« The Woman King est bien plus subtil qu’il n’y paraît » – Zoleka Mazibuko (Zimbabwe)
/The Woman King, un drame historique se déroulant au royaume du Dahomey (actuel Bénin) dans les années 1800, met en lumière la véritable armée africaine composée exclusivement de femmes, surnommée les « Amazones du Dahomey » par les Européens ou les Agojie par la population locale.
Viola Davis, actrice récompensée aux Oscars incarne Nanisca, le général des Agojie. L’acteur John Boyega joue le roi Dahomey Ghezo et l’actrice sud-africaine Thuso Mbedu interprète la fougueuse Nawi, une jeune recrue Agojie. Le film a réalisé 44 millions de dollars de recettes dans le monde, mais en dépit de ce succès, suscite la controverse notamment en raison de l’exactitude historique et de la politique de genre. Avant de nous aventurer sur ce terrain, commençons par l’exactitude historique du film.
Black is King de Beyoncé et Black Panther étaient des films sur les Africain.e.s réalisés par des Américain.e.s à destination des Américain.e.s ; une manière pour les Afro-Américain.e.s de renouer avec leurs origines africaines. Ces films ont soigneusement choisi des aspects de la culture africaine et les ont occidentalisés pour les rendre acceptables auprès du grand public, à un tel point que les Africain.e.s, comme moi, ne s’y sont pas reconnu.e.s. Ce n’est pas du tout le cas pour The Woman King. Je dis cela en tant que femme africaine noire née et élevée entre le Zimbabwe et l’Afrique du Sud en milieu rural et urbain. Lorsque j’évoque la « culture africaine » , je parle de ma réalité.
Les films occidentaux sur l’Afrique sont tire-au-flanc, avec un manque de recherches ou de respect pour l’exactitude historique ou culturelle, tandis que les cultures européennes sont dépeintes dans les moindres détails. Pour commencer, nous les Africain.e.s, en avons assez d’entendre les acteur.trice.s occidentaux être formé.e.s pour parler avec un impeccable accent britannique, alors qu’aucun effort n’est réalisé pour reproduire correctement les accents africains. À titre d’exemple, le père de T’challa dans Black Panther parle le xhosa, une langue sud-africaine et zimbabwéenne, tandis que T’challa, lui, s’exprime avec un accent « nigérian ». Une situation désobligeante car les médias occidentaux traitent l’Afrique comme s’il s’agissait d’un seul pays. L’industrie du cinéma a créé un « accent africain » fictif et générique pour un continent composé de 54 pays.
Les films Mandela : un long chemin vers la liberté (2013), sur le héros sud-africain de la libération, Nelson Mandela, et Winnie Mandela (2011) à propos de sa compagne de lutte, avaient respectivement dans les rôles-titres Idris Elba et Jennifer Hudson. Leur version insultante et remaniée de l’accent « sud-africain » nous a fait nous demander s’ils les avaient achetés sur eBay ou Shein. Même si nous savons qu’il existe en réalité 55 langues différentes au Bénin, la distribution de The Woman King peut, à l’inverse, se féliciter d’avoir conservé un accent ouest-africain particulier tout au long du film. Certain.e.s Béninois.e.s ont cependant souligné que les danses et musiques du films étaient inspirées d’autres cultures, et non de la culture Dahomey, ce qui renforce le discours selon lequel « l’Afrique est un pays ».
Les films hollywoodiens sur l’Afrique supposent, à tort, que la représentation noire américaine est automatiquement synonyme de représentation africaine. La distribution de The Woman King était essentiellement composée d’acteurs et actrices africain.e.s : 5 originaires d’Afrique du Sud, 1 d’Ouganda, 2 du Nigéria, 1 du Zimbabwe et fait notable, Angélique Kidjo, seule béninoise à l’affiche. Le manque de talents béninois dans un film sur le Bénin est décevant.
Hollywood peine à comprendre que l’identité afro-américaine diffère de l’identité africaine. Le design des costumes de Black Panther était futuriste, dans The Woman King en revanche, les Agojie portent des tuniques à rayures agrémentées de ceintures ornées de cauris. Ces coquillages étaient offerts aux véritables Agojie à la suite de batailles victorieuses. Une statue de 30 m d’une Amazone Agojie à Cotonou au Bénin, est vêtue d’une tunique à rayures similaires. La costumière a simplement changé les pantalons en jupes-shorts pour leur côté pratique. Le film contient des détails culturels que seul.e.s les Africain.e.s pourront identifier. Les cheveux de la plupart des guerrières ont été noués avec des fils grâce à une technique que mon peuple appelle "amabhanzi" et que j’ai portée pour aller à l’école en grandissant. Certaines guerrières dont les cheveux ressemblent à des tresses rousses portent la coiffure traditionnelle des femmes de la tribu Himba, créée à base d’argile rouge.
