"La face de l'injustice" - Un poème contre les violences policières par Leah Klaer, 13 ans
/Fun fact : j’ai une mémoire de poisson rouge. J’oublie tout : ce que je viens de dire, ce que je m’apprêtais à dire, et la moitié de ce qu’on me raconte. Il y a des années entières de ma vie dont je n’ai pas le moindre souvenir. Mais l’année de mes treize ans restera à jamais gravée dans ma mémoire.
C’était l’année du choc. L’année ou mes parents m’ont fait quitter le Cameroun pour étudier en France. Je me souviens de chaque découverte et de chaque questionnement comme si c’était hier. Le sourire de l’hôtesse de l’air qui me donnait la force de rassurer ma petite sœur. Les journées d’été qui s’éternisaient, le nombre délirant de marques différentes pour un même produit au supermarché, les dames qui changeaient de trottoir en m’apercevant au bout de la rue. Je me souviens de tout.
Je me souviens particulièrement de ma rencontre avec la police française. A notre arrivée, ma sœur et moi avons passé quelques semaines chez notre tante, qui était policière, en région parisienne. Tata Ma’Kwin, c’était la badassery incarnée : une autorité naturelle, un amour infini pour sa famille, et un sens de la justice à toute épreuve. Le tout avec un style impeccable et une énergie inégalée sur la piste de danse. Dans son combat pour la justice comme dans son combat contre le cancer qui l’a arrachée à sa famille, Tata Ma’Kwin est une de ces femmes qui m’ont inspirée à devenir la femme que je suis aujourd’hui. Je me souviens des questions que je lui posais sur son travail, et du respect que ses réponses m’inspiraient pour elle, mais aussi pour l’institution qu’elle représentait. A treize ans, je n’avais aucun doute sur le fait que la police serait toujours là pour me protéger.
A treize ans, je n’avais aucun doute sur le fait que la police serait toujours là pour me protéger.
Aujourd’hui, une de mes nièces a treize ans. Elle s’est choisi un nom de plume, Leah Klaer. C’est une jeune fille incroyable, pleine d’intelligence et de sensibilité. Une fille qui sait exactement dans quel monde elle mérite de vivre (vous vous souvenez de la féministe en herbe dont je vous parlais l’année dernière ? C’est elle). Une fille qui, comme moi à son âge, préfère formuler ses idées dans une lettre plutôt que d’avoir une conversation pour laquelle elle se sent mal préparée. Une adolescente que j’espère pouvoir guider et inspirer comme ma tante et bien d’autres l’ont fait pour moi.
Leah Klaer aussi vit en région parisienne, et elle aussi pense à la police… mais dans d’autres termes. Cette semaine, le meurtre de George Floyd par un policier américain qui l’a écrasé de tout son poids avec le regard froid de celui qui sait que le système est de son côté, l’a rendue “triste et surtout en colère.” Alors elle a écrit un poème contre les violences policières qui se multiplient aux Etats-Unis, en France et dans le monde.
Je n’ai pas de mots pour décrire les émotions qui m’ont retournée à la lecture de chaque vers. Je me contente donc de partager ses mots avec vous.
La face de l'injustice
Par Leah Klaer, 13 ans.
Moi aussi j’ai peur face à la police
Quand mes cheveux ne sont pas lisses
Ils nous attaquent sans raison
Et font de notre sang leurs délices
Et ce même dans nos maisons
On me demande parfois mais t’es qui, toi ?
Tu sais qu’au royaume de la justice les policiers sont rois ?
Des rats sans foi ni loi
Qui noient nos lois
La justice les borde dans des draps de soie
Et oui, cela va de soi
Qui les paie selon toi ?
À qui l’épée protège le toit ?
Quelles sont ces violences qu’on voit?
Quelles sont ces lois à la noix ?
À ces mensonges qui y croit ?
« À chacun de porter sa croix »
Quand je les vois je suis ma voie
Je ne veux pas me faire avoir
J’ai si peur, j’en touche du bois
Tout ça parce que je suis Noire
Ils veulent repousser le passé
Tous ces noms qu’on a effacés
Ils ont de sacrés de tours de passe-passe
Au bout d’un moment ça passe pas
À qui le tour ?
Qui sera le prochain ?
Le méritera-t-il car c’est son destin ?
Après tout, la justice n’a pas d’importance
Tout ça qu’ils aient leur chance
Si tu les vois c’est ta dernière danse
Tout ça pour ces rats au cœur rance
Leur âme accumule les carences
Ils poignarderont ta mémoire à coups de lance
C’est ta faute, t’avais qu’à être Blanche
Tu ris quand tu vois ces tueries ?
Riras-tu quand tu les vivras?
Ils n’ont pas peur du public
Pour peu qu’ils aient leur fric
Vous avez parlé, c’est votre heure à toi et ta clique
On noiera votre mémoire dans une crique
Tout ça à cause d’une simple mimique
Tout ça parce que vous avez joué les comiques
Ils ont toujours une excuse
Quand on les accuse
Ils nous prennent pour des buses
De la mort ils sont les muses
Ils usent de beaucoup de ruses
Pour n’être la risée que de gens avisés
On joue beaucoup de flûte
Mais dans quel but ?
Tu l’ouvres ? On te bute
Les preuves ? On les réfute
Elles sont irréfutables ?
Oui, c’est pour ça qu’ils sont détestables
L’autopsie ? C’est une fable
Les témoins ? Leurs versions sont malléables
Quelle bande de pantins impressionnables
Police, justice, les voix de la justice ?
Non, la face de l’injustice
C’est la fête dans la tess
C’est la rue c’est la hess
La vie est dure c’est la dèche
Mais ils leur font de la lèche ?
Qui a bien pu vendre la mèche ?
Avec la police pas d’ami-ami donc attention
La cité c’est pas Miami
Toute la ville est sous tension
On se croirait à Clichy en 2005
La justice est sous pression
Pour la police on trinque
Rappelez vous de Rennes en 2016
Voyez qui tient les rênes
Voyez ces chaînes qui nous freinent
Cette vérité atroce, qui nous gêne
Oui, elle est là, avec la haine
ACAB !
La police on t’accable !
Toi aussi la justice exécrable !
Le gouvernement ? Bande d’incapables !
C’est rien c’est la rue
C’est pas pour ça qu’il faut que ça continue
Un pas de travers et on te tue
C’est nos protecteurs qu’on doit fuir
Ce sont des porteurs de haine, le Diable les admire et l’enfer les inspire
Ils ne se cachent plus dans la nuit
Ils se montrent quand la lumière luit
Même quand la ville vit
Mais aussi quand la ville est vide
Tu ferais bien de te taire
Sinon tu vivras un enfer sur terre
Bah ouais la vie c’est pas super
Tu finiras six pieds sous terre
La mort et toi ferez la paire
Pour te pleurer y’aura ta mère
Pour te pleurer y’aura ton père
Pour t’oublier y’aura ton maire
Prends tes cliques et tes claques avant que tu clamses
Fais vite sinon ce sera ta dernière valse.