« Le stylo, c’est la première arme de mon militantisme » - Emma Onekekou (Burkina Faso / Côte d’Ivoire) - 3/4
Nous voici à la troisième partie de notre conversation avec Emma Onekekou. Emma est une féministe originaire du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire qui travaille sur les droits humains des femmes et de la communauté LGBTQ+.
Maintenant qu’elle nous a situé sur le contexte de son éducation (Partie 1) et comment elle a commencé à questionner son environnement (Partie 2), nous parlons de son auto-expression et de son militantisme à travers l’écriture dans cette partie.
Emma a été interviewée par Françoise Moudouthe à la fin de l’année 2019, dans le cadre d'un projet mondial documentant la résistance des filles. La conversation a également été éditée dans cette interview en quatre parties par Françoise. Vous pouvez en savoir plus sur cette série ici.
Avertissement: cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.
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Si j’ai bien suivi ce que tu m’as dit, ton parcours de résistance a commencé par une phase de questionnement, puis il y a eu une phase d’expérimentation. Parlons de là où tu en es aujourd’hui. Est-ce qu’on peut appeler ça une phase d’activisme ?
Avant, le but de ma résistance était de tout remettre en cause et de construire ma propre vision des choses. Aujourd’hui je suis plus dans une phase d’acceptation de qui je suis, mais aussi une phase où j’exprime ma vision, je la partage avec le monde.
Okay, on va commencer par l’acceptation. Tu peux m’en dire un peu plus ?
Aujourd’hui, je m’accepte en tant que femme queer. Je me suis battue contre ça pendant longtemps. Même après avoir changé de religion, c'est resté un problème pendant longtemps, jusqu'à ce que je m'accepte totalement.
Pourtant, j’étais très jeune quand j’ai découvert cette attirance pour les autres filles. Je me rappelle bien, je devais être en CE2 quand j'ai découvert ça. Avant mes 17 ans, j’ai fait quelques petites expériences à gauche, à droite, mais rien de profond. Je ne voulais pas vraiment explorer ça, parce que je savais que la religion était contre, et mon destin c’était de me marier et d’avoir des enfants, ou alors de devenir religieuse. Du coup, c'est quelque chose que j'ai refoulé, refoulé, refoulé.
Aujourd’hui je suis plus dans une phase d’acceptation de qui je suis, mais aussi une phase où j’exprime ma vision, je la partage avec le monde.
Comment s’est fait le déclic ?
La fameuse crise des 17 ans. Tout a vraiment resurgi à mes 17 ans. Je ressentais tout ça de façon plus intime, plus pressante. Je ne pouvais plus garder ça pour moi, je sentais le besoin d'être réellement avec une femme. Et même quand je me suis autorisée à le faire, j’ai gardé le secret, jusqu’au jour où c’est sorti lors d’une discussion avec une de mes sœurs. C’est sorti tout seul : « Oui, j'aime les femmes ». C’était il y a cinq ou six ans. A partir de là, je me suis dit : « Bon, je m'accepte, et je m'impose aux autres. »
Ma sœur était tellement choquée. Elle a voulu me ramener à l’ordre en utilisant des arguments basés sur la religion. D’autres on fait pareil, par la suite. Mais comme je ne partageais plus ces valeurs-là, ça ne pouvait pas marcher. C’est pour ça que je te disais, tout à l’heure, que la première révolte, cette rupture avec la religion, a ouvert la porte aux autres. Aujourd'hui, je me sens très à l'aise d'en parler. C'est vrai que ça choque encore certaines personnes, mais moi je suis dans une phase où je me suis acceptée, donc ça va.
Est-ce que ça a changé parce que tu t’en fous du regard des autres, ou parce que tu as changé ton regard sur toi-même ?
Le premier regard que je portais sur moi, lorsque j’étais fille, il ne m’appartenait pas. C’était celui que la famille, l’église et la société m’avait donné. C’était une vision de la femme que je devais devenir : soumise, parfaite… vertueuse. Aujourd’hui, je ne suis plus dans cette dynamique-là. Je suis juste femme, et j’accepte que ce n’est pas la vertu qui définit la femme.
