On ne lâche rien : Le féminisme, ma lueur d’espoir face au COVID19

PHOTO PAR TONIK VIA UNSPLASH

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« Si Coro le virus est tellement petit qu’on ne peut pas le voir avec nos yeux, comment ça se fait que dans le monde entier tout le monde a peur de lui ? » Mon fils de six ans me pose cette question au moins une fois par jour depuis le début du confinement, et je ne sais pas trop quoi lui répondre.

C’est qu’il a raison ; le Coronavirus a semé la panique dans le monde entier. A quelques exceptions près, comme les étudiants américains qui n’ont pas voulu annuler leur weekend annuel de fiesta sur la plage (le Spring break, c’est sacré), ou encore le tonton qui a organisé une grande réception à Douala la semaine dernière pour « arroser » son nouveau job.

Mais qui sont ces gens qui ne connaissent pas la peur ? Expliquez-moi comment ça fonctionne dans leurs têtes. En tout cas, depuis quelques semaines mon cerveau ressemble exactement à ça :

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En bref : je flippe ma race. J’aimerais bien, comme Christiane Taubira, pouvoir dire que « j'ai réglé tous mes comptes avec la peur », mais je ne mens que pour sauver ma peau. Depuis quelques années, ma vie est un combat perpétuel contre l’anxiété. Ça ne risque pas de s’arranger en temps de pandémie mondiale.

Une de mes astuces pour gérer les bouffées de panique est de suivre le conseil de l’activiste japonaise Yoko Ono : « Fais la liste de toutes les choses dont tu as peur. Brûle-la. Arrose les cendres d’une huile essentielle délicieusement parfumée. »

Coronavirus : la liste de mes peurs est longue

Du coup, j’ai pris un stylo et j’ai fait une liste de toutes les choses qui m’angoissent, et de toutes les personnes pour lesquelles je m’inquiète.

  • Ma mère est asthmatique et donc sujette à des complications en cas d’infection par le Coronavirus. J’ai peur qu’elle ne puisse pas obtenir les soins adéquats au Cameroun si (quand ?) ce virus de merde lui attaque les poumons.

  • J’ai rendu visite à une amie à l’hôpital il y a deux semaines. L’idée que je lui ai peut-être transmis le COVID19 sans le savoir me terrifie.

  • Je m'inquiète pour les mères célibataires. Celles que le confinement contraint à gérer toutes seules l’école à la maison et le travail à domicile (y compris celui des mères au foyer). Et celles qui se demandent qui s'occupera de leurs enfants si jamais elles doivent aller en quarantaine.

  • Ce qui me stresse le plus, c’est de penser aux millions de personnes, en Afrique et ailleurs, pour lesquelles les directives de l’OMS sont tout simplement inapplicables. Se laver les mains après chaque éternuement : je veux bien, mais combien de personnes n’ont pas accès à l'eau ? Le confinement ça veut dire quoi quand on gagne sa vie au jour le jour, ou quand on vit dans un camp de réfugiés ou juste une grande concession familiale ? 

  • N'oublions pas que pour d'innombrables femmes, #ResteALaMaison n’est pas un hashtag mais une potentielle condamnation à mort. Savoir qu’elles se retrouvent enfermées avec des partenaires violents, c'est juste terrifiant.

  • Et les professionnel.le.s de santé qui sont en première ligne de cette pandémie : qui s’en occupe ? Qui prend soin de leurs familles ?

  • L’impact de la distanciation sociale sur la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes va être grave. Sans les « espaces sûrs » et les « clubs de filles », et avec les services de santés concentrés (à juste titre) sur le Coronavirus, il va y avoir des dégâts.

Désolée si vous trouvez ma peur contagieuse. Moi, je me suis sentie étrangement apaisée après l’avoir mise sur papier, bien en ordre. Pourtant, ces mots que j'écris, je ne suis pas certaine de devoir les publier.

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Quand la peur est un privilège

Je ne me voile pas la face. Si je peux m’épancher autant sur mes émotions, c’est d’abord parce que je suis pétrie de privilèges qui me permettent de rester chez moi, les mains propres et le frigo rempli.

Ce que je ressens me rappelle le sentiment que décrit la productrice américaine Shonda Rhimes dans son livre L'Année du Oui : la culpabilité, voire la haine de soi, de se découvrir malheureuse alors qu’elle n’a pas autant de raisons d’être que Malala qui a reçu une balle dans la tête, ou que les lycéennes de Chibok qui ont été kidnappées et mariées de force :

« Honnêtement, je suis un peu révoltée contre moi-même. Je suis gênée que cette pensée puisse seulement me venir à l’esprit. J’ai honte, si vous voulez vraiment savoir. Je suis accablée de honte. (…) Je suis malheureuse ? Mais pour qui est-ce que je me prends ?»

