Le militarisme glamourisé et la libération insaisissable de l’Afrique - Rosebell Kagumire (Ouganda)

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Lors d’un vol récent vers Dakar, un membre du personnel navigant d’une compagnie aérienne africaine a salué avec enthousiasme le titulaire d’un passeport burkinabé devant moi – « Bonjour et bienvenue au Capitaine Traoré ! Nous l’aimons beaucoup ». Le passager a souri et a calmement rejoint son siège sans éclat. Cet enthousiasme pour un leader plus jeune est compréhensible dans un continent dont les économies sont en difficulté et une population jeune (âge moyen : 19 ans), surtout lorsque le pays a connu un pouvoir colonial tel que la France, et que le nouveau dirigeant semble ne pas craindre, dans sa rhétorique, la confrontation avec l’ennemi.

La France maintient son empire monétaire dans les pays africains. Celui-ci est bâti autour du Franc CFA, surnommé dans un livre co-écrit par l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, « la dernière devise coloniale de l’Afrique ». La France est connue pour son ingérence politique de longue durée dans la région. La lutte contre les puissances néocoloniales qui ne contrôlent plus l'économie politique des États africains est en effet un combat de notre temps, tout comme les générations précédentes ont lutté pour décoloniser l'Afrique.

Le culte du militaire

L’actuelle glorification et glamourisation des chefs militaires du Burkina Faso, du Mali, du Niger et de la Guinée – tous des pays dont les régimes militaires sont embryonnaires – sur nos réseaux sociaux, ainsi que la fabrication de toutes pièces de leurs succès devrait inquiéter toute personne qui se soucie de notre lutte pour la libération en tant que continent.

Bien trop d’Africain.e.s ont une expérience directe ou indirecte de la vie sous un régime militaire et connaissent le coût énorme du militarisme sur plusieurs générations, de la période coloniale à celle postcoloniale. C'est un vieux scénario qui s'est rarement terminé par la liberté. Pourtant, aujourd'hui, on observe une tendance croissante à soutenir les régimes militaires et les hommes messianiques autoproclamés au plus haut.

En tant qu’Ougandaise n'ayant connu que le président Yoweri Museveni, qui a pris le pouvoir par un coup d'État en 1986 et qui, 39 ans plus tard, tel un monarque maintient une emprise ferme sur la nation avec sa famille, j'ai tendance à faire preuve d'un pessimisme mesuré à l'égard des prises de pouvoir militaires. Dans tout le continent, la triste ironie des « libérateurs » qui se transforment en despotes est une tragédie récurrente. Des militaires putschistes aux élus qui démantèlent les constitutions pour prolonger illégalement leur mandat, en passant par les voleurs d'élections, le schéma persiste.

Pr. Amina Mama, une intellectuelle nigéro-britannique observe que les « États « libérés » d’Afrique n’ont jamais libéré les femmes. Il s'agit d'un édifice de complicité masculine engagé dans la pacification depuis toujours – coloniale, post-coloniale, néolibérale, théocratique ». C’est sur ce point de vue que repose mon hésitation et mes faibles attentes d’un autre régime militaire. Je prends le travail des féministes africaines sur la décolonisation, la démilitarisation et la paix au sérieux. Les régimes militaires demeurent un obstacle à la liberté et à la dignité, même lorsqu’ils se parent de l’apparence civile des élections.

« Les effets à long terme de la militarisation et du régime militaire persistent même après la constitution de gouvernements civils », déclare la professeure Mama. « La politique a tendance à être violente, car les groupes d'intérêts concurrents réunissent des bandes de voyous pour remporter les élections ; les manifestations contre les spoliations sont accueillies par la force militaire, ce qui entraîne à son tour la militarisation des luttes populaires pour la justice. »

Quand les « libérateurs » deviennent des dirigeants à vie

La lutte pour la liberté consiste à se battre pour changer les conditions matérielles, mais aussi à vivre sans violence et sans craindre celle-ci. Ce qu’un gouvernement militaire ne pourra jamais garantir. Associer ou assimiler un régime militaire à la révolte populaire dessert grandement la lutte. Notre histoire postcoloniale est jalonnée de complicité entre les pouvoirs militaires masculins qui exploitent les revendications et les espoirs légitimes du peuple, pour ensuite mettre en place de nouvelles formes d’oppression et sacrifier nos terres, nos ressources, nos vies et notre avenir sur l’autel des mêmes impérialistes qu’ils prétendent combattre. Fonder nos espoirs de libération uniquement sur le militarisme et nous accrocher à un complexe militaro-industriel dont nous n’avons pas la responsabilité, nous noiera rapidement dans la dette. Nous serons en effet obligés de courir après les trafiquants d’armes les uns après les autres. Ce n’est pas cela la liberté.

Le chercheur et critique culturel ougandais Kalundi Serumaga a décrit la relation symbiotique entre les dirigeants de l'Ouganda et du Rwanda en ces termes : « Un pouvoir illégitime ne peut dominer de manière légitime et reste en permanence dans l'insécurité, en crise et dans le besoin d’auto-validation ». La junte du colonel d'armée Assimi Goïta a établi un « nouveau contrat social fondé sur l’image de l’homme fort, l’érigeant en défenseur du Mali ». Le 29 avril, il a procédé à la dissolution de tous les partis politiques, ce qui complique la création de nouveaux partis à l'avenir, car un dépôt de 100 000 000 FCFA leur est imposé. Tandis que des méthodes similaires sont déployées dans tous les pays du Sahel, le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina-Faso, qui s’est emparé du pouvoir à 34 ans en 2022, suscite un engouement massif sur Internet, avec mêmes des célébrités Noires qui suivent le mouvement. La plupart du contenu sur le Burkina-Faso le concerne, et est souvent plein de fausses informations, de demi-vérités et d’exagérations qui alimentent le désir d’avoir un « sauveur ».

Comme une amie féministe africaine l’a fait remarquer avec ironie à propos de notre soif de grands hommes politiques, « les gens recherchent si désespérément des héros qu’ils accepteraient Satan en personne s’il prononçait deux mots corrects ». Internet s’est révélé un outil crucial qui a permis aux jeunes Africain.e.s de bâtir une communauté et de découvrir les expériences des autres, évitant ainsi des années de domination des médias occidentaux et de préjugés racistes. Les Africain.e.s peuvent créer leur propre histoire, tordre le cou aux biais historiques et offrir un discours contraire. Toutefois, lorsque les masses accèdent à des informations conçues par les Big Tech au moyen de leurs algorithmes, qui donnent la priorité à l'engagement populaire plutôt qu'aux faits, au profit plutôt qu'à la preuve, il est facile de capitaliser sur les sentiments des gens et d'amasser des adeptes du jour au lendemain. En plus des plateformes contrôlées et influencées par des entreprises étrangères, la culture numérique limitée rend de plus en plus difficile la séparation entre la réalité et la fiction. Aujourd'hui, l'IA et les « deepfakes » permettent aux communications gouvernementales, ou à leurs simulacres, d'être prises au sérieux et de circuler sans être contestées.

Ce type d’engouement de masse survient toujours à des périodes où l'interventionnisme étranger se fait plus pressant, par exemple, dans la Lybie de Mouammar Kadhafi et au Zimbabwe de Robert Mugabe. La portée massive d'Internet et sa capacité à étouffer les voix alternatives ou dissidentes rendent la manipulation de la réalité beaucoup plus facile aujourd'hui. Les critiques sont rapidement stigmatisés, attaqués et rejetés comme étant des « agents étrangers », tant par les gouvernements que par les personnes dont la liberté est en jeu. Cet environnement est propice à l'émergence d'un discours binaire dangereusement simplifié qui occulte délibérément les réalités complexes d'un pays donné.

