Afrifem en Action : Edwige Renée Dro et 1949, la bibliothèque des écritures féminines d’Afrique et du monde noir de Yopougon en Côte d’Ivoire

En 1949, plus de 2000 femmes ont organisé une manifestation en Côte d’Ivoire. Elles ont marché d’Abidjan à Grand Bassam (45 km) pour protester contre le pouvoir colonial français et réclamer la liberté de leurs compatriotes. Cependant lors du récit de ce mouvement remarquable, le rôle de ces femmes est souvent réduit à celui d’épouses et de mères de dirigeants politiques masculins.

Dans cette édition de notre série Afrifem en action, Jama Jack discute avec Edwige Renée Dro, féministe africaine et fondatrice de 1949, la bibliothèque des écritures féminines d’Afrique et du monde Noir. Nous en apprenons sur la marche des femmes sur Grand-Bassam de 1949, qui a inspiré la création de la bibliothèque et son nom, ainsi que sur ce que c’est de diriger cet espace au cœur de Yopougon à Abidjan.

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Edwige, c’est un véritable honneur de t’avoir dans notre série #AfrifemEnAction, d’autant plus que tu faisais partie de notre équipe. Peux-tu te présenter ?

MERCI ! C’est une de mes meilleures interviews. Je m’appelle Edwige Renée Dro. Je viens de Côte d’Ivoire et je vis actuellement à Abidjan. Une chose que je n’aurais jamais pensé faire ; j’ai toujours pensé que je vivrai peut-être à Yamoussoukro – je ne suis pas fan des grandes villes, mais me voici aujourd’hui. Je suis écrivaine et traductrice littéraire. Je suis également une activiste littéraire.

 Et c’est justement ce dont nous allons parler. Mais dis-nous d’abord ce que signifie être une féministe africaine pour toi.

C’est la preuve que le féminisme n’est pas un phénomène étrange tombé sur les africaines « évoluées », quel que soit le sens que les gens donnent au mot « évoluées ». C’est même risible lorsque les gens décident de te jeter la pierre en disant que si tu es féministe en tant que femme africaine c’est parce que tu es occidentalisée. Je ne mâche pas mes mots, car dire qu'une femme africaine qui sait qu'elle mérite d'être traitée comme un être humain est occidentalisée m’émeut et me met en colère. Comment peut-on décider d'effacer complètement les histoires et les contributions de femmes telles qu’Abra Pokou, Akwa Boni, Aline Sitoé Diatta, Tata Adjatché, Marie Angélique Savané, Andrée Blouin, et j'en passe. Ce sont des femmes qui n'ont pas vu ou laissé quelqu'un les considérer comme inadéquates parce qu'elles sont des femmes. Et dans leur liberté, elles ont inspiré d'autres femmes (et des hommes), se sont battues pour la dignité de leur peuple, de tous les peuples. En tant que féministe, notamment avec les mentalités actuelles, parce que nombre de personnes ne s’instruisent pas, il est essentiel pour moi de dire que je ne fais rien d’exceptionnel. En réalité je me détends. Je lis l’histoire d’Andrée Blouin, féministe et chef de cabinet de Patrice Lumumba, et je suis époustouflée ! Mais certains de nos concitoyens s'imaginent qu'il s'agit là des femmes douces qu'ils veulent que nous soyons aujourd'hui. Oh non ! Elles étaient les grandes gueules d'origine. Nous sommes nos ancêtres !

J'aime la passion et la résistance très claire contre un récit unique de ce que sont les femmes africaines et les féministes africaines. Comment décrirais-tu ton parcours d'écrivaine par rapport à ton identité de féministe africaine ?

Écoute, j’estime que ta politique transparaît dans tout ce que tu fais. Plus j'évolue dans mon parcours de féministe, plus je veux être libre dans ce que j'écris, dans les projets que je choisis. J'ai commencé́ à écrire professionnellement en 2012 ; je me suis identifiée comme féministe en 2016. Mais j'ai commencé à questionner les choses et les gens autour de moi à l'âge de 5 ans. C'est le premier souvenir que j'ai d'un moment où j'ai remis quelque chose en question. Et c'est ainsi que je décris ma relation entre le fait d'être écrivaine et le fait d'être féministe. Ce sont mes deux identités. Je ne peux rien faire d'autre qu'écrire ; je ne peux rien être d'autre qu'une féministe parce que je refuse d'être limitée par le fait que je suis née femme. Je veux dire par là qu'être une femme est la plus belle chose qui soit.