Remplacez « je suis malheureuse » par « j’ai peur » et vous saurez exactement qui tourne dans ma tête depuis ce moment. Ça, et la frustration de savoir qu’en plein confinement, les seules actions que je pourrais mener resteront digitales et n’atteindront donc pas les personnes les plus vulnérables à la pandémie.

Peur, culpabilité et sentiment d'impuissance. Trio cauchemardesque pour une activiste.

Ma lueur d’espoir : ces féministes africaines qui ne lâchent rien

Vous réagissez comment face au stress ? Moi j’ai la panique calme et immobile. (C’est d’ailleurs ce qui explique les longues périodes de silence d’Eyala sur les réseaux sociaux, donc prenez de mes nouvelles au lieu de m’engueuler en MP !) Cette fois, malgré l’ampleur de la crise, j’ai trouvé l'énergie de continuer à agir.

C’est sûr qu’être en mode confinement avec deux enfants à rassurer ne laisse que peu de temps pour s’effondrer. Mais ce qui m’inspire le plus, ce sont les petites touches de beauté et de bonté que je vois éclore un peu partout. Et je ne parle pas des concerts gratuits sur Instagram (même si celui de John Legend était sublime !) Je parle plutôt des actions que je vois mes sœurs féministes mener, surtout sur le continent. Quelques exemples :

  • La féministe nigérienne Fati N'zi-Hassane invite les Africain.e.s à enregistrer des vidéos pour le #SafeHandsChallenge dans leur langue locale et à les partager sur les groupes Whatsapp familiaux. L'objectif est d'atteindre les personnes qui ne parlent pas les langues officielles de l'OMS. On se lance?

  • Au Burkina Faso, Chantal Naré, une féministe et experte en communication, a créé des infographies toutes simples pour corriger les idées reçues qui circulent sur les réseaux sociaux à propos du Coronavirus (du type « manger de l’ail chasse le Corona »). Le tout en utilisant toujours des documents de l’OMS comme source.

  • La Tunisienne Aya Chebbi, Emissaire de l’Union Africaine pour la Jeunesse, s’associe à des jeunes militant.e.s africain.e.s pour organiser la réponse de la jeunesse africaine face à la crise. Elle partage aussi des informations pratiques sur son compte Twitter (@aya_chebbi), comme les numéros d’urgence mis en place dans chaque pays.

  • La semaine dernière, j’ai participé à un cercle de réflexion organisé par Olutimehin Adegbeye, une brillante écrivaine féministe du Nigeria. C’était en live sur Instagram, en mode ramenez vos cerveaux, votre bonne humeur et un verre de vin (ou d’Orangina). On a parlé de comment garder le sens de la communauté et de la solidarité dans cette période difficile, et c’était extraordinaire !

  • La féministe zimbabwéenne Everjoice Win utilise Twitter pour mettre en lumière les lacunes des gouvernements africains face à la pandémie. Une vraie masterclass sur le plaidoyer en ligne.

  • La poétesse afroféministe Kiyemis a lancé une pétition en ligne pour demander au gouvernement français de fournir des équipements de protection de base (gants et masques) aux caissières qui mettent leur vie en danger juste pour que les gens puissent s'approvisionner en pâtes et en papier toilette. Signez la pétition ici.

  • Le Collectif PsyNoires, un groupe de femmes noires thérapeutes en France, propose “une permanence solidaire gratuite d'écoute pour les personnes les plus isolées et précarisées, dans des situations d'angoisses réactivées par le COVID19.” Pour plus d'informations, cliquez ici.

Encore une fois, ce sont les féministes africaines qui me donnent la force de dépasser mes peurs. Qui me rappellent qu’on doit faire ce qu’on peut avec ce qu’on a.

Pour moi, ça veut dire continuer à prendre des nouvelles de mes sœurs, en les encourageant à exprimer leurs émotions plutôt que de s’obliger à se montrer fortes. Ça veut dire continuer de faire vibrer la parole des féministes africaines sur Eyala. Et malgré le confinement, ça veut dire continuer de former des Cercles de parole qui permettent aux activistes africaines de se dévoiler, d’échanger et de se soutenir mutuellement.

Le Coronavirus changera le monde mais pas les féministes. Nous restons les mêmes : puissantes, inspirantes et déterminées. On ne lâche rien.

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