En septembre 2019, l’ancien président du Zimbabwe, Robert Mugabe, est mort à l’âge de 95 ans, deux ans après avoir été renversé par l’armée. La fin du règne de 37 ans de Mugabe a été célébrée dans les rues et en ligne par de nombreux Zimbabwéen.enne.s, même face à un avenir incertain. Bien trop de gens admiraient cependant toujours l’homme.  Après tout, il avait tenu tête à l’occident, notamment aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, en réaction à l'héritage du colonialisme blanc par la redistribution des terres, à un coût important pour son pays et son économie. Ses admirateurs passent outre la mauvaise gestion, les atrocités de masse et la façon dont, à chaque élection, Mugabe s'est moqué de la volonté du peuple.

Panashe Chigumadzi, écrivaine et historienne née au Zimbabwe, a déclaré que : « L’histoire brutale du colonialisme et de l'impérialisme a créé une souche de panafricanisme qui se définit essentiellement par l'opposition à l'Occident et ignore les excès des dirigeants postcoloniaux de l'Afrique ». Dans son livre, These Bones Will Rise Again, Mme Chigumadzi souligne qu'en quête de réponses, nous devons baisser les yeux et quitter « les hauteurs des grands hommes qui ont créé une histoire qui ne connaît pas les petites gens, et encore moins les petites femmes, si ce n'est comme de la chair à canon ».

Et le panafricanisme dans tout ça ?

Qu’est-ce qui incite donc nombre d'entre nous à considérer que la vie des Africains est sacrifiable à la poursuite du pouvoir par des grands hommes qui présentent cela comme une libération ? Qu'est-ce qui maintient l'illusion que le pouvoir patriarcal nous libérera de la destruction néocoloniale en cours ? La chercheuse et analyste politique kényane Nanjala Nyabola a soulevé des questions similaires en 2016 lorsque le dictateur soudanais, Omar al-Bashir, a défié les mandats de la CPI et a été accueilli en Afrique du Sud. Pour trois ans plus tard être destitué par un soulèvement populaire de masse en avril 2019. Mais à ce moment-là, lorsque le panafricanisme était plus nécessaire que jamais, il a soit penché en faveur du grand militaire qui avait bâti son pouvoir sur l'impunité, les cimetières de masse et le génocide au Soudan et au Soudan du Sud, soit gardé le silence.

« Tout le monde peut vous dire ce que représente le panafricanisme lorsqu'il est juxtaposé à l'Occident. Mais personne ne semble savoir ce que signifie le panafricanisme lorsqu'il est autoréférentiel ». Elle a ensuite déclaré : « Repose en paix, panafricanisme. Longue vie au man-africanisme ».

Et en effet, le man-africanisme perdure aujourd'hui au fil de notre histoire, tandis que les histoires et les cris des "petits gens" sont enterrés. Alors que nous traversons de multiples crises et que le paysage géopolitique mondial évolue rapidement, il est urgent de donner un sens à notre vie collective. Nous vivons dans une anxiété et une vulnérabilité psychologique avec les génocides télévisés, les déplacements forcés, le pillage écologique et les souffrances humaines massives sur le continent et au-delà. Au lendemain de la pandémie de COVID-19, entre les crises économiques, les affrontements entre puissances mondiales et une nouvelle ère de guerres par procuration sur le continent africain, les réponses que nous cherchons ne se trouvent pas dans la dévotion à un nouveau dirigeant militaire. Nous avons besoin de plus qu'un « meilleur chef de coup d'État ».

Dans son livre You Have Not Yet Been Defeated, le militant politique égypto-britannique et camarade Alaa Abd El-Fattah, emprisonné par la dictature militaire égyptienne depuis septembre 2019, et dont la mère observe actuellement une grève de la faim pour protester contre sa détention illégale, nous met en garde : « Il est généralement inutile de se ranger du côté du camp le plus fort. Les puissants ne vous demandent rien d'autre que de répéter leur propagande ». Tout comme Alaa enfermé dans une prison égyptienne, de nombreuses voix qui ont joué un rôle déterminant dans le soulèvement populaire de 2014 contre l'ancien président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, mettant fin à l'un des régimes les plus anciens d'Afrique, sont aujourd'hui confrontées à la censure, la répression, la disparition forcée et à l'exil. Le peuple burkinabé a une longue histoire de résistance aux puissances coloniales et à leurs dirigeants oppresseurs – il n'a jamais été question de séparer les unes des autres.

Lorsque le capitaine Traoré a pris le pouvoir, le Burkina Faso disposait d'un paysage médiatique dynamique, mais aujourd'hui, le journalisme est devenu une profession périlleuse. Les journalistes doivent non seulement faire face à des conditions de sécurité difficiles du fait des groupes armés djihadistes qui contrôlent environ 40 % du pays, mais aussi à la violence de la junte militaire.

Désinformation et suppression de l’opposition

Cette image fabriquée d'un chef militaire révolutionnaire s'effondre lorsque l’on ose chercher les voix courageuses de la révolution burkinabè. La réduction au silence des journalistes burkinabè, des dissidents politiques et des voix de la société civile n'a reçu que peu d'attention jusqu'à présent. En mars 2025, Guézouma Sanogo et Boukari Ouoba, président et vice-président de l'Association des Journalistes du Burkina (AJB), ont été enlevés par le régime militaire, trois jours après avoir publiquement dénoncé la détérioration de la liberté de la presse. Le 5 avril 2025, les deux hommes, ainsi que le journaliste Luc Pagbelguem, sont apparus dans une vidéo partagée sur les médias sociaux, portant des uniformes militaires, avec des commentaires moqueurs de la part des partisans de l'armée au pouvoir.

Qu'est-ce qu'une révolution sans empathie et sans justice ?

D'autres journalistes et personnalités des médias, comme Atiana Serge Oulon, Bienvenu Apiou, James Dembélé, Mamadou Ali Compaoré, Kalifara Séré et Adama Bayala, sont toujours portés disparus. D'éminents militants de Balai Citoyen, comme Ousmane Lankoande et Amadou Sawadogo, ont également été enlevés et sont toujours portés disparus. Même les magistrats n'ont pas été épargnés par cette disparition forcée soutenue par l'État : sept magistrats ont été arrêtés et déployés en première ligne. En avril 2025, plus de huit mouvements citoyens africains et groupes de la société civile, principalement d'Afrique de l'Ouest, ont condamné cette répression et le rétrécissement de l'espace civique dans le pays. Le rapport d'Amnesty International sur la situation des droits humains dans le monde, publié en avril 2025, fait état d'un grand nombre de ces violations. Ces voix continuent d'être mises à l'écart, les sonnettes d'alarme sont mises en sourdine sur nos fils bruyants.

Dans un discours télévisé prononcé le 1er avril 2025, le capitaine Traoré a déclaré la fin de la « démocratie au Burkina Faso » et proclamé une « révolution populaire progressiste ». Une nouvelle charte impose désormais le « patriotisme » comme critère d'appartenance au gouvernement et à l'assemblée, ce qui exclut de fait toute opposition, ce qui n'est pas sans rappeler le « système politique » mis en place par le président Museveni en Ouganda à la fin des années 1990.

