Le militarisme glamourisé et la libération insaisissable de l’Afrique - Rosebell Kagumire (Ouganda)

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Lors d’un vol récent vers Dakar, un membre du personnel navigant d’une compagnie aérienne africaine a salué avec enthousiasme le titulaire d’un passeport burkinabé devant moi – « Bonjour et bienvenue au Capitaine Traoré ! Nous l’aimons beaucoup ». Le passager a souri et a calmement rejoint son siège sans éclat. Cet enthousiasme pour un leader plus jeune est compréhensible dans un continent dont les économies sont en difficulté et une population jeune (âge moyen : 19 ans), surtout lorsque le pays a connu un pouvoir colonial tel que la France, et que le nouveau dirigeant semble ne pas craindre, dans sa rhétorique, la confrontation avec l’ennemi.

La France maintient son empire monétaire dans les pays africains. Celui-ci est bâti autour du Franc CFA, surnommé dans un livre co-écrit par l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, « la dernière devise coloniale de l’Afrique ». La France est connue pour son ingérence politique de longue durée dans la région. La lutte contre les puissances néocoloniales qui ne contrôlent plus l'économie politique des États africains est en effet un combat de notre temps, tout comme les générations précédentes ont lutté pour décoloniser l'Afrique.

Le culte du militaire

L’actuelle glorification et glamourisation des chefs militaires du Burkina Faso, du Mali, du Niger et de la Guinée – tous des pays dont les régimes militaires sont embryonnaires – sur nos réseaux sociaux, ainsi que la fabrication de toutes pièces de leurs succès devrait inquiéter toute personne qui se soucie de notre lutte pour la libération en tant que continent.

Bien trop d’Africain.e.s ont une expérience directe ou indirecte de la vie sous un régime militaire et connaissent le coût énorme du militarisme sur plusieurs générations, de la période coloniale à celle postcoloniale. C'est un vieux scénario qui s'est rarement terminé par la liberté. Pourtant, aujourd'hui, on observe une tendance croissante à soutenir les régimes militaires et les hommes messianiques autoproclamés au plus haut.

En tant qu’Ougandaise n'ayant connu que le président Yoweri Museveni, qui a pris le pouvoir par un coup d'État en 1986 et qui, 39 ans plus tard, tel un monarque maintient une emprise ferme sur la nation avec sa famille, j'ai tendance à faire preuve d'un pessimisme mesuré à l'égard des prises de pouvoir militaires. Dans tout le continent, la triste ironie des « libérateurs » qui se transforment en despotes est une tragédie récurrente. Des militaires putschistes aux élus qui démantèlent les constitutions pour prolonger illégalement leur mandat, en passant par les voleurs d'élections, le schéma persiste.

Pr. Amina Mama, une intellectuelle nigéro-britannique observe que les « États « libérés » d’Afrique n’ont jamais libéré les femmes. Il s'agit d'un édifice de complicité masculine engagé dans la pacification depuis toujours – coloniale, post-coloniale, néolibérale, théocratique ». C’est sur ce point de vue que repose mon hésitation et mes faibles attentes d’un autre régime militaire. Je prends le travail des féministes africaines sur la décolonisation, la démilitarisation et la paix au sérieux. Les régimes militaires demeurent un obstacle à la liberté et à la dignité, même lorsqu’ils se parent de l’apparence civile des élections.

« Les effets à long terme de la militarisation et du régime militaire persistent même après la constitution de gouvernements civils », déclare la professeure Mama. « La politique a tendance à être violente, car les groupes d'intérêts concurrents réunissent des bandes de voyous pour remporter les élections ; les manifestations contre les spoliations sont accueillies par la force militaire, ce qui entraîne à son tour la militarisation des luttes populaires pour la justice. »

Quand les « libérateurs » deviennent des dirigeants à vie

La lutte pour la liberté consiste à se battre pour changer les conditions matérielles, mais aussi à vivre sans violence et sans craindre celle-ci. Ce qu’un gouvernement militaire ne pourra jamais garantir. Associer ou assimiler un régime militaire à la révolte populaire dessert grandement la lutte. Notre histoire postcoloniale est jalonnée de complicité entre les pouvoirs militaires masculins qui exploitent les revendications et les espoirs légitimes du peuple, pour ensuite mettre en place de nouvelles formes d’oppression et sacrifier nos terres, nos ressources, nos vies et notre avenir sur l’autel des mêmes impérialistes qu’ils prétendent combattre. Fonder nos espoirs de libération uniquement sur le militarisme et nous accrocher à un complexe militaro-industriel dont nous n’avons pas la responsabilité, nous noiera rapidement dans la dette. Nous serons en effet obligés de courir après les trafiquants d’armes les uns après les autres. Ce n’est pas cela la liberté.

Le chercheur et critique culturel ougandais Kalundi Serumaga a décrit la relation symbiotique entre les dirigeants de l'Ouganda et du Rwanda en ces termes : « Un pouvoir illégitime ne peut dominer de manière légitime et reste en permanence dans l'insécurité, en crise et dans le besoin d’auto-validation ». La junte du colonel d'armée Assimi Goïta a établi un « nouveau contrat social fondé sur l’image de l’homme fort, l’érigeant en défenseur du Mali ». Le 29 avril, il a procédé à la dissolution de tous les partis politiques, ce qui complique la création de nouveaux partis à l'avenir, car un dépôt de 100 000 000 FCFA leur est imposé. Tandis que des méthodes similaires sont déployées dans tous les pays du Sahel, le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina-Faso, qui s’est emparé du pouvoir à 34 ans en 2022, suscite un engouement massif sur Internet, avec mêmes des célébrités Noires qui suivent le mouvement. La plupart du contenu sur le Burkina-Faso le concerne, et est souvent plein de fausses informations, de demi-vérités et d’exagérations qui alimentent le désir d’avoir un « sauveur ».

