« La liberté est fondamentalement ce que je recherche en tant que personne humaine » - Chanceline Mevowanou (Benin)

Je m’appelle Chanceline Gwladys Wangninan Mevowanou. Mes proches m’appellent “Chance”. Je suis Béninoise et j’ai 25 ans. J’ai grandi à Avrankou, une localité au Sud du Bénin dans le département de l’Ouémé. Je vis actuellement à Cotonou non loin de la plage. J’adore la plage. Regarder la mer m’aide souvent à calmer mes angoisses, à éteindre le bruit dans mon esprit et à aérer mes pensées. J’aime les « Soirées Chill », faire la fête. Vous savez maintenant qu’il faut m’inviter pour des “Party”. J’adore les bougies parfumées, le vin, les sacs au dos et les baskets. Je porte les baskets sur presque tous les vêtements (n’appelez pas la « fashion police » s’il vous plaît 😄😂). 

La liberté est fondamentalement ce que je recherche en tant que personne humaine. Mon but ultime c’est de me réaliser, m’accomplir selon mes propres termes, m’épanouir dans des environnements où je peux vivre une vie digne et soignée. Je veux exister librement. C’est pour cette liberté que je suis avant tout féministe puis militante féministe ensuite. Je me veux libre, libre du patriarcat et de tous les autres systèmes d’oppressions qui les alimentent. C’est pour cela que je suis en mouvement et en action. Pour personnellement et collectivement contribuer au démantèlement des systèmes qui embrigadent les femmes, entravent leur liberté et détruisent leur humanité. 

J’ai eu mes premières prises de conscience féministe dans ma famille et dans mon village. Ma mère m’a raconté comment son père a décidé d’envoyer uniquement les garçons à l’école et d’assigner les filles aux travaux domestiques. J’ai des souvenirs de mon père qui a frappé ma mère devant nous lors d'une dispute, a jeté ses affaires dehors. Je me souviens très clairement encore de comment ma mère après avoir subi cette violence est restée. Je l’ai entendu dire qu’elle resterait avec ses enfants quoi qu’il arrive, qu’elle supporterait tout. 

Dans mon village, je voyais les injustices que les enfants surtout les filles et les femmes subissaient et subissent encore. J’ai en mémoire les histoires des femmes fréquemment frappées par leurs maris pour ceci ou cela, des familles qui maltraitent les enfants, utilisent les coups et blessures ainsi que des paroles dégradantes pour soi-disant les éduquer. J’ai aussi subi cela. Mes parents et “les grandes personnes” nous frappaient pour nous apprendre les bonnes façons de vivre. J’étais très révoltée contre cette « violence » avec laquelle nous étions éduqué.e.s. Pour les filles, cette violence est subie doublement. Parce qu'elles sont des filles. J’ai vu beaucoup de filles de mon village abandonner l’école. Elles étaient renvoyées de la maison et/ou livrées en mariage forcé à cause d’une grossesse précoce. Mon père menaçait aussi de nous renvoyer de la maison si l’une d’entre nous tombait enceinte sans avoir obtenu le baccalauréat. J’avais constamment peur. Lorsque j’ai eu mes premières règles, mes parents ont failli m’amener à l’hôpital pour contrôler la virginité. Je pensais foncièrement qu’on pouvait nous éduquer autrement, discuter avec nous. J’étais très en colère contre tous ces traitements. 

Mes parents m’ont appris que si je devenais une femme forte, plus personne n'oserait me frapper, m’infliger des humiliations que je voyais les femmes, les filles et les enfants subir. Ils m’ont dit que si je devenais une femme qui a un travail, de l’argent, une maison et d’autres biens, aucun homme n’osera me manquer de respect ou lever la main sur moi. Ils disaient que l’école était le chemin pour devenir cette femme forte. Je regardais aussi les femmes à la télé et je disais que je serai comme elles, libre de m’exprimer. J’ai ainsi vu l’école comme le chemin de la liberté, la voie pour ne plus subir d'injustices. J’étais parvenue à élaborer une théorie dans ma tête : plus les enfants iront à l’école et surtout plus les filles iront à l’école, elles sauront comment agir face aux injustices et seront préparées à ne pas les subir en silence. C’était ma croyance. Pour cela, je travaillais à l’école.