Les autorités burkinabè prévoient de criminaliser les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe dans le code des Personnes et de la Famille révisé. Ballet Brice Stephane Djedje, un universitaire queer, s'est récemment opposé à cette mesure : « Il est impératif de faire la distinction entre les idéologies de libération de l'Afrique noire et le simple sentiment anti-occidental. La première exige l'acceptation totale de tous les peuples d'Afrique noire, y compris les communautés LGBTIQ+, et reconnaît la présence historique de la diversité sexuelle et de genre au sein des structures sociales africaines traditionnelles. Cette approche honore les systèmes de valeurs indigènes africains plutôt que d'adopter les préjugés de l'ère coloniale souvent imposés par le contact européen ». Au Burkina Faso et ailleurs, les corps et les vies des Africains queer sont constamment utilisés pour alimenter les batailles nationalistes masculines hégémoniques - les mêmes vieux codes moraux et juridiques coloniaux européens imposés, déguisés en positions africaines. Il y a une amnésie sélective sur le fait que les États postcoloniaux sont eux-mêmes des structures oppressives contre la diversité, déployant souvent le sexe, le genre, la sexualité, la race et l'ethnicité pour les avilir et les valoriser dans des projets nationalistes.

Dans Africa's Populist Trap, Minna Salami, auteure de Can Feminism Be African ? A Most Paradoxical Question, a récemment qualifié ce à quoi nous assistons de "PAWN : Populist Anti-Western Nativism" (Nativisme populiste anti-occidental). Mme Salami avertit à juste titre que s'opposer à ce type de populisme n'équivaut pas à rejeter « la colère africaine ou à nier le désir légitime de réparation ». Elle affirme que « l'attrait émotionnel du PAWN ne divise pas seulement le monde en héros et en méchants, il empêche le public de penser autrement qu'en termes de binaires simplistes », ajoutant que « le populisme se concentre sur les blessures culturelles, économiques et politiques des gens, et promet de les guérir ». Elle appelle à un besoin urgent de reconnaître les « différences entre la décolonisation et le PAWN... parce qu'en fin de compte, la véritable décolonisation ne peut aboutir par le populisme et le nativisme ».

Nous devons aller au-delà de l'image révolutionnaire, digne d'un film, du leader qui est inéluctable à notre époque et de la désinformation sur les changements massifs de politique économique. Malgré les discours de souveraineté enflammés par la formation de la Confédération des États du Sahel (CES) avec le Mali et le Niger, le Burkina Faso, comme une grande partie de l'Afrique, reste sous l'emprise et piégé par les systèmes financiers néocoloniaux. Dans un rapport d'avril 2025, le Fonds monétaire international (FMI), où les États-Unis détiennent le seul droit de veto, fait état d'un décaissement de 31,4 millions de dollars en faveur du Burkina Faso au titre de la facilité élargie de crédit (FEC). Le soutien financier total du FMI dans le cadre de cet accord est d'environ 94,3 millions de dollars, un programme de 48 mois qui a débuté le 21 septembre 2023.

Dans le cadre de cet accord, le gouvernement s'est engagé à procéder à un ajustement budgétaire, potentiellement par le biais d'une réduction de l'investissement public. Il s’est également engagé à contrôler la masse salariale et à maintenir son adhésion à l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Il ne s'agit pas de blâmer le pays en soi, mais de mettre en lumière les contraintes qui pèsent sur une véritable souveraineté économique. En bref, le Burkina Faso ne peut pas quitter le CFA – la dernière monnaie coloniale imposée par la France - tant qu'il est soumis aux programmes du FMI. Une autre alerte clé de l'accord avec le FMI concerne la possibilité d'une privatisation partielle ou totale d'Air Burkina, où le gouvernement engloutit actuellement d'importants fonds publics.

Le Burkina Faso est le troisième producteur d'or en Afrique, l'extraction de l'or représentant 8 % du PIB réel et 80 % des recettes d'exportation à partir de 2024. Bien qu'il soit question de rompre avec l'occident et d'accueillir la Russie, les accords restent pratiquement les mêmes : le Burkina Faso n'obtient que 15 %des mines nouvellement autorisées, tandis qu'une société russe s'en approprie 85 %. La lutte pour l'indépendance économique de tous les pays africains est encore loin d'être gagnée.

La représentation en ligne du capitaine Traoré comme un libérateur économique radical se heurte à la réalité de la dépendance au FMI et aux conséquences bien documentées observées dans d'autres pays africains depuis des décennies. Alors que les médias sociaux suggèrent une politique économique radicale, la situation est aussi compliquée qu'elle l'est pour de nombreuses anciennes colonies françaises en Afrique. La liberté économique à l'intérieur des frontières coloniales reste un mirage ; la résistance collective est la seule option viable.

L'insécurité reste un défi majeur pour de nombreux Burkinabè. L'indice mondial du terrorisme 2024 a classé le Burkina Faso au premier rang des 163 pays les plus touchés par le terrorisme. Les attaques terroristes ont coûté la vie à plus de 2 100 personnes en 2023 et continuent de perturber les vies. Selon certaines informations, les forces pro-gouvernementales auraient tué illégalement ou fait disparaître de force des centaines de civils lors d'opérations de contre-insurrection, ciblant des groupes ethniques particuliers, et les forces militaires gouvernementales auraient exécuté sommairement des civils. Selon les Nations unies, en 2025, 6,3 millions de personnes auront besoin d'une aide humanitaire, ce qui représente plus de 25 % de la population.

Alors que les anciennes et nouvelles puissances coloniales continuent de se battre pour exploiter les peuples colonisés et leurs ressources dans la majorité du monde, il convient de rappeler que la résistance n'a jamais été l'affaire d'un seul homme. L'indépendance de l'Afrique (et ce qu'il en reste aujourd'hui) n'a pas été un cadeau offert par quelques militaires intouchables et incontestés. Contrairement à ce que les livres d'histoire populaires, les statues, les monuments et les noms de rue de votre pays pourraient laisser croire, tous les aspects de la société participent à une véritable libération.

Lorsqu'il y a plus de questions que de réponses et que les médias sont réduits au silence, les plateformes numériques peuvent rapidement amplifier les récits, en exploitant les sentiments d'impuissance. Il n'est pas inconcevable que des personnes prises en otage par une élite dirigeante dysfonctionnelle et corrompue, qu'elle soit militaire ou non, puissent accueillir la nouveauté et l'inconnu apparent. La conscientisation du public est un besoin urgent, mais ceux qui devraient normalement s'en charger – les artistes, les conteurs, les intellectuels, les écrivains, les travailleurs culturels et les activistes – restent bâillonnés et kidnappés. Par peur des représailles, beaucoup succombent à la pression militaire qui les pousse à s'aligner.

Réappropriation du panafricanisme

En cette période précaire, nous devons nous tourner vers les histoires de celles et ceux qui se sont mobilisé.e.s bien avant le putsch militaire. Comme le peuple burkinabè qui s'est battu sans relâche, les voix de la résistance civile qui ont été contraintes à la clandestinité, la communauté LGBTQI marginalisée, les familles des journalistes disparus, les opposants politiques enrôlés et envoyés sur les fronts de guerre. Il est nécessaire que notre discours panafricain ne soit pas complice dans la perpétuation de ces injustices. Dans ce cas, qu’est-ce qu’une révolution qui ne résiste pas aux critiques ? L’une des plus éminentes spécialiste de la décolonisation, la professeure Sylvia Tamale, souligne que « le plus important est d’aiguiser nos consciences sur la colonialité occidentale. Alors qu’il est impossible de rejeter tout ce qui est occidental, nous pouvons certainement exiger une “socialisation du pouvoir” », insiste-t-elle, « cela signifie donner la priorité aux luttes mondiales et locales sur les structures de pouvoir centrées sur l’État, afin d’obtenir des formes collectives d’autorité publique ». La vraie révolution nait de la remise en question du pouvoir ; elle exige un engagement critique et une responsabilisation, non une adoration massive.

