Afrifem en Action : Edwige Renée Dro et 1949, la bibliothèque des écritures féminines d’Afrique et du monde noir de Yopougon en Côte d’Ivoire

En 1949, plus de 2000 femmes ont organisé une manifestation en Côte d’Ivoire. Elles ont marché d’Abidjan à Grand Bassam (45 km) pour protester contre le pouvoir colonial français et réclamer la liberté de leurs compatriotes. Cependant lors du récit de ce mouvement remarquable, le rôle de ces femmes est souvent réduit à celui d’épouses et de mères de dirigeants politiques masculins.

Dans cette édition de notre série Afrifem en action, Jama Jack discute avec Edwige Renée Dro, féministe africaine et fondatrice de 1949, la bibliothèque des écritures féminines d’Afrique et du monde Noir. Nous en apprenons sur la marche des femmes sur Grand-Bassam de 1949, qui a inspiré la création de la bibliothèque et son nom, ainsi que sur ce que c’est de diriger cet espace au cœur de Yopougon à Abidjan.

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Edwige, c’est un véritable honneur de t’avoir dans notre série #AfrifemEnAction, d’autant plus que tu faisais partie de notre équipe. Peux-tu te présenter ?

MERCI ! C’est une de mes meilleures interviews. Je m’appelle Edwige Renée Dro. Je viens de Côte d’Ivoire et je vis actuellement à Abidjan. Une chose que je n’aurais jamais pensé faire ; j’ai toujours pensé que je vivrai peut-être à Yamoussoukro – je ne suis pas fan des grandes villes, mais me voici aujourd’hui. Je suis écrivaine et traductrice littéraire. Je suis également une activiste littéraire.

 Et c’est justement ce dont nous allons parler. Mais dis-nous d’abord ce que signifie être une féministe africaine pour toi.

C’est la preuve que le féminisme n’est pas un phénomène étrange tombé sur les africaines « évoluées », quel que soit le sens que les gens donnent au mot « évoluées ». C’est même risible lorsque les gens décident de te jeter la pierre en disant que si tu es féministe en tant que femme africaine c’est parce que tu es occidentalisée. Je ne mâche pas mes mots, car dire qu'une femme africaine qui sait qu'elle mérite d'être traitée comme un être humain est occidentalisée m’émeut et me met en colère. Comment peut-on décider d'effacer complètement les histoires et les contributions de femmes telles qu’Abra Pokou, Akwa Boni, Aline Sitoé Diatta, Tata Adjatché, Marie Angélique Savané, Andrée Blouin, et j'en passe. Ce sont des femmes qui n'ont pas vu ou laissé quelqu'un les considérer comme inadéquates parce qu'elles sont des femmes. Et dans leur liberté, elles ont inspiré d'autres femmes (et des hommes), se sont battues pour la dignité de leur peuple, de tous les peuples. En tant que féministe, notamment avec les mentalités actuelles, parce que nombre de personnes ne s’instruisent pas, il est essentiel pour moi de dire que je ne fais rien d’exceptionnel. En réalité je me détends. Je lis l’histoire d’Andrée Blouin, féministe et chef de cabinet de Patrice Lumumba, et je suis époustouflée ! Mais certains de nos concitoyens s'imaginent qu'il s'agit là des femmes douces qu'ils veulent que nous soyons aujourd'hui. Oh non ! Elles étaient les grandes gueules d'origine. Nous sommes nos ancêtres !

J'aime la passion et la résistance très claire contre un récit unique de ce que sont les femmes africaines et les féministes africaines. Comment décrirais-tu ton parcours d'écrivaine par rapport à ton identité de féministe africaine ?

Écoute, j’estime que ta politique transparaît dans tout ce que tu fais. Plus j'évolue dans mon parcours de féministe, plus je veux être libre dans ce que j'écris, dans les projets que je choisis. J'ai commencé́ à écrire professionnellement en 2012 ; je me suis identifiée comme féministe en 2016. Mais j'ai commencé à questionner les choses et les gens autour de moi à l'âge de 5 ans. C'est le premier souvenir que j'ai d'un moment où j'ai remis quelque chose en question. Et c'est ainsi que je décris ma relation entre le fait d'être écrivaine et le fait d'être féministe. Ce sont mes deux identités. Je ne peux rien faire d'autre qu'écrire ; je ne peux rien être d'autre qu'une féministe parce que je refuse d'être limitée par le fait que je suis née femme. Je veux dire par là qu'être une femme est la plus belle chose qui soit.

Tu es également très passionnée par la traduction et tu as parlé de son caractère politique. Pourrais-tu nous en dire plus à ce sujet ?

Tout est politique dans mon monde. Je suis une femme très politique et politisée. Et j'ai choisi de m'identifier comme traductrice littéraire – remarque que je fais toujours précéder le mot “traductrice” par le mot “littéraire”. Je crois au pouvoir des histoires, et les gens ont le droit de raconter leurs histoires dans la langue de leur choix. En qualité de traducteurs et traductrices, nous avons le devoir de transmettre cela et de respecter tout ce qu’il y a autour : le contexte culturel, le registre de langue, etc. 

Ainsi, si quelqu'un écrit “Ivorians do”, je le traduirai par “les populations ivoiriennes font”, de sorte que lorsque nous en viendrons au pronom, j'utiliserai “elles”. Je ne veux même pas utiliser le “iels”(contraction de ils et elles, pour they en anglais) ou “ivoirien.ne.s” (pour désigner les hommes et les femmes ivoiriens) ou bien Dieu m’en garde “travailleur.euse.s” (pour les travailleurs, hommes et femmes) parce que si vous remarquez dans ces exemples que j'ai donnés, c'est toujours le pronom masculin qui l'emporte. Donc, pour l'instant, mon travail consiste à faire en sorte que le pronom masculin ne soit pas trop en tête. En ce qui concerne les œuvres de fiction, c'est un peu plus difficile, mais c'est là que réside le défi : choisir des œuvres d'auteurs et autrices ayant une conscience politique et féministe. Cela ne veut pas dire que les auteurs et autrices dont je choisis les œuvres sont toujours féministes. Parfois ce n’est pas le cas. Et c’est très bien. Mais il est important que leur travail ait une conscience.

Que signifie ce travail de traduction politique pour la construction du mouvement féministe africain ?

Nous avons besoin de plus en plus de traduction, de traductrices conscientes et de traducteurs conscients que nous ne remplaçons pas simplement les mots par leurs équivalents. Des traductrices et traducteurs qui désirent encourager la traduction de textes moins traduits et combler le fossé. Il existe un tel déséquilibre linguistique dans les documents féministes, que nous pourrions être tentés de penser que le féminisme africain est anglophone. L'une des choses que j'ai aimées dans Eyala, et que j'aime toujours, c'est la manière dont la traduction est réalisée. Lorsque vous nous présentez Lorato Modongo, vous n'essayez pas d'expliquer aux francophones que Lorato Modongo est une puissance au Botswana. Eyala respecte notre intelligence, et cette compassion dans l'activisme m'a beaucoup inspiré lorsque j'étais au stade de la réflexion pour 1949. Oui, je serai exigente. Oui, ce sera un lieu intellectuel, mais nous viendrons avec le désir d'apprendre des autres qui ont d'autres qualités. Nous ferons preuve de compassion. J'apprends des gens qui s'enlisent, par exemple. Ce n'est pas un trait de caractère très fort chez moi. Je vis dans mon esprit. Je réfléchis beaucoup, je traite mieux les choses par l'écriture, etc.

Tu as mentionné de 1949, et je veux que nous en parlions. C'est ton bébé, la bibliothèque des écritures féminines d’Afrique et du monde noir. D’où vient son nom ?

J'aime que vous parliez de LA bibliothèque des écritures féminines africaines. Je l'appelle LA bibliothèque ou THE library et j'aime ça. Ce n'est pas une bibliothèque indéfinie (rires). 1949 est l'année où les femmes politiques du PDCI (Parti démocratique de Côte d'Ivoire) et du RDA (Rassemblement démocratique africain) ont manisfesté contre l'administration coloniale française en Côte d'Ivoire. Cette manifestation n'était pas une marche organisée comme celle à laquelle nous pensons lorsque nous parlons de “marche”. Pour éviter d'être arrêtées, les femmes se sont déplacées par groupes de deux ou trois à la fois, en prétendant aller à la ferme ou rendre visite à un ami ou à un membre de leur famille. C'est ainsi que 2 000 femmes environ sont arrivées à Grand Bassam.

Quelle a été l'inspiration pour la création de la bibliothèque, au-delà de l'histoire qui lui donne son nom ?

La bibliothèque a été créée le 5 mars 2020, nous avons donc quatre ans maintenant et sommes donc encore au niveau de la maternelle. J'ai choisi ce nom parce que soit l'histoire de la marche des femmes est soit quasiment oubliée, soit, lorsque les gens s'en souviennent, ils disent que plus de 2 000 femmes ont marché pour libérer leurs maris (7 hommes) de prison, ce qui minimise donc l'histoire et les sacrifices de ces femmes.

Pour en revenir à la première question sur le fait d'être une féministe africaine, tu comprends pourquoi il est très important d'insister encore et encore sur les contributions des femmes.

L'inspiration pour la création de la bibliothèque était aussi de ne pas arrondir les angles. L'une de nos sources d'inspiration à la bibliothèque est Stephanie St Clair. Nous ne cachons pas qu'elle était un gangster à Harlem dans les années 20. Ainsi, de la même manière que nous mentionnons qu'elle a joué un rôle actif dans le mouvement des droits civiques, en écrivant et en donnant de l'argent au mouvement, nous mentionnons également qu'elle était un gangster. Les deux ne sont pas exclusifs. Ou bien nous parlons de Nana Benz. J'ai parlé tout à l'heure d'inspiration. Certains diront que leur travail en tant que Nana Benz n'a profité qu'à leurs enfants et non aux nombreuses autres femmes du Togo, du Bénin ou du Ghana. Mais qu'y a-t-il de mal à inspirer son enfant ? Et sommes-nous sûrs que ce ne sont que leurs enfants qu'elles ont inspirés ?