Tu es également très passionnée par la traduction et tu as parlé de son caractère politique. Pourrais-tu nous en dire plus à ce sujet ?

Tout est politique dans mon monde. Je suis une femme très politique et politisée. Et j'ai choisi de m'identifier comme traductrice littéraire – remarque que je fais toujours précéder le mot “traductrice” par le mot “littéraire”. Je crois au pouvoir des histoires, et les gens ont le droit de raconter leurs histoires dans la langue de leur choix. En qualité de traducteurs et traductrices, nous avons le devoir de transmettre cela et de respecter tout ce qu’il y a autour : le contexte culturel, le registre de langue, etc. 

Ainsi, si quelqu'un écrit “Ivorians do”, je le traduirai par “les populations ivoiriennes font”, de sorte que lorsque nous en viendrons au pronom, j'utiliserai “elles”. Je ne veux même pas utiliser le “iels”(contraction de ils et elles, pour they en anglais) ou “ivoirien.ne.s” (pour désigner les hommes et les femmes ivoiriens) ou bien Dieu m’en garde “travailleur.euse.s” (pour les travailleurs, hommes et femmes) parce que si vous remarquez dans ces exemples que j'ai donnés, c'est toujours le pronom masculin qui l'emporte. Donc, pour l'instant, mon travail consiste à faire en sorte que le pronom masculin ne soit pas trop en tête. En ce qui concerne les œuvres de fiction, c'est un peu plus difficile, mais c'est là que réside le défi : choisir des œuvres d'auteurs et autrices ayant une conscience politique et féministe. Cela ne veut pas dire que les auteurs et autrices dont je choisis les œuvres sont toujours féministes. Parfois ce n’est pas le cas. Et c’est très bien. Mais il est important que leur travail ait une conscience.

Que signifie ce travail de traduction politique pour la construction du mouvement féministe africain ?

Nous avons besoin de plus en plus de traduction, de traductrices conscientes et de traducteurs conscients que nous ne remplaçons pas simplement les mots par leurs équivalents. Des traductrices et traducteurs qui désirent encourager la traduction de textes moins traduits et combler le fossé. Il existe un tel déséquilibre linguistique dans les documents féministes, que nous pourrions être tentés de penser que le féminisme africain est anglophone. L'une des choses que j'ai aimées dans Eyala, et que j'aime toujours, c'est la manière dont la traduction est réalisée. Lorsque vous nous présentez Lorato Modongo, vous n'essayez pas d'expliquer aux francophones que Lorato Modongo est une puissance au Botswana. Eyala respecte notre intelligence, et cette compassion dans l'activisme m'a beaucoup inspiré lorsque j'étais au stade de la réflexion pour 1949. Oui, je serai exigente. Oui, ce sera un lieu intellectuel, mais nous viendrons avec le désir d'apprendre des autres qui ont d'autres qualités. Nous ferons preuve de compassion. J'apprends des gens qui s'enlisent, par exemple. Ce n'est pas un trait de caractère très fort chez moi. Je vis dans mon esprit. Je réfléchis beaucoup, je traite mieux les choses par l'écriture, etc.

Tu as mentionné de 1949, et je veux que nous en parlions. C'est ton bébé, la bibliothèque des écritures féminines d’Afrique et du monde noir. D’où vient son nom ?

J'aime que vous parliez de LA bibliothèque des écritures féminines africaines. Je l'appelle LA bibliothèque ou THE library et j'aime ça. Ce n'est pas une bibliothèque indéfinie (rires). 1949 est l'année où les femmes politiques du PDCI (Parti démocratique de Côte d'Ivoire) et du RDA (Rassemblement démocratique africain) ont manisfesté contre l'administration coloniale française en Côte d'Ivoire. Cette manifestation n'était pas une marche organisée comme celle à laquelle nous pensons lorsque nous parlons de “marche”. Pour éviter d'être arrêtées, les femmes se sont déplacées par groupes de deux ou trois à la fois, en prétendant aller à la ferme ou rendre visite à un ami ou à un membre de leur famille. C'est ainsi que 2 000 femmes environ sont arrivées à Grand Bassam.

Quelle a été l'inspiration pour la création de la bibliothèque, au-delà de l'histoire qui lui donne son nom ?