[1] En français : Remettre en question le patriarcat : le rôle du patriarcat dans le démantèlement de la démocratie

[2]En français: Nul d'entre nous n'est libre tant que nous ne le sommes pas tous: nouvelles perspectives sur la solidarité internationale

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Rosebell Kagumire (Elle) est une autrice et militante féministe panafricaine. Elle est la rédactrice en chef d'African Feminism et chroniqueuse au magazine New Internationalist. Mme Kagumire a été primée pour sa contribution à la démocratie numérique, à la justice et à l'égalité sur le continent africain. Elle est l’une des coéditrices du livre Challenging Patriarchy: The Role of Patriarchy in the Roll-Back of Democracy.[1]  Son travail sur la politique féministe internationale est inclus dans le livre None of Us Is Free Until All of Us Are Free: New Perspectives on Global Solidarity[2].

« Le Cercle Eyala a créé un espace pour renforcer la sororité » - Chanceline Mevowanou (Benin)

Organiser le cercle Eyala à Cotonou a été une activité passionnante. J’avais hâte de retrouver les personnes avec qui je partage des rêves et des actions collectives pour le bien-être et l’épanouissement des filles et des femmes au Bénin. Cela s’est concrétisé. 

Le samedi 28 janvier 2023, les féministes béninoises ont accueilli leur premier cercle Eyala. L’évènement s’est déroulé à Cotonou au Jardin de Canelya. Quand je pense à ce cercle, l’une des premières choses qui me viennent à l’esprit, c’est le sentiment de bien-être, de vulnérabilité et de renouvellement de soi que j’ai ressenti pendant les conversations. Y compris l’épuisement physique et émotionnel que j’ai senti à la fin du cercle. Je suis rentrée et je me suis aussitôt endormie comme un bébé. On m’avait invité à une représentation théâtrale ce même jour dans la soirée. Je n’ai pas été voir le spectacle parce que mon sommeil après le cercle était tellement profond que j’ai tout oublié.  

Les cercles Eyala sont des moments de partages authentiques et intenses. Il faut le vivre pour comprendre. 

Au Bénin et dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest Francophone, il y a toujours de l’enthousiasme et de la mobilisation lorsque vous entreprenez d’organiser des espaces et des conversations centrés sur les expériences authentiques des féministes. Je l’ai vu en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Niger… Parce que les cercles féministes où on ne vient pas parler de nos boulots et/ou de nos connaissances de tel ou tel concept féministe ne sont pas fréquents de nos jours. Je ne sais pas si de tels cercles ont durablement existé par le passé. Le besoin d'espaces sûrs, intimes où les féministes peuvent raconter leurs propres histoires et s’autoriser à être vulnérables est réel. Beaucoup de féministes en sont conscientes. 

Une sœur féministe béninoise qui s’appelle Océane m’en parle très souvent lors de nos échanges. Elle trouve que nos boulots au sein des organisations et la recherche d’expertises thématiques ont pris trop de place dans nos militantismes. Alors que nous examinons très peu comment nous vivons et incarnons le féminisme dans nos vies ou pas. Quand j’ai envoyé les invitations pour le Cercle de Cotonou, elle était en voyage au Mali et en Guinée. Elle est rentrée de son voyage le samedi à 05h du matin et est venue pour le Cercle Eyala dans la même matinée. Elle ne voulait pas manquer. À la fin du cercle, elle a partagé ses impressions en ces mots :

« Le cercle était intéressant du fait qu’on donnait la voix aux féministes pour les écouter sur autre chose que ce qu’elles font. On questionnait leur rapport intime avec le féminisme comme identité. » 
— Océane

Nous étions une vingtaine de participantes pour le cercle. Des féministes que je connaissais, celles que je ne connaissais pas, des féministes plus âgées, des plus jeunes également. Sans oublier des femmes qui commençaient à se revendiquer féministes et qui sont au début de leur voyage. Au milieu et devant nous, il y avait à boire, à manger. Le cadre qui nous a accueilli était un peu vert et calme. J’ai pris le temps d’observer les arrivées. C’était comme des retrouvailles pour la plupart d’entre nous. Nous n’avons pas cessé de nous voir. Cependant, nous nous voyions autour des activités de nos boulots, autour des projets et les énergies n’étaient pas les mêmes que celles présentes le jour du cercle. J’ai éprouvé de la gratitude en voyant la bonne ambiance dès l’arrivée et l’installation des participantes.  Des sourires, de la bonne énergie, des câlins…Ce que ça évoque pour moi est que nous avons besoin d’organiser des espaces pour nous-mêmes. Kifayath, une participante au cercle :

« Le cercle a été pour moi un espace de découverte et de partage d’expériences. Je me suis sentie libre et heureuse de pouvoir m’exprimer sans filtre. J’ai adoré l’ambiance bon enfant qui a régné tout au long de la séance ». 
— Kifayath

En introduction aux échanges, j’ai parlé de Eyala et de l’esprit des cercles que nous organisons. Pour beaucoup, c’était la première fois qu’elles entendaient parler de Eyala. D’autres suivaient déjà Eyala et connaissait notre Fondatrice, Françoise Moudouthe. Nous avons échangé autour du thème « Nos vies féministes ». L’idée de ce cercle était d'explorer ensemble nos expériences personnelles de féministes africaines et questionner nos vies féministes ou pas, en toute intimité et sûreté. La beauté des cercles Eyala c’est que rien n’est imposé, figé ou prédéterminé concernant ce qu’il faut partager. Le cercle se déroule selon ce que les personnes présentes ont envie de partager. 

Les échanges dans un premier temps se sont focalisés sur nos premières prises de consciences féministes. Beaucoup de participantes dans le cercle se connaissaient mais surtout à travers le travail militant, en tant que membre ou présidente de telle organisation... Pour tisser plus de liens, et instaurer une certaine confiance, naturellement le besoin de se (re)découvrir, de connaître l’histoire derrière la militante, s’est fait ressentir. Ce cercle de mon point de vue a créé l’espace pour renforcer la sororité entre nous car en devenant plus proches, en ayant des conversations plus intimes, nous consolidons la solidarité. C’est ce que démontrent d’ailleurs les témoignages des participantes à la fin des échanges. C’est l’exemple de Axelle, une participante qui a partagé comment elle s’est sentie pendant le cercle :

« Le cercle Eyala m’a apporté le sentiment d’appartenance à une communauté. Une communauté de personnes déterminées pour que les choses qui asservissent les femmes puissent cesser. C’est incroyable. » 
— Axelle

Des histoires passionnantes ont été racontées lors des conversations. L’une d’entre nous a raconté que quand elle était élève, dans son école, les filles ne pouvaient pas être responsables de classe et les garçons ne balayaient pas. Elle a trouvé que cela était injuste et s’est donné comme objectif de devenir responsable de classe et instaurer le balayage des classes pour tous les élèves, filles et garçons. Ce qu’elle a réussi à faire avec beaucoup de combativité. Cela a été le début de son voyage féministe. 

Pour une autre, c’est le fait d’avoir été victime de harcèlement sexuel de la part d’un professeur à l’université qui a déclenché des prises de consciences féministes et la volonté de prôner et incarner un nouvel ordre social où les jeunes femmes évoluent sans subir des violences sexistes. 