Nous qui observons les actions des femmes qui nous ont précédées, des femmes qui sont plus visibles aujourd'hui... devons cultiver la compassion. Je te le dis, lorsque tu n’es pas au cœur de l'action, il y a tant de choses que tu ferais mieux.

Je pense qu'il est utile de se pencher sur ces choses et de les améliorer à notre époque. Quelles sont les activités que vous proposez à la bibliothèque ? J'imagine qu'il ne s'agit pas seulement d'un espace de lecture, comme c'est le cas dans la plupart des autres bibliothèques.

Nous sommes toujours en train de faire quelque chose ou l'autre dans cette bibliothèque. Je vous le dis, c'est l'âge de l'école maternelle !
Nous organisons des conversations féministes tous les deux mois –  nous les appelons “Le bissap féministe”. Nous buvons du bissap, nous choisissons un thème et nous en parlons. Nous invitons également des experts : avocats, médecins, etc. Si nous discutons du taux de mortalité des femmes, nous invitons un médecin, un gynécologue, de sorte que lorsqu'une femme sort de cette conversation, elle sait où aller et elle sait ce qui ne devrait pas lui arriver. La bibliothèque se trouve dans une zone où le niveau socio-économique est plus bas, et nous en tenons compte dans notre programmation.

Nous avons également des conversations avec des jeunes filles tous les quinze jours – les jeunes hommes sont autorisés à nous rejoindre, mais s'ils ne viennent pas, nous n'allons pas chercher quelqu'un dans la rue. En réalité, nous ne faisons pas ça, nous ne tirons pas les hommes ou les femmes de la rue ; nous voulons simplement être si bons que les gens n'ont pas d'autre choix que de venir chez nous. Je veux dire, uniquement des écrits de femmes, d'Afrique et du monde noir, organisant des choses avec des noms comme Le bissap féministe ! À Yopougon ! Hahaha ! Alors oui, nous avons des conversations avec des jeunes filles, et nous lisons ensemble. On joue en invitant un coach vocal. Si nous voulons que les femmes et les jeunes filles s'expriment, il faut leur apprendre COMMENT s'exprimer. Si tu mumures et que ta voix est monotone, personne ne t’écoutera.

Nous racontons aussi des histoires aux enfants de 5 à 8 ans (nous poussons jusqu'à 10 ans car personne ne veut partir) ; nous ne lisons que des histoires écrites par des femmes africaines et noires. C'est un travail difficile. Nous avons besoin de plus d'histoires pour les enfants qui ne cherchent pas à conclure avec une belle morale à la fin.

J'apprécie le fait que vous ayez quelque chose à offrir à des personnes de différentes générations. Quels sont vos principaux projets pour cette année ?

Les enfants en maternelle n'ont jamais de programme. Hahaha ! Leurs enseignants en ont un, mais eux n'en ont pas. Pour la Journée mondiale du livre, nous avons décidé de présenter les cinq femmes ivoiriennes à lire. Nous avons maintenant une librairie. Nous organisons des ateliers d'écriture créative. Nous devons documenter, et pour cela, nous devons apprendre à documenter. Nous devons apprendre à raconter une histoire. Parfois, vous rencontrez des gens qui veulent vous raconter l'histoire de leur souffrance, mais qu'est-ce qui rend l'histoire de votre souffrance intéressante ? La souffrance est la souffrance, à des degrés divers, mais comment la raconter ? Nous avons accueilli deux résidences jusqu'à présent, une résidence d'écriture pour des femmes écrivains de Côte d'Ivoire en début de carrière, et une résidence de recherche ouverte aux femmes noires du monde entier. Nous avons présenté une pièce de théâtre : un groupe de femmes griots. Nous avons l'habitude de voir des griots hommes, mais ici nous avions des femmes.

En gros, nous n'avons pas de programme ; nous agissons au gré de notre inspiration et, heureusement, tout se passe bien jusqu'à présent. Certaines d'entre elles, comme le podcast, ont dû être interrompues pour des raisons de financement, de temps ou de ressources humaines. La recherche prend beaucoup de temps !

J'ai hâte d'écouter le podcast lorsqu'il sera lancé, et nous serons ravies de le partager avec la communauté Eyala. Comment la bibliothèque a-t-elle été accueillie dans votre communauté et au-delà ?

Écoute, nous n’avions pas la moindre idée de ce que nous faisions, et je n'ai rien fait pour m'aider en choisissant les livres que j'ai choisis ou en tenant le genre de conversations que j'ai eues. Je suis quelqu'un d'amusant, mais j'ai tendance à dire les choses telles que je les vois. Je le fais avec beaucoup de compassion et d'attention, mais je dis les choses telles qu'elles sont. La bibliothèque possède un restaurant et un jour, un homme est venu manger et s'est étonné que nous ayons tous ces livres.

Puis il a dit : “J'espère que c'est une bibliothèque panafricaine ! Vous, les Africains, de nos jours.” Je lui ai répondu que c'était une bibliothèque panafricaine. Il a regardé autour de lui et, sans doute parce qu'il ne voyait pas Cheick Anta Diop, il a demandé ce qui la rendait panafricaine. Je lui ai répondu qu'une bibliothèque qui possède des ouvrages de Mariama Bâ, Marie-Vieux Chauvet, Ken Bugul, Maryse Condé, etc. est aussi panafricaine que le panafricanisme peut l'être. Il a concédé à contrecœur, mais a dit que je savais ce qu'il voulait dire.

Je lui ai répondu que ce n'était pas le cas. Je savais exactement ce qu'il voulait dire, mais quel est le plaisir de la vie si vous devez secouer les toiles d'araignée dans l'esprit des gens ?

Un autre parent a décidé de ne pas autoriser sa fille à visiter la bibliothèque lorsqu'il a vu qu'au dos de nos T-shirts, nous avions écrit : la bibliothèque d’écritures féminines d'Afrique et du monde noir. Je lui ai simplement demandé ce qu'il y avait de mal à mettre en valeur les contributions des femmes africaines et noires.

Il est intéressant de voir tout ce que les gens peuvent perdre en s'accrochant à leurs points de vue et perspectives limités.

Lors de notre premier bissap féministe, nous étions cinq personnes : les deux orateurs invités, deux autres personnes et moi. Haha. Lors de la première séance de contes, il y avait deux enfants et l'un d'eux était le mien. Aujourd'hui, nous organisons un bissap féministe auquel participent 30 personnes, dont l'âge varie entre 20 et 65 ans et dont la plupart vivent à Yopougon. Nous avons des personnes qui ne sont pas impliquées dans les conversations féministes. Nous organisons des lectures de contes les mercredis et samedis avec 20 enfants à chaque fois.

Au cours de notre première année, personne ne savait qu'il y avait une bibliothèque dans le quartier ; aujourd'hui, si vous êtes perdu, ils vous montreront où elle se trouve. Au-delà de la communauté, des gens nous ont dit que la bibliothèque était trop loin, et je me suis toujours demandé : loin de quoi ? De qui ? De qui ? Maintenant, les gens viennent.

Quel est, selon toi, l'impact de cet espace ? Cela correspond-il à la vision que tu avais lorsque tu as fondé la bibliothèque ?

Je constate que nous nous concentrons sur les productions littéraires qui placent les femmes au centre des conversations. Ce parent qui ne voulait pas que sa fille vienne à la bibliothèque l'a maintenant autorisée et paie même son abonnement. Telle est la vision. Et elle s'aligne.

J'aime le fait que maintenant, des adolescentes viennent et passent du temps à lire, qu'il y ait une activité ou non. J'aime le fait que nous ouvrions les portes 6 jours par semaine, de 10 heures à 21 heures, et que parfois, personne n'entre ! C'est ce que je dis toujours aux gens. C'est pour cela que j'aime raconter l'histoire d'un événement qui démarre avec deux personnes qui viennent, où personne ne veut venir, mais où l'on continue, en poursuivant la vision et les objectifs que l'on s'est fixés. Mon ambition avec la bibliothèque n'est pas de courir comme un poulet sans tête.

Quels sont les trois conseils que tu donnerais à quelqu'un qui désire ouvrir une bibliothèque similaire quelque part en Afrique ?

  • Décidez pourquoi vous voulez créer une bibliothèque qui se concentre sur les contributions des femmes.

  • Sachez que vous ne pourrez pas tout faire et que c'est très bien ainsi.

  • Sachez qu'il y a des conversations que vous ne pourrez pas avoir maintenant ; notez-les dans votre carnet et trouvez un moyen de les avoir d'une manière créative ou plus tard.

Parlons un peu plus de ton lien personnel avec cette bibliothèque. Comment la gestion de la bibliothèque a-t-elle influencé ton travail en tant qu'écrivaine, femme africaine et féministe ?  

En tant que femme africaine féministe, je connais la valeur du sommeil. Surtout les siestes. Je n'aime rien tant que de tout arrêter à 13 ou 14 heures pour faire des siestes – et mes siestes sont longues ! En gros, je dors. Il m'arrive donc de me réveiller à 3h30, de brûler de l'encens, de boire du thé, puis de recommencer à travailler. Plus je lisais, plus je me rendais compte que les femmes qui m'ont précédée, les femmes que j'admire aujourd'hui, prenaient du temps pour elles-mêmes. Et chacun a sa façon de prendre du temps. Pour moi, ce sont les siestes, c'est choisir de ne pas voir les gens. C'est choisir de lire. Ou d'aller nager. Ce n'est certainement pas un massage, par exemple.

On ne fait pas le genre de musique qu'elles ont composé, on n'écrit pas les choses qu’elles ont écrites, on ne peint pas sans prendre du temps pour soi. C'est pourquoi nous n'insistons pas sur la création lors des résidences. Il n'y a pas de mal à s'éloigner pour dormir, lire, manger, faire de courtes promenades, boire du bon vin, dormir encore, être avec soi-même. En fait, l'une de nos devises à la bibliothèque est la suivante : J'ai tellement de choses à faire que je vais lire.

Nous avons tant à faire. Notre continent a tant à faire. Reposons-nous et lisons au lieu de courir partout avec l'obligation de produire.