À l’école, je ne me contentais pas d’étudier. Je faisais en sorte d’être parmi les meilleur.e.s élèves, avoir des récompenses, montrer aux gens que les filles sont fortes. Je voulais que l’on me remarque à cause de mes meilleures notes, mes réponses pertinentes, ma capacité à réfléchir, dire ce que je pense et à prendre la parole en public. Je me suis aussi intéressée aux activités parascolaires qui pouvaient me permettre de développer ma confiance en moi. J’étais membre du groupe théâtral et de danse du collège. J’ai développé ma passion pour la poésie et le slam. Je voyais dans ces groupes des espaces pour aborder avec des camarades les sujets que je ne pouvais pas aborder à la maison. J’ai commencé à écrire des textes sur l’importance d’une éducation à la sexualité pour les enfants et de la lutte contre les violences faites aux filles et femmes. Je m’exerçais à réfléchir, penser, trouver des idées, écrire, initier des conversations avec des camarades.

L’écriture et le slam ont été mes premiers outils d'action. Puis il y a les scènes qu’il fallait jouer lors de nos présentations théâtrales. J’ai remarqué qu’après chacune de nos représentations, que ce soit en classe ou lors des journées culturelles, les gens posaient des questions et discutaient de ces sujets : une conversation naissait. J’ai donc continué. L’écriture, le théâtre et le slam ont révolutionné ma personne, libéré ma pensée et ma voix et m’ont poussé sur le chemin d’une forme d’organisation communautaire libre et désordonnée. Ils m’ont montré comment je pouvais commencer à agir sans attendre de devenir une femme forte. 

En classe de Première, des volontaires « Peace Corps » sont venues dans notre collège pour mener un programme de renforcement des filles. J’ai participé à la sélection des meilleures filles qui devraient participer à ce programme et j’ai été retenue comme boursière du programme. On avait bénéficié d’une formation et d’une exonération de la contribution scolaire pendant deux ans. Nous étions deux filles boursières. Avec les volontaires et les deux professeures déléguées par l’école pour mener ce programme, nous avons suivi plusieurs formations sur le leadership des filles, le genre, la gestion de la puberté, les rôles modèles. Ces formations ont renforcé mes capacités, mes convictions et ma volonté d’agir pour les droits des filles et des enfants. 

J’ai commencé à animer des clubs scolaires. Dans les premiers clubs scolaires de filles que j’ai dirigés, nous étions concentrées sur ce que nous vivons en tant que filles, les réalités des femmes, des élèves autour de nous et comment beaucoup de gens y compris nous-mêmes doivent en parler et trouver des solutions ensemble. Pour moi, lorsque les choses ne fonctionnent pas dans nos communautés, nous devons en parler, avoir des conversations ! Parce que nous ne pouvons pas trouver des solutions sans la conversation qui nous permet de comprendre pourquoi et comment les enfants, les filles et les femmes sont affecté.e.s. 

J’ai été guidée par cet état d’esprit après mon Bac : mobiliser, rassembler les filles et les garçons, les femmes et les hommes autour des problèmes qui nous touchent et alimenter des conversations pour aboutir aux actions. Parce que je suis revenue dans mon village pour mettre en place des actions. En me voyant faire cela les gens m’ont appelé : activiste et féministe. J’ai supporté ces casquettes pendant un bon moment avant de décider de comprendre ce qu’elles voulaient signifier. Il me fallait comprendre et construire ensuite ce que “activiste et féministe” devrait signifier pour moi. Je pense que c’est ce que je suis en train de faire. Durant le parcours, ma compréhension des inégalités de genres a évolué et continue d’évoluer. Les injustices que les femmes subissent dans nos sociétés ne sont que des symptômes et manifestations de systèmes d’oppressions très vastes. Ces systèmes influencent nos vies, nos pensées, nos croyances, nos normes, nos actions, les politiques, l’économie, et le développement de nos sociétés… Et nous pouvons résister, les défier bruyamment et les démanteler. Aucune femme ne parlera jamais trop, n’écrira jamais assez dans nos sociétés telles qu’elles sont de nos jours. Élevons nos voix, libérons nos pensées et nos actions.

