« Je lève le pied de l’accélérateur...» - Edwige-Renée Dro (Côte d'Ivoire)

Je choisis de me laisser porter et de profiter de tous les paysages, d'écouter tous les sons, d'être simplement en accord avec les enchaînements naturels des petites choses qui composent la vie.

Une amie a récemment fait mon portrait. Dans celui-ci elle a évoqué toutes mes activités de cette manière :

Elle est coordinatrice de programme pour AYADA Lab. Elle bénéficie d’une bourse de la fondation Miles Morland et travaille sur son premier roman, elle est traductrice, et maître de conférences pour la Commonwealth Foundation. Tout cela, en parallèle avec la gestion d'une bibliothèque, des résidences, des rôles de juge littéraire, l'animation d'ateliers d'écriture et de traduction littéraire, la publication et l'écriture de nouvelles, son genre préféré, et la traduction. 

Puis elle a ajouté : Je suis admirative de tout ce que fait Edwige. 

Lorsque c’est présenté de cette manière-là, même moi, je suis impressionnée par tout ce que je fais. Une autre amie m’a demandé une fois, « Comment fais-tu pour tout gérer ? » et je lui ai répondu, « Tant que j’ai mes 8 heures de sommeil, ça va. »

C’est totalement vrai que j’ai besoin de 8 heures de sommeil – pas 9, pas 10, sinon je me réveille groggy et fatiguée, et je ne peux rien faire. Huit heures donc. Ni plus, ni moins. Lorsque j’ai pensé pouvoir en faire plus si je dormais moins, certainement après avoir lu un livre absurde qui préconise de dormir cinq par nuit pour en faire davantage, ou écouté des phrases-choc capitalistes du style « je dormirai, quand je serai mort.e » ; je n’ai jamais rien fait de plus. Au contraire, j’ai fini dans un état léthargique, fatiguée. Pas du tout productive et donc incapable de faire quoique ce soit. Je me suis également rendue compte que je ne faisais pas tout ce que je faisais pour à tout prix accomplir quelque chose, pour être au-dessus de tout le monde. Je suis simplement une personne passionnée, et toutes mes activités résultent d’enchaînements naturels de tout ce qui me passionne.

Lorsque l’on m’interviewe ou que l’on me demande de me présenter, vous lirez toujours ces mots : 

Edwige Renée Dro est une écrivaine, traductrice littéraire et activiste littéraire. 

Ce n’est pas parce que j’ai décidé que je deviendrai écrivaine, puis que je ferai telle ou telle chose avant de me lancer dans la traduction. Non, ces étapes se sont produites naturellement. J’aime converser. J’aime la politique et son incidence sur nos vies et je fais partie des personnes qui estiment que tout est politique. Par conséquent en choisissant la traduction littéraire, et les autres éléments qui nourrissaient mes opinions politiques, ce qui m’intéressait c’était de faire entendre de nouvelles voix dans la conversation du moment. Il se trouve qu’à cette période, la conversation était centrée sur l’Afrique, présentée comme le continent de l’avenir, celui plein d’espoir, l’endroit à suivre. Ces déclarations provenaient essentiellement de l’Occident, et étant donné que je vis en Afrique, je suis parfaitement consciente de la manière dont le continent peut être emprisonné dans ses barrières linguistiques. Ce qui m’intéressait c’était donc de créer un lien, et pour moi les histoires créent des liens.

Lorsque j’ai créé la librairie 1949 à Yopougon (Abidjan), je souhaitais m’attaquer aux inégalités sociales que je vois à Abidjan. J’ai adopté une approche féministe pour le faire, parce que j’étais fatiguée de voir les histoires des femmes africaines et noires enfouies ou adoucies. Me retrouver chargée de la rédaction du contenu français d’Eyala est un autre de ces enchainements naturels. 

Lors du processus de réflexion pour 1949, Eyala faisait partie des plateformes que je consultais régulièrement. J’appréciais l’accessibilité du registre de langue, les pensées et les interviews qui appelaient à la réflexion, ouvraient des conversations dans un esprit de rassemblement. Le désir de faire créer un collectif tout en laissant ressortir l’individualité. J’ai beaucoup aimé le fait que le blogue soit bilingue français-anglais, personne n’était laissé pour compte. 

Donc lorsque Françoise m’a demandé si ça m’intéressait de faire partie de l’aventure j’ai bien évidemment répondu « Oui ». J’ai également accepté parce qu’il s’agit d’un défi qui me fait sortir de ma zone de confort, rien que par le fait d’écrire en français et non en anglais. Mais de nouveau, rédiger en français à cette période de ma vie apparait comme une autre évolution naturelle des choses. J’ai remarqué que les conversations autour du féminisme en Afrique, mais aussi dans le monde, sont majoritairement en anglais. 

Même les mentions du féminisme semblent dominées par ce qui arrive dans la sphère anglophone de l’Afrique. C’est malheureux de ne connaître qu’un nombre limité de féministes africaines uniquement parce que celles-ci ont eu la chance (existe-t-il un autre mot ?) de naître en Afrique anglophone. Je me souviens d’avoir fait semblant de ne pas connaître un grand nom du milieu, en raison de cette hégémonie, et on me répondait « Tu ne connais pas… ? » 

De la même façon que toi tu ne sais pas qui est Constance Yai ou Awa Thiam. Où est le problème ?

Donc tout en me laissant porter par ces séquences naturelles, je veux accepter de sortir de ma zone de confort : en écrivant en français, oui, mais aussi en exposant davantage mes nombreuses activités. 

Avant, je disais oui à ceci ou à cela et j’allais à la salle de sport, car il n’y a rien que j’aime plus que de soulever des poids et de transpirer. 

Mais là, je fais du yoga, je me promène dans la nature, je refuse un autre voyage d’affaires et je m’efforce d’être plus attentive.