« La liberté est fondamentalement ce que je recherche en tant que personne humaine » - Chanceline Mevowanou (Benin)
/Je m’appelle Chanceline Gwladys Wangninan Mevowanou. Mes proches m’appellent “Chance”. Je suis Béninoise et j’ai 25 ans. J’ai grandi à Avrankou, une localité au Sud du Bénin dans le département de l’Ouémé. Je vis actuellement à Cotonou non loin de la plage. J’adore la plage. Regarder la mer m’aide souvent à calmer mes angoisses, à éteindre le bruit dans mon esprit et à aérer mes pensées. J’aime les « Soirées Chill », faire la fête. Vous savez maintenant qu’il faut m’inviter pour des “Party”. J’adore les bougies parfumées, le vin, les sacs au dos et les baskets. Je porte les baskets sur presque tous les vêtements (n’appelez pas la « fashion police » s’il vous plaît 😄😂).
La liberté est fondamentalement ce que je recherche en tant que personne humaine. Mon but ultime c’est de me réaliser, m’accomplir selon mes propres termes, m’épanouir dans des environnements où je peux vivre une vie digne et soignée. Je veux exister librement. C’est pour cette liberté que je suis avant tout féministe puis militante féministe ensuite. Je me veux libre, libre du patriarcat et de tous les autres systèmes d’oppressions qui les alimentent. C’est pour cela que je suis en mouvement et en action. Pour personnellement et collectivement contribuer au démantèlement des systèmes qui embrigadent les femmes, entravent leur liberté et détruisent leur humanité.
J’ai eu mes premières prises de conscience féministe dans ma famille et dans mon village. Ma mère m’a raconté comment son père a décidé d’envoyer uniquement les garçons à l’école et d’assigner les filles aux travaux domestiques. J’ai des souvenirs de mon père qui a frappé ma mère devant nous lors d'une dispute, a jeté ses affaires dehors. Je me souviens très clairement encore de comment ma mère après avoir subi cette violence est restée. Je l’ai entendu dire qu’elle resterait avec ses enfants quoi qu’il arrive, qu’elle supporterait tout.
Dans mon village, je voyais les injustices que les enfants surtout les filles et les femmes subissaient et subissent encore. J’ai en mémoire les histoires des femmes fréquemment frappées par leurs maris pour ceci ou cela, des familles qui maltraitent les enfants, utilisent les coups et blessures ainsi que des paroles dégradantes pour soi-disant les éduquer. J’ai aussi subi cela. Mes parents et “les grandes personnes” nous frappaient pour nous apprendre les bonnes façons de vivre. J’étais très révoltée contre cette « violence » avec laquelle nous étions éduqué.e.s. Pour les filles, cette violence est subie doublement. Parce qu'elles sont des filles. J’ai vu beaucoup de filles de mon village abandonner l’école. Elles étaient renvoyées de la maison et/ou livrées en mariage forcé à cause d’une grossesse précoce. Mon père menaçait aussi de nous renvoyer de la maison si l’une d’entre nous tombait enceinte sans avoir obtenu le baccalauréat. J’avais constamment peur. Lorsque j’ai eu mes premières règles, mes parents ont failli m’amener à l’hôpital pour contrôler la virginité. Je pensais foncièrement qu’on pouvait nous éduquer autrement, discuter avec nous. J’étais très en colère contre tous ces traitements.
Mes parents m’ont appris que si je devenais une femme forte, plus personne n'oserait me frapper, m’infliger des humiliations que je voyais les femmes, les filles et les enfants subir. Ils m’ont dit que si je devenais une femme qui a un travail, de l’argent, une maison et d’autres biens, aucun homme n’osera me manquer de respect ou lever la main sur moi. Ils disaient que l’école était le chemin pour devenir cette femme forte. Je regardais aussi les femmes à la télé et je disais que je serai comme elles, libre de m’exprimer. J’ai ainsi vu l’école comme le chemin de la liberté, la voie pour ne plus subir d'injustices. J’étais parvenue à élaborer une théorie dans ma tête : plus les enfants iront à l’école et surtout plus les filles iront à l’école, elles sauront comment agir face aux injustices et seront préparées à ne pas les subir en silence. C’était ma croyance. Pour cela, je travaillais à l’école.
