Oser écrire, malgré la peur
/Je dois t’avouer quelque chose : pour une blogueuse, j’ai terriblement peur d’écrire.
J’ai créé Eyala parce que je souhaitais publier les conversations inspirantes que j’ai avec des féministes africaines, mais aussi parce que je voulais vous faire part des réflexions que je tire de mon propre parcours de femme et de féministe. Trois mois après le lancement, je dois bien avouer mon échec : la rubrique « Réflexions » de ce blog reste bien vide.
Pendant des mois, je n’ai cessé de repousser la date de publication du premier article. J’ai appelé ça ma phase de préparation : c’est que ça prend du temps de lire tous ces livres sur comment bien écrire et ces blogs sur comment bien blogguer. J’ai fait le tour de toutes les papeteries de Casablanca à la recherche du carnet idéal – au grand bonheur de mes enfants, trop ravis d’avoir plein de nouveaux cahiers pour leurs gribouillages. Je suis à bout d’excuses : il est temps d’écrire ou d’arrêter de faire semblant.
Les doigts posés sur le clavier, j’ai l’impression que toutes les fibres de mon corps se sont liguées pour m’éloigner de mon ordinateur. Tout d’un coup, j’ai à la fois soif, faim et sommeil, et je suis prise d’une envie de rangement aussi rare que furieuse. Je relève la tête, je m’enfonce dans mon siège, et je commence à écrire, les mains toutes tremblantes de la même peur qui m’a si longtemps réduite au silence.
De quoi ai-je peur ? Bonne question. Assieds-toi bien, car la liste est longue.
J’ai peur de raviver par mes mots des blessures et des colères que j’avais bien enfouies dans un coin de mon esprit. J’ai peur de dévoiler au monde, et surtout à moi-même, l’étendue de ma vulnérabilité.
Et surtout, j’ai peur de m’exprimer sur internet. Pour moi qui prends le temps de lire, de discuter, de me tromper, et parfois de changer d’avis avant de me faire une opinion, ce n’est qu’une question de temps avant que je tweete un mot de travers.
Je ne parle même pas de la cruauté ambiante des réseaux sociaux qui n’épargne aucune féministe, surtout si elle a le malheur d’être noire. Je ne sais pas à quoi carburent Rokhaya Diallo et Mona Eltahawy, elles qui gardent la tête bien haute face aux milliers de trolls sans visage qui, chaque jour, s’en prennent à leur dignité. Mais je suis prête à parier que je n’ai pas le quart de leur résilience.
Pendant des années, le silence a été mon refuge. Lorsque je devais prendre la parole, mais je restais dans mon domaine d’expertise professionnelle. Convaincue qu’une action vaut mille mots, je travaillais toujours plus à militer pour les droits des femmes au sein de l’ONG qui m’employait.
Mais depuis peu, ce silence m’étouffe plus souvent qu’il ne me rassure. Dans un monde où les corps des femmes sont devenus des champs de bataille et où les violeurs peuvent être acquittés parce que leurs victimes portaient des sous-vêtements dits aguicheurs, le silence est criminel. Il est temps de joindre ma voix au chœur des militantes qui défient le patriarcat haut et fort.
Il est temps de prendre la parole, et de parler de mes propres expériences. Si j’ai appris une chose du mouvement #MeToo, c’est que notre puissance de femmes est décuplée lorsque nous nous autorisons à ancrer notre action dans nos expériences si intimes et pourtant si communes.
On ne va pas se mentir, la tâche s’annonce laborieuse. Aussi loin que je me souvienne, j’ai considéré l’introspection comme une distraction. Je n’avais qu’une obsession : exceller à tout prix. Résultat, un burnout au début de ma trentaine, dont je n’ai commencé à émerger que lorsque j’ai accepté de m’interroger, stylo à la main, sur qui je suis et pas seulement sur ce que je fais.
Un mot après l’autre, j’ose défier les attentes qui pèsent sur mes épaules. Chaque phrase me permet de donner corps à des idées que j’ai trop longtemps eu peur de formuler. J’écris pour comprendre qui je suis, pour désapprendre autant que pour apprendre.
Je t’invite donc à me rejoindre sur cette rubrique « Réflexions » d’Eyala, non sans une pointe de panique. J’y tiendrai une chronique de ma rencontre avec la femme et la féministe que je suis, et je t’inviterai à faire part de ce que tu as appris de ton propre parcours.
Je ne sais toujours pas d’où me viendra le courage de cliquer sur « publier », mais je garde en tête ces mots de l’actrice Carrie Fisher, qui m’ont aidé à traverser plus d’une période de doute :
Ça y est, je me lance et j’écris. Rejoins-moi, et ensemble, redécouvrons qui nous sommes.