En tant qu'écrivaine, je veux apprendre à écrire des pièces de théâtre et à les voir sur scène. Dans le cas de la Côte d'Ivoire, quelque 51 % de la population ne sait ni lire ni écrire le français (et peut-être les 70 autres langues de Côte d'Ivoire). Nous avons toutefois une culture orale et personnellement, je m'intéresse à l'oralité de la littérature. Mais je prends le temps d'écrire. Je ferme la porte de mon bureau tous les lundis et mardis pour écrire. Je lis tous les matins.

Quel est ton plus grand rêve pour la bibliothèque ?

Le rêve est trop grand pour que je puisse le mentionner.

Vive les grands rêves et espérons que nous les verrons se concrétiser. Qu'est-ce qu’Edwige l'écrivaine va bientôt écrire ?

Je suis occupée à éditer un roman – le mien – et à écrire un recueil d'essais.

Comment la communauté Eyala peut-elle vous soutenir, toi et la bibliothèque ?

Nous avons toujours besoin de bons livres. Nous avons besoin de bénévoles. Et de fonds ! Ce qui signifie le sponsoring fiscal (longue histoire mais nous sommes prêts à en parler).

 Terminons par notre question finale préférée : quelle est ta devise de vie féministe ?

 Remettez toujours les choses en cause. Soyez libres. Soyez compatissants.

Merci beaucoup Edwige. Nous espérons pouvoir nous joindre à toi pour un bissap féministe bientôt.

 

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Afrifem en Action : Salematou Baldé et Aude N’depo racontent le festival Mes Menstrues Libres en Côte d’Ivoire

Le 28 mai de chaque année,  la journée mondiale de l'hygiène menstruelle est célébrée. Dans le cadre de cette journée, diverses activités sont organisées. Dans cet entretien, Salematou Baldé et Aude N’depo nous partagent leur expérience au festival Mes Menstrues Libres, premier festival axé sur la dignité menstruelle en Afrique de l'Ouest francophone, qui se déroule les 25 et 26 mai 2024 à Abidjan.

Découvrez la manière dont des féministes africaines ont créé cet espace de discussion, de sensibilisation et de plaidoyer  visant à combattre la précarité menstruelle et à déconstruire les préjugés sur les menstrues.

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Salut Salematou et Aude. Merci de vous présenter.

Salematou : Je m'appelle Salematou BALDE. Je suis une militante féministe, présidente de l'ONG Actuelles et co-organisatrice du premier festival en Afrique de l'Ouest, Mes Menstrues Libres. L'ONG Actuelles s'engage à promouvoir le respect des droits en matière de santé sexuelle et reproductive des filles et des femmes, ainsi que des personnes ayant des besoins spécifiques. Notre activité se concentre sur la lutte contre les actes de violence sexuelle et sexiste. Nous nous concentrons également sur l'acquisition de connaissances, le développement de compétences, la formation, ainsi que sur le plaidoyer, qui est un aspect stratégique au sein de l'organisation. Le plaidoyer, en particulier en faveur de l'adoption d'une loi sur la santé de la reproduction en Côte d’ivoire.

Aude : Alors moi je suis Aude N'depo, coordinatrice de projet pour l’organisation Gouttes Rouges qui est co-organisatrice du festival Mes Menstrues Libres. Gouttes Rouges est une organisation qui travaille pour la dignité menstruelle. On lutte contre l’illettrisme et la précarité menstruelle.

Pouvez-vous me parler des origines du festival Mes Menstrues Libres ?

Aude : Le festival a été initié par deux grandes féministes africaines qui luttent contre la précarité menstruelle, Amandine Yao qui est la présidente de l’ONG Gouttes Rouges et Salematou ici présente. 

Salematou : Cela te fera sourire. Depuis des années, Amandine et moi sommes engagées dans la recherche sur la précarité menstruelle en Côte d'Ivoire. Notre travail consiste à rendre les protections menstruelles accessibles aux jeunes filles, à restaurer leur dignité et à leur faire comprendre que les règles sont normales. Un jour, à l'aéroport, nous nous rendions à Niamey pour assister au premier Agora féministe. Je dis à Amandine : "Attends, nous partons à Niamey, c'est vrai, nous allons rencontrer d'autres féministes et ensuite nous reviendrons en Côte d'Ivoire. Ça ne te dirait pas que cette année, nous organisions un truc spécial pour célébrer la Journée mondiale de l'hygiène menstruelle ?" Elle répond "oui, c'est une bonne idée". Ensuite, j’ai dit : "et si nous organisions un festival ?" Elle répond, "c'est génial, on en discute quand on rentre". L'idée est apparue de cette manière, à l'aéroport pendant que nous attendions l'embarquement.

Hahaha, c’est super :)

Salematou : L'idée a commencé à se développer. Quelles activités peuvent être proposées, qui doit être intégré, de quoi faut-il parler, comment obtenir des financements ? Après avoir quitté l'Agora, nous avons poursuivi notre processus de réflexion. Puis, il était nécessaire de déterminer un nom. 

Il y avait plusieurs propositions de noms. Et Amandine me demande : et si on disait Menstrues Libres ? Cela s'accordait parfaitement avec l’idée que nous avions de l’initiative. Et voilà comment commence cette belle aventure. Au départ, nous étions deux mais avec des personnes extérieures à nos organisations pour la réflexion. Ensuite, nous avons convenu qu'il était nécessaire de rassembler les organisations qui œuvrent dans la lutte contre la précarité menstruelle, que ce soit dans les prisons, dans les marchés, dans les communautés, dans les écoles. Ainsi, nous avons réuni tout le monde et avons réussi à organiser la première édition avec des ressources peu importantes, mais grâce à l'engagement et à la dynamique de nos membres. Et maintenant, la seconde édition les 25 et 26 mai 2024 à Abidjan.

Aude : C’était une belle idée d’organiser le festival. Déjà, nous sommes deux organisations. Nous travaillons sur la question, on connaît les réalités que rencontrent les filles et les femmes. On sait à quel point le corps de la femme, il ne faut pas en parler parce que c’est sacré. Créer un festival où on vient libérer la parole était nécessaire.

Un tel festival était nécessaire en effet. Les tabous autour des menstrues sont pesants. Il y a beaucoup de stigmatisation et de stéréotypes. Vous vous rappelez quand vous avez eu vos premières règles ?

Aude : Je me souviens, j’étais en classe de quatrième quand j’ai eu mes premières règles, et j’étais très gênée. Je ne voulais pas du tout en parler. D’ailleurs, je n’en ai pas parlé. Je suis arrivée à la maison. Comme j’avais beaucoup de grandes sœurs et tout, je les voyais faire. Donc, je me suis débrouillée avec mes propres moyens. Je n’avais pas de serviettes à disposition. Donc, j’ai essayé de trouver un morceau de pagne que j’ai plié et que j’ai mis. Et arrivé un moment, c’était tellement mouillé que ma grande sœur avait remarqué et elle m’a dit. Elle m’a demandé : depuis quand tu as tes règles ? Elle m’a appris, elle m’a expliqué un peu comment ça se passe, ce que je devais faire et tout. Je me suis dit, si j’avais été éduquée sur la question, les choses se seraient passées autrement. Après, quand j’ai commencé à côtoyer d’autres jeunes filles, elles me disaient qu’à l’école, elles ne pouvaient pas parler de leur menstruation parce que leurs voisins, qui sont des garçons, se moquent d’elles et tout, que j’ai réalisé en fait à quel point c’était tabou et stigmatisé. Ce sont les raisons pour lesquelles je milite pour cette cause.

Quels sont les objectifs du festival ?

Salematou : Lorsque nous avons organisé le festival Mes Menstrues Libres, notre objectif principal était de briser les tabous, de déconstruire et ensuite de favoriser le partage d'expériences. Prenons l'exemple des jeunes filles qui croient que lorsqu'elles commencent à avoir leurs règles, si un garçon les touche, elles tombent enceintes. C'est cette notion qui circule depuis longtemps. Il est essentiel de résoudre l'omerta sur cette question et de transmettre les informations pertinentes. Selon nous, il est primordial de proposer un lieu de discussion, de sensibilisation et de réseautage. Il ne faut pas négliger les échanges intergénérationnels afin qu'elles se rendent compte qu'elles ne sont pas les seules à faire face à ce phénomène, qu'il s'agit d'un phénomène naturel et que nos mamans, nos grand-mères et d’autres femmes sont passées et certaines continuent de vivre ce phénomène naturel. Par la suite, notre objectif est de mettre en place un cadre de réflexion sur les mesures à prendre pour lutter contre la précarité menstruelle en Côte d'Ivoire.

Je suppose qu’avec l’État et d’autres parties prenantes, vous aviez aussi des objectifs en initiant le festival. 

Salematou : Oui. Comment peut-on les amener, au niveau de l'État, à voir la question de la précarité menstruelle comme un problème social important ? Comment peut-on faire face à tout cela ? Afin de répondre à toutes ces questions, nous avions besoin d'un grand nombre de personnes et d'un environnement propice à la discussion. 

Il existe des traces de serviettes en Côte d'Ivoire, ainsi que des traces de coupes menstruelles. Actuellement, le tampon n'est pas fabriqué, mais il est commercialisé ici. Par conséquent, comment les rassembler dans le même espace avec les professionnels de la santé ? Car fréquemment, la question de la composition des protections hygiéniques se pose. Comment peut-on les rassembler, susciter des débats et trouver des solutions ? Voilà nos objectifs au départ de ce festival.

Cette année, c'est la deuxième édition du festival. Comment s'est passée la première édition ? Comment les gens l'ont-elle accueillie ? 

Salematou : Le premier jour, dès que nous avons commencé à en parler, les gens disaient : "Attendez, un festival sur les menstrues, les règles... un festival ? Les deux ne collent pas. Quand on va à un festival, c'est pour danser, c'est pour s'amuser. Mais vous ajoutez menstrues à côté. Non, non, non, non, non. Il va falloir que vous nous expliquiez l'idée qui est derrière."

C'est vrai ! J'ai eu la même réaction aussi. Mais plutôt dans le sens de : "Oh, voilà un espace où on peut parler de choses sérieuses avec joie." J'adore ! Personnellement, je suis fatiguée des symposiums, des espaces lourds. 