J’ai trouvé Eyala à un moment où j’étais épuisée d’être la jeune militante féministe engagée dans un travail d’ONG où sa politique féministe risque de ne pas grandir. Je me suis rappelée que je devais saisir les occasions qui vont me permettre de continuer à faire partie des conversations pour la libération radicale de toutes filles et femmes africaines. Je veux faire partie des conversations importantes de ma génération, amplifier les voix et les actions des féministes africaines. Dans la sauvegarde de nous-mêmes et dans la sororité. Je veux être là où nous discuterons et prendrons action ensemble pour déraciner le patriarcat. C’est pour cela que j’ai rejoint Eyala. 

« Même après avoir passé le témoin, nous faisons toujours partie intégrante de l’équipe » - Lusungu Kalanga (Malawi)

Depuis notre lancement en 2018, Eyala a encadré/mis en place plusieurs espaces de conversations entre féministes africaines. Nous avons également eu la possibilité de rejoindre plusieurs autres espaces dans le cadre de notre mission de soutien à la création du mouvement féministe africain.

L’un des thèmes récurrents dans ces espaces féministes est celui des tensions entre les différentes générations de féministes africaines. Nous avons constaté que la plupart de ces conversations tournaient autour des problèmes et conduisaient souvent à des accusations et au classique renvoi de balle, laissant ainsi peu de place aux discussions sur les solutions possibles. 

Ce mois, nous discuterons des tensions féministes intergénérationnelles, dans l’espoir que ces conversations sur lesquelles nous mettons l’accent nous permettront toutes de dépasser les véritables défis que nous avons identifiés et de commencer à mettre en place des solutions qui maintiendront la solidité de nos mouvements. 

Lusungu Kalanga, l’une des conseillères d’Eyala, nous ouvre la voie avec une excellente réflexion qui aborde ce thème. 


Je tiens tout d’abord à préciser une chose : la génération dans laquelle je me situe varie selon les espaces que j’occupe. Dans certains espaces, je suis une jeune féministe, tandis que dans d’autres, je suis une féministe plus âgée. 😊

Récemment, Emmie Chanika, défenseure de renom des droits humains, est décédée. Infirmière de formation, Madame Chanika a commencé sa mission d’activiste en février 1992, lorsqu’elle a fondé le Civil Liberties Committee (Comité des libertés civiles, NDLR), la première organisation de défense des droits humains du Malawi. Emmie Chanika, comme d’autres combattantes pour la libération du Malawi, dont Rose Chibambo, Vera Chirwa et Emily Mkamanga, a beaucoup sacrifié afin de créer le mouvement féministe/des femmes du Malawi dans des conditions extrêmement difficiles avec peu de ressources. 

Toutes ces femmes ont commencé à militer très jeunes, la plupart à l’adolescence ou au début de la vingtaine. Elles ne se sont peut-être pas déclarées féministes (nom), mais elles étaient féministes (adjectif). Ce parcours est semblable à celui de nombreux mouvements de femmes sur le continent et au-delà. 

Je pense au travail de ces femmes et à la base qu’elles ont établie pour les jeunes féministes et je juxtapose cela aux tensions qui existent entre les féministes plus âgées et plus jeunes aujourd’hui. Comment honorer ces femmes au Malawi et sur tout le continent d’une part, tout en admettant d’autre part, que ce travail est comme une course relais où nous nous passons le témoin les unes aux autres ? Même après avoir passé le témoin, nous faisons toujours partie intégrante de l’équipe. 

Comment concrétiser cela dans nos mouvements ? Reconnaître toutes les intersections qui existent, que nous ne sommes pas homogènes et surtout remettre en question les dynamiques de pouvoir qui existent dans le mouvement notamment les différences d’âge et le fait que certaines d’entre nous militent depuis des décennies ? 

Nous est-il possible d’avoir des conversations importantes et un co-leadership intergénérationnel ?

J’ai dans mon parcours féministe, participé à un grand nombre de « conversations et de panels intergénérationnels » qui m’ont poussé à m’interroger sur la véritable nature de mon rôle. Une fois, je participais à l’un de ces panels en tant que jeune féministe avec une féministe plus âgée, et les seuls mots que j’ai pu prononcer étaient des salutations. J’ai réalisé que je n’étais présente que pour la forme. 