Comme une amie féministe africaine l’a fait remarquer avec ironie à propos de notre soif de grands hommes politiques, « les gens recherchent si désespérément des héros qu’ils accepteraient Satan en personne s’il prononçait deux mots corrects ». Internet s’est révélé un outil crucial qui a permis aux jeunes Africain.e.s de bâtir une communauté et de découvrir les expériences des autres, évitant ainsi des années de domination des médias occidentaux et de préjugés racistes. Les Africain.e.s peuvent créer leur propre histoire, tordre le cou aux biais historiques et offrir un discours contraire. Toutefois, lorsque les masses accèdent à des informations conçues par les Big Tech au moyen de leurs algorithmes, qui donnent la priorité à l'engagement populaire plutôt qu'aux faits, au profit plutôt qu'à la preuve, il est facile de capitaliser sur les sentiments des gens et d'amasser des adeptes du jour au lendemain. En plus des plateformes contrôlées et influencées par des entreprises étrangères, la culture numérique limitée rend de plus en plus difficile la séparation entre la réalité et la fiction. Aujourd'hui, l'IA et les « deepfakes » permettent aux communications gouvernementales, ou à leurs simulacres, d'être prises au sérieux et de circuler sans être contestées.

Ce type d’engouement de masse survient toujours à des périodes où l'interventionnisme étranger se fait plus pressant, par exemple, dans la Lybie de Mouammar Kadhafi et au Zimbabwe de Robert Mugabe. La portée massive d'Internet et sa capacité à étouffer les voix alternatives ou dissidentes rendent la manipulation de la réalité beaucoup plus facile aujourd'hui. Les critiques sont rapidement stigmatisés, attaqués et rejetés comme étant des « agents étrangers », tant par les gouvernements que par les personnes dont la liberté est en jeu. Cet environnement est propice à l'émergence d'un discours binaire dangereusement simplifié qui occulte délibérément les réalités complexes d'un pays donné.

En septembre 2019, l’ancien président du Zimbabwe, Robert Mugabe, est mort à l’âge de 95 ans, deux ans après avoir été renversé par l’armée. La fin du règne de 37 ans de Mugabe a été célébrée dans les rues et en ligne par de nombreux Zimbabwéen.enne.s, même face à un avenir incertain. Bien trop de gens admiraient cependant toujours l’homme.  Après tout, il avait tenu tête à l’occident, notamment aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, en réaction à l'héritage du colonialisme blanc par la redistribution des terres, à un coût important pour son pays et son économie. Ses admirateurs passent outre la mauvaise gestion, les atrocités de masse et la façon dont, à chaque élection, Mugabe s'est moqué de la volonté du peuple.

Panashe Chigumadzi, écrivaine et historienne née au Zimbabwe, a déclaré que : « L’histoire brutale du colonialisme et de l'impérialisme a créé une souche de panafricanisme qui se définit essentiellement par l'opposition à l'Occident et ignore les excès des dirigeants postcoloniaux de l'Afrique ». Dans son livre, These Bones Will Rise Again, Mme Chigumadzi souligne qu'en quête de réponses, nous devons baisser les yeux et quitter « les hauteurs des grands hommes qui ont créé une histoire qui ne connaît pas les petites gens, et encore moins les petites femmes, si ce n'est comme de la chair à canon ».

Et le panafricanisme dans tout ça ?

Qu’est-ce qui incite donc nombre d'entre nous à considérer que la vie des Africains est sacrifiable à la poursuite du pouvoir par des grands hommes qui présentent cela comme une libération ? Qu'est-ce qui maintient l'illusion que le pouvoir patriarcal nous libérera de la destruction néocoloniale en cours ? La chercheuse et analyste politique kényane Nanjala Nyabola a soulevé des questions similaires en 2016 lorsque le dictateur soudanais, Omar al-Bashir, a défié les mandats de la CPI et a été accueilli en Afrique du Sud. Pour trois ans plus tard être destitué par un soulèvement populaire de masse en avril 2019. Mais à ce moment-là, lorsque le panafricanisme était plus nécessaire que jamais, il a soit penché en faveur du grand militaire qui avait bâti son pouvoir sur l'impunité, les cimetières de masse et le génocide au Soudan et au Soudan du Sud, soit gardé le silence.

« Tout le monde peut vous dire ce que représente le panafricanisme lorsqu'il est juxtaposé à l'Occident. Mais personne ne semble savoir ce que signifie le panafricanisme lorsqu'il est autoréférentiel ». Elle a ensuite déclaré : « Repose en paix, panafricanisme. Longue vie au man-africanisme ».

Et en effet, le man-africanisme perdure aujourd'hui au fil de notre histoire, tandis que les histoires et les cris des "petits gens" sont enterrés. Alors que nous traversons de multiples crises et que le paysage géopolitique mondial évolue rapidement, il est urgent de donner un sens à notre vie collective. Nous vivons dans une anxiété et une vulnérabilité psychologique avec les génocides télévisés, les déplacements forcés, le pillage écologique et les souffrances humaines massives sur le continent et au-delà. Au lendemain de la pandémie de COVID-19, entre les crises économiques, les affrontements entre puissances mondiales et une nouvelle ère de guerres par procuration sur le continent africain, les réponses que nous cherchons ne se trouvent pas dans la dévotion à un nouveau dirigeant militaire. Nous avons besoin de plus qu'un « meilleur chef de coup d'État ».

