« Je veux un monde où les filles pourront décider elles-mêmes de la façon dont elles veulent gérer leur sexualité » - Emma Onekekou (Burkina Faso / Côte d’Ivoire) - 4/4

Nous sommes à la quatrième et dernière partie de notre entretien avec Emma Onekekou. Après nous avoir parlé de son enfance (Partie 1), sa résistance en tant qu’adolescente (Partie 2), et le pouvoir qu’elle a trouvé dans l’écriture (Partie 3), nous terminons cette conversation en parlant de l’impact qu’elle a ainsi que ses espoirs (et peurs) pour le futur. 

Emma a été interviewée par Françoise Moudouthe à la fin de l’année 2019, dans le cadre d'un projet mondial documentant la résistance des filles. La conversation a également été éditée dans cette interview en quatre parties par Françoise. Vous pouvez en savoir plus sur cette série ici. 

Avertissement: cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.

**********

Quand tu regardes autour de toi, est-ce que tu vois l’impact de ta résistance ? Tu penses qu’elle a changé quelque chose ?

Oui, je pense. Peut-être que je suis un peu narcissique, mais je pense ! (Rires) Chaque personne qui est venue sur mon blog, qui a lu, partagé, ou commenté (même si c’est pour critiquer), pour moi, c’est de l’impact. Ça veut dire qu’on existe. 

Surtout, chaque femme queer qui se sent représentée, vue, entendue, ou qui se retrouve dans un espace vrai, sain et chaleureux… Ça aussi c’est un impact immense. A partir du moment où mon action a aidé une seule personne, pour moi, l’impact est immense, parce que cette personne va changer une autre personne et ainsi de suite. C’est une autre chaîne de solidarité qui se crée grâce à ce que j’ai fait.

Est-ce que tu penses que les défis et les souffrances que tu as dû endurer pendant ton adolescente t’ont outillée pour accompagner des jeunes filles qui passent par la même chose aujourd’hui ?

Oui et non. Je dirais oui d’abord parce que c’est quelque chose que j’ai vécu, donc je peux dire en face de ça, je saurai comment réagir. Et non parce que je pense que ce n’est que mon expérience personnelle, je ne suis pas suffisamment outillée pour le faire. Mais ça ne m’empêche pas de le faire, par exemple avec mes nièces et leurs amies. Et quand je le fais, je commence par leur dire que je sais qu’elles sont ancrées dans leur vision religieuse du monde, mais que moi je m’appuie sur mon vécu. 

Tu as choisi de m'envoyer la photo des cauris. Pourquoi ce choix et qu'est-ce que ça représente ? 

Les cauris, c'est une façon pour moi de représenter ma spiritualité africaine. Après, je sais que la spiritualité africaine est plus grande, elle est plus profonde. Donc, je trouve que les cauris, ce sont des éléments de la spiritualité qui passent dans notre vie de tous les jours, et qui sont facilement accessibles. Le cauri est venu avec mon militantisme parce que c'est quand j'ai commencé vraiment à m'impliquer dans la lutte féministe que j'ai commencé à m'intéresser encore plus à mon africanité. Le cauri aussi, c'est un moyen de communication. On dit qu'on lit avec les cauris, on communique avec les esprits. C'est une façon pour moi de rester attachée à mes ancêtres. J'adore vraiment les cauris. 


Quand tu te tournes vers l’avenir, à quoi ressemble le monde que ta résistance d’hier et d’aujourd’hui aura contribué à créer – notamment pour les filles d’aujourd’hui et de demain ?

Pour moi le monde que je veux pour demain, c’est celui que je souhaite pour ma fille aujourd’hui. Elle a 9 ans. Je veux un monde où les filles pourront décider elles-mêmes de la façon dont elles veulent gérer leur sexualité. Ça, c’est un point très important pour moi. 

Je veux aussi un monde dans lequel on arrive à détacher la religion de l’éducation des filles. Je ne sais pas si tu comprends : je ne dis pas que les familles n’ont pas le droit d’enseigner des valeurs religieuses à leurs filles, mais qu’on arrête de leur dire que leur corps est le temple du Saint-Esprit, qu’elles doivent donc s’habiller comme ça et se comporter comme ceci pour être la femme vertueuse que demande la religion. Qu’on élève les filles simplement comme des êtres humains, au même titre que les garçons. Et je veux que les filles aient accès à l’éducation, parce que c’est une chance qu’on donne très peu aux filles.

A ton avis, quelle partie de cette vision-là est possible de réaliser pendant... Disons pendant les décennies qu’il te reste à vivre ? 

Je ne sais pas. Honnêtement, quand il s’agit des femmes, tu sais, tu te bats et à un moment, tu te dis « ça ne va jamais changer ». Chaque jour je me réveille, j’ai l’impression de traiter des problèmes qui ont été mis sur la table il y a cent ans, et pourtant je suis encore en train de débattre de ça. 

Mais pour répondre à ta question, j’espère au moins que la question de l’éducation sexuelle des filles sera réglée dans le temps qu’il me reste à vivre. On a tellement conditionné les filles pour qu’elles se marient et tout, donc, je me dis qu’il faut au moins leur apprendre à gérer leur sexualité pour que même quand elles se marient, elles puissent avoir au moins limiter les grossesses, et pouvoir décider ce qu’elles veulent pour leur corps. Même si elles ne vont pas à l’école, on peut leur apprendre ça. Mais je ne sais vraiment pas si c’est réalisable. C’est difficile à dire. Et ça m’énerve. 

Et la colère est vraiment une réaction juste à tout cela! Merci d’avoir partagé ton récit avec nous, Emma. 

Vous pouvez lire les autres conversations ici.