Nous devons réfléchir aux déséquilibres de pouvoir qui existent entre les féministes plus âgées et plus connues et les plus jeunes, moins connues. Comment instaurer un espace sûr pour des conversations honnêtes, équilibrées et introspectives ? Nous devons continuer à faire preuve de prudence et à être intentionnelles lorsque nous rassemblons des féministes jeunes et plus âgées, afin que les espaces soient bénéfiques à toutes, sans que les autres se sentent réprimées. Parfois, il peut s’agir de reconnaître son privilège et refuser d’être placée sur un piédestal, passer le micro et la plateforme pour que de nouvelles voix puissent être entendues et se valider mutuellement. 

Qui plus est, lors de collaborations entre des jeunes féministes et des plus âgées, il est crucial que celles-ci reposent sur un partenariat égal et la résistance à l’infantilisation des jeunes féministes. Si les jeunes féministes doivent s’affirmer, il incombe également à celles qui travaillent dans ce domaine depuis plus longtemps de fournir le soutien et la confiance nécessaires envers les capacités de leadership des nouvelles venues. 

Comme le dit l’une de mes mentors féministes, Jessica Horn, le leadership féministe est une question de compassion et d’amour révolutionnaire, et cela devrait se refléter dans nos échanges les unes avec les autres. Le collectif doit être au centre.. 


Pouvons-nous apprendre les unes des autres ?

J’ai eu la chance d’apprendre de féministes, jeunes et moins jeunes à travers le continent et le monde. Outre l’apprentissage et le désapprentissage continus des expériences d’autres femmes et des miennes, je me suis également plongée dans la lecture de textes sur nos devancières , apprenant et désapprenant pour façonner nos politiques féministes. 

J’estime qu’apprendre et désapprendre impliquent une réciprocité et je me demande souvent si c’est le cas. Les féministes plus âgées prennent-elles le temps d’apprendre des plus jeunes ? Est-ce que celles qui font partie de ce mouvement depuis des années estiment que les féministes plus jeunes ont quelque chose à y apporter ? Sont-elles disposées à se remettre en question afin de voir le monde du point de vue des jeunes féministes ? 

L’activisme en ligne mené par les jeunes féministes sur l’ensemble du continent connaît un essor impressionnant qui ne peut être ignoré. Cela se traduit également dans le travail sur le terrain avec l’émergence de jeunes mouvements féministes. Nous avons par exemple dans mon pays le Malawi, le Young Feminist Network, PEPETA Malawi et She Decides Malawi. Des mouvements menés et portés par de jeunes féministes qui luttent en faveur des droits en matière de santé reproductive, de l’engagement politique et de la fin de la violence faite aux femmes. 

Si les jeunes féministes continuent de s’inspirer des féministes plus âgées en matière de présence, de courage et de cohérence, les féministes plus âgées ont au même titre, beaucoup à apprendre et à tirer parti des espaces que les jeunes femmes ont créés sur le plan du leadership horizontal, du repos et du centrage sur les personnes en marge. 

Pouvons-nous reconnaître nos différences et trouver des moyens de nous soutenir mutuellement ?

En tant que féministe, l’un des aspects sur lequel nous insistons est que nous ne sommes pas homogènes. Nous avons des priorités différentes, tout en reconnaissant les intersections qui existent parmi nous. En ce qui concerne la différence d’âge, celle-ci accentue sans équivoque, qu’il existe de nombreuses différences de priorités. Ce n’est pas grave, et ça ne devrait pas créer de fossés entre nous. 

Nous pouvons améliorer notre capacité à faire preuve de curiosité à l’égard des expériences vécues, des besoins et des défis de chacune et utiliser notre pouvoir pour soutenir et créer de multiples points d’ancrage au sein de nos mouvements afin de valider les luttes des unes et des autres. Pour paraphraser Audrey Lorde, nous ne sommes pas libres tant qu’aucune femme n’est libre, même lorsque nos chaînes sont totalement différentes.  

Parallèlement, nous devons résister au discours patriarcal selon lequel lorsque nous sommes en désaccord sur des idées ou des manières de travailler, nous sommes ennemies. Nous devons reconnaître le vieux « syndrome du rabaissement », amplifié et renforcé par les misogynes afin de nous monter les unes pour ce qu’il est : une distraction. Bien entendu, nous ne pouvons pas invalider les expériences individuelles et devons nous tenir mutuellement responsables. Nous devons toutefois veiller à ne pas laisser les discours patriarcaux devenir notre histoire. 

Le pouvoir est dans le collectif...

