connais le Niger. C'est un contexte culturellement religieux très difficile. Ce sont des interprétations. La religion pour laquelle ils prônent ne dit pas ça exactement. Personne n'osait affronter les personnes conservatrices comme ça, mais moi je les affrontais.
Comment est-ce que la résistance est devenue un élément central de votre vie ? Est ce qu'il y a eu une transition ? Ou ça s'est fait tout seul ?
Non, je pense que ça s'est fait tout seul. Je pense ça m'a suivi et ça m'animait. Je vais te donner un exemple. En 2013, j'étais au pèlerinage à La Mecque. Tu as vu comment je m'habille, je suis voilée et tout. On rentre dans le bus et on dit que les hommes doivent être devant et les femmes derrière. Un homme s'arrête au milieu, que les femmes « Allez-y derrière, allez-y derrière ». Quand il est venu soulever ma tête, il a dit : « Allez, dégage ! ». J’ai dit : « D'après qui ? D'après quel passage du Coran ? Il faut me coller la paix. » Le monsieur a continué et finalement ils étaient tous assis. Je n’ai pas bougé. Il y avait des hommes devant moi, des hommes derrière moi et personne n'osait me dire quoi que ce soit. Qu'est-ce qui est arrivé ? Rien.
Vous pouvez me donner un exemple où les enjeux étaient plus élevés ?
Un jour, des religieux ont réussi à me prendre en otage. Avec mon personnel, on fêtait les 10 ans de la planification familiale au Niger. Ils sont venus, ils ont arraché le micro. Ils ont chassé tout mon personnel, les sage-femmes et ils ont chanté leurs chansons religieuses. Ils ont dit que je donne aux adolescentes des pilules. J'ai dit « Même demain, si une adolescente devient fille-mère, parce que vous les religieux, vous ne parlez pas aux pères de famille pour qu'ils prennent leurs responsabilités, pour bien éduquer l'adolescente, si elle vient ici dans mon centre, je vais la mettre sous contraception ». Ils m’ont dit : « Toi la femme là, qu'est-ce que tu cherches parmi les hommes ? Sors. » J’ai refusé de sortir. J'étais dans une salle à la table de parole avec le ministre de la Santé. Je dis « Dites-moi c’est quel passage du Coran qui dit ça ? Il faut me dire le passage du Coran qui dit que la femme ne doit pas rester ici ». Nous étions en otage de 20h30 à 23h.
C’est horrible ! Comment avez-vu résolu la situation ?
Vers 23h, je suis venue vers la porte, j'ai dit « Je vais juste aller aux toilettes ». J'ai fait un bout de papier et j'ai tendu à mon chauffeur, j'ai dit d'aller avertir la police. Et je suis revenue dans la salle. Ils ont arraché le tissu là où il y a les hommes et les photos. Je leur ai dit : « Dans votre poche, il n'y a pas de carte d'identité ? Il n'y a pas de carte d'identité dans notre poche ? Ce sont les photos non ? » Ils m'ont laissé après. C'était toute une histoire, je t'assure!
Maintenant que Dr. Aissa a raconté des récits incroyables de sa résistance, nous allons parler plus de la solidarité et de l’impact de sa résistance sur les autres dans la quatrième et dernière partie. Cliquez ici pour cette partie.