Ça vaut pour moi et pour les autres. Aujourd'hui, j’ai complètement ouvert ma définition de femme. La définition est plus large, du coup, plus rien ne me choque. Je respecte toutes les formes de femmes. Je suis dans l'optique de sororité, à moins que qu’on parle d'une antiféministe, qui me saoule, qui veut remettre en cause mes valeurs et mes principes parce qu'elle vit dans son monde irréel à elle, là, ça me saoule. Mais j’essaie quand même de garder les principes de sororité. Je lui dis les choses telles que je pense.
A côté de l’acceptation, tu as aussi parlé de l’expression de toi et de ta vision du monde. Tu peux m’en dire plus ?
Une fois que j’ai réussi à m’accepter comme femme queer, j’ai pu entamer cette troisième phase de résistance, qui est le militantisme. Et lorsque j’ai commencé à militer dans des associations LGBT, j’ai pu voir les inégalités au sein même de ce mouvement-là. Je voyais l'absence, la sous représentativité des femmes queer. On parlait à peine de leurs problématiques, mais surtout, on ne les entendait pas. C’est ce constat qui m'a orientée vers une forme de militantisme, celle qui passe par l’écriture.
D’ailleurs, quand je t’ai demandé de préparer cet entretien en apportant un objet qui représente ta résistance, tu as apporté la photo de ton stylo plume.
Le stylo, c’est la première arme de mon militantisme. J'ai écrit des romans, des nouvelles, et des blogs. J'aime écrire : pour moi, c'est la meilleure forme d'expression. C'est ce qui m'a aidé à exprimer mes colères, à exprimer mes envies, à exprimer mes désirs, depuis longtemps. Je crois que j’ai commencé à écrire réellement en classe de cinquième. Avant, j’écrivais pour exprimer vraiment ce que je ressentais, mes problèmes, mes envies et tout. Mais maintenant, dans le militantisme, j’écris pour donner de la visibilité aux femmes queer.
Il n'y a pas d'espace pour nous. Surtout en Afrique, où il n'y a pas d'élément qui exprime comment nous nous aimons, qui parle de nos histoires, qui parle de nos vécus, qui parle de nos ressentis. Ecrire est devenu un acte militant.
C’est le cœur de ton site, EmmaLInfos. Tu peux en parler un peu ?
C’est une plateforme qui donne aux femmes queer (lesbiennes, bi, trans) de toute l’Afrique de l’Ouest francophone une opportunité de s’exprimer et se raconter.
Mon but c’est faire porter nos voix et nos vécus, pour que nous soyons visibles.
Est-ce que tu dirais que tu as créé la plateforme dont tu avais besoin pendant ton adolescence ?
Oui, c’est sûr. Quand tu es jeune et tu te retrouves seule dans ta résistance, sans mouvement pour t’appuyer, sans oreille pour t’écouter… tu te retrouves tellement seule que tu as envie d’abandonner. Ou alors en reviens encore à parler aux personnes qui t’oppressent en fait – juste parce que c’est les seules oreilles qui sont là pour toi. Et évidemment, ils continuent de t’oppresser, même si c’est en douceur.
Il y a une période où j’avais besoin d’espace pour poser des questions sur ma sexualité. J’ai fini par trouver ces espaces sur Facebook. Il n’était pas très riche, mais au moins il était fait par des gens qui étaient du même pays, qui comprenaient mon environnement. Mais ça manquait de contenu et de profondeur, c’est pourquoi j’ai voulu créer EmmaLInfos. Pour créer un espace accessible, mais aussi où on se sent en sécurité.
Emma nous parle encore plus de l’impact de sa résistance et de ce qu’elle espère pour l’avenir dans la dernière partie. Cliquez ici pour lire la quatrième et dernière partie.