“Le féminisme, c’est ma religion” – Diakhoumba Gassama (Sénégal) - 1/3

Diakhoumba Gassama. Crédits: Eyala

Diakhoumba Gassama. Crédits: Eyala

Une des seules certitudes que j’avais lorsque je me suis lancée dans la création d’Eyala, c’est que je voulais inviter Diakhoumba Gassama à m’y rejoindre pour une conversation. Féministe sénégalaise pleine de vie, Diakhoumba m’impressionne par son honnêteté impertinente et sa détermination à vivre tous les jours en pleine phase avec ses valeurs, quel qu’en soit le prix.

Après une enfance en Belgique, Diakhoumba a consacré plus de dix ans à la défense des droits de femmes et la promotion du développement durable, au cours d’une carrière qui l’a fait passer par l’Union Africaine et les Nations Unies. Aujourd’hui, elle coordonne les campagnes d’Amnesty International sur les jeunes et l’activisme en Afrique.

Je suis ravie de vous présenter des morceaux choisis de l’émouvante conversation que j’ai eue avec Diakhoumba. Elle y parle du rôle de guide que joue le féminisme dans sa vie – sur le plan éthique comme pratique (partie 1), de comment elle a gagné ses galons de militante en refusant de faire certains compromis et en disant le fond de sa pensée envers et contre tout (partie 2). Elle raconte également comment parler de ses blessures intimes, telles que l’excision et la dépression, a fait d’elle une militante plus aguerrie (partie 3). J’espère que la lecture de cette conversation vous touchera et vous remotivera autant que moi !

Salut Diakhoumba ! Peux-tu te présenter s’il te plait ?

Je m’appelle Diakhoumba et je suis une féministe. Je suis une panafropolitaine, c’est-à-dire une panafricaine qui est aussi une citoyenne du monde. Je suis aussi une survivante de l’excision. Ce qui me passionne, c’est la vie, l’amour, les enfants et la planète.

Féministe : même les dictionnaires n’arrivent pas à se mettre d’accord sur une définition de ce mot. Certains disent qu'il s'agit de quelqu’un qui croit à l’égalité entre les hommes et les femmes, et d’autres comme quelqu’un qui milite pour cette égalité. Selon toi, être féministe, c’est une question de conviction ou d’action ? 

À mon avis, si tu es féministe, tu finis par t’engager dans l’activisme d’une façon ou d’une autre. Mais je pense aussi que tu peux aussi être féministe simplement en respectant certaines valeurs dans ta vie de tous les jours. Il s’agit d’élever tes enfants de manière équitable, quel soit leur sexe. Il s’agit de faire preuve de solidarité, de créer des opportunités pour les autres. Il s’agit de faire preuve de gentillesse envers les autres et de t’assurer qu’aucune de tes actions n’empiète sur la dignité d’autrui à personne.

"Tu peux aussi être féministe simplement en respectant certaines valeurs dans ta vie de tous les jours"

Pour moi, le féminisme, c’est bien plus qu’une conviction. C’est une vision, un système de valeurs. De la même façon que certaines personnes sont croyantes, moi je peux l’affirmer : le féminisme, c’est ma religion. Pour chaque acte que je pose, à chaque fois que je dois décider entre A et B, je me demande : est-ce que ça va être en phase avec mes valeurs ? Est-ce que je pourrai me regarder dans le miroir après ça ?

En tant que féministe et militante, laquelle de tes réussites t’apporte le plus de fierté ?

Je dirais le fait qu’aujourd’hui j’ose réagir lorsque je suis en famille, au village ou même avec des amis, et que quelqu’un dit quelque chose de sexiste ou d’homophobe. Avant, je me taisais et je pensais que ça n’en valait pas la peine. Aujourd’hui je me surprends moi-même et je prend la parole. Ça, j’en suis vraiment fière.

Il y a-t-il d’autres aspects de ta vie quotidienne auxquels tu appliques tes valeurs féministes ?

J’essaie de respecter le droit des autres à faire des choix avec lesquels je suis en désaccord. C’est vraiment difficile parce que j’ai des opinions bien tranchées, toi-même tu sais ! Je suis une vraie Mandingue : chez nous on a le sang chaud, on est de vrais guerriers !

"J’essaie de respecter le droit des autres à faire des choix avec lesquels je suis en désaccord"

En plus, je m’oppose catégoriquement à l’exploitation. C’est un vrai sujet dans le contexte sénégalais. Chez nous on trouve des travailleurs domestiques dans presque tous les foyers, et beaucoup pensent que c’est normal d’exploiter ces personnes. Moi, je suis contre l’exploitation sous toutes ses formes.

On dirait que c’est important pour toi que le féminisme s'exerce d'abord à la maison.

Oui, absolument. Je dois dire que mon propore parcours féministe n’a pas commencé à la maison ; je sais que c’est pareil pour beaucoup de sœurs féministes. Nous avons commencé par militer au sein du mouvement et c’est seulement lorsque nous nous sommes senties assez fortes que nous avons pu porter notre combat féministe au sein de nos foyers.

Te souviens-tu de tes premiers pas dans ce parcours féministe ?

 En fait, tout a commencé par un hasard. Il y a douze ans, alors que je travaillais à l’Union Africaine, ma boss m’a demandé de la remplacer en réunion, au pied levé. C’était une rencontre sur les questions du VIH/Sida et du genre. C’était ma première réunion avec la société civile et mon premier contact avec des féministes.

Donc j’arrive dans la salle, et les gens ne sont pas vraiment ravis de me voir : je suis junior et eux attendaient la big boss, et puis mon anglais n’est pas terrible. Je décide de rester à l’écart et d’observer, mais ces femmes ne me laissent pas faire, elles m’intègrent progressivement dans leur cercle.

Et là je me suis dit : « wow, c’est ça la sororité ? Ça fait un peu secte, mais j’adore ! » Et c’est à ce moment-là que j’ai su que je voulais faire partie de ce mouvement.

La sororité, ça compte toujours dans ta vie d’aujourd’hui ?

La sororité me donne un équilibre. Déjà, on travaille sur des problématiques difficiles, donc c’est important d’avoir le soutien d’autres femmes qui savent de quoi tu parles. Et puis il y a ces moments où tu réussis quelque chose et tu veux partager ça avec quelqu’un qui comprend pourquoi c’est important. Ça compte, surtout pour toutes celles qui, comme moi, n’ont pas fondé leur propre famille. Dans le mouvement féministe, les sœurs sont là, elles te soutiennent. Le mouvement féministe est une famille que tu construis au-delà des liens de sang. C’est la famille que je me suis choisie.

"Le mouvement féministe est une famille que tu construis au-delà des liens de sang. C’est la famille que je me suis choisie"

L’autre avantage de la sororité, c’est qu’entre sœurs, on a l’honnêteté de critiquer nos choix respectifs. C’est particulièrement vrai entre nous, les féministes radicales. Elles m’ont aidée à éviter beaucoup d’erreurs, que ce soit dans ma vie amoureuse ma carrière ou autre. J’ai l’impression que ma carrière, ma personnalité et ma vie ont vraiment été modelées – positivement – par la présence, autour de moi, de ces femmes dont les trajectoires sont si différentes de la mienne. Elles m’apportent vraiment d’autres perspectives, bien utiles quand je dois prendre mes propres décisions.

 

Dans la seconde partie de cette interview, Diakhoumba m’explique ce qui se passe lorsque ses principes féministes se frottent à la vraie vie, et de la fois où elle a osé dire le fond de la pensée en plein émission télé. A lire ici.