La bibliothèque a été créée le 5 mars 2020, nous avons donc quatre ans maintenant et sommes donc encore au niveau de la maternelle. J'ai choisi ce nom parce que soit l'histoire de la marche des femmes est soit quasiment oubliée, soit, lorsque les gens s'en souviennent, ils disent que plus de 2 000 femmes ont marché pour libérer leurs maris (7 hommes) de prison, ce qui minimise donc l'histoire et les sacrifices de ces femmes.

Pour en revenir à la première question sur le fait d'être une féministe africaine, tu comprends pourquoi il est très important d'insister encore et encore sur les contributions des femmes.

L'inspiration pour la création de la bibliothèque était aussi de ne pas arrondir les angles. L'une de nos sources d'inspiration à la bibliothèque est Stephanie St Clair. Nous ne cachons pas qu'elle était un gangster à Harlem dans les années 20. Ainsi, de la même manière que nous mentionnons qu'elle a joué un rôle actif dans le mouvement des droits civiques, en écrivant et en donnant de l'argent au mouvement, nous mentionnons également qu'elle était un gangster. Les deux ne sont pas exclusifs. Ou bien nous parlons de Nana Benz. J'ai parlé tout à l'heure d'inspiration. Certains diront que leur travail en tant que Nana Benz n'a profité qu'à leurs enfants et non aux nombreuses autres femmes du Togo, du Bénin ou du Ghana. Mais qu'y a-t-il de mal à inspirer son enfant ? Et sommes-nous sûrs que ce ne sont que leurs enfants qu'elles ont inspirés ?

Nous qui observons les actions des femmes qui nous ont précédées, des femmes qui sont plus visibles aujourd'hui... devons cultiver la compassion. Je te le dis, lorsque tu n’es pas au cœur de l'action, il y a tant de choses que tu ferais mieux.

Je pense qu'il est utile de se pencher sur ces choses et de les améliorer à notre époque. Quelles sont les activités que vous proposez à la bibliothèque ? J'imagine qu'il ne s'agit pas seulement d'un espace de lecture, comme c'est le cas dans la plupart des autres bibliothèques.

Nous sommes toujours en train de faire quelque chose ou l'autre dans cette bibliothèque. Je vous le dis, c'est l'âge de l'école maternelle !
Nous organisons des conversations féministes tous les deux mois –  nous les appelons “Le bissap féministe”. Nous buvons du bissap, nous choisissons un thème et nous en parlons. Nous invitons également des experts : avocats, médecins, etc. Si nous discutons du taux de mortalité des femmes, nous invitons un médecin, un gynécologue, de sorte que lorsqu'une femme sort de cette conversation, elle sait où aller et elle sait ce qui ne devrait pas lui arriver. La bibliothèque se trouve dans une zone où le niveau socio-économique est plus bas, et nous en tenons compte dans notre programmation.

Nous avons également des conversations avec des jeunes filles tous les quinze jours – les jeunes hommes sont autorisés à nous rejoindre, mais s'ils ne viennent pas, nous n'allons pas chercher quelqu'un dans la rue. En réalité, nous ne faisons pas ça, nous ne tirons pas les hommes ou les femmes de la rue ; nous voulons simplement être si bons que les gens n'ont pas d'autre choix que de venir chez nous. Je veux dire, uniquement des écrits de femmes, d'Afrique et du monde noir, organisant des choses avec des noms comme Le bissap féministe ! À Yopougon ! Hahaha ! Alors oui, nous avons des conversations avec des jeunes filles, et nous lisons ensemble. On joue en invitant un coach vocal. Si nous voulons que les femmes et les jeunes filles s'expriment, il faut leur apprendre COMMENT s'exprimer. Si tu mumures et que ta voix est monotone, personne ne t’écoutera.

Nous racontons aussi des histoires aux enfants de 5 à 8 ans (nous poussons jusqu'à 10 ans car personne ne veut partir) ; nous ne lisons que des histoires écrites par des femmes africaines et noires. C'est un travail difficile. Nous avons besoin de plus d'histoires pour les enfants qui ne cherchent pas à conclure avec une belle morale à la fin.

J'apprécie le fait que vous ayez quelque chose à offrir à des personnes de différentes générations. Quels sont vos principaux projets pour cette année ?