Nous avons écouté une participante qui a raconté son histoire de femme africaine vivante avec un handicap et qui se bat pour changer les récits réducteurs à propos des personnes vivantes avec un handicap. Ce fut l’un de mes moments préférés du cercle. Elle a partagé comment le soutien de sa mère a été un pilier dans sa vie. Son histoire nous a enseigné le pouvoir de l’amour et de la communauté. Nous sommes connectées et interdépendantes. Ces liens représentent des zones de pouvoir où nous pouvons opérer pour ne laisser aucune femme de côté. Mais nous oublions souvent cela dans un monde où l’individualisme induit par nos systèmes nous fait penser que nous sommes puissantes toutes seules. Son partage m’a fait réaliser encore plus que personne n’est sans voix. Il y a des voix invisibilisées, silenciées, des voix que nous n’entendons pas…mais pas des personnes sans voix. 

Les échanges dans un second temps ont porté sur comment nous incarnons personnellement le féminisme, si nous y parvenons et comment nous nous sentons quand nous n’y parvenons pas. J’ai noté que ce sont des questions que nous n’abordons pas souvent. Parce que le féminisme à travers la réalisation de projets semble être la façon dont nous vivons plus le féminisme. C’est surtout à travers ces réalisations que le public tente de nous évaluer également.

Lors du cercle, beaucoup ont exploré cette question surtout à travers le « to do - faire ce que je fais » et un peu à travers le  « to be - être ce que je suis, ce que j’incarne ». Néanmoins, nous avons écouté beaucoup d’histoires résonnantes. Des histoires qui font honneur à nos humanités. Certaines de ces histoires ont montré qu’il y a un parcours entre « dire je suis féministe », avoir la volonté de l’être et « vivre réellement le féminisme ». Personnellement et collectivement. 

Nous avons par exemple écouté des survivantes de violences sexuelles parmi nous qui ont partagé leurs vécus et comment elles tentent aujourd’hui de guérir et incarner un féminisme. Les expériences racontées nous ont transporté dans toutes les émotions : des sourires, des rires, des pleurs, des silences pesants... Nous nous sommes écoutées. Beaucoup d’entre nous se sont senties vues et accueillies.

« Je me suis sentie libre. Libre d’être moi, sans artifices. Parce que j’étais en face de personnes bienveillantes qui assumaient leurs blessures. J’ai aimé le fait que ce soit dans un jardin et tout ce qu’il y avait à déguster. J’ai aimé l’ambiance apaisante.»
— Nadège

Vers la fin des échanges, nous avons écouté les expériences de certaines féministes plus âgées, comment elles ont vécu leur féminisme et l’héritage qui reste pour les plus jeunes. Une leçon que je garde de cette partie des échanges est qu’en tant que jeunes féministes, notre quête ne devrait pas être de pointer incessamment les aînées sans chercher à mieux faire. Il s’agirait de s’appuyer sur les ressources dont disposent les aînées, apprendre de leurs expériences et chercher à bâtir avec elles. Nous avons collectivement reconnu que les conversations sont importantes et nécessaires pour cette construction de mouvement. La conversation est l’une des armes dont nous disposons. C’est à travers la conversation que nous pouvons surmonter les jugements, se connaître plus et échanger nos pensées.

Je garde l’espoir que nous aurons d’autres cercles Eyala à Cotonou. Parce que ce premier cercle a été un moment inoubliable pour moi et les participantes.

« La liberté est fondamentalement ce que je recherche en tant que personne humaine » - Chanceline Mevowanou (Benin)

Je m’appelle Chanceline Gwladys Wangninan Mevowanou. Mes proches m’appellent “Chance”. Je suis Béninoise et j’ai 25 ans. J’ai grandi à Avrankou, une localité au Sud du Bénin dans le département de l’Ouémé. Je vis actuellement à Cotonou non loin de la plage. J’adore la plage. Regarder la mer m’aide souvent à calmer mes angoisses, à éteindre le bruit dans mon esprit et à aérer mes pensées. J’aime les « Soirées Chill », faire la fête. Vous savez maintenant qu’il faut m’inviter pour des “Party”. J’adore les bougies parfumées, le vin, les sacs au dos et les baskets. Je porte les baskets sur presque tous les vêtements (n’appelez pas la « fashion police » s’il vous plaît 😄😂). 

La liberté est fondamentalement ce que je recherche en tant que personne humaine. Mon but ultime c’est de me réaliser, m’accomplir selon mes propres termes, m’épanouir dans des environnements où je peux vivre une vie digne et soignée. Je veux exister librement. C’est pour cette liberté que je suis avant tout féministe puis militante féministe ensuite. Je me veux libre, libre du patriarcat et de tous les autres systèmes d’oppressions qui les alimentent. C’est pour cela que je suis en mouvement et en action. Pour personnellement et collectivement contribuer au démantèlement des systèmes qui embrigadent les femmes, entravent leur liberté et détruisent leur humanité. 

J’ai eu mes premières prises de conscience féministe dans ma famille et dans mon village. Ma mère m’a raconté comment son père a décidé d’envoyer uniquement les garçons à l’école et d’assigner les filles aux travaux domestiques. J’ai des souvenirs de mon père qui a frappé ma mère devant nous lors d'une dispute, a jeté ses affaires dehors. Je me souviens très clairement encore de comment ma mère après avoir subi cette violence est restée. Je l’ai entendu dire qu’elle resterait avec ses enfants quoi qu’il arrive, qu’elle supporterait tout. 

Dans mon village, je voyais les injustices que les enfants surtout les filles et les femmes subissaient et subissent encore. J’ai en mémoire les histoires des femmes fréquemment frappées par leurs maris pour ceci ou cela, des familles qui maltraitent les enfants, utilisent les coups et blessures ainsi que des paroles dégradantes pour soi-disant les éduquer. J’ai aussi subi cela. Mes parents et “les grandes personnes” nous frappaient pour nous apprendre les bonnes façons de vivre. J’étais très révoltée contre cette « violence » avec laquelle nous étions éduqué.e.s. Pour les filles, cette violence est subie doublement. Parce qu'elles sont des filles. J’ai vu beaucoup de filles de mon village abandonner l’école. Elles étaient renvoyées de la maison et/ou livrées en mariage forcé à cause d’une grossesse précoce. Mon père menaçait aussi de nous renvoyer de la maison si l’une d’entre nous tombait enceinte sans avoir obtenu le baccalauréat. J’avais constamment peur. Lorsque j’ai eu mes premières règles, mes parents ont failli m’amener à l’hôpital pour contrôler la virginité. Je pensais foncièrement qu’on pouvait nous éduquer autrement, discuter avec nous. J’étais très en colère contre tous ces traitements. 

Mes parents m’ont appris que si je devenais une femme forte, plus personne n'oserait me frapper, m’infliger des humiliations que je voyais les femmes, les filles et les enfants subir. Ils m’ont dit que si je devenais une femme qui a un travail, de l’argent, une maison et d’autres biens, aucun homme n’osera me manquer de respect ou lever la main sur moi. Ils disaient que l’école était le chemin pour devenir cette femme forte. Je regardais aussi les femmes à la télé et je disais que je serai comme elles, libre de m’exprimer. J’ai ainsi vu l’école comme le chemin de la liberté, la voie pour ne plus subir d'injustices. J’étais parvenue à élaborer une théorie dans ma tête : plus les enfants iront à l’école et surtout plus les filles iront à l’école, elles sauront comment agir face aux injustices et seront préparées à ne pas les subir en silence. C’était ma croyance. Pour cela, je travaillais à l’école.