Salematou : Et c'était précisément cela, en réalité. Nous avons convenu que, fréquemment, nous organisons des panels, des webinaires, des événements de discussion. Cependant, lorsque l'on souhaite rassembler les jeunes aujourd'hui et obtenir une majorité, il est nécessaire de les impliquer, de faire ces activités dans les espaces où ils se trouvent. Et les festivals, même le simple nom, suscite l'intérêt. La première édition a eu lieu à l'Agora de Koumassi, qui reste un lieu de rassemblement et de vie commune. Il existe de nombreuses écoles à proximité, des quartiers et des jeunes. Les jeunes sont arrivés et manifestaient un vif intérêt pour les activités. Il y avait des activités ponctuelles et des activités fixes.

Par exemple, nous avions l'atelier de peinture pour lequel nous n'avions pas pu accueillir un grand nombre de participants, la participation était limitée. Beaucoup de jeunes n’ont pas pu prendre part. Nous avons décidé de nous rattraper pour la deuxième édition.

Qu'est-ce qui t’a marqué personnellement lors de cette première édition ? 

Salematou : Ce qui m'a le plus marqué, lors de cette édition, c'est l'arrivée de l'adjoint au maire de Koumassi, à qui nous avions envoyé un courrier. Il est arrivé et a visité les stands. A la fin du festival, nous avons déposé le rapport et durant nos discussions, nous avons décidé de revenir dans la commune pour la deuxième édition. C'est un bon début de collaboration et d’engagement de la part des autorités.

Et toi Aude ?

Aude : Ce qui m’a personnellement marqué, c’était l’engagement des jeunes filles que j’ai vues. On avait des jeunes filles de 9 ans, 10 ans, 11 ans qui étaient vraiment impliquées, qui écoutaient les panels, qui se retrouvaient à poser des questions. Et surtout, on avait une salle spéciale qu’on a appelée « la salle des expériences » où chacune devait venir raconter son histoire, une anecdote avec ses menstruations. Il y avait tellement d’histoires tellement choquantes et surprenantes que je me suis dit, franchement, c’était une très belle idée de faire ce festival-là et on a vraiment libéré la parole.

C’est quoi la salle des expériences ?

Salematou : Il s'agit d'une salle vide où l'on dispose d'une table centrale avec des papiers, des stylos, ainsi que des cordes à linge déjà placées en haut, puis des pinces. Ainsi, lorsque tu arrives, tu prends un papier, de toutes les teintes, la couleur qui te convient. Tu choisis la couleur de stylo qui te convient le mieux, dans laquelle tu te sens le mieux. Tu nous fais part de ton expérience avec les menstruations de manière anonyme. De manière anonyme. Et une fois que tu as terminé, tu prends ta pince et tu la mets sur l'une des cordes. La proposition consiste à ce que les filles qui arrivent ensuite dans la salle puissent regarder, lire les expériences et se dire : tiens, je ne suis pas la seule à vivre cette expérience. Il y a déjà cette autre personne qui a vécu cette expérience. C'est un peu ça la salle d'expérience.

C’est magnifique ! 

Salematou : Oui. C’est une trouvaille, une pépite qu'Amandine nous a dégoté. C’est mon coup de cœur dans ce festival, parce que chaque année, les expériences qu'on recueille dans cette salle, c'est tout simplement magnifique.

Aude : L’autre chose qui m’a marqué aussi, c’est l’impact du festival. L’un des projets sur lesquels je travaille, c’est le projet Club Rouge. Via ces clubs, on organise une série d’ateliers dans les établissements où je discute avec des jeunes filles particulièrement. Ces jeunes filles-là ont été invitées à la première édition. Et ensuite, quand je suis retournée dans ces établissements, leurs copines venaient me dire "Ah, mais nous, on n’a pas été invitées. Voici ce qu’on a eu comme retour de nos copines à propos du festival. Vraiment, on aimerait participer. On a beaucoup de choses à dire. Déjà, nous, dans notre établissement, on n’a pas de toilettes. Donc, on ne peut même pas se changer quand on a nos menstruations." Donc il y a eu un retour parce que ces jeunes filles qui ont participé sont revenues partager ce qu’elles ont reçu avec leurs copines, ce qui a aussi motivé leurs copines à parler également.

On parle souvent des menstrues, mais c'est très rare qu'on entend parler des menstrues d'un point de vue féministe. Quelle est la contribution du festival en ce sens ? 

Salematou : Déjà, le festival est organisé par deux organisations féministes. Le cadre est bien posé. On ne peut pas dissocier les deux, les menstruations et le féminisme. On adresse une question qui concerne les femmes et les filles. Nous ne pouvons pas laisser les autres parler pour nous. Nous ne pouvons plus continuer à laisser les filles sans la bonne information. Il faut qu’on explique aux filles ce que c’est, renforcer leur confiance, leur estime en elles-mêmes et leur dignité. Nous devons déconstruire les mythes ou toutes ces idées reçues que nous impose la société. Vraiment être dans quelque chose et construire cela. Et ce festival, c'est aussi pour créer, pour impulser l'esprit féministe aux filles.

Tu parlais de dignité. Je vois de plus en plus “dignité menstruelle” à la place de “hygiène menstruelle". Pourquoi ?

Aude : Depuis toujours, on a tendance à dire « hygiène menstruelle ». En parlant d’hygiène menstruelle, on est en train d’apporter une vision hygiéniste aux menstruations. C’est comme accepter que les menstruations sont sales. C’est comme accepter que les menstruations, c’est quelque chose qu’il faut nettoyer, ce n’est pas propre. On parle de dignité menstruelle parce que c’est quelque chose de normal, de naturel. Dans certaines communautés, on voit que les règles sont célébrées. Nous ne voulons pas renforcer les idées reçues sur les menstruations. Pour nous, les menstruations, ce n’est pas sale. C’est quelque chose de complètement naturel. C’est un renouvellement du cycle. Voilà pourquoi on parle de dignité menstruelle.

En effet, le terme "hygiène menstruelle" sous-entend que les menstruations sont intrinsèquement sales ou honteuses, ce qui contribue à la stigmatisation. Utiliser "dignité menstruelle" aide à combattre ces tabous et à mettre en avant le fait qu'il s'agit aussi de garantir que toutes les personnes menstruées aient accès à l'éducation, aux produits menstruels et aux installations sanitaires sans discrimination. Est-ce que le festival offre aussi un espace ou un cadre pour parler de sexualité en général ?

Salematou : Oui. Tu connais les ateliers du Minou Libre ? On va animer un atelier Minou Libre pendant le festival. Et puis en même temps, il y aura des cercles de paroles et des panels sur différentes thématiques liées à la santé sexuelle et reproductif. 

Super. Quelles sont les activités prévues pour cette deuxième édition ? 

Salematou : D’abord, cette année, ce sera au foyer des jeunes de Koumassi. C'est la mairie qui nous a proposé cet espace-là. Pour les activités fixes, on a les ateliers, la salle des expériences, le couloir des expositions, où les partenaires, les organisations qui travaillent dans la santé sexuelle et reproductive viennent exposer et discuter avec les festivaliers. Il y aura cette année des ateliers couture, peinture et sculpture. On a également un shop avec des tasses, des mugs, des tote bags qu'on va vendre. L'idée derrière, c'est de pouvoir collecter des fonds et rénover les toilettes dans les établissements, les collèges et les lycées surtout, pour permettre aux jeunes filles d'avoir des espaces safe en toute sécurité et en toute dignité, que ce ne soient pas des toilettes qui soient mixtes. Et puis, on a la salle "Nous". C’est une salle de repos, de réseautage. On sait que quand on vient à un festival du matin au soir, parfois, on est fatigué. On peut avoir un coup de mou. Donc, vraiment, on a aménagé une salle où tu peux aller te reposer, networker, discuter, mais vraiment de façon très intime et très safe. Ça, ce sont les activités fixes.

Maintenant, sur les activités temporaires, il y a les panels, les discussions avec les experts. Il y a des cercles de parole avec un petit groupe très intime et puis, évidemment, on a notre soirée de présentation de la production des initiatives, des organisations qu'on a appelées "Period party". Parce que quand on dit festival, on dit quand même musique et danse. On va s'amuser, on va danser.

C’est très intéressant.

Aude : Oui. Les 25 et 26 mai au festival Mes Menstrues Libres, ce sera top. On va libérer la parole. Le premier jour, c’est ouvert à tout le monde et on aura des panels comme l’an dernier. On aura des activités qui visent à démystifier les menstruations. Ensuite les ateliers entre femmes, partager nos expériences, en tout cas, libérer la parole. On va parler des initiatives qui sont mises en place dans le contexte de lutte contre la précarité menstruelle. On va se partager leurs bonnes pratiques, s’en imprégner, s’en inspirer. 

Salematou : L’autre chose intéressante, cette année, c'est qu'on aura une charte féministe. Cette charte-là va nous aider à pouvoir gérer, ou si tu veux, cadrer tout ce qui va se faire au niveau du festival, que ce soit les propos, les gestes, les commentaires. Tout doit se passer dans un esprit féministe. La charte sera présentée aux participantes, à tous nos partenaires. Nous avons aussi avancé dans la construction scientifique du festival. Qu’est-ce qu’on peut faire ? De quoi on peut parler ? Nous avons pensé à nos sœurs féministes des autres pays pour nous apporter leur lumière, co-créer. Cela montre aussi tout ce à quoi on réfléchit pour consolider le festival.

Quels sont les défis que vous avez rencontrés dans l’organisation du festival ?

Salematou : Je pense que l'un des gros défis quand on organise un festival de cette envergure, c'est d'abord financier. Les partenaires réagissent, on va dire, un peu tardivement. La première édition, ça a été très difficile parce que certains partenaires ont réagi dans la semaine du festival. Et pour nous, quand tu sais que tu dois faire des productions, que tu dois lancer des commandes, c'est un peu complexe. Ensuite, c'est le temps. Parce que le temps joue contre nous. Parfois, on a l'impression qu'il nous reste assez de temps. Et après, on se rend compte qu'il ne reste plus beaucoup. Là, on sait que le festival, c'est la semaine prochaine. Et je te dis, c'est full.