Le 9 août 2018, Eyala a fêté son lancement en invitant 40 femmes qui suscitent l’inspiration à Dakar. Chaque invitée a partagé un mot qui résume le mieux son expérience de ce que signifient être une femme et une féministe. À partir de cet espace hors-ligne, la conversation a basculé sur Twitter, où un appel a été lancé, invitant les féministes à partager leurs mots. Le mien était « Résistance ». L’un des mots qui m’ont fait réfléchir est celui d’une autre de mes mentors féministes, la féministe zimbabwéenne Everjoice Win. Elle a écrit :

« Mon mot est COLLECTIF. Quoi que nous fassions, cela doit profiter au COLLECTIF. Le COLLECTIF est une source de POUVOIR. Bien évidemment, vous pouvez vous battre pour vos propres droits. Je peux et dois agir. Mais en travaillant au sein d’un COLLECTIF, je peux participer à un changement plus important et durable. » 

Eyala a célébré ses 4 ans cette année et je me suis retrouvée à relire ce fil de discussion et à réfléchir à ce mot ainsi qu’aux autres mots marquants : « amour », « liberté », « radical », « courage » ... mais toujours au centre de ces derniers : le collectif.  

Le féminisme est un combat politique et tout le monde a un rôle à jouer dans la lutte pour notre liberté. Le patriarcat se réinvente et s’adapte constamment. Nous pouvons le constater à travers les politiques de droite régressives de plus en plus visibles, les taux élevés de violence contre les femmes et les personnes de genre non conforme en ligne et dans la vie réelle, et la lutte pour nos droits en matière de santé reproductive, par exemple. 

Mon souhait pour le présent et l’avenir est que nous continuions à nous appuyer sur les points forts de chacun en tant que collectif et à créer un espace pour apprendre et désapprendre ensemble. Il est possible d’avoir des conversations honnêtes qui évoluent en actions tangibles. Il en est de même pour le co-leadership. 

Maintenant, plus que jamais, nous devons continuer à bâtir et renforcer nos mouvements et compter les unes sur les autres. 

Faites partie de la conversation

Lusungu est une féministe et une militante, membre du Cercle des Conseillères Stratégiques d’Eyala. Elle est co-créatrice du podcast Feministing While Malawian et co-fondatrice de Growing Ambitions. Suivez ses réflexions sur Twitter : @lusukalanga

Nous avons hâte de savoir ce que vous en avez pensé. Vous pouvez écrire un commentaire ci-dessous, ou on pourrait se causer sur Twitter, Facebook ou Instagram @EyalaBlog.

« Que vous vous en sentez capables ou non n’est pas la question. Moi j’ai confiance en vous… » - Edwige Dro (Côte d'Ivoire)

   Accra / Prampram – Ghana

Au cours des cinq derniers mois, nous n’avons fait que des réunions en ligne et discuté seulement via WhatsApp pour planifier le contenu d'Eyala en vue de son relancement, tout en s’imprégnant de sa vision: Être une plateforme par, pour et sur les féministes africaines. Nous avons parcouru les tonnes de belles choses que Françoise a rassemblées au fil des ans… Affaire à suivre !

Tout au long de ces cinq mois, nous nous sommes demandées si nous avions ce qu'il fallait pour être les tantines qui assurent pour Eyala, alors que Françoise ne se souciait même pas du bien-être de son bébé.

« Que vous vous en sentez capables ou non n’est pas la question. Moi j’ai confiance en vous sinon je ne serai jamais venue vers vous » , a-t-elle dit.

Et nous avons dû la croire, que nous pouvions nous débrouiller sans mettre en danger le bébé.

Mais bien que nous ayons fait beaucoup de choses par le biais de Zoom, eh bien, Zoom ne peut pas remplacer les interactions humaines et ne permet pas non plus le silence, ou ces conversations qui prennent la tangente, n'ayant apparemment rien à voir avec le sujet du jour mais contenant en elles la graine de quelque chose de fantastique. Et c'est pour cela que la retraite devait avoir lieu, parce que nous devions nous rencontrer pour nous plonger dans le relancement d'Eyala, rencontrer notre merveilleuse communauté à Accra, et pour vraiment se voir en vrai !

Et nous nous sommes rencontrés.