À l’école, je ne me contentais pas d’étudier. Je faisais en sorte d’être parmi les meilleur.e.s élèves, avoir des récompenses, montrer aux gens que les filles sont fortes. Je voulais que l’on me remarque à cause de mes meilleures notes, mes réponses pertinentes, ma capacité à réfléchir, dire ce que je pense et à prendre la parole en public. Je me suis aussi intéressée aux activités parascolaires qui pouvaient me permettre de développer ma confiance en moi. J’étais membre du groupe théâtral et de danse du collège. J’ai développé ma passion pour la poésie et le slam. Je voyais dans ces groupes des espaces pour aborder avec des camarades les sujets que je ne pouvais pas aborder à la maison. J’ai commencé à écrire des textes sur l’importance d’une éducation à la sexualité pour les enfants et de la lutte contre les violences faites aux filles et femmes. Je m’exerçais à réfléchir, penser, trouver des idées, écrire, initier des conversations avec des camarades.

L’écriture et le slam ont été mes premiers outils d'action. Puis il y a les scènes qu’il fallait jouer lors de nos présentations théâtrales. J’ai remarqué qu’après chacune de nos représentations, que ce soit en classe ou lors des journées culturelles, les gens posaient des questions et discutaient de ces sujets : une conversation naissait. J’ai donc continué. L’écriture, le théâtre et le slam ont révolutionné ma personne, libéré ma pensée et ma voix et m’ont poussé sur le chemin d’une forme d’organisation communautaire libre et désordonnée. Ils m’ont montré comment je pouvais commencer à agir sans attendre de devenir une femme forte. 

En classe de Première, des volontaires « Peace Corps » sont venues dans notre collège pour mener un programme de renforcement des filles. J’ai participé à la sélection des meilleures filles qui devraient participer à ce programme et j’ai été retenue comme boursière du programme. On avait bénéficié d’une formation et d’une exonération de la contribution scolaire pendant deux ans. Nous étions deux filles boursières. Avec les volontaires et les deux professeures déléguées par l’école pour mener ce programme, nous avons suivi plusieurs formations sur le leadership des filles, le genre, la gestion de la puberté, les rôles modèles. Ces formations ont renforcé mes capacités, mes convictions et ma volonté d’agir pour les droits des filles et des enfants. 

J’ai commencé à animer des clubs scolaires. Dans les premiers clubs scolaires de filles que j’ai dirigés, nous étions concentrées sur ce que nous vivons en tant que filles, les réalités des femmes, des élèves autour de nous et comment beaucoup de gens y compris nous-mêmes doivent en parler et trouver des solutions ensemble. Pour moi, lorsque les choses ne fonctionnent pas dans nos communautés, nous devons en parler, avoir des conversations ! Parce que nous ne pouvons pas trouver des solutions sans la conversation qui nous permet de comprendre pourquoi et comment les enfants, les filles et les femmes sont affecté.e.s. 

J’ai été guidée par cet état d’esprit après mon Bac : mobiliser, rassembler les filles et les garçons, les femmes et les hommes autour des problèmes qui nous touchent et alimenter des conversations pour aboutir aux actions. Parce que je suis revenue dans mon village pour mettre en place des actions. En me voyant faire cela les gens m’ont appelé : activiste et féministe. J’ai supporté ces casquettes pendant un bon moment avant de décider de comprendre ce qu’elles voulaient signifier. Il me fallait comprendre et construire ensuite ce que “activiste et féministe” devrait signifier pour moi. Je pense que c’est ce que je suis en train de faire. Durant le parcours, ma compréhension des inégalités de genres a évolué et continue d’évoluer. Les injustices que les femmes subissent dans nos sociétés ne sont que des symptômes et manifestations de systèmes d’oppressions très vastes. Ces systèmes influencent nos vies, nos pensées, nos croyances, nos normes, nos actions, les politiques, l’économie, et le développement de nos sociétés… Et nous pouvons résister, les défier bruyamment et les démanteler. Aucune femme ne parlera jamais trop, n’écrira jamais assez dans nos sociétés telles qu’elles sont de nos jours. Élevons nos voix, libérons nos pensées et nos actions.

J’ai trouvé Eyala à un moment où j’étais épuisée d’être la jeune militante féministe engagée dans un travail d’ONG où sa politique féministe risque de ne pas grandir. Je me suis rappelée que je devais saisir les occasions qui vont me permettre de continuer à faire partie des conversations pour la libération radicale de toutes filles et femmes africaines. Je veux faire partie des conversations importantes de ma génération, amplifier les voix et les actions des féministes africaines. Dans la sauvegarde de nous-mêmes et dans la sororité. Je veux être là où nous discuterons et prendrons action ensemble pour déraciner le patriarcat. C’est pour cela que j’ai rejoint Eyala. 

« The Woman King est bien plus subtil qu’il n’y paraît » – Zoleka Mazibuko (Zimbabwe)

The Woman King, un drame historique se déroulant au royaume du Dahomey (actuel Bénin) dans les années 1800, met en lumière la véritable armée africaine composée exclusivement de femmes, surnommée les « Amazones du Dahomey » par les Européens ou les Agojie par la population locale.

Viola Davis, actrice récompensée aux Oscars incarne Nanisca, le général des Agojie. L’acteur John Boyega joue le roi Dahomey Ghezo et l’actrice sud-africaine Thuso Mbedu interprète la fougueuse Nawi, une jeune recrue Agojie. Le film a réalisé 44 millions de dollars de recettes dans le monde, mais en dépit de ce succès, suscite la controverse notamment en raison de l’exactitude historique et de la politique de genre. Avant de nous aventurer sur ce terrain, commençons par l’exactitude historique du film.

Black is King de Beyoncé et Black Panther étaient des films sur les Africain.e.s réalisés par des Américain.e.s à destination des Américain.e.s ; une manière pour les Afro-Américain.e.s de renouer avec leurs origines africaines. Ces films ont soigneusement choisi des aspects de la culture africaine et les ont occidentalisés pour les rendre acceptables auprès du grand public, à un tel point que les Africain.e.s, comme moi, ne s’y sont pas reconnu.e.s. Ce n’est pas du tout le cas pour The Woman King. Je dis cela en tant que femme africaine noire née et élevée entre le Zimbabwe et l’Afrique du Sud en milieu rural et urbain. Lorsque j’évoque la « culture africaine » , je parle de ma réalité.

Les films occidentaux sur l’Afrique sont tire-au-flanc, avec un manque de recherches ou de respect pour l’exactitude historique ou culturelle, tandis que les cultures européennes sont dépeintes dans les moindres détails. Pour commencer, nous les Africain.e.s, en avons assez d’entendre les acteur.trice.s occidentaux être formé.e.s pour parler avec un impeccable accent britannique, alors qu’aucun effort n’est réalisé pour reproduire correctement les accents africains. À titre d’exemple, le père de T’challa dans Black Panther parle le xhosa, une langue sud-africaine et zimbabwéenne, tandis que T’challa, lui, s’exprime avec un accent « nigérian ». Une situation désobligeante car les médias occidentaux traitent l’Afrique comme s’il s’agissait d’un seul pays. L’industrie du cinéma a créé un « accent africain » fictif et générique pour un continent composé de 54 pays.

Les films Mandela : un long chemin vers la liberté (2013), sur le héros sud-africain de la libération, Nelson Mandela, et Winnie Mandela (2011) à propos de sa compagne de lutte, avaient respectivement dans les rôles-titres Idris Elba et Jennifer Hudson. Leur version insultante et remaniée de l’accent « sud-africain » nous a fait nous demander s’ils les avaient achetés sur eBay ou Shein. Même si nous savons qu’il existe en réalité 55 langues différentes au Bénin, la distribution de The Woman King peut, à l’inverse, se féliciter d’avoir conservé un accent ouest-africain particulier tout au long du film. Certain.e.s Béninois.e.s ont cependant souligné que les danses et musiques du films étaient inspirées d’autres cultures, et non de la culture Dahomey, ce qui renforce le discours selon lequel « l’Afrique est un pays ».