Est-ce que vous avez d’autres projets avec le festival ? Comme d'étendre le festival à d'autres pays, par exemple ?

Salematou : Oui, on a l'idée. Par exemple, avec Amandine, on est en train de réfléchir en ce moment. Là, on a fait la première et la deuxième édition en Côte d'Ivoire. La troisième édition, si on a des partenaires qui nous suivent, pourquoi ne pas le faire dans un autre pays ? Je garde la surprise. 

Quel est le plaidoyer du festival à l’endroit des décideurs ? 

Salematou : Nos priorités en matière de Droits et Santé Sexuels et Reproductifs (DSSR) sont nombreuses. Nous utilisons le cadre de ce festival pour pousser ces plaidoyers. On parle de l’impératif d'avoir un cadre légal dans lequel les filles et les femmes sont aptes à jouir de leurs libertés et de leurs droits en matière de santé sexuelle et reproductive. Parce que cela constitue un frein en Côte d'Ivoire. N'ayant pas de cadre juridique légal, on va dire que tout est biaisé. On a ce vide juridique-là. La deuxième priorité, c'est l'information sur la santé sexuelle et reproductive. Les jeunes n'ont pas très souvent la bonne information. Ils ont l'information, mais pas la bonne information en ce qui concerne leur santé sexuelle et reproductive. Donc pour nous, c'est aussi une priorité que les jeunes soient informés, qu'ils puissent prendre des décisions éclairées sur leur santé sexuelle et reproductive. Et l'autre priorité, c'est en lien avec le premier, c'est d'intensifier et d'engager les autorités, les gouvernants à prendre en compte la santé sexuelle et reproductive dans leur agenda et se dire que c'est vraiment une priorité, c'est une question de santé publique.

Aude : Nous avons invité des décideurs au festival parce qu’on veut des actions concrètes dans la lutte contre la précarité menstruelle. Nous montrerons un aperçu de ce qui est fait lors du festival tout en exigeant plus d’actions. 

Il y a une question qu'on pose souvent aux personnes qu'on reçoit pour les conversations à Eyala. Quelle est votre devise féministe ? Une pensée, une phrase, une citation, quelque chose qui vous anime en tant que féministe.

Salematou : Alors, je pense que chez moi, ma devise, elle change parce que j'en ai plusieurs. Déjà, je me dis que toutes les filles et les femmes doivent avoir accès à leurs droits en santé sexuelle et reproductive. Moi, je rêve d'un monde où toutes les filles et les femmes jouissent de leurs droits en santé sexuelle et reproductive, ça c'est la première chose. Autre devise, amour parce qu’il faut de l'amour, de la sororité et de l'intersectionnalité. Il faut qu'on arrive à adresser ces trois points ensemble. On est dans un monde, dans un système qui évolue certes, mais est-ce que le monde évolue selon notre conviction ? Est-ce que ce monde évolue selon ce que nous, on veut ? Nous devons faire mouvement ensemble. Et chez moi, c'est la sororité, c'est l'écoute, c'est l'empathie, le respect, la bienveillance, l'ouverture d'esprit, et tout est englobé dans l'amour. L'amour nous rend fortes. L'amour nous rend puissantes et épanouies.

Exactement. Nous avons trop besoin d'amour et de sororité dans nos mouvements en ce moment avec tout ce qui se passe dans le monde. Je ne pense pas que nos chances d’y arriver seront grandes sans amour et bienveillance dans nos mouvements.

Salematou : C'est ça et c'est à nous de le construire. 

Et toi Aude ? 

Aude : En tant que féministe, pour moi  c’est mon corps, mon choix. Moi, je me dis, en tant que femme, on doit être libre d’avoir nos propres choix concernant notre corps, parce que c’est avant tout notre corps. On est dans l’objectif de lever ce système qui impose aux femmes ce que la société veut. Donc, moi, mon credo en tant que féministe, c’est mon corps, mon choix.

C’est ce que je souhaite de toutes mes forces aux femmes : que nous puissions nous appartenir, et entièrement.

Merci à vous. Ce fut un plaisir. Bon vent au festival Mes Menstrues Libres. 

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Afrifem en Action : Amandine Yao et Meganne Boho partagent l'expérience de la campagne féministe #CANSafe pour la CAN 2024 (Côte d'Ivoire)

Nouvelle interview de notre série Afrifem en Action qui met en lumière les initiatives, les actions et les mouvements créés et dirigés par et pour les féministes africaines.

Nous parlons avec Amandine Yao et Meganne Boho, toutes de la Côte d’Ivoire à propos de la campagne #CANSafe initiée par le collectif Voix Féministes d’Afrique Francophone dont elles font partie, dans le cadre de la Coupe d'Afrique des Nations de football 2023 qui s’est déroulée du 13 janvier au 11 février 2024.

(Avertissement : Cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer les personnes qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.)

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Bonjour à vous deux. Merci de vous présenter.

Amandine : Je m’appelle Amandine Yao, militante féministe ivoirienne. Je suis présidente d’une organisation qui s’appelle Gouttes Rouges qui lutte contre la précarité menstruelle et l’illettrisme autour des menstruations. Nous travaillons avec les jeunes filles dans les lycées notamment grâce à la création de clubs de jeunes filles et de camps de vacances dans les établissements scolaires et les quartiers. Professionnellement, je suis Social Media Manager et j’aime dire que je travaille pour des marques éthiques et très cool.

Meganne : Je suis Meganne Boho, présidente de la Ligue des droits des femmes et aussi promotrice de la marque “Féministes Radicales” ou “Radical Feminists”. Je suis présidente de la Ligue des droits des femmes depuis 2020. Nous travaillons principalement sur le féminisme. Nous faisons la promotion du féminisme. Nous travaillons également sur la question des violences faites aux filles et aux femmes et sur l'empowerment des femmes. Depuis que nous travaillons sur ces questions-là, nous avons pu aider plus de 2000 femmes en Côte d'Ivoire dans les zones rurales et dans les zones urbaines.

La Côte d'Ivoire était l'hôte de la CAN de cette année. Avez-vous assisté à des matchs au stade pendant le tournoi ? Si oui, comment avez-vous trouvé l'ambiance et l'expérience ?

Amandine : C’était ma première expérience au stade. Je n’avais jamais été au stade de ma vie. Je n’ai pas grand intérêt pour le football. Mais la CAN est une fête qui réunit presque toute l’Afrique, donc on profite pour célébrer aussi. L’ambiance à Abidjan pendant la CAN était très bien. On sent la fête, il y a des villages CAN, plusieurs filles se déplacent pour aller voir les matchs aussi. C’est une belle expérience. Maintenant, en tant que femme, comment est-ce que je me suis sentie au stade ? C’est comme dans la vie de tous les jours. On se sent regardé, on a l’impression d’être de la viande, un produit. C’est l’endroit pour eux pour “chasser”, comme ils disent. Ce n’est pas forcément safe pour les femmes. J’étais accompagnée. Je me suis rendue au stade en me disant que je suis accompagnée et que rien ne va se passer. Il s’est passé quelque chose quand même. Les gens se sont permis de venir m’agripper, de me toucher et puis de s'enfuir après. Soi-disant que c’est l’euphorie, les gens infligent des attouchements aux femmes dans les espaces comme ça.

Meganne : Je suis allée au stade pendant la CAN, je crois dans 4 stades. Je suis allée au stade de Bouaké, de Yamoussoukro, au stade Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan et au stade Ebimpé d’Abidjan. C'était vraiment festif. Les forces de l'ordre étaient déployées. Je n’ai vraiment eu aucun problème au niveau de la sécurité extérieure, mais j'ai vécu une situation assez délicate. Au stade de Bouaké, j'ai été agressée par mon voisin d'à côté qui, pendant la célébration d'un but, a effectué des attouchements sur moi. Et on va dire que j'ai été bloquée la première fois. La deuxième fois, lorsqu'il a essayé, j'ai été stricte. Je lui ai dit de ne pas me toucher. Et ça m'a un peu cassé parce qu'après, je n'ai plus envie d'aller dans les stades seule. J'ai toujours été accompagnée lorsque j'allais dans les stades.

On voit à quel point les femmes ne sont pas en sécurité en ces moments. C’est pour prévenir ces agressions que la campagne #CANSafe a été initiée par le collectif Voix féministes d’Afrique francophone dont vous êtes membres. Parlez-moi de cette campagne.

Amandine : On nous a parlé de célébration, de football africain, de fêtes, de la CAN la plus chic et tout, mais on sait que ce n’était pas forcément un espace très sûr pour les femmes. On sait qu’il y aura des regroupements et quand il y a des regroupements, il y a malheureusement des risques d’agressions des femmes. Nous en tant que collectif, on a décidé de faire de la prévention en créant la campagne #CANSafe. Quelques membres du collectif dont moi avec l’approbation des membres ont travaillé sur cette campagne. Nous avons réalisé des affiches avec des messages qui ont été partagés en ligne. Notre message était de dire haut et fort que l’hospitalité, la grande hospitalité de la Côte d’Ivoire dont on parlait pour cette CAN, ce n’est pas les femmes.Venez vivre la plus belle fête du football sans prendre les femmes pour le trophée.

Comment vous vous êtes organisées pour concevoir et travailler ensemble sur la campagne #CANSafe ?

Meganne : Nous avons travaillé d'abord sur le brainstorming par rapport aux messages qu'on voulait vraiment faire passer. On a travaillé sur les questions de consentement, violence sexuelle et de violence physique. Ensemble, on a sorti les messages. Amandine est notre experte en communication digitale. C’est elle qui a fait des visuels qui ont été vulgarisés partout sur les réseaux sociaux. On a diffusé les numéros utiles pour les personnes qui auraient besoin d'aide. Par exemple, le numéro de la police, le numéro vert du ministère de la Femme, le numéro de la Ligue, le numéro de CPDFM… Ce sont des organisations qui interviennent dans la prise en charge des cas de violences faites aux femmes et aux filles.