Nous vous épargnerons la recherche d'un percolateur à café qui nous a fait aller d'un café à un centre commercial à un supermarché. Des appels téléphoniques ont même été passés, chères lectrices (et lecteurs), et une demi-journée de réunion s'est envolée, mais nous avons trouvé le percolateur à café, un piston à café nommé à juste titre Kofi la cafetière. Une fois que nous l'avons trouvé, nous avons continué notre voyage jusqu'à Prampram où pendant trois jours, de 9h à 18h, avec deux heures allouées au déjeuner, nous avons planifié le relancement de la plateforme Eyala avec le matériel que nous avions déjà, les choses qu’il fallait absolument qu’on écrive parce que nous avions cette opportunité de permettre aux conversations de dévier, les valeurs que nous défendions, notamment l'amour et la gentillesse dans nos interactions avec des féministes africaines et dans des conversations féministes africaines. Mais surtout, nous avons pu nous rencontrer, apprendre à nous connaître et nous amuser ! Nos échanges ont transcendé Zoom !

Jama n'est pas seulement la boss des stratégies de contenu et de planification, mais elle est aussi la fille qui a toutes les citations de feu. Quant à Nana, nous l'appelons unanimement la coordinatrice exécutive en chef. Rien n'arrête cette femme, pas même le fait de se retrouver dans un environnement qu'elle ne connait pas, et d'y organiser des sessions de travail, que ce soit dans une salle de conférence ou décider de transporter le bureau au bord de l'océan. Les conversations de Françoise lors des déjeuners et des dîners qui redonnent une confiance extraordinaire en soi, l'ouverture et la transparence dont elle faisait preuve au quotidien. Et puis il y a eu ces cartes postales que nous nous sommes échangées à la fin de la retraite. Des cartes avec des mots si édifiants et encourageants qu'ils n'exigent aucune autre réponse que de se dire : « Prends ton pouvoir ! »

Puis nous sommes retournées à Accra, où notre communauté Afrifem nous a chaleureusement accueillies, a partagé avec nous ses attentes et nous a demandé comment elle pouvait nous aider. 

Comme c'est merveilleux d'être soutenues, encouragées et mises au défi par des femmes, même lorsque vous les faites traverser Accra en voiture à la recherche d'un percolateur à café, comme je l'ai fait ! Ai-je mentionné les rires ? Oh, les rires ! Les rires pendant nos repas, alors que nous protestions contre le feu de camp que le centre de villégiature essayait de nous imposer et demandions à la place qu'ils ramènent le Kelewele. Rire lorsque nous avons été régalées par les citations très pertinentes de Jama Jack. Et des rires lorsque nous avons réfléchi à la question du "what about-ism" qui semble surgir chaque fois que les féministes réfléchissent ou font quoi que ce soit pour démanteler le patriarcat omniprésent qui englobe tout le monde.

Ai-je besoin d’ajouter que nous étions impatientes de rentrer chez nous et de se mettre au travail tout en ébauchant des plans pour ces retraites Eyala deviennent une tradition.



« Je lève le pied de l’accélérateur...» - Edwige-Renée Dro (Côte d'Ivoire)

Je choisis de me laisser porter et de profiter de tous les paysages, d'écouter tous les sons, d'être simplement en accord avec les enchaînements naturels des petites choses qui composent la vie.

Une amie a récemment fait mon portrait. Dans celui-ci elle a évoqué toutes mes activités de cette manière :

Elle est coordinatrice de programme pour AYADA Lab. Elle bénéficie d’une bourse de la fondation Miles Morland et travaille sur son premier roman, elle est traductrice, et maître de conférences pour la Commonwealth Foundation. Tout cela, en parallèle avec la gestion d'une bibliothèque, des résidences, des rôles de juge littéraire, l'animation d'ateliers d'écriture et de traduction littéraire, la publication et l'écriture de nouvelles, son genre préféré, et la traduction. 

Puis elle a ajouté : Je suis admirative de tout ce que fait Edwige. 