Les films hollywoodiens sur l’Afrique supposent, à tort, que la représentation noire américaine est automatiquement synonyme de représentation africaine. La distribution de The Woman King était essentiellement composée d’acteurs et actrices africain.e.s : 5 originaires d’Afrique du Sud, 1 d’Ouganda, 2 du Nigéria, 1 du Zimbabwe et fait notable, Angélique Kidjo, seule béninoise à l’affiche. Le manque de talents béninois dans un film sur le Bénin est décevant.

Hollywood peine à comprendre que l’identité afro-américaine diffère de l’identité africaine. Le design des costumes de Black Panther était futuriste, dans The Woman King en revanche, les Agojie portent des tuniques à rayures agrémentées de ceintures ornées de cauris. Ces coquillages étaient offerts aux véritables Agojie à la suite de batailles victorieuses. Une statue de 30 m d’une Amazone Agojie à Cotonou au Bénin, est vêtue d’une tunique à rayures similaires. La costumière a simplement changé les pantalons en jupes-shorts pour leur côté pratique. Le film contient des détails culturels que seul.e.s les Africain.e.s pourront identifier. Les cheveux de la plupart des guerrières ont été noués avec des fils grâce à une technique que mon peuple appelle "amabhanzi" et que j’ai portée pour aller à l’école en grandissant. Certaines guerrières dont les cheveux ressemblent à des tresses rousses portent la coiffure traditionnelle des femmes de la tribu Himba, créée à base d’argile rouge.

Les « critiques » de films tels qu’Armond White dans son article, qui ont ridiculisé les rituels de l’armée Agojie les qualifiant de « rituels de célébration de sororités avec des hululements de banshee » comme de simples fantaisies, témoignent de leur ignorance. Les Agojie hululaient avant d’attaquer les Oyo. Les Africaines hululent précisément de cette manière lors des célébrations et pour se donner du courage. Dans le film, les jeunes recrues Agojie ont marché sur les ronces épineuses d’acacia à l’entrainement tout comme les véritables Amazones Agojie. Elles sont passées par des rites d’initiation comme dans la plupart des tribus africaines ; les jeunes hommes xhosas par exemple, « vont dans les montagnes », pour se soumettre à certains rituels d’initiation à la virilité. The Woman King m’a touchée en plein cœur parce que c’est ça l’Afrique que je connais. Toute personne qui se moque de ces rites est intolérante et dispose d’une compréhension superficielle de la culture africaine.

D’autres boycottent le film notamment car il ne mentionne pas la participation des Agojie à la traite des esclaves sous le règne du roi Ghezo. Celles et ceux qui ont vu le film ne partagent pas cet avis. Le film, ainsi que sa bande-annonce, indiquent clairement que celui-ci est inspiré d’une histoire vraie et non basée sur une histoire vraie. La première scène de bataille des Agojie se termine par des villageois, des femmes et des enfants innocents qui se cachent après une de leur attaque sanglante, montrant ainsi le côté brutal de l’héritage Agojie.

Dès le début, le général Nanisca (Viola Davis) implore le roi Ghezo (John Boyega) de cesser d'asservir les gens pour financer son empire, et de laisser place à une économie basée sur la vente d'huile de palme. Cette idée a été défendue dans la réalité ; les membres du Conseil qui se sont alliés aux Agojie ont favorisé ce type d’économie. Sans en dire trop sur le scénario, The Woman King admet la complicité des Agojie dans l'esclavage tout en réimaginant le rêve africain pour lequel ils auraient dû se battre. Il est impossible de changer l'histoire, mais nous pouvons la réimaginer.

Les critiques prétendent que les innombrables films et séries biographiques sur des personnages historiques ne dépeignent que des personnes moralement parfaites. Ils glorifient souvent des personnes odieuses. Où était cette indignation lors de leur sortie ? 

Si vous boycottez The Woman King, alors vous devez également boycotter la série The Crown, (qui ne compte pas moins de 4 saisons) parce que la monarchie britannique a colonisé et réduit en esclavage les peuples africain et asiatique pendant des siècles. Boycottez la biographie sur Elvis Presley parce que c’était un prédateur sexuel pédophile. Boycottez les films sur les événements décrits dans la Bible car les Israelites ont envahi et asservi d’autres nations. Les personnalités qui ont marqué l’histoire font toujours l’objet de controverses. Lorsque nous racontons leurs histoires, nous devons montrer leurs contributions positives au même titre que leurs atrocités. C’est exactement ce que fait The Woman King

Je ne défends pas les failles des Agojie, mais en vérité, les médias grand public diabolisent les Noirs plus que les Blancs qui commettent les mêmes actes. Les grands médias mettent en lumière les atrocités africaines tout en ignorant celles de l’Occident parce que cela nourrit le stéréotype des Africains barbares, sanguinaires et le discours des « Noirs qui s’entretuent ». Les Européens se sont fait la même chose. Dans l’Empire romain, par exemple ; les « guerres » mondiales étaient essentiellement des « Blancs qui s’entretuaient », l’histoire est simplement racontée par les gagnants. Les médias sont également plus sévères envers les femmes qu’envers les hommes : la carrière de Chris Brown est florissante malgré ses violences tandis qu’une campagne de dénigrement a été lancée contre Amber Heard. Les Agojie ont, par conséquent, été réduites à leurs atrocités afin de discréditer tout ce qu’elles représentaient d’autre – comme combattre les colons.

Ce film ne traite pas de l'histoire du Bénin dans son ensemble, mais se concentre plus particulièrement sur l'existence exceptionnelle d'une véritable armée africaine entièrement féminine, crainte à la fois par les Africains et les Européens, ce qui est inédit en Europe. Non, les Agojie n’étaient pas parfaites, mais nous ne pouvons pas ignorer ce que leur existence a représenté pour le Bénin et les Africaines.  Ce qu’elle a signifié pour la déconstruction d’une misogynoir importée de la colonisation et qui a créé mythe selon lequel les femmes africaines étaient sans voix et inférieures aux hommes. Les Agojie se battaient aux côtés d’un autre régiment Dahomey entièrement masculin d’égal à égal. Alors que les femmes Blanches quémandaient des droits de propriété, les Agojie menaient des guerres et débattaient de politiques devant le Grand Conseil. Un empire africain des années 1600 à 1904 était plus progressiste que les pays européens à l’époque – remettez-vous-en. 

Ce film n’a pas été réalisé pour que les femmes Noires et les féministes se sentent bien dans leur peau. Il existe pour faire entendre les voix d’Africaines exceptionnelles, historiquement effacées. Une voix plus forte que le volume de l’afro du général Nanisca. 

Les héros célébrés de la libération africaine sont le plus souvent des hommes ; la barre est bien plus élevée pour les femmes africaines. Les Africaines doivent être des reines qui ont combattu les colons comme la reine Nzinga. Elles doivent être associées à des hommes puissants telle Winnie Mandela qui s’est battue avec autant de ferveur que son mari. Elles doivent être vénérées dans leur communauté, comme Mbuya Nehanda, la seule héroïne zimbabwéenne reconnue parce qu’elle était une leader spirituelle portant l’esprit Nehanda, honoré dans la culture shona. Mais les Agojie étaient des femmes normales, voire des rebuts de la société. Elles méritent d’être mises en avant pour rappeler aux femmes africaines que même si l’Histoire ne retiendra pas leurs noms, leur existence est légitime.