Au niveau de la Ligue des droits des femmes, on a publié ces messages en ligne sur tous nos canaux. On a imprimé les messages sur les t-shirts qu'on a portés dans les stades. Des personnes de l’organisation ont participé à des marches avec d'autres associations qui travaillent sur la question des VBG. Nous avons aussi participé à une activité de sensibilisation à l'Agora de Port-Bouet ici à Abidjan pour permettre aux jeunes de comprendre la campagne #CANSafe.

Notre message était de dire haut et fort que la grande hospitalité de la Côte d’Ivoire dont on parlait pour cette CAN, ce n’est pas les femmes.

On a vu que les messages qui ont été amplifiés en ligne. Pensez-vous que ces messages ont touché beaucoup de personnes ? Y a-t-il eu un fort engouement pour les amplifier, et cela a-t-il joué un rôle significatif ?

Amandine : Oui, les messages ont été amplifiés et ça a même permis à d’autres personnes de pouvoir témoigner de ce qu’elles avaient subi comme agression dans les stades ou lors d’autres événements et regroupements. On a eu un témoignage d’une agression qui s’est passée, je crois, il y a deux ou trois ans, d’une femme dans un hôtel.

J’ai écouté son témoignage lorsqu’elle l’a partagé via ses stories Instagram.

Amandine : Voilà. Les messages de la campagne #CANSafe ont également été partagés par des personnes qui sont suivies par des millions de personnes et tout. 

Meganne : Nous avons vu que la campagne a été vraiment suivie. Nous avons eu beaucoup de retours des populations, des institutions qui ont dit qu'ils avaient suivi ce qu'on avait fait au niveau digital, mais aussi au niveau physique. Au début, quand on a lancé la campagne #CANSafe, on a eu beaucoup de retours négatifs, principalement des hommes qui disaient qu'on exagérait, qu'on en faisait trop, qu'on allait gâcher la fête avec des choses inutiles, mais on a tenu à rester ferme parce qu'on savait ce que c'était la violence liée à des périodes festives, liées au football ou au sport. Il y a des études qui ont été menées sur la question. L'année passée, il y a eu une collaboratrice de la Ligue qui a été agressée au Sénégal lors de la célébration de la CAN au Sénégal.

Son témoignage et celui d’une autre femme ont été partagés. Il y a un article et une vidéo de BBC dans laquelle des femmes racontent comment elles ont été agressées lors des célébrations de la victoire du Sénégal. 

Meganne : Ces choses ne sont pas éloignées comme les gens pensent. En continuant la campagne, on a vu que des gens ont commencé à prendre conscience que ça existait quand il y a eu des personnes qui ont été agressées, des filles qui ont été agressées. On a même eu en direct un monsieur qui a harcelé une dame pendant une victoire de la Côte d'Ivoire. Ça avait pris une ampleur lorsqu’une chaîne de télévision a voulu inviter cette personne-là sur le plateau.

Amandine : Les médias ne parlent pas des agressions jusqu’à ce que quelqu’un agresse. Et c’est l’agresseur qu’on met en tête d’affiche pour parler à la télévision. C’est impardonnable.

Meganne : On a fait, on va dire, une contre-campagne de masse sur internet. On a tagué le média et dénoncé ça. Finalement, ce qui était censé être un plateau de moquerie et tout, avec le coup de pression qu'on a mis, a changé automatiquement sa ligne conductrice et a été un plateau où on a essayé de faire de la sensibilisation sur la question. Ça prouve que la campagne a porté ses fruits parce que des gens ont compris qu'il y a des choses qui n'allaient pas se faire. Des gens ont compris que la Ligue et toutes les organisations étaient sur pied, on va dire, de guerre entre griffes parce qu'on surveillait les réseaux sociaux, on était disponible pour aider les survivantes au cas où.

Cette campagne m'a permis aussi de me sentir en sécurité, parce que lorsque je portais mon t-shirt et que je rentrais dans un stade, sur mon t-shirt il y avait déjà tout ce qu'il fallait que tu saches en tant que personne ou possible agresseur, parce qu'il y avait déjà le message que je voulais faire passer. Ça m'a permis aussi de sensibiliser mon entourage direct qui ne comprenait pas vraiment l'importance de cette campagne. Avec ce que j'ai vécu moi dans les stades, ce que des amis à moi ont vécu, ils se sont rendus compte que vraiment on n'exagérait pas du tout. 

Est-ce que la campagne #CANSafe a amené les autorités à renforcer les mesures qu’elles avaient déjà prises à leur niveau pour la sécurité dans le cadre de cette CAN ?

Amandine : Oui, il y a eu des efforts en tout cas. Le gouvernement ivoirien a profité du moment de la CAN pour mener une campagne de sensibilisation contre les violences basées sur le genre nommée « carton rouge au VBG ». Au début, on n'avait pas le bouton pour dénoncer les violences sur l’application du COCAN. Cela a été pris en compte au fur et à mesure qu’on amplifiait les messages de la campagne #CANSafe. Par contre, je ne l'ai pas testé, je ne sais pas si ça a marché. Je sais que le numéro déployé là, le 1308, il ne fonctionne pas. Il a fonctionné la première journée, après il n’a plus fonctionné.

C’est pourquoi, sur les affiches de la campagne #CANSafe, nous avons mis les numéros des organisations Stop Au Chat Noir, de la Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes et de la police. L’autre impact de la campagne #CANSafe, c’est qu’on a vu d’autres organisations en Côte d’Ivoire aussi faire des campagnes dans ce sens. Donc nous, on se dit que le message est passé. Les organisations qui ne sont pas féministes se sont alignées dessus pour amplifier le message.

Si vous aviez la possibilité de faire plus dans le cadre de cette campagne ou de proposer des actions pour garantir la sécurité des femmes dans le cadre de cette CAN, qu’est-ce que vous auriez fait ?

Meganne : Lorsqu’on a su que la CAN arrivait en Côte d'Ivoire, avec mon équipe à la Ligue, on avait une idée. C'était d'avoir des stands dans les stades, des stands de sensibilisation, des stands de prise en charge, en fait, au cas où il y aurait des cas de violence. J'ai essayé dans les débuts d’approcher des personnes qui travaillaient sur la question au niveau du ministère des Sports. Ça n'a pas pu se faire. L'idée au début, c'était d'avoir des banderoles énormes dans les stades, d'avoir des stands, de pouvoir dérouler des messages de sensibilisation dans les stades. Je pense que si on avait assez de sous, assez de financement, on aurait fait ça. On se serait mis dans les stades, on aurait fait des convois pour aller rassurer les femmes dans les stades, se dire vous n'êtes pas seules, s'il y a quelque chose, vous pouvez nous appeler. C'était en fait le projet d'origine, mais ça n'a pas pu se faire pour faute de moyens. 

Amandine : Dans les mesures, parce qu’on a vu toutes les mesures qui ont été prises et qui ont été communiquées aux festivaliers et amoureux du football qui se rendaient en fait au stade, on aurait pu mettre des messages de sensibilisation sur les agressions sexuelles. On aurait aimé voir ça dans les interdits du COCAN. En tout cas, à ce niveau-là, tout le monde n’est pas sur internet et tout le monde n’a pas l’application. On aurait pu avoir aussi un espace dans les stades, pouvoir communiquer directement, que ce soit avec les femmes ou que ce soit avec les hommes, de la situation et de leur parler de cette culture d’agression qui règne quand il y a des festivités comme ça. Ça aurait été bien d’être sur place pour sensibiliser, mais on n’a pas pu. Néanmoins, il y a une ONG qui s’appelle BLOOM qui a créé un espace safe dans les villages Akwaba.

C’est quoi les villages Akwaba déjà ?

Amandine : Ce sont les villages qui sont déployés à Abidjan comme à l’intérieur du pays avec un écran géant pour aller regarder le match pour ceux et celles qui ne peuvent pas aller au stade. Donc, l’ONG BLOOM avec d’autres organisations ont créé dans ce village un espace safe où quand tu pars, tu es sensibilisé sur les questions liées aux VBG. C’était à Abidjan et Koumassi. On aurait aimé avoir un espace safe dans presque tous les villages Akwaba. Ça aurait été plus impactant et plus intéressant. Il y avait beaucoup de choses qu’on aurait pu faire d’autre. Comme occuper les médias, en parler.

Quel message souhaitez-vous adresser aux autorités concernant l'importance de la collaboration entre les institutions publiques et les organisations de la société civile dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles ?

Meganne : Si j'avais un message à adresser aux autorités, ce serait de donner de la place, de collaborer le plus souvent avec les organisations de la société civile. Parce que c'est important de mettre sur la table ce qu'on sait, nous, et ce qu'ils savent, pour qu'ensemble nous puissions arriver à renforcer les moyens de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles.

Mon message à ces autorités, serait de continuer à renforcer les moyens de répression contre les agresseurs, contre les criminels, contre les violeurs. Il faut qu'on continue de mettre nos efforts ensemble. Il faut qu'on accentue la formation sur les agents de santé, les agents de police, les agents de gendarmerie, parce que c'est comme ça qu'on pourra, à chaque niveau, déconstruire cette société patriarcale, parce que lorsque des femmes vont à la police et ce sont les mêmes hommes sexistes qui y sont, c'est un problème. Donc, il va falloir qu'on puisse ensemble se former pour déconstruire, se déconstruire ensemble pour que le bien-être des femmes et des filles en Côte d'Ivoire soit une priorité.

En voyant la campagne #CANSafe, j’ai réfléchi loin. Je me suis dit aussi que les grands événements peuvent devenir des plateformes qui prennent la responsabilité de sensibiliser parce qu’il y a une audience assez très large. Est-ce que vous voyez des perspectives dans ce sens par exemple pour les éditions à venir ?

Meganne : Je pense qu'il faut s'intéresser à tous les événements, les grands événements, parce que ça offre des opportunités de sensibilisation. La veille de la finale de la CAN, nous, la Ligue, on était à l'agora de Port-Bouët, pour participer à un festival CAN, au village CAN qui parlait un peu de la santé, de la reproduction des jeunes. Nous utilisons chaque opportunité comme ça pour sensibiliser sur la question. Et on était en partenariat avec TACKLE, qui est une ONG qui utilise le sport pour faire de la sensibilisation sur la santé de la reproduction des jeunes et des violences enceintes aux femmes et aux filles.