Lorsque c’est présenté de cette manière-là, même moi, je suis impressionnée par tout ce que je fais. Une autre amie m’a demandé une fois, « Comment fais-tu pour tout gérer ? » et je lui ai répondu, « Tant que j’ai mes 8 heures de sommeil, ça va. »

C’est totalement vrai que j’ai besoin de 8 heures de sommeil – pas 9, pas 10, sinon je me réveille groggy et fatiguée, et je ne peux rien faire. Huit heures donc. Ni plus, ni moins. Lorsque j’ai pensé pouvoir en faire plus si je dormais moins, certainement après avoir lu un livre absurde qui préconise de dormir cinq par nuit pour en faire davantage, ou écouté des phrases-choc capitalistes du style « je dormirai, quand je serai mort.e » ; je n’ai jamais rien fait de plus. Au contraire, j’ai fini dans un état léthargique, fatiguée. Pas du tout productive et donc incapable de faire quoique ce soit. Je me suis également rendue compte que je ne faisais pas tout ce que je faisais pour à tout prix accomplir quelque chose, pour être au-dessus de tout le monde. Je suis simplement une personne passionnée, et toutes mes activités résultent d’enchaînements naturels de tout ce qui me passionne.

Lorsque l’on m’interviewe ou que l’on me demande de me présenter, vous lirez toujours ces mots : 

Edwige Renée Dro est une écrivaine, traductrice littéraire et activiste littéraire. 

Ce n’est pas parce que j’ai décidé que je deviendrai écrivaine, puis que je ferai telle ou telle chose avant de me lancer dans la traduction. Non, ces étapes se sont produites naturellement. J’aime converser. J’aime la politique et son incidence sur nos vies et je fais partie des personnes qui estiment que tout est politique. Par conséquent en choisissant la traduction littéraire, et les autres éléments qui nourrissaient mes opinions politiques, ce qui m’intéressait c’était de faire entendre de nouvelles voix dans la conversation du moment. Il se trouve qu’à cette période, la conversation était centrée sur l’Afrique, présentée comme le continent de l’avenir, celui plein d’espoir, l’endroit à suivre. Ces déclarations provenaient essentiellement de l’Occident, et étant donné que je vis en Afrique, je suis parfaitement consciente de la manière dont le continent peut être emprisonné dans ses barrières linguistiques. Ce qui m’intéressait c’était donc de créer un lien, et pour moi les histoires créent des liens.

Lorsque j’ai créé la librairie 1949 à Yopougon (Abidjan), je souhaitais m’attaquer aux inégalités sociales que je vois à Abidjan. J’ai adopté une approche féministe pour le faire, parce que j’étais fatiguée de voir les histoires des femmes africaines et noires enfouies ou adoucies. Me retrouver chargée de la rédaction du contenu français d’Eyala est un autre de ces enchainements naturels. 

Lors du processus de réflexion pour 1949, Eyala faisait partie des plateformes que je consultais régulièrement. J’appréciais l’accessibilité du registre de langue, les pensées et les interviews qui appelaient à la réflexion, ouvraient des conversations dans un esprit de rassemblement. Le désir de faire créer un collectif tout en laissant ressortir l’individualité. J’ai beaucoup aimé le fait que le blogue soit bilingue français-anglais, personne n’était laissé pour compte. 

Donc lorsque Françoise m’a demandé si ça m’intéressait de faire partie de l’aventure j’ai bien évidemment répondu « Oui ». J’ai également accepté parce qu’il s’agit d’un défi qui me fait sortir de ma zone de confort, rien que par le fait d’écrire en français et non en anglais. Mais de nouveau, rédiger en français à cette période de ma vie apparait comme une autre évolution naturelle des choses. J’ai remarqué que les conversations autour du féminisme en Afrique, mais aussi dans le monde, sont majoritairement en anglais. 

Même les mentions du féminisme semblent dominées par ce qui arrive dans la sphère anglophone de l’Afrique. C’est malheureux de ne connaître qu’un nombre limité de féministes africaines uniquement parce que celles-ci ont eu la chance (existe-t-il un autre mot ?) de naître en Afrique anglophone. Je me souviens d’avoir fait semblant de ne pas connaître un grand nom du milieu, en raison de cette hégémonie, et on me répondait « Tu ne connais pas… ? » 

De la même façon que toi tu ne sais pas qui est Constance Yai ou Awa Thiam. Où est le problème ?

Donc tout en me laissant porter par ces séquences naturelles, je veux accepter de sortir de ma zone de confort : en écrivant en français, oui, mais aussi en exposant davantage mes nombreuses activités. 

Avant, je disais oui à ceci ou à cela et j’allais à la salle de sport, car il n’y a rien que j’aime plus que de soulever des poids et de transpirer. 

Mais là, je fais du yoga, je me promène dans la nature, je refuse un autre voyage d’affaires et je m’efforce d’être plus attentive.