« Je ne veux pas être le genre de militant ou de militante qui choisit son camp et qui n'est pas inclusif » – Anonyme (Afrique de l’Ouest) – 2/4

Nous continuons notre conversation avec Anonyme. Dans la première partie, nous avons parlé de la gêne qu’iel a ressenti dans leur enfance en tant que jeune fille qui ne se comportait pas « comme une fille » (Partie 1). Dans cette deuxième partie, nous parlons de leur relation avec leur communauté et de l’acceptation de leurs différences. 

Anonyme a été interviewé.e par Françoise Moudouthe fin 2019 dans le cadre d'un projet mondial documentant la résistance des filles. La conversation a été éditée dans cette interview en quatre parties par Nana Bruce-Amanquah et Edwige Dro pour notre série #GirlsResistWA. Vous pouvez trouver plus d'informations sur la série ici.

Avertissement: Cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.

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Tu m'as dit que pour toi la sortie de cette période d’être jeune fille, c'était à 24-25 ans, quelques années après être sorti.e du couvent. Est-ce que tu peux m'expliquer pourquoi cet âge ?

Déjà quelques années avant, j'avais commencé à faire des recherches pour savoir ce que j'étais exactement, si j'étais seul.e, si c’était une maladie. Mais quand j’avais environ 24 ans, j'ai été invité.e à une soirée. C’était une ONG de lutte contre le SIDA qui avait organisé ça. J'avais un ami avec qui je causais beaucoup qui travaillait là-bas. Je n'allais pas sortir justement parce que je n'avais pas envie d’avoir des rumeurs sur moi, où j’allais devoir me justifier. Bref, il a insisté : « Tu dois venir ! Il faut venir ! Ça va t’intéresser ! » 

Je suis arrivé.e et puis, bim ! Voilà ! J’ai vu des gens qui étaient comme moi ! Je me suis dit : « OK, je ne suis pas seul.e. » Dans mes recherches, je n’ai vu que les trucs de l'Occident, et ça a accentué cette idée que « Ce sont que les Blancs qui font ça » comme on me dit. Quand j’ai participé à cette soirée, c'était une vraie libération pour moi. J’ai vu que dans mon pays, dans ma ville où j'ai grandi pendant toutes ces années, il y a des gens comme moi, même des gens plus jeunes et plus âgés qui étaient comme moi. Je me suis dit « La vie peut commencer maintenant. » 

C’est super ! Comme tu parles de trouver la vraie communauté, je voudrais savoir : qui étaient les personnes les plus importantes dans ta vie avant la soirée dont tu viens de parler ? 

Il y a ma mère, qui reste la personne la plus importante pour moi. Il y a un de mes amis qui est aujourd'hui comme mon frère. On a fait la 6e jusqu’à la terminale ensemble et on est toujours amis jusqu’à aujourd’hui. Je ne savais pas qu'il était gay, mais lui il savait que j’étais lesbienne, sans que je ne lui dise. On est restés amis, c’est une des personnes très importantes.

Et tes relations avec ces deux personnes, comment tu les décrirais ?

La relation avec ma mère est une relation en dents de scie, jusqu'à aujourd'hui. Des fois c'est très violent, des fois c'est très affectif. Elle nourrit toujours l'espoir que je reviendrai au couvent. La dernière fois qu’on s'est vu.e.s, c’était notre dernier clash ! (rires) Quand elle se rend compte que non, rien ne change, et je suis toujours comme je suis, c’est: « Ah d'accord, maintenant, tu es fière de qui tu es, tu revendiques même qui tu es, quoi ! » Après elle dit : « OK, non ça va. Dieu fera, ça va aller, tu restes ma fille ». Elle se rend compte que rien ne change, que ça devient encore plus clair dans ma tête. Même quand je suis sortie du couvent, on l'a accusée ! Elle a dit : « non elle a résisté, elle fait ce qu'elle veut. Elle est libre de faire ce qu'elle veut. » Aujourd'hui, les gens lui disent : « Ah, mais ta fille, elle devient quoi ? Elle s'est mariée ? » Elle dit : « ça ne vous regarde pas. » Elle a résisté pour que je puisse être moi, pour me laisser être moi-même.

Qui était les méchant.e.s de l'histoire, c'est-à-dire les personnes qui étaient source d'opposition ou de conflits dans cette période-là ? 

C'était le mari de ma tante, la grande sœur de ma mère. Je ne l'aime pas trop. Lui comme moi, évitons que nos routes se rencontrent. C’est ce genre de personne hétéro-patriarcale qui se permet de traiter ma tante et ma mère comme du n'importe quoi parce que ce sont des femmes. Depuis toute petite, je n'aimais pas le ton sur lequel il parlait à ma tante. Une fois, je crois que j’avais 13 ans quand ma tante a appelé ma mère tout en pleurs parce que son mari l’avait battue. Cela m'a mis.e dans une grande colère, du coup j'ai pris mon taxi avec les petites économies que j'avais pour me rendre là-bas. À destination devant la porte j'ai trouvé un gros bâton que j'ai pris dans ma main et hurlé : « Aujourd'hui c'est fini pour toi. Si moi j’étais dans la vie de ma tante avant que tu ne la connaisses, tu n’allais pas l'épouser. »

Wow, même à 13 ans !