Dans son livre You Have Not Yet Been Defeated, le militant politique égypto-britannique et camarade Alaa Abd El-Fattah, emprisonné par la dictature militaire égyptienne depuis septembre 2019, et dont la mère observe actuellement une grève de la faim pour protester contre sa détention illégale, nous met en garde : « Il est généralement inutile de se ranger du côté du camp le plus fort. Les puissants ne vous demandent rien d'autre que de répéter leur propagande ». Tout comme Alaa enfermé dans une prison égyptienne, de nombreuses voix qui ont joué un rôle déterminant dans le soulèvement populaire de 2014 contre l'ancien président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, mettant fin à l'un des régimes les plus anciens d'Afrique, sont aujourd'hui confrontées à la censure, la répression, la disparition forcée et à l'exil. Le peuple burkinabé a une longue histoire de résistance aux puissances coloniales et à leurs dirigeants oppresseurs – il n'a jamais été question de séparer les unes des autres.

Lorsque le capitaine Traoré a pris le pouvoir, le Burkina Faso disposait d'un paysage médiatique dynamique, mais aujourd'hui, le journalisme est devenu une profession périlleuse. Les journalistes doivent non seulement faire face à des conditions de sécurité difficiles du fait des groupes armés djihadistes qui contrôlent environ 40 % du pays, mais aussi à la violence de la junte militaire.

Désinformation et suppression de l’opposition

Cette image fabriquée d'un chef militaire révolutionnaire s'effondre lorsque l’on ose chercher les voix courageuses de la révolution burkinabè. La réduction au silence des journalistes burkinabè, des dissidents politiques et des voix de la société civile n'a reçu que peu d'attention jusqu'à présent. En mars 2025, Guézouma Sanogo et Boukari Ouoba, président et vice-président de l'Association des Journalistes du Burkina (AJB), ont été enlevés par le régime militaire, trois jours après avoir publiquement dénoncé la détérioration de la liberté de la presse. Le 5 avril 2025, les deux hommes, ainsi que le journaliste Luc Pagbelguem, sont apparus dans une vidéo partagée sur les médias sociaux, portant des uniformes militaires, avec des commentaires moqueurs de la part des partisans de l'armée au pouvoir.

Qu'est-ce qu'une révolution sans empathie et sans justice ?

D'autres journalistes et personnalités des médias, comme Atiana Serge Oulon, Bienvenu Apiou, James Dembélé, Mamadou Ali Compaoré, Kalifara Séré et Adama Bayala, sont toujours portés disparus. D'éminents militants de Balai Citoyen, comme Ousmane Lankoande et Amadou Sawadogo, ont également été enlevés et sont toujours portés disparus. Même les magistrats n'ont pas été épargnés par cette disparition forcée soutenue par l'État : sept magistrats ont été arrêtés et déployés en première ligne. En avril 2025, plus de huit mouvements citoyens africains et groupes de la société civile, principalement d'Afrique de l'Ouest, ont condamné cette répression et le rétrécissement de l'espace civique dans le pays. Le rapport d'Amnesty International sur la situation des droits humains dans le monde, publié en avril 2025, fait état d'un grand nombre de ces violations. Ces voix continuent d'être mises à l'écart, les sonnettes d'alarme sont mises en sourdine sur nos fils bruyants.

Dans un discours télévisé prononcé le 1er avril 2025, le capitaine Traoré a déclaré la fin de la « démocratie au Burkina Faso » et proclamé une « révolution populaire progressiste ». Une nouvelle charte impose désormais le « patriotisme » comme critère d'appartenance au gouvernement et à l'assemblée, ce qui exclut de fait toute opposition, ce qui n'est pas sans rappeler le « système politique » mis en place par le président Museveni en Ouganda à la fin des années 1990.

Les autorités burkinabè prévoient de criminaliser les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe dans le code des Personnes et de la Famille révisé. Ballet Brice Stephane Djedje, un universitaire queer, s'est récemment opposé à cette mesure : « Il est impératif de faire la distinction entre les idéologies de libération de l'Afrique noire et le simple sentiment anti-occidental. La première exige l'acceptation totale de tous les peuples d'Afrique noire, y compris les communautés LGBTIQ+, et reconnaît la présence historique de la diversité sexuelle et de genre au sein des structures sociales africaines traditionnelles. Cette approche honore les systèmes de valeurs indigènes africains plutôt que d'adopter les préjugés de l'ère coloniale souvent imposés par le contact européen ». Au Burkina Faso et ailleurs, les corps et les vies des Africains queer sont constamment utilisés pour alimenter les batailles nationalistes masculines hégémoniques - les mêmes vieux codes moraux et juridiques coloniaux européens imposés, déguisés en positions africaines. Il y a une amnésie sélective sur le fait que les États postcoloniaux sont eux-mêmes des structures oppressives contre la diversité, déployant souvent le sexe, le genre, la sexualité, la race et l'ethnicité pour les avilir et les valoriser dans des projets nationalistes.