Et c'est un peu ce que la Ligue fait, c'est-à-dire qu'on essaie de trouver des lucarnes peu importe où, l'endroit, de poser en bas de notre kakemono, d'avoir des flyers, de sensibiliser sur la question. Et je pense que pour les prochaines fois, peu importe l'occasion, il y a plusieurs événements en Côte d’Ivoire qui se déroulent. Par exemple, il y a le Massa, il y a des grands événements et tout. Je pense que pour les prochaines fois, on va continuer de renforcer notre force de frappe pour pouvoir être visible un peu partout sur les grands événements. 

Alors, pouvez-vous me parler du collectif Voix Féministes d’Afrique Francophone ?

Amandine : Le collectif, alors c’est une réunion de sorcières… (rires) de la Côte d’Ivoire, de la Mauritanie, du Bénin, du Mali, du Cameroun, du Sénégal, du Burkina Faso, du Niger, du Togo. C’est un gros collectif de sorcières avec des pouvoirs magiques qui ont décidé de se mettre ensemble, de mettre leurs pouvoirs ensemble pour pouvoir contrer le patriarcat. Voix féministe d’Afrique Francophone s’est constitué à la suite du premier Agora féministe qui s’est déroulé en 2022. Après les rencontres à l’Agora, on a décidé de nous réunir et créer un groupe pour faire mouvement et agir ensemble. 

Et aujourd’hui Voix féministes d’Afrique Francophone, c’est un groupe de plus d’une centaine de féministes. On discute de ce qui se passe dans nos pays, on se nourrit des expériences des autres, on arrive à avoir en fait le soutien des autres féministes. On s’exprime et on arrive à dénoncer. Nous avons déjà mené plusieurs actions ensemble en ligne qui ont porté leurs fruits. Comme le communiqué sur l’affaire d’enlèvement de plus d’une cinquantaine de femmes au Burkina Faso, l’appel au boycott d’une chanson qui fait l’apologie du viol, et la campagne #CANSafe dernièrement.

Meganne : Nous essayons de coordonner nos actions dans nos pays respectifs, mais aussi de coordonner nos actions régionales pour avoir plus d'impact sur les questions du féminisme et les questions des violences faites aux femmes que nous combattons, et les questions des droits des femmes en particulier.

Et pour finir, notre légendaire question : quelle est votre devise féministe chacune ?

Amandine : Pour moi, ce qui est très important en tant que féministe, c’est l’amour. Tout simplement. Aujourd’hui, demain, après-demain. Je pense qu’en tant que personne amoureuse de l’amour, j’ai envie de dire ça comme ça, je suis quelqu’un qui n’écoute pas beaucoup son cerveau et qui écoute beaucoup son cœur. Et je pense que c’est l’écoute de mon cœur qui m’a amenée dans le féminisme. C’est l’amour pour mes sœurs, c’est l’amour pour moi même d’abord, parce que je veux beaucoup mieux pour moi, je souhaite beaucoup mieux pour moi et pas cette case dans laquelle on m’a cantonnée en tant que femme. Et vu que j’ai de l’amour pour moi et que je vise beaucoup plus loin, cet amour-là se déploie aussi pour d’autres sœurs. J’ai de l’amour pour elles et je souhaite le meilleur pour elles et pour moi en tant que féministe. Ce qui compte le plus, c’est cet amour-là qui ne doit pas disparaître dans nos mouvements. Parce que dans tous les mouvements de lutte pour les droits des humains, c’est l’amour au centre. Parce que si tu veux que quelqu’un se sente mieux et que tu veux que la condition de vie de quelqu’un s’améliore, c’est parce que tu as de l’amour pour cette personne-là et voilà. Et c’est l’amour en fait qui régit nos mouvements. En tant que féministe, je me définirais comme très amoureuse. Amoureuse des femmes.

Meganne : Je ne sais pas si c'est une devise, mais je pense que moi en tant que féministe radicale, quand je me lève c'est le féminisme, je bois c'est le féminisme. Je pense que le féminisme c'est un peu ma propre religion. C’est, comme on dit souvent, c'est un ministère de toute une vie pour moi en fait. Je pense que si on m'enlève le féminisme, on m'a tout enlevé. Je suis la femme que je suis aujourd'hui parce que j'ai découvert le féminisme. Je pense que c'est la plus belle histoire d'amour que je n’ai jamais eue avec moi-même, c'est d'être féministe et d'être féministe radicale.

Merci beaucoup à vous deux !

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Afrifem en Action : Bénédicte Bailou présente Femin-In, un mouvement féministe qui promeut la participation des jeunes femmes en politique (Burkina Faso)

Notre série d’interviews Afrifem en Action met en lumière les initiatives, les actions et les mouvements créés et dirigés par et pour les féministes africaines. Dans cette interview, Chanceline Mevowanou discute avec Bénédicte Bailou, une juriste féministe originaire du Burkina Faso, fondatrice et présidente de Femin-In, un mouvement féministe qui travaille pour plus de femmes en politique. 

Bonjour Bénédicte. Merci de prendre le temps de discuter avec nous. Peux-tu te présenter ?

Je suis Bénédicte BAILOU. Je suis juriste, spécialiste des questions liées aux droits des femmes et violences basées sur le genre (VBG).  Je suis du Burkina Faso et je vis à Ouagadougou. Je suis la Directrice Exécutive de Fémin-in, une organisation féministe et de jeunesse du Burkina Faso. Je suis également députée désignée à l’Assemblée Législative de Transition (ALT) pour le compte des organisations féminines de la société civile au plan national.

Félicitations pour cette désignation. Députée pour la transition. Est-ce que tu peux expliquer un peu ?

Député.e pour la transition, c’est comme un.e parlementaire, juste qu’on n’est pas élu.e mais désigné.e par nos composantes. Moi je suis la représentante des organisations de la société civile féminine sur le plan national. Donc, ce sont des composantes de la société qui désignent des personnes pour venir siéger à l’Assemblée Législative de Transition, afin de pouvoir faire respecter la constitution, les prérogatives de la constitution, et accompagner le chef de l’État et le gouvernement à la résolution du problème que nous vivons aujourd’hui au Burkina Faso.

Pour toi Bénédicte, c’est quoi être féministe ?

Pour moi être féministe c’est être révoltée. Être révoltée contre le patriarcat qui est un système d’oppression des femmes sur la base d’une supposée suprématie naturelle des hommes sur les femmes. Donc je suis quelqu’une de révoltée. Je suis contre tous les rapports sociaux qui mettent la femme dans une position de subordination. Pour moi c’est ça être féministe.

Tu as dit tout à l’heure dans ta présentation que tu es la directrice exécutive de Fémin-In, qui est une organisation féministe et de jeunesse du Burkina Faso. Quelle est la signification de Femin-In ? 

L’objectif principal qui a conduit à la création du mouvement, c’est la promotion de la participation des jeunes femmes en politique de façon générale et aussi la promotion de la participation citoyenne des jeunes femmes. Donc Fémin-in veut dire « Fémin » pour femmes, « In » pour “dans”. Pour dire “Les femmes dans…la politique”.

Comment Femin-In est née ? 

L’idée de Femin-in est née au début de l’année 2017. J’avais participé à un programme de leadership féminin. Ce programme m’a aidé à mettre le point sur ce que je voulais faire, la vision que j’avais de ma vie et ce que je pouvais apporter à ma communauté. Ensuite j’ai rencontré notre secrétaire générale actuelle lors d’un forum et on a réfléchi ensemble. On avait la même façon de voir les choses. On dit que les jeunes femmes ne sont pas suffisamment engagées en politique. Pourtant, ce n’est pas vrai. Il y a cette présomption d’incompétence qu’on attribue aux femmes automatiquement quand elles sont promues. Pour combler ça, pour qu’on ne dise plus aux femmes qu’elles ne sont pas compétentes, on a qu’à les former à la chose politique. On va le faire et aussi on se forme en même temps, parce que nous avons des ambitions politiques dans ce pays-là. C’est ce qui a motivé la création de Femin-in. 

Inspirant. Comment Fémin-In a commencé ses actions alors pour plus de jeunes femmes en politique ? 

Femin-In a été lancé en 2019 après la phase d’idéation. Nous avons la reconnaissance légale depuis le 06 Novembre 2021. Nous avons fonctionné depuis 2019 sans reconnaissance légale. Mais les réalités nous ont fait…On va dire nous ont un peu obligées. Les réalités nous ont un peu forcé à faire la démarche de l’enregistrement légal. Nous avons commencé les actions en mettant en place un programme d’incubation qui offre aux jeunes femmes qui veulent s’engager une formation sur un an. Pour démarrer, on s’est rapproché d’une grande sœur qui travaille aussi pour la promotion de la participation politique de la jeune femme. Elle nous a donné des conseils, nous a montré comment nous pouvons agir.  Nous avons ainsi lancé le programme. 

Comment se passe le programme de façon concrète ? 

Nous commençons par un appel à candidatures pour des jeunes filles et jeunes femmes de 18 à 35 ans. Lorsqu’on finit de faire le recrutement, il y a la première phase d’entretien. Puis la formation de façon pratique. Parce qu’on n’a pas des financements pour ce programme-là, on se rapproche des formateurs et formatrices qui sont convaincus de la nécessité de capaciter les jeunes filles et aussi qui épousent la vision de Femin-In. Nous les contactons, nous demandons à ce qu’ils•elles mettent leur temps à la disposition de ce programme pour les formations. Lors du programme, les participantes sont formées sur la rédaction des discours, la communication politique, l’analyse des programmes politiques des candidats et candidates. On travaille les samedis et en ligne. Parce que nous avons des participantes qui ne sont pas à Ouagadougou. 

Et est-ce qu’à la fin de l’incubation, il y a d’autres actions avec les participantes en matière de suivi ? 