Le film reposerait sur des clichés féministes comme « la fille qui ne veut pas être forcée à se marier », mais les Agojie étaient des épouses et des filles remises au roi en raison de leur désobéissance. Le « critique » Armond White réduit le film à une « leçon d’histoire pseudo-politique risible qui montent les femmes contre les hommes », pourtant l’armée était réellement entièrement composée de femmes et l’armée Oyo était, incidemment, majoritairement masculine. Si vous considérez ce fait historique comme une promotion de la misandrie, vous projetez votre intimidation et votre suspicion personnelles face au féminisme.

White déclare dans son article « seul.e.s les ados devraient croire en ces inepties », mais en réalité seuls les vieux Américains dépourvu de toute compréhension de la culture africaine et de l’identité de genre croiront en la rhétorique selon laquelle The Woman King fait de « l’afrocentrisme féministe immature ». La prétendue « inversion des genres » du film n'est qu'une projection sur l'Afrique des binarités patriarcales occidentales, alors que certains de ces rôles n'ont jamais existé dans toutes les cultures africaines. Dans son article, l'universitaire Nkiri Nzegwu explique parfaitement la manière dont l'identité de genre africaine a toujours été fluide, en utilisant la culture Igbo comme exemple, où le genre change selon le rôle, la fonction et le contexte.

La féminité du sage efféminé de la cour du roi Ghezo n'a jamais été signalée comme singulière dans le film. Je le comprends très bien parce que dans ma culture Ndebele, les monarques étaient conseillés par des chefs spirituels dont le genre est typiquement fluide car ils portent des esprits multigenres. Lorsqu'un esprit féminin est dominant à un moment donné, un sangoma masculin est désigné par un titre féminin et se présente comme une femme sans que cela ne soit remis en question.

The Woman King ne dépeint pas la société du Dahomey comme étant un parfait paradis féministe. Le film admet que même si les Agojie étaient considérées comme les égaux des soldats masculins, cela n'a pas automatiquement créé une égalité totale pour les femmes. Les femmes étaient poussées dans une dichotomie où elles ne pouvaient être que des épouses, des mères et des filles dévouées, ou des soldats impitoyables qui n'avaient pas le droit de se marier ou d'avoir des enfants – sans compromis possible.

Faites-vous une faveur et allez voir ce film inspirant et puissant qui brise le plafond de verre des médias euro-centriques. Pour ma part, je le reverrai inlassablement jusqu'à ce que Viola Davis et Thuso Mbedu sortent de l'écran de ma télé pour demander de l'eau.

Faites partie de la conversation

Zoleka Mazibuko est titulaire d'une licence en droit, français et sciences politiques et étudie actuellement le LLB Honours à l'université de Pretoria. Lorsqu'elle ne gère pas son entreprise de décoration et de gestion d'événements ou d'écrire son roman fantastique africain féministe, elle peint des œuvres d'art féministes africaines et publie sur son blog des articles d’opinion sous un angle de conscience féministe et africaine.

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« Que vous vous en sentez capables ou non n’est pas la question. Moi j’ai confiance en vous… » - Edwige Dro (Côte d'Ivoire)

   Accra / Prampram – Ghana

Au cours des cinq derniers mois, nous n’avons fait que des réunions en ligne et discuté seulement via WhatsApp pour planifier le contenu d'Eyala en vue de son relancement, tout en s’imprégnant de sa vision: Être une plateforme par, pour et sur les féministes africaines. Nous avons parcouru les tonnes de belles choses que Françoise a rassemblées au fil des ans… Affaire à suivre !

Tout au long de ces cinq mois, nous nous sommes demandées si nous avions ce qu'il fallait pour être les tantines qui assurent pour Eyala, alors que Françoise ne se souciait même pas du bien-être de son bébé.

« Que vous vous en sentez capables ou non n’est pas la question. Moi j’ai confiance en vous sinon je ne serai jamais venue vers vous » , a-t-elle dit.

Et nous avons dû la croire, que nous pouvions nous débrouiller sans mettre en danger le bébé.

Mais bien que nous ayons fait beaucoup de choses par le biais de Zoom, eh bien, Zoom ne peut pas remplacer les interactions humaines et ne permet pas non plus le silence, ou ces conversations qui prennent la tangente, n'ayant apparemment rien à voir avec le sujet du jour mais contenant en elles la graine de quelque chose de fantastique. Et c'est pour cela que la retraite devait avoir lieu, parce que nous devions nous rencontrer pour nous plonger dans le relancement d'Eyala, rencontrer notre merveilleuse communauté à Accra, et pour vraiment se voir en vrai !

Et nous nous sommes rencontrés.

Nous vous épargnerons la recherche d'un percolateur à café qui nous a fait aller d'un café à un centre commercial à un supermarché. Des appels téléphoniques ont même été passés, chères lectrices (et lecteurs), et une demi-journée de réunion s'est envolée, mais nous avons trouvé le percolateur à café, un piston à café nommé à juste titre Kofi la cafetière. Une fois que nous l'avons trouvé, nous avons continué notre voyage jusqu'à Prampram où pendant trois jours, de 9h à 18h, avec deux heures allouées au déjeuner, nous avons planifié le relancement de la plateforme Eyala avec le matériel que nous avions déjà, les choses qu’il fallait absolument qu’on écrive parce que nous avions cette opportunité de permettre aux conversations de dévier, les valeurs que nous défendions, notamment l'amour et la gentillesse dans nos interactions avec des féministes africaines et dans des conversations féministes africaines. Mais surtout, nous avons pu nous rencontrer, apprendre à nous connaître et nous amuser ! Nos échanges ont transcendé Zoom !

Jama n'est pas seulement la boss des stratégies de contenu et de planification, mais elle est aussi la fille qui a toutes les citations de feu. Quant à Nana, nous l'appelons unanimement la coordinatrice exécutive en chef. Rien n'arrête cette femme, pas même le fait de se retrouver dans un environnement qu'elle ne connait pas, et d'y organiser des sessions de travail, que ce soit dans une salle de conférence ou décider de transporter le bureau au bord de l'océan. Les conversations de Françoise lors des déjeuners et des dîners qui redonnent une confiance extraordinaire en soi, l'ouverture et la transparence dont elle faisait preuve au quotidien. Et puis il y a eu ces cartes postales que nous nous sommes échangées à la fin de la retraite. Des cartes avec des mots si édifiants et encourageants qu'ils n'exigent aucune autre réponse que de se dire : « Prends ton pouvoir ! »

Puis nous sommes retournées à Accra, où notre communauté Afrifem nous a chaleureusement accueillies, a partagé avec nous ses attentes et nous a demandé comment elle pouvait nous aider. 

Comme c'est merveilleux d'être soutenues, encouragées et mises au défi par des femmes, même lorsque vous les faites traverser Accra en voiture à la recherche d'un percolateur à café, comme je l'ai fait ! Ai-je mentionné les rires ? Oh, les rires ! Les rires pendant nos repas, alors que nous protestions contre le feu de camp que le centre de villégiature essayait de nous imposer et demandions à la place qu'ils ramènent le Kelewele. Rire lorsque nous avons été régalées par les citations très pertinentes de Jama Jack. Et des rires lorsque nous avons réfléchi à la question du "what about-ism" qui semble surgir chaque fois que les féministes réfléchissent ou font quoi que ce soit pour démanteler le patriarcat omniprésent qui englobe tout le monde.

Ai-je besoin d’ajouter que nous étions impatientes de rentrer chez nous et de se mettre au travail tout en ébauchant des plans pour ces retraites Eyala deviennent une tradition.