Dans Africa's Populist Trap, Minna Salami, auteure de Can Feminism Be African ? A Most Paradoxical Question, a récemment qualifié ce à quoi nous assistons de "PAWN : Populist Anti-Western Nativism" (Nativisme populiste anti-occidental). Mme Salami avertit à juste titre que s'opposer à ce type de populisme n'équivaut pas à rejeter « la colère africaine ou à nier le désir légitime de réparation ». Elle affirme que « l'attrait émotionnel du PAWN ne divise pas seulement le monde en héros et en méchants, il empêche le public de penser autrement qu'en termes de binaires simplistes », ajoutant que « le populisme se concentre sur les blessures culturelles, économiques et politiques des gens, et promet de les guérir ». Elle appelle à un besoin urgent de reconnaître les « différences entre la décolonisation et le PAWN... parce qu'en fin de compte, la véritable décolonisation ne peut aboutir par le populisme et le nativisme ».

Nous devons aller au-delà de l'image révolutionnaire, digne d'un film, du leader qui est inéluctable à notre époque et de la désinformation sur les changements massifs de politique économique. Malgré les discours de souveraineté enflammés par la formation de la Confédération des États du Sahel (CES) avec le Mali et le Niger, le Burkina Faso, comme une grande partie de l'Afrique, reste sous l'emprise et piégé par les systèmes financiers néocoloniaux. Dans un rapport d'avril 2025, le Fonds monétaire international (FMI), où les États-Unis détiennent le seul droit de veto, fait état d'un décaissement de 31,4 millions de dollars en faveur du Burkina Faso au titre de la facilité élargie de crédit (FEC). Le soutien financier total du FMI dans le cadre de cet accord est d'environ 94,3 millions de dollars, un programme de 48 mois qui a débuté le 21 septembre 2023.

Dans le cadre de cet accord, le gouvernement s'est engagé à procéder à un ajustement budgétaire, potentiellement par le biais d'une réduction de l'investissement public. Il s’est également engagé à contrôler la masse salariale et à maintenir son adhésion à l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Il ne s'agit pas de blâmer le pays en soi, mais de mettre en lumière les contraintes qui pèsent sur une véritable souveraineté économique. En bref, le Burkina Faso ne peut pas quitter le CFA – la dernière monnaie coloniale imposée par la France - tant qu'il est soumis aux programmes du FMI. Une autre alerte clé de l'accord avec le FMI concerne la possibilité d'une privatisation partielle ou totale d'Air Burkina, où le gouvernement engloutit actuellement d'importants fonds publics.

Le Burkina Faso est le troisième producteur d'or en Afrique, l'extraction de l'or représentant 8 % du PIB réel et 80 % des recettes d'exportation à partir de 2024. Bien qu'il soit question de rompre avec l'occident et d'accueillir la Russie, les accords restent pratiquement les mêmes : le Burkina Faso n'obtient que 15 %des mines nouvellement autorisées, tandis qu'une société russe s'en approprie 85 %. La lutte pour l'indépendance économique de tous les pays africains est encore loin d'être gagnée.

La représentation en ligne du capitaine Traoré comme un libérateur économique radical se heurte à la réalité de la dépendance au FMI et aux conséquences bien documentées observées dans d'autres pays africains depuis des décennies. Alors que les médias sociaux suggèrent une politique économique radicale, la situation est aussi compliquée qu'elle l'est pour de nombreuses anciennes colonies françaises en Afrique. La liberté économique à l'intérieur des frontières coloniales reste un mirage ; la résistance collective est la seule option viable.

L'insécurité reste un défi majeur pour de nombreux Burkinabè. L'indice mondial du terrorisme 2024 a classé le Burkina Faso au premier rang des 163 pays les plus touchés par le terrorisme. Les attaques terroristes ont coûté la vie à plus de 2 100 personnes en 2023 et continuent de perturber les vies. Selon certaines informations, les forces pro-gouvernementales auraient tué illégalement ou fait disparaître de force des centaines de civils lors d'opérations de contre-insurrection, ciblant des groupes ethniques particuliers, et les forces militaires gouvernementales auraient exécuté sommairement des civils. Selon les Nations unies, en 2025, 6,3 millions de personnes auront besoin d'une aide humanitaire, ce qui représente plus de 25 % de la population.

Alors que les anciennes et nouvelles puissances coloniales continuent de se battre pour exploiter les peuples colonisés et leurs ressources dans la majorité du monde, il convient de rappeler que la résistance n'a jamais été l'affaire d'un seul homme. L'indépendance de l'Afrique (et ce qu'il en reste aujourd'hui) n'a pas été un cadeau offert par quelques militaires intouchables et incontestés. Contrairement à ce que les livres d'histoire populaires, les statues, les monuments et les noms de rue de votre pays pourraient laisser croire, tous les aspects de la société participent à une véritable libération.

Lorsqu'il y a plus de questions que de réponses et que les médias sont réduits au silence, les plateformes numériques peuvent rapidement amplifier les récits, en exploitant les sentiments d'impuissance. Il n'est pas inconcevable que des personnes prises en otage par une élite dirigeante dysfonctionnelle et corrompue, qu'elle soit militaire ou non, puissent accueillir la nouveauté et l'inconnu apparent. La conscientisation du public est un besoin urgent, mais ceux qui devraient normalement s'en charger – les artistes, les conteurs, les intellectuels, les écrivains, les travailleurs culturels et les activistes – restent bâillonnés et kidnappés. Par peur des représailles, beaucoup succombent à la pression militaire qui les pousse à s'aligner.