Oui, on fait un suivi. Au cours de l’incubation, on a un programme de mentorat. C’est-à-dire qu’on met les jeunes filles en contact avec des hommes et des femmes engagé.e.s en politique, pour qu’elles puissent toucher du doigt la réalité des choses. Parce qu’il ne sert pas de former et de les laisser. Le programme de mentorat rentre dans le cadre du suivi que nous faisons. Il y a aussi des missions terrain qu’on fait comme des visites auprès des municipalités, au parlement pour que les jeunes filles puissent voir. Pour la première édition du programme d’incubation, nous sommes parties avec quinze jeunes femmes. Parce que nous estimons que quinze jeunes femmes, c’est un nombre qu’on peut suivre après le programme. Le suivi peut se faire sur cinq ans. Notre objectif c’est d’aller avec le moins de personnes, mais d’avoir des résultats palpables. 

En 2021, on devait avoir les élections municipales et législatives. On avait des incubé.e.s de notre programme qui voulaient se présenter à ces élections. Certaines avaient rejoint des partis politiques et voulaient participer à ces élections en tant que candidates. Malheureusement, la situation politique devenue problématique dans notre pays a fait que les élections ont été annulées. Elles n’ont pas pu se présenter.

Très intéressant à savoir. Vous êtes déjà à combien d’éditions de ce programme ?

C’est juste la première édition que nous avons faite en 2021. On est en train de réorienter le programme. Parce qu’on s’est rendu compte qu’une année, c’est lourd pour les filles. On est en train de revoir le format. En 2023 nous allons relancer. 2022 a été une année pour solutionner toutes les lacunes de la première édition.

Quelles sont les défis que vous avez rencontrés pour la mise en œuvre de ce programme  ?

Femin-in c’est une organisation féministe. Dès le départ, la couleur était déjà donnée. Fémin-In est féministe, Bénédicte est féministe, toutes celles qui sont à Femin-In sont des féministes. Donc, le premier défi qu’on a eu c’était la compréhension du mot féministe, l’acceptation du mot féministe dans notre société. 

On a eu beaucoup d'attaques, de cyber harcèlements. On continue toujours à le vivre, mais on va dire que malheureusement on s’est habitué. Ce n’est plus quelque chose d’exceptionnel. Le deuxième défi c’était la participation politique des femmes. Pourquoi est-ce qu’on veut que les femmes participent ? Pourquoi est-ce qu’on veut que les femmes occupent les postes de responsabilité ? Pourquoi est-ce que les femmes doivent être présentes dans les sphères de décision ? Les responsabilités traditionnelles des femmes dans les partis politiques c’est chargée à la mobilisation, chargée à la restauration, chargée de la trésorerie. Ça, c’était le deuxième défi, faire accepter à la société que les femmes doivent participer, ont leur mot à dire, leur partition à jouer aussi dans le développement du Burkina. 

Pour surmonter ces défis et pour la mise en œuvre en général du programme, vous avez eu du soutien des  femmes aînées qui sont déjà dans le milieu politique au Burkina ?

On va dire oui, en général…Il y a eu quelques-unes qui n’étaient pas disponibles pour nous accompagner, parce qu’elles estimaient que l’idée devrait venir d’elles. Mais dans le grand nombre de soutien qu’on a eu, c’est vraiment des gouttes d’eau dans la mer de soutien qu’on a reçu. On a eu beaucoup de femmes qui nous ont soutenues, beaucoup de devancières qui nous ont portées, qui nous ont fait rencontrer des personnes formidables, qui ont été des mentors pour nos jeunes incubées. 

Comment est-ce que tu penses que la collaboration intergénérationnelle peut aider à pousser le travail de participation politique et citoyenne des jeunes femmes que Femin-In fait  ? 

La collaboration intergénérationnelle est une belle chose hein. Elle est importante parce que ça permet aux jeunes, aux plus jeunes, de voir les réalités, de connaître les réalités et aussi d’éviter les erreurs, d’éviter de commettre les erreurs que ces devancières-là ont faites.

Mais je pense que le problème qu’on a franchement pour avoir l’accompagnement des devancières, c’est la communication. Parce qu’elles ne voient pas forcément les choses de la même façon que nous. Certaines voient toujours les choses sous le prisme de l’après-colonisation. Enfin, je veux dire des indépendances, des réalités des indépendances. Pourtant, aujourd’hui, l’ouverture au monde qu’ont les États africains nous offre des facilités qu’elles n’ont pas eues malheureusement. Et ces facilités qu’on a, même s’il y a encore des difficultés dans ces facilités-là, nous placent dans une position où elles vont dire “on n’a pas souffert”. Mais c’est important de discuter, de collaborer avec elles.  

Dans le mouvement féministe au Burkina Faso, les collaboration avec des devancières se passe comment selon toi ? 

Le problème au Burkina Faso c’est qu’il n’y a pas beaucoup de devancières qui se déclarent féministes. Elles se disent défenseurs des droits des femmes, mais elles ne se disent pas “féministes”. Donc on ne peut malheureusement pas discuter avec quelqu’un qui refuse même la terminologie féministe… Féminisme. C’est difficile. Il y en a quelques-unes qui se disent féministes. Notamment une, que je connais beaucoup, qui accompagne les organisations féministes, Monique Ilboudo. Elle a été ministre des droits humains ici au Burkina Faso et est professeure de droit à l’université. Elle a même écrit beaucoup de livres. Elle est écrivaine. Elle porte la casquette de féministe. Il y a aussi Madame Mariam Lamizana qui lutte contre les mutilations génitales féminines. Elle aussi, elle se dit féministe. Elles ont participé à faire évoluer les textes de loi ici. Avec elles, le dialogue peut se faire…

Quelles sont les autres actions que Fémin-In mène aujourd’hui en dehors du programme pour la participation politique des jeunes femmes ?

Après le programme pour la promotion de la participation politique des jeunes femmes, Femin-In a commencé par organiser des sensibilisations sur les violences basées sur le genre et sur la santé sexuelle et reproductive. Nous faisons de la sensibilisation, de la formation et de la documentation. En Afrique de l’ouest, nous avons une absence de données réelles et récentes en matière de santé sexuelle et reproductive. Nous faisons beaucoup d’études comme par exemple des études sur la disponibilité des intrants en matière de santé sexuelle et reproductive pour les jeunes, pour les adolescents et pour les minorités. Fémin-In mène aussi des actions de réparation des violences faites aux femmes. Nous avons mis en place la clinique juridique et psychologique qui accompagne les filles et femmes victimes de violences sur le plan judiciaire et automatiquement sur le plan psychologique. 

C’est bien cet accompagnement psychologique. Nous en avons besoin. 

Oui. Parce que malheureusement les organes étatiques ne prennent pas automatiquement en compte le volet psychologique. Même des organisations de la société civile ne mettent pas ça en priorité automatiquement quand une femme ou une fille est victime de violences. Nous avons aussi le volet social qu’on met en marche quand il se trouve que la femme, la survivante n’a pas de revenus pour pouvoir se prendre en charge. C’est par exemple la mise en place d’une activité génératrice de revenus pour elle. Notre accompagnement est holistique.

Fémin-In fait aussi de l’éducation au féminisme. Nous sommes une organisation féministe et nous pensons que plus il y aura de féministes au Burkina Faso, plus les problèmes que les femmes et les filles vivent pourront être résorbés. Nous éduquons la population de façon générale et les filles et les femmes de façon spécifique au féminisme, à la compréhension du féminisme et à ce qu’elles deviennent des féministes. 

Est-ce que le travail que tu fais avec Femin-In pour la participation politique des femmes a un impact sur toi-même ? 

Oui, indéniablement. Parce que j’aime dire que moi aussi j’ai besoin d’être formée. Les formations, moi-même je les suivais. Parce que j’avais besoin de ça, et d’autres aussi avaient besoin de ça. Lors de la validation de notre mandat, on devait faire l’élection du président ou de la présidente de l’ALT. Je tenais vraiment à me présenter à cette élection en tant que candidate présidente de l’ALT pour deux messages. 

Pour les plus jeunes, parce qu’on parle de représentativité, de représentation, jamais au Burkina Faso, une femme n’a été candidate à l’élection de président de l’assemblée. Donc, dans la conscience collective, la société pense qu’il n’y a qu’un homme pour occuper ce siège. Moi je me suis présentée pour dire que non, les femmes aussi peuvent occuper cette position. Le deuxième message aussi c’était pour dire que les femmes peuvent et les femmes font…et vont le faire. Elles sont capables. Les jeunes femmes sont engagées, sont suffisamment engagées, sont suffisamment compétentes pour occuper ces postes de responsabilité là. La formation du programme d’incubation m’a beaucoup servi pour le faire. 

Quelles sont tes ambitions avec Femin-In pour les années à venir et de quoi auriez-vous besoin pour arriver à concrétiser ces ambitions ?

L'ambition de Femin-In, c’est de former le plus de femmes possibles, le plus de jeunes femmes possibles à assumer qui elles sont, à avoir confiance en elle et à occuper les postes de responsabilité. Qu’elles puissent être aujourd’hui, qu’elles puissent être dans cinq ans, des candidates ou électrices. Qu’elles décident que si elles ne sont pas des candidates, qu’elles jugent les programmes politiques des candidats et des candidates. On ne va plus voter quelqu’un parce qu’il est de mon village. On ne va plus voter quelqu’un parce qu’il parle bien, il est éloquent. Non. On va voter la personne sur un projet de société. Quelle est la place des femmes dans son programme politique ? Quelle est la place de l’éducation dans son programme politique ? C’est ça que nous voulons faire. C’est ça que nous voulons avoir. Nous voulons former des femmes qui feront de la politique et qui verront la politique autrement. C’est ça l’ambition première de Femin-in. 

La deuxième ambition de Femin-in c’est de devenir une organisation féministe de référence au Burkina Faso et dans la sous-région, parce que nous croyons que le féminisme est politique. Nous savons que c’est en ayant une approche féministe des problèmes que nous vivons que nous pouvons avoir des solutions durables. Pour le faire, Femin-In a besoin de capacitation technique sur beaucoup de thématiques et aussi des financements pour pouvoir mettre en œuvre nos programmes. Le programme d’incubation n’a pas encore de financement.

Aujourd’hui si on veut suivre les actions de Femin-in, où est-ce qu’on peut se rendre ? 

On a un site en construction. En attendant, sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter.

Merci Bénédicte. Nous souhaitons plus de portée aux actions de Fémin-In. 

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