Les « critiques » de films tels qu’Armond White dans son article, qui ont ridiculisé les rituels de l’armée Agojie les qualifiant de « rituels de célébration de sororités avec des hululements de banshee » comme de simples fantaisies, témoignent de leur ignorance. Les Agojie hululaient avant d’attaquer les Oyo. Les Africaines hululent précisément de cette manière lors des célébrations et pour se donner du courage. Dans le film, les jeunes recrues Agojie ont marché sur les ronces épineuses d’acacia à l’entrainement tout comme les véritables Amazones Agojie. Elles sont passées par des rites d’initiation comme dans la plupart des tribus africaines ; les jeunes hommes xhosas par exemple, « vont dans les montagnes », pour se soumettre à certains rituels d’initiation à la virilité. The Woman King m’a touchée en plein cœur parce que c’est ça l’Afrique que je connais. Toute personne qui se moque de ces rites est intolérante et dispose d’une compréhension superficielle de la culture africaine.
D’autres boycottent le film notamment car il ne mentionne pas la participation des Agojie à la traite des esclaves sous le règne du roi Ghezo. Celles et ceux qui ont vu le film ne partagent pas cet avis. Le film, ainsi que sa bande-annonce, indiquent clairement que celui-ci est inspiré d’une histoire vraie et non basée sur une histoire vraie. La première scène de bataille des Agojie se termine par des villageois, des femmes et des enfants innocents qui se cachent après une de leur attaque sanglante, montrant ainsi le côté brutal de l’héritage Agojie.
Dès le début, le général Nanisca (Viola Davis) implore le roi Ghezo (John Boyega) de cesser d'asservir les gens pour financer son empire, et de laisser place à une économie basée sur la vente d'huile de palme. Cette idée a été défendue dans la réalité ; les membres du Conseil qui se sont alliés aux Agojie ont favorisé ce type d’économie. Sans en dire trop sur le scénario, The Woman King admet la complicité des Agojie dans l'esclavage tout en réimaginant le rêve africain pour lequel ils auraient dû se battre. Il est impossible de changer l'histoire, mais nous pouvons la réimaginer.
Les critiques prétendent que les innombrables films et séries biographiques sur des personnages historiques ne dépeignent que des personnes moralement parfaites. Ils glorifient souvent des personnes odieuses. Où était cette indignation lors de leur sortie ?
Si vous boycottez The Woman King, alors vous devez également boycotter la série The Crown, (qui ne compte pas moins de 4 saisons) parce que la monarchie britannique a colonisé et réduit en esclavage les peuples africain et asiatique pendant des siècles. Boycottez la biographie sur Elvis Presley parce que c’était un prédateur sexuel pédophile. Boycottez les films sur les événements décrits dans la Bible car les Israelites ont envahi et asservi d’autres nations. Les personnalités qui ont marqué l’histoire font toujours l’objet de controverses. Lorsque nous racontons leurs histoires, nous devons montrer leurs contributions positives au même titre que leurs atrocités. C’est exactement ce que fait The Woman King.
Je ne défends pas les failles des Agojie, mais en vérité, les médias grand public diabolisent les Noirs plus que les Blancs qui commettent les mêmes actes. Les grands médias mettent en lumière les atrocités africaines tout en ignorant celles de l’Occident parce que cela nourrit le stéréotype des Africains barbares, sanguinaires et le discours des « Noirs qui s’entretuent ». Les Européens se sont fait la même chose. Dans l’Empire romain, par exemple ; les « guerres » mondiales étaient essentiellement des « Blancs qui s’entretuaient », l’histoire est simplement racontée par les gagnants. Les médias sont également plus sévères envers les femmes qu’envers les hommes : la carrière de Chris Brown est florissante malgré ses violences tandis qu’une campagne de dénigrement a été lancée contre Amber Heard. Les Agojie ont, par conséquent, été réduites à leurs atrocités afin de discréditer tout ce qu’elles représentaient d’autre – comme combattre les colons.