Réappropriation du panafricanisme

En cette période précaire, nous devons nous tourner vers les histoires de celles et ceux qui se sont mobilisé.e.s bien avant le putsch militaire. Comme le peuple burkinabè qui s'est battu sans relâche, les voix de la résistance civile qui ont été contraintes à la clandestinité, la communauté LGBTQI marginalisée, les familles des journalistes disparus, les opposants politiques enrôlés et envoyés sur les fronts de guerre. Il est nécessaire que notre discours panafricain ne soit pas complice dans la perpétuation de ces injustices. Dans ce cas, qu’est-ce qu’une révolution qui ne résiste pas aux critiques ? L’une des plus éminentes spécialiste de la décolonisation, la professeure Sylvia Tamale, souligne que « le plus important est d’aiguiser nos consciences sur la colonialité occidentale. Alors qu’il est impossible de rejeter tout ce qui est occidental, nous pouvons certainement exiger une “socialisation du pouvoir” », insiste-t-elle, « cela signifie donner la priorité aux luttes mondiales et locales sur les structures de pouvoir centrées sur l’État, afin d’obtenir des formes collectives d’autorité publique ». La vraie révolution nait de la remise en question du pouvoir ; elle exige un engagement critique et une responsabilisation, non une adoration massive.

[1] En français : Remettre en question le patriarcat : le rôle du patriarcat dans le démantèlement de la démocratie

[2]En français: Nul d'entre nous n'est libre tant que nous ne le sommes pas tous: nouvelles perspectives sur la solidarité internationale

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Rosebell Kagumire (Elle) est une autrice et militante féministe panafricaine. Elle est la rédactrice en chef d'African Feminism et chroniqueuse au magazine New Internationalist. Mme Kagumire a été primée pour sa contribution à la démocratie numérique, à la justice et à l'égalité sur le continent africain. Elle est l’une des coéditrices du livre Challenging Patriarchy: The Role of Patriarchy in the Roll-Back of Democracy.[1]  Son travail sur la politique féministe internationale est inclus dans le livre None of Us Is Free Until All of Us Are Free: New Perspectives on Global Solidarity[2].

Le féminisme au Tchad : entre hostilité et résistance - Épiphanie Dionrang

Il existe des lieux qui ne sont pas que des espaces physiques, mais des foyers de transformation. Des lieux où les mots sont semés comme des graines de conscience. Le cercle Eyala, tenu à N’Djamena le 17 juin 2025, fut l’un de ces lieux. Un espace féministe, vivant, vulnérable, radicalement humain. Ce cercle n’était pas seulement un rendez-vous de militantes féministes, c’était un miroir tendu à nos intimités, à nos expériences, à nos douleurs, à nos contradictions. Ce que j'y ai entendu, ressenti, pensé continue de m'habiter.

Que signifie être féministe au Tchad ? C’est autour de cette question que les discussions ont commencé. Dans les échanges, plusieurs participantes ont partagé qu’elles vivaient déjà des valeurs féministes avant même d’avoir le vocabulaire féministe pour les nommer. Résister à une tradition humiliante, élever sa fille autrement, refuser une injonction silencieuse… autant d’actes de rupture avec le système patriarcal.

Une participante a dit : « J’étais une féministe, mais je n’avais pas la définition. J’ai compris que je l’étais depuis le bas âge, quand j’ai intégré la Ligue tchadienne des droits des femmes. » Cette parole illustre bien nos processus de devenir féministe. Ce décalage entre le vécu et le langage me paraît crucial. Il rappelle que le féminisme n’est pas une théorie importée, mais une pratique qui s’enracine dans des vies. Ce que beaucoup vivent, en s’opposant aux normes patriarcales, sans forcément le nommer, est déjà, en soi, de la résistance. Toutefois, sans les nommer et sans les inscrire dans le cadre d’une lutte globale pour la libération des femmes, ces actes de résistance restent souvent invisibles, non reconnus, isolés.

Mais nommer, justement, fait peur. Dans le cercle, les témoignages d’hostilité, de rejet, parfois même de violences, étaient nombreux. Le féminisme est perçu par beaucoup comme « occidental », une rébellion contre « l’ordre naturel » ou « les valeurs africaines ». On y voit une idéologie étrangère, occidentale, qui viendrait corrompre nos traditions. Au Tchad, parler de féminisme, c’est encore se heurter à une incompréhension profonde. On caricature, on diabolise, on marginalise. La peur est omniprésente. Peur de perdre son emploi lorsqu’on dénonce le harcèlement en milieu professionnel, un phénomène dont beaucoup de femmes tchadiennes ont témoigné. Peur d’être stigmatisée dans sa famille ou son quartier. Peur aussi d’être seule, isolée dans un combat qui semble parfois trop lourd à porter.

Ces peurs, créées et renforcées continuellement, empêchent d’agir, de parler, de contester. Ce sont des moyens de maintien de l’ordre patriarcal. Et c’est un fait qui n’est pas anodin. Il révèle quelque chose : si le féminisme dérange à ce point, c’est qu’il est puissant. C’est une force de déstabilisation des rapports de pouvoir, et c’est précisément ce qui le rend nécessaire. Comme le disait une participante au cercle : « Le système patriarcal donne le pouvoir aux hommes sur les femmes, avec tout ce qui l’accompagne : les injonctions à la soumission faites aux femmes, l’usage de la religion… Donc, quand on se dit féministe, c’est qu’on peut défier ce pouvoir. »

Les réactions défensives face aux féministes traduisent la peur de perdre des privilèges, de voir vaciller un pouvoir masculin transmis de génération en génération. Cependant, l’acharnement contre les féministes, loin de les faire taire, les oblige souvent à se renforcer. Une autre participante a dit : « On apprend à être solide parce qu’on n’a pas le choix. » C’est vrai, mais c’est aussi épuisant. Les attaques contre les féministes, en famille, au travail, dans la société, pèsent, isolent, et blessent. Encaisser tout le temps des coups, des insultes, des mises à l’écart a des conséquences.