Les enfants en maternelle n'ont jamais de programme. Hahaha ! Leurs enseignants en ont un, mais eux n'en ont pas. Pour la Journée mondiale du livre, nous avons décidé de présenter les cinq femmes ivoiriennes à lire. Nous avons maintenant une librairie. Nous organisons des ateliers d'écriture créative. Nous devons documenter, et pour cela, nous devons apprendre à documenter. Nous devons apprendre à raconter une histoire. Parfois, vous rencontrez des gens qui veulent vous raconter l'histoire de leur souffrance, mais qu'est-ce qui rend l'histoire de votre souffrance intéressante ? La souffrance est la souffrance, à des degrés divers, mais comment la raconter ? Nous avons accueilli deux résidences jusqu'à présent, une résidence d'écriture pour des femmes écrivains de Côte d'Ivoire en début de carrière, et une résidence de recherche ouverte aux femmes noires du monde entier. Nous avons présenté une pièce de théâtre : un groupe de femmes griots. Nous avons l'habitude de voir des griots hommes, mais ici nous avions des femmes.

En gros, nous n'avons pas de programme ; nous agissons au gré de notre inspiration et, heureusement, tout se passe bien jusqu'à présent. Certaines d'entre elles, comme le podcast, ont dû être interrompues pour des raisons de financement, de temps ou de ressources humaines. La recherche prend beaucoup de temps !

J'ai hâte d'écouter le podcast lorsqu'il sera lancé, et nous serons ravies de le partager avec la communauté Eyala. Comment la bibliothèque a-t-elle été accueillie dans votre communauté et au-delà ?

Écoute, nous n’avions pas la moindre idée de ce que nous faisions, et je n'ai rien fait pour m'aider en choisissant les livres que j'ai choisis ou en tenant le genre de conversations que j'ai eues. Je suis quelqu'un d'amusant, mais j'ai tendance à dire les choses telles que je les vois. Je le fais avec beaucoup de compassion et d'attention, mais je dis les choses telles qu'elles sont. La bibliothèque possède un restaurant et un jour, un homme est venu manger et s'est étonné que nous ayons tous ces livres.

Puis il a dit : “J'espère que c'est une bibliothèque panafricaine ! Vous, les Africains, de nos jours.” Je lui ai répondu que c'était une bibliothèque panafricaine. Il a regardé autour de lui et, sans doute parce qu'il ne voyait pas Cheick Anta Diop, il a demandé ce qui la rendait panafricaine. Je lui ai répondu qu'une bibliothèque qui possède des ouvrages de Mariama Bâ, Marie-Vieux Chauvet, Ken Bugul, Maryse Condé, etc. est aussi panafricaine que le panafricanisme peut l'être. Il a concédé à contrecœur, mais a dit que je savais ce qu'il voulait dire.

Je lui ai répondu que ce n'était pas le cas. Je savais exactement ce qu'il voulait dire, mais quel est le plaisir de la vie si vous devez secouer les toiles d'araignée dans l'esprit des gens ?

Un autre parent a décidé de ne pas autoriser sa fille à visiter la bibliothèque lorsqu'il a vu qu'au dos de nos T-shirts, nous avions écrit : la bibliothèque d’écritures féminines d'Afrique et du monde noir. Je lui ai simplement demandé ce qu'il y avait de mal à mettre en valeur les contributions des femmes africaines et noires.

Il est intéressant de voir tout ce que les gens peuvent perdre en s'accrochant à leurs points de vue et perspectives limités.

Lors de notre premier bissap féministe, nous étions cinq personnes : les deux orateurs invités, deux autres personnes et moi. Haha. Lors de la première séance de contes, il y avait deux enfants et l'un d'eux était le mien. Aujourd'hui, nous organisons un bissap féministe auquel participent 30 personnes, dont l'âge varie entre 20 et 65 ans et dont la plupart vivent à Yopougon. Nous avons des personnes qui ne sont pas impliquées dans les conversations féministes. Nous organisons des lectures de contes les mercredis et samedis avec 20 enfants à chaque fois.

Au cours de notre première année, personne ne savait qu'il y avait une bibliothèque dans le quartier ; aujourd'hui, si vous êtes perdu, ils vous montreront où elle se trouve. Au-delà de la communauté, des gens nous ont dit que la bibliothèque était trop loin, et je me suis toujours demandé : loin de quoi ? De qui ? De qui ? Maintenant, les gens viennent.

Quel est, selon toi, l'impact de cet espace ? Cela correspond-il à la vision que tu avais lorsque tu as fondé la bibliothèque ?