À l’école, je ne me contentais pas d’étudier. Je faisais en sorte d’être parmi les meilleur.e.s élèves, avoir des récompenses, montrer aux gens que les filles sont fortes. Je voulais que l’on me remarque à cause de mes meilleures notes, mes réponses pertinentes, ma capacité à réfléchir, dire ce que je pense et à prendre la parole en public. Je me suis aussi intéressée aux activités parascolaires qui pouvaient me permettre de développer ma confiance en moi. J’étais membre du groupe théâtral et de danse du collège. J’ai développé ma passion pour la poésie et le slam. Je voyais dans ces groupes des espaces pour aborder avec des camarades les sujets que je ne pouvais pas aborder à la maison. J’ai commencé à écrire des textes sur l’importance d’une éducation à la sexualité pour les enfants et de la lutte contre les violences faites aux filles et femmes. Je m’exerçais à réfléchir, penser, trouver des idées, écrire, initier des conversations avec des camarades.
L’écriture et le slam ont été mes premiers outils d'action. Puis il y a les scènes qu’il fallait jouer lors de nos présentations théâtrales. J’ai remarqué qu’après chacune de nos représentations, que ce soit en classe ou lors des journées culturelles, les gens posaient des questions et discutaient de ces sujets : une conversation naissait. J’ai donc continué. L’écriture, le théâtre et le slam ont révolutionné ma personne, libéré ma pensée et ma voix et m’ont poussé sur le chemin d’une forme d’organisation communautaire libre et désordonnée. Ils m’ont montré comment je pouvais commencer à agir sans attendre de devenir une femme forte.
En classe de Première, des volontaires « Peace Corps » sont venues dans notre collège pour mener un programme de renforcement des filles. J’ai participé à la sélection des meilleures filles qui devraient participer à ce programme et j’ai été retenue comme boursière du programme. On avait bénéficié d’une formation et d’une exonération de la contribution scolaire pendant deux ans. Nous étions deux filles boursières. Avec les volontaires et les deux professeures déléguées par l’école pour mener ce programme, nous avons suivi plusieurs formations sur le leadership des filles, le genre, la gestion de la puberté, les rôles modèles. Ces formations ont renforcé mes capacités, mes convictions et ma volonté d’agir pour les droits des filles et des enfants.
J’ai commencé à animer des clubs scolaires. Dans les premiers clubs scolaires de filles que j’ai dirigés, nous étions concentrées sur ce que nous vivons en tant que filles, les réalités des femmes, des élèves autour de nous et comment beaucoup de gens y compris nous-mêmes doivent en parler et trouver des solutions ensemble. Pour moi, lorsque les choses ne fonctionnent pas dans nos communautés, nous devons en parler, avoir des conversations ! Parce que nous ne pouvons pas trouver des solutions sans la conversation qui nous permet de comprendre pourquoi et comment les enfants, les filles et les femmes sont affecté.e.s.
J’ai été guidée par cet état d’esprit après mon Bac : mobiliser, rassembler les filles et les garçons, les femmes et les hommes autour des problèmes qui nous touchent et alimenter des conversations pour aboutir aux actions. Parce que je suis revenue dans mon village pour mettre en place des actions. En me voyant faire cela les gens m’ont appelé : activiste et féministe. J’ai supporté ces casquettes pendant un bon moment avant de décider de comprendre ce qu’elles voulaient signifier. Il me fallait comprendre et construire ensuite ce que “activiste et féministe” devrait signifier pour moi. Je pense que c’est ce que je suis en train de faire. Durant le parcours, ma compréhension des inégalités de genres a évolué et continue d’évoluer. Les injustices que les femmes subissent dans nos sociétés ne sont que des symptômes et manifestations de systèmes d’oppressions très vastes. Ces systèmes influencent nos vies, nos pensées, nos croyances, nos normes, nos actions, les politiques, l’économie, et le développement de nos sociétés… Et nous pouvons résister, les défier bruyamment et les démanteler. Aucune femme ne parlera jamais trop, n’écrira jamais assez dans nos sociétés telles qu’elles sont de nos jours. Élevons nos voix, libérons nos pensées et nos actions.
J’ai trouvé Eyala à un moment où j’étais épuisée d’être la jeune militante féministe engagée dans un travail d’ONG où sa politique féministe risque de ne pas grandir. Je me suis rappelée que je devais saisir les occasions qui vont me permettre de continuer à faire partie des conversations pour la libération radicale de toutes filles et femmes africaines. Je veux faire partie des conversations importantes de ma génération, amplifier les voix et les actions des féministes africaines. Dans la sauvegarde de nous-mêmes et dans la sororité. Je veux être là où nous discuterons et prendrons action ensemble pour déraciner le patriarcat. C’est pour cela que j’ai rejoint Eyala.