Oui ! Après ça a été une réunion de famille et on m’a demandé pardon. J’ai dit : « On ne me demande pas pardon ! Il va demander pardon à sa femme ». Une chose qu’il n’a jamais faite et je lui en garde rancune jusqu’à aujourd’hui. Deux ans plus tard, il y a eu un décès dans la famille et toutes les femmes devaient se réunir. En tant que fille aînée de ma mère, je l’ai accompagnée à la réunion. Donc on arrive, je vois ma tante et puis j’entends son mari qui dit : « Ah non celle-là ne doit pas rentrer !» en parlant de moi. « Elle n'est pas femme ». Je lui ai dit : « Toi non plus tu n'es pas une femme. Toi, tu fais quoi ici ? Si toi tu peux être ici, moi aussi je peux être ici. » Il a dit : « Vous avez vu comment elle me parle ? Je vous avais dit que vous aviez raté son éducation, vous lui avez permis de faire ceci, de faire cela, de s’exprimer par elle-même. Aujourd'hui là, c’est elle qui comprend français plus que tout le monde, c’est elle qui va venir et me dire qui est une femme ! » 

C’est clair que tu n’étais plus cette jeune fille qui n’aimait pas les confrontations ! En fait, c’est ici qu’on revient à cet âge d’environ 15 ans où tu as dit que tu t’es accepté.e pour qui tu es. 

Il y a longtemps que j’ai accepté ma différence. À cet âge, j’étais cette petite fille qui se mettait tout le temps en pantalon et la famille de mon père disait à ma mère : « Aha ! On t’avait parlé, tu as vu ? Tu as voulu l’éduquer et puis tu as vu ce que c’est en train de devenir ? » Et moi, le fait que je sois différent.e était un poids pour moi. J’ai essayé de porter des robes, mais ça ne passait pas. Je me disais que j’allais mettre la honte sur ma mère, lui créer des problèmes. Ça continuait de me peser, ça continue toujours à me peser, mais cette fois-ci, je l'ai assumé mieux qu'avant. J’ai décidé qu’il fallait que je prouve que ma mère m’avait donné la meilleure des éducations. Ma différence ne devait pas être un motif d’échec. Aujourd'hui, je sais qui je suis : une personne qui accepte et assume sa différence à tous les différents niveaux, qui est plus épanouie aussi. Je sais qu’il y a des gens comme moi, et qu’on a besoin de se soutenir et de travailler ensemble.

Sur le plan un peu plus macro, dans ta communauté, que ce soit dans la ville ou dans le pays, politiquement, qu’est-ce qui se passait qui t'a vraiment marqué.e ? 

Je pense aux quelques périodes de revendications qui m'ont marqué.e, et qui n'ont rien à voir avec la communauté LGBTQI, mais de qui je tire beaucoup d’inspiration et de stratégie. J’ai un exemple, c’était il y a plusieurs années. Il y avait un changement politique et je faisais partie de ces personnes qui partaient lancer des pierres contre les militaires. Je ne pouvais pas comprendre comment une république souveraine pouvait se comporter comme un royaume en fait, et on ne pouvait rien dire. J’ai participé à beaucoup de mouvements de revendications en ce temps. Il y avait une marche des femmes pour pouvoir ramener le calme. Je m’apprêtais pour cette marche et quelqu’un m’a dit : « Donc toi aujourd’hui, tu es une femme quoi ? » C’est quelque chose qui m’a marquée parce que je me suis dit : « Est-ce qu'on doit céder aux revendications parce que telle personne n'est pas comme vous ? » C'est une affaire de justice. Ça regarde tout le monde. Que je sois une femme ou pas, c’est une revendication qui est train de se mener pour une certaine justice, donc allons-y quoi ! 

Je me rends compte que ce mouvement auquel j’appartiens est un mouvement très violent. Et il faut que j'apprenne à faire des analyses et tout. Ça m'a permis aussi de savoir quel genre de personne, quel genre de militant ou de militante je ne veux pas être. Je ne veux pas être le genre de militant ou de militante qui choisit son camp, qui n'est pas inclusif, qui pense que, parce que cette personne ne rentre pas dans le moule, alors iel ne peut pas faire partie de la revendication. Je sais maintenant ce que je ne veux pas être dans ces genres de mouvements de revendication ou de justice sociale. 

Après la discussion sur son enfance, nous continuons notre conversation avec Anonyme dans la troisième partie, où nous parlons plus de résistance et de solidarité. Cliquez ici pour lire la prochaine partie.