Je constate que nous nous concentrons sur les productions littéraires qui placent les femmes au centre des conversations. Ce parent qui ne voulait pas que sa fille vienne à la bibliothèque l'a maintenant autorisée et paie même son abonnement. Telle est la vision. Et elle s'aligne.

J'aime le fait que maintenant, des adolescentes viennent et passent du temps à lire, qu'il y ait une activité ou non. J'aime le fait que nous ouvrions les portes 6 jours par semaine, de 10 heures à 21 heures, et que parfois, personne n'entre ! C'est ce que je dis toujours aux gens. C'est pour cela que j'aime raconter l'histoire d'un événement qui démarre avec deux personnes qui viennent, où personne ne veut venir, mais où l'on continue, en poursuivant la vision et les objectifs que l'on s'est fixés. Mon ambition avec la bibliothèque n'est pas de courir comme un poulet sans tête.

Quels sont les trois conseils que tu donnerais à quelqu'un qui désire ouvrir une bibliothèque similaire quelque part en Afrique ?

  • Décidez pourquoi vous voulez créer une bibliothèque qui se concentre sur les contributions des femmes.

  • Sachez que vous ne pourrez pas tout faire et que c'est très bien ainsi.

  • Sachez qu'il y a des conversations que vous ne pourrez pas avoir maintenant ; notez-les dans votre carnet et trouvez un moyen de les avoir d'une manière créative ou plus tard.

Parlons un peu plus de ton lien personnel avec cette bibliothèque. Comment la gestion de la bibliothèque a-t-elle influencé ton travail en tant qu'écrivaine, femme africaine et féministe ?  

En tant que femme africaine féministe, je connais la valeur du sommeil. Surtout les siestes. Je n'aime rien tant que de tout arrêter à 13 ou 14 heures pour faire des siestes – et mes siestes sont longues ! En gros, je dors. Il m'arrive donc de me réveiller à 3h30, de brûler de l'encens, de boire du thé, puis de recommencer à travailler. Plus je lisais, plus je me rendais compte que les femmes qui m'ont précédée, les femmes que j'admire aujourd'hui, prenaient du temps pour elles-mêmes. Et chacun a sa façon de prendre du temps. Pour moi, ce sont les siestes, c'est choisir de ne pas voir les gens. C'est choisir de lire. Ou d'aller nager. Ce n'est certainement pas un massage, par exemple.

On ne fait pas le genre de musique qu'elles ont composé, on n'écrit pas les choses qu’elles ont écrites, on ne peint pas sans prendre du temps pour soi. C'est pourquoi nous n'insistons pas sur la création lors des résidences. Il n'y a pas de mal à s'éloigner pour dormir, lire, manger, faire de courtes promenades, boire du bon vin, dormir encore, être avec soi-même. En fait, l'une de nos devises à la bibliothèque est la suivante : J'ai tellement de choses à faire que je vais lire.

Nous avons tant à faire. Notre continent a tant à faire. Reposons-nous et lisons au lieu de courir partout avec l'obligation de produire.

En tant qu'écrivaine, je veux apprendre à écrire des pièces de théâtre et à les voir sur scène. Dans le cas de la Côte d'Ivoire, quelque 51 % de la population ne sait ni lire ni écrire le français (et peut-être les 70 autres langues de Côte d'Ivoire). Nous avons toutefois une culture orale et personnellement, je m'intéresse à l'oralité de la littérature. Mais je prends le temps d'écrire. Je ferme la porte de mon bureau tous les lundis et mardis pour écrire. Je lis tous les matins.

Quel est ton plus grand rêve pour la bibliothèque ?

Le rêve est trop grand pour que je puisse le mentionner.

Vive les grands rêves et espérons que nous les verrons se concrétiser. Qu'est-ce qu’Edwige l'écrivaine va bientôt écrire ?

Je suis occupée à éditer un roman – le mien – et à écrire un recueil d'essais.

Comment la communauté Eyala peut-elle vous soutenir, toi et la bibliothèque ?

Nous avons toujours besoin de bons livres. Nous avons besoin de bénévoles. Et de fonds ! Ce qui signifie le sponsoring fiscal (longue histoire mais nous sommes prêts à en parler).

 Terminons par notre question finale préférée : quelle est ta devise de vie féministe ?

 Remettez toujours les choses en cause. Soyez libres. Soyez compatissants.

Merci beaucoup Edwige. Nous espérons pouvoir nous joindre à toi pour un bissap féministe bientôt.

 

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