J’ai moi-même subi du cyberharcèlement pour mes prises de position féministes. Des attaques cruelles, traumatisantes, venues d’inconnus mais aussi de proches. Ce qui m’a tenue debout, ce sont les messages, les appels, les voix de mes sœurs en lutte. Leur solidarité et sororité m’ont portée. Pour moi, la sororité est un muscle. Elle se construit, se travaille, se pratique. La sororité est un espace de soin, mais aussi un outil politique. Dans nos cercles, on s’écoute, on se serre dans les bras, on pleure parfois. On partage aussi des savoirs, des stratégies, et aussi des contradictions parfois…

La sororité ne nie pas les conflits ; au contraire, elle permet de les aborder sans violence destructrice. Car oui, il y a des tensions entre féministes ; des fossés générationnels ; des écarts entre militantes des villes et des campagnes ; des incompréhensions entre celles qui parlent le langage académique et celles qui viennent du terrain. Il y a aussi de l’ego, parfois. Des compétitions, des non-dits, des hiérarchies reproduites malgré nous. Nous pouvons apprendre à gérer les contradictions sans perdre l’esprit de construction collective. Et c’est possible avec un esprit sorore. Cela implique d'accepter que nous sommes à des étapes différentes de nos cheminements féministes. Cela exige aussi de se remettre en question, d'écouter les critiques, désamorcer les conflits sans violence symbolique. Aussi, de se rappeler qu’un féminisme qui exclut, qui humilie ou qui méprise est un féminisme qui trahit sa raison d’être. Et surtout, ne pas oublier notre adversaire commun : le patriarcat. 

Un autre point discuté lors du cercle et qui m’a marquée, c’est l’appel à une éducation féministe accessible et contextualisée. Un des défis majeurs du féminisme tchadien aujourd’hui est celui de l’accès à l’éducation féministe. C’est un chantier indispensable. Il ne s’agit pas simplement de transmettre des savoirs, mais de faire naître une conscience critique, une capacité à interroger le monde, à contester les normes qui nous oppressent. Il est aussi impératif de donner aux militantes les outils intellectuels et politiques nécessaires pour faire face aux arguments fallacieux, aux traditions figées, aux institutions hostiles. Il faut créer des programmes éducatifs qui parlent les langues locales, qui intègrent les récits des femmes rurales, qui tiennent compte des traditions pour mieux les interroger. Il faut une pédagogie populaire et intersectionnelle.

Trop souvent, l’accès aux savoirs féministes dépend de la langue, du niveau d’études, des réseaux internationaux. L’éducation féministe doit circuler dans les quartiers, les villages, les écoles. Elle doit parler les langues locales, s’adapter aux réalités de celles qui n’ont jamais mis les pieds à l’université. Un point qui a été évoqué lors du cercle et qui m’a parlé, c’est que les espaces de parole entre féministes en Afrique sont des lieux d’éducation politique au sens le plus fort du terme. Ce sont des lieux où l’on réinvente le monde, où l’on détricote les oppressions, où l’on partage des savoirs souvent tus. Ces espaces de parole entre féministes doivent être protégés, nourris, étendus.

Le cercle Eyala a été bien plus qu’une discussion, il fut un refuge. Dans une société tchadienne encore largement marquée par les normes patriarcales, où être féministe reste encore trop souvent un acte de défiance, voire de mise en danger, j’ai vécu le temps du cercle comme une bulle de sécurité. Les espaces comme le cercle sont encore trop rares au Tchad. Trop peu d’endroits où l’on peut parler sans peur, où notre parole est entendue. Militer dans un environnement hostile use le corps, le cœur, les nerfs. Il faut des espaces entre féministes. Des lieux où se déposer, pleurer sans honte ; où parler du burn-out, de la fatigue, du découragement ; où l’on peut dire « je n’en peux plus » sans se sentir faible. 

De tels espaces sont des conditions favorables à la survie, à la résistance. Ils nous rappellent que nous ne sommes pas seules, que nos combats sont partagés, et qu’ils valent la peine d’être menés, même à contre-courant. Le féminisme n’est pas qu’un combat, c’est aussi une reconstruction intérieure. Et cette reconstruction a besoin de rituels, de douceur, de pauses, de communauté. Il nous faut plus d’espaces entre nous. Nous devons les multiplier, les faire exister hors des capitales, hors des cercles restreints d’initiées. Le féminisme tchadien ne pourra s’imposer que s’il est capable de parler aux femmes tchadiennes de tous les horizons, de prendre en compte leurs réalités, leurs langages, leurs résistances spécifiques. 

Les conversations dans leur ensemble m'ont fait prendre conscience que, malgré les violences structurelles que subissent les femmes au Tchad, elles sont là, debout, prêtes à se battre. Prêtes à nommer les oppressions, à dénoncer les injustices, à résister ensemble. Oui, les limites sont grandes. Oui, les obstacles sont nombreux. Mais il y a de l’espoir. Je suis ressortie de ce cercle en me disant que je vais continuer à parler, à résister. Je refuse de laisser les autres écrire nos histoires à notre place.