Ce film ne traite pas de l'histoire du Bénin dans son ensemble, mais se concentre plus particulièrement sur l'existence exceptionnelle d'une véritable armée africaine entièrement féminine, crainte à la fois par les Africains et les Européens, ce qui est inédit en Europe. Non, les Agojie n’étaient pas parfaites, mais nous ne pouvons pas ignorer ce que leur existence a représenté pour le Bénin et les Africaines. Ce qu’elle a signifié pour la déconstruction d’une misogynoir importée de la colonisation et qui a créé mythe selon lequel les femmes africaines étaient sans voix et inférieures aux hommes. Les Agojie se battaient aux côtés d’un autre régiment Dahomey entièrement masculin d’égal à égal. Alors que les femmes Blanches quémandaient des droits de propriété, les Agojie menaient des guerres et débattaient de politiques devant le Grand Conseil. Un empire africain des années 1600 à 1904 était plus progressiste que les pays européens à l’époque – remettez-vous-en.
Ce film n’a pas été réalisé pour que les femmes Noires et les féministes se sentent bien dans leur peau. Il existe pour faire entendre les voix d’Africaines exceptionnelles, historiquement effacées. Une voix plus forte que le volume de l’afro du général Nanisca.
Les héros célébrés de la libération africaine sont le plus souvent des hommes ; la barre est bien plus élevée pour les femmes africaines. Les Africaines doivent être des reines qui ont combattu les colons comme la reine Nzinga. Elles doivent être associées à des hommes puissants telle Winnie Mandela qui s’est battue avec autant de ferveur que son mari. Elles doivent être vénérées dans leur communauté, comme Mbuya Nehanda, la seule héroïne zimbabwéenne reconnue parce qu’elle était une leader spirituelle portant l’esprit Nehanda, honoré dans la culture shona. Mais les Agojie étaient des femmes normales, voire des rebuts de la société. Elles méritent d’être mises en avant pour rappeler aux femmes africaines que même si l’Histoire ne retiendra pas leurs noms, leur existence est légitime.
Le film reposerait sur des clichés féministes comme « la fille qui ne veut pas être forcée à se marier », mais les Agojie étaient des épouses et des filles remises au roi en raison de leur désobéissance. Le « critique » Armond White réduit le film à une « leçon d’histoire pseudo-politique risible qui montent les femmes contre les hommes », pourtant l’armée était réellement entièrement composée de femmes et l’armée Oyo était, incidemment, majoritairement masculine. Si vous considérez ce fait historique comme une promotion de la misandrie, vous projetez votre intimidation et votre suspicion personnelles face au féminisme.
White déclare dans son article « seul.e.s les ados devraient croire en ces inepties », mais en réalité seuls les vieux Américains dépourvu de toute compréhension de la culture africaine et de l’identité de genre croiront en la rhétorique selon laquelle The Woman King fait de « l’afrocentrisme féministe immature ». La prétendue « inversion des genres » du film n'est qu'une projection sur l'Afrique des binarités patriarcales occidentales, alors que certains de ces rôles n'ont jamais existé dans toutes les cultures africaines. Dans son article, l'universitaire Nkiri Nzegwu explique parfaitement la manière dont l'identité de genre africaine a toujours été fluide, en utilisant la culture Igbo comme exemple, où le genre change selon le rôle, la fonction et le contexte.
La féminité du sage efféminé de la cour du roi Ghezo n'a jamais été signalée comme singulière dans le film. Je le comprends très bien parce que dans ma culture Ndebele, les monarques étaient conseillés par des chefs spirituels dont le genre est typiquement fluide car ils portent des esprits multigenres. Lorsqu'un esprit féminin est dominant à un moment donné, un sangoma masculin est désigné par un titre féminin et se présente comme une femme sans que cela ne soit remis en question.
The Woman King ne dépeint pas la société du Dahomey comme étant un parfait paradis féministe. Le film admet que même si les Agojie étaient considérées comme les égaux des soldats masculins, cela n'a pas automatiquement créé une égalité totale pour les femmes. Les femmes étaient poussées dans une dichotomie où elles ne pouvaient être que des épouses, des mères et des filles dévouées, ou des soldats impitoyables qui n'avaient pas le droit de se marier ou d'avoir des enfants – sans compromis possible.
Faites-vous une faveur et allez voir ce film inspirant et puissant qui brise le plafond de verre des médias euro-centriques. Pour ma part, je le reverrai inlassablement jusqu'à ce que Viola Davis et Thuso Mbedu sortent de l'écran de ma télé pour demander de l'eau.