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Épiphanie Dionrang est une militante féministe tchadienne, et présidente de la Ligue Tchadienne des Droits des Femmes. Artiste slameuse, elle utilise le slam pour dénoncer les injustices.

« L’heure est aux priorités, la représentation des femmes n’en est pas une » - Ndèye Débo Seck

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Pour les femmes de ma génération, nées dans les années 80, voir une femme en position de leadership était inspirant. A la télé, j’étais en admiration devant Ndioro Ndiaye, ministre du développement social, puis de la femme, de l'enfant et de la famille de 1987 à 1995. Je regardais avec ferveur la charismatique Adja Arame Diène, député à l’Assemblée Nationale de 1983 à 2001. Cette vision de ces femmes dans « des sphères de décision » était rare, mais elle cristallisait mes ambitions de grandeur. Les femmes politiques de l'époque n’étaient pas nombreuses. De 1981 à 1998,  les trois gouvernements successifs sous le magistère de Habib Thiam ont compté 6 femmes, sur environ 83 ministres.

Ces femmes, figures publiques à l’époque étaient invisibilisées. Je les « découvrais » au fil des années, au détour d’un petit article de journal ou rarement d’un portrait à la télévision. Cette réalisation fut confirmée plus tard par le travail de documentation de la réalisatrice Diabou Bessane avec son film Les Mamans de l’indépendance (2012). Le film met en lumière le rôle prépondérant de 17 femmes dans les luttes d’indépendance et qui ont été effacées de la mémoire collective. Inconnue aussi, la place que des femmes, autodidactes comme Adja Arame Diène et Thioumbé Samb, militantes de la première heure du PS (Parti socialiste) et du PAI (Le Parti africain de l'indépendance) qu'elles ont respectivement rejoints en 1945 et en 1946. Babacar Fall a documenté leur engagement politique décisif dans African Gender Studies (2005).

L’invisibilisation des femmes dans l'espace public est aujourd'hui une réelle préoccupation. Cet effacement et l’absence de représentation qui en découle contribuent à nier le rôle décisif, incontournable de femmes, militantes de partis politiques, membres de la société civile et fonctionnaires dans l’édification de notre nation. Il sert à confirmer les stéréotypes sexistes et mysogines qui peignent la femme comme un être subalterne, aux capacités cognitives peu développées (xell mu sëgg, en référence au dicton qui dit que l’esprit des femmes pend de la même manière que leurs seins pendent), sujet de ses émotions (j’entends, incapable d’être rationnelle). Enfin, l’invisibilisation des femmes distend la réalité de l’histoire et du présent politiques du Sénégal avec comme conséquence, l’assomption qu’une loi sur la parité dans un pays en 2024 n’est pas pertinente et qu'une représentation équitable des femmes dans le gouvernement n’est pas une priorité. 

Dans la configuration du nouveau gouvernement du Sénégal, nommé ce 5 avril 2024, il n y a plus de Ministère de la femme, de la famille et de la protection des enfants, mais un Ministère de la famille et des solidarités. Sur 30 membres, le gouvernement compte 4 femmes.

Sur les réseaux sociaux et dans la presse, les débats sur cette composition vont bon train. À la préoccupation de beaucoup d’internautes sur la petite représentation des femmes, des hommes en général mais pas que, ont opposé différentes réflexions, dont l'essence peut être capturée dans le magnifique « il n’y a pas de ministère des hommes, pourquoi aurait-on besoin d’un ministère des femmes ? » Et le brillant, « le gouvernement a d’autres priorités que de s’occuper des questions de genre. » (J’ai paraphrasé). Donc, l’heure est aux priorités et la représentation des femmes n'en fait pas partie.

Parmi ces arguments, celui de « la compétence  » est le plus risible.  Pour être juste, les internautes ne disent pas que les femmes sénégalaises ne sont pas compétentes.  Ils disent plutôt que le choix du nouveau gouvernement s’est fait sur la base de compétences. Ce qui  a amené beaucoup de femmes à se demander si le pays manquait de compétences féminines.

Sur cette question, beaucoup de commentaires, pénibles, ont « renvoyé » les femmes aux fourneaux, d’aucuns ont affirmé avec conviction que les femmes devaient de toutes façons rester à la maison (et ne pas se mêler de politique). Il y a chez beaucoup de sénégalais.es, une ignorance crasse de la place et du rôle des femmes dans les dynamiques de transformation sociale. Il y a surtout beaucoup de misogynie et du sexisme qui envisagent l’existence d’une femme uniquement sous le prisme de la matrimonialité et de l’économie domestique.

C’est le sexisme et la misogynie qui permettent d’affirmer sans ambage qu’on met en avant la compétence dans le choix d’un gouvernement dans un pays où la médiocrité et l'inaptitude de régimes politiques successifs, constitués en majorité d’hommes, ont explosé la dette publique, exacerbé les inégalités et encouragé la prédation sur les ressources communes. Un pays où, selon des chiffres de l’ANSD (Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie) en 2017, les femmes contribuaient à hauteur de 1000,5 milliards FCFA à la création de revenu, soit 24,5% à la valeur ajoutée du secteur formel. 

Les justifications sur l’absence d’un ministère de la femme et la création du ministère de la famille et des solidarités, lues sur les réseaux, s’inscrivent dans cette même optique, les œillères du sexisme et de la mysoginie qui inhibent les capacités de réflexion et empêchent nombres de nos concitoyen.e.s de se penser en dehors de leurs privilèges et préjugés. On a pu lire sur X « la femme est englobée dans la famille ». Enfin, c’est le signe d’une grande paresse intellectuelle que de caricaturer le ministère de la femme comme une institution dédiée au folklore où les femmes distribuent et gaspillent de l'argent (les xawaaré).

Il est aussi très risible de lire ou d’entendre que les concepts genre, leadership féminin, parité et égalité sont importés de l’occident et ne reflètent pas nos valeurs culturelles. Dans un pays où, au XVII -ème siècle, Ngoone Laatir, lingeer de 17 ans a mené l'armée de son père et a réussi à repousser une invasion maure; où les femmes de Nder ont combattu avec bravoure des envahisseurs, maures encore, avant de s’immoler pour échapper à l’esclavage. Et quand de nombreuses recherches pointent vers l’influence des normes de genre coloniales, notamment la subordination des femmes, dans les rapports sociaux de sexe en Afrique. 

D’aucuns pourraient arguer que ce sont des opinions comme d’autres, demander en quoi ce serait sexiste et misogyne et pourquoi ne pas célébrer cette nouvelle belle transition démocratique qu'est l’élection du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye. Parce que cette transition s’est faite au terme d’un long processus de luttes auxquelles des hommes et des femmes ont pris part. Tout au long de notre histoire politique, des hommes et des femmes ont payé de leurs vies, de leur liberté ou de leur statut social, leur engagement.  

Ces débats sont toutefois utiles pour tâter le pouls de l'opinion sur la question des femmes. Ils posent la réflexion sur les avancées ou régressions concernant leurs droits, les luttes contre les violences basées sur le genre etc. Il est vrai que très peu de sénégalais.e.s sont présent.e.s sur les réseaux sociaux. Mais les arguments et opinions sur la question, informés par le sexisme et la misogynie, sont assez audibles et décomplexés pour jauger de leur prégnance dans le débat public et dans l’esprit de beaucoup. 

La virulence des critiques que les femmes en général et les féministes en particulier reçoivent en ligne est aussi symptomatique de la montée de l’idéologie masculiniste, caractérisée par l'antiféminisme et l’obsession pour la soumission et le contrôle des femmes. La conséquence directe de ces discours est une recrudescence de la violence physique sur les femmes, des féminicides et la perte progressive des acquis en termes de protection des droits des filles et des femmes. Un exemple récent en est la campagne pour abroger la loi contre les mutilations génitales sur les filles en Gambie. D’ailleurs, sur les radios et télévisions nationales, les organisations religieuses montent au créneau pour rappeler le rôle assigné aux femmes et dénoncer l’influence des féministes et d’un agenda (on ne sait lequel). 

Cela fait des décennies que les féministes, au Sénégal et partout dans le monde, tirent l’alarme et dénoncent la violence en ligne. Leurs craintes et préoccupations sont minorées, reléguées au second plan, après les priorités que sont le développement économique et la préservation de l'unité nationale. 

L’utilisation des médias sociaux pour dénoncer et libérer la parole est une nouvelle donne. Mais au-delà du cadre d’expression de leurs besoins et préoccupations, cette présence en ligne offre certaines opportunités. 

Celle de mettre en exergue les luttes sociales portées par des femmes « non instruites », loin des cercles féministes et « occidentalisées ». Par exemple, les groupements de promotion féminine (GPF), organisations communautaires de base parties des quartiers et qui ont donné la Fédération nationale des groupements de promotion féminine (FNGPF) formalisée en ONG depuis 1984. La fédération, véritable cadre de concertation pour les femmes a permis l’impulsion de cases foyers et maisons de la femme, où elles recevaient des formations diverses. Pour l’anecdote, beaucoup de ces cases foyers ont été construites par ces femmes elles-mêmes. 

Une autre opportunité est l’inclusion de tous les segments de la société et la prise en compte de toutes les catégories de femmes dans les revendications féminines. Par exemple, des féministes ont discuté du régime de rémunération des bajenu gox, qui depuis quelques années sont le relais des politiques publiques de santé dans les communautés et qui ont eu un impact notable dans l’accès à la santé de la reproduction, l’amélioration de la santé mère-enfant, la lutte contre les violences basées sur le genre.

En termes d’inclusion, sur ces questions qui ne concernent pas que les femmes, près de 250 personnalités et 25 associations de tout bord, hommes et femmes ont signé une déclaration appelant le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye à préserver les acquis en termes de droits des femmes et à inclure les femmes dans les instances de décision.

Traiter de ces questions en ligne permet à des femmes de tout âge, féministes ou pas de partager sur le legs d’une longue tradition de luttes féminines sénégalaises et africaines qui ont conquis et acquis leurs droits et leur présence dans l’espace et le débat publics. Cela permet de démontrer à ces jeunes filles et femmes, qu’elles peuvent vouloir plus et aspirer à mieux que le rôle assigné de femme au foyer, subalterne et sans voix.

Enfin, cette présence féminine et féministe en ligne et les discussions qu’elle suscite permet de pointer du doigt la dissonance cognitive de plébisciter un gouvernement de rupture et de s’offusquer dans le même élan que des femmes et des hommes questionnent la petite représentation des femmes dans ce même gouvernement.

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Ndèye Débo Seck est journaliste et professeure d’anglais. Elle fait de la photographie et est passionnée d’art et de culture. Elle a des expériences diverses avec des organisations agricoles et environnementales.

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