"Tu sais que tu es proche de la vérité quand la censure est le seul argument qu’il reste aux gens en face" - Diakhoumba Gassama (Sénégal) - 2/3

En conversation avec Diakhoumba Gassama. Crédits: Eyala.

En conversation avec Diakhoumba Gassama. Crédits: Eyala.

Dans la première partie de notre conversation tu t’es présentée comme féministe radicale. Peux-expliquer ce que tu voulais dire par là ?

Je suis une féministe radicale. Pour moi, ça veut dire que je refuse de faire le moindre compromis sur les valeurs que je défends. Au sein du mouvement panafricain, nous nous sommes accordées sur cette formulation que j’aime bien : je suis féministe, point final : pas de « si », pas de « mais ».

Le concept est très fort, mais je dois te poser la question : il y a bien une fois où tu as dû faire un petit compromis, non ? Si tu dis non, je ne te croirai pas ! Raconte.

(Rires) Si, ça m’est arrivé, plus souvent dans ma vie professionnelle que sur le plan personnel. Je me suis retrouvée coincée dans un environnement professionnel vraiment négatif dans lequel je devais faire des concessions sur mes valeurs. Lorsque je travaillais aux Nations Unies ou à l’Union Africaine, on faisait certaines choses dont on savait bien qu’elles ne changeraient rien aux réalités des communautés que nous devions accompagner. Mais on le faisait quand même parce qu’un type important à l’étage du dessus avait décidé que c’était ce qu’il fallait faire.

Après ça, j’ai fait le choix de ne travailler que pour des organisations dans lesquelles mes valeurs seraient respectées. Ça a été très libérateur, mais pas évident du tout. J’ai galéré un ou deux ans à essayer de m’établir comme consultante. Mais au final, ça m’a fait beaucoup de bien.

"Je refuse de faire le moindre compromis sur les valeurs que je défends"

Et côté vie personnelle... Evidemment les hommes célibataires sont une denrée rare donc, de temps à autres, je croise la route d’un homme marié à tomber. Le plus souvent je me dis « mais non ! », et hop, je passe à autre chose. Mais une fois, j’ai rencontré quelqu’un et j’ai commencé à imaginer des trucs complètement fous, du genre envisager la polygamie ! [Rires] Grace à Dieu (et a mes sœurs féministes aussi !) merci, je me suis réveillée et ça en est resté là.

Quelles leçons as-tu tirées de ces défis ?

Plus tu avances dans la vie, plus il y a de défis sur ta route. Moi j’aime bien ça : au moins, je n’ai pas le sentiment d’être une imposture. Pendant des années, quand les gens me disaient « wow, t’es une super féministe ! », intérieurement je pensais : « non en fait, pas vraiment ».  Je n’étais pas en première ligne, on ne m’avait jamais menacée, battue ou attaquée… Mais le jour où ça m’est arrivé – oui, oui – il m’a fallu du temps pour m’y faire, mais après, ça allait vraiment mieux !

Ça t’a donné l’impression d’avoir gagné tes galons de féministe ?

Oui, c’est tout à fait ça.

Toi et moi avons souvent parlé des idées fausses qui circulent sur les féministes. On en rigole, mais certains jours ça me rend complètement folle. Et toi, quelles sont celles qui te mettent en colère ?

Sans hésiter, toutes celles qui sont liées à notre sexualité. On nous associe souvent aux problématiques sur lesquelles nous prenons position. Par exemple, si tu milites pour les droits sexuels et contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, les gens vont en déduire que tu es lesbienne. Il y a même des personnes bien intentionnées qui viennent te dire « tu sais, tu devrais arrêter de faire ça parce que sinon tout le monde va penser que tu es lesbienne ». Et alors?

Ce qui m’agace aussi, c’est que dès que les féministes formulent leurs arguments, la réaction un peu facile des gens c'est : « en fait vous détestez les hommes ». Pas du tout! On déteste le fait que certaines personnes monopolisent l’espace et le pouvoir – et oui, il s’avère que ces personnes sont souvent des hommes.

"La réaction un peu facile des gens c'est : « en fait vous détestez les hommes ». Pas du tout!"

Je connais beaucoup de féministes qui s’évertuent à rassurer les autres, à leur dire qu’ils ont tort. A mon avis, c’est une distraction. Dans la vie, il y a toujours ceux qui t’apprécient et ceux qui te détestent. Tant que tu sais qui tu es, pourquoi t’en préoccuper ? Bon j’avoue, j’ai mis du temps à en arriver à cette conclusion ! (Rires)

Moi, j’explique simplement qu’il y a une différence entre le féminisme et l’idée d’une hégémonie des femmes sur le monde. Cette hégémonie, ce serait l’envers féminin du patriarcat : un monde où les femmes feraient exactement tout ce que font les hommes aujourd’hui. En tant que féministe, je ne veux vraiment pas de ce monde-là.

Tu sais, à chaque fois que je te vois je repense à la fois ou nous étions invitées à intervenir dans un débat télé sur le mariage des enfants au Sénégal. La première chose que tu as dite c’est : « au Sénégal le mariage des enfants n’est pas un mariage. C’est de la pédophilie. » L’imam et le représentant du gouvernement présents sur le plateau sont partis en vrille, comme on pouvait s’y attendre, et il y avait des vrais risques pour ta réputation. Qu’est-ce qu’il se passait dans ta tête à cet instant précis ?

Ecoute, tout le monde prenait beaucoup de pincettes pour présenter le sujet, comme si le Sénégal faisait partie de ces pays – et il y en a – où quand on parle de mariage des enfants, on parle de deux adolescents qui décident de s’unir. Mais on le sait : ce n’est pas ce qu’il se passe au Sénégal. Chez nousl, on voit ce genre de crime de manière très binaire : s’il est commis par un étranger, c’est de la pédophilie ; si c’est un Sénégalais, c’est un mariage traditionnel. Je me suis dit : il faut que quelqu’un ici appelle un chat un chat.

J’ai regardé les gens autour de la table, et je me suis demandé qui pourrait dire ça sans que causer sa propre mort, sur le plan professionnel ou social. Et j’ai décidé que ce serait moi. Quand je représentais une institution, j'ai souvent dû laisser passer sans rien dire le pipeau que racontaient les gouvernements, et parfois la société civile. La, j’étais consultante, alors je pouvais m’exprimer.

Je vois très bien de quoi tu parles. En fin de compte, ils ont coupé toute ton intervention au montage. Qu’est-ce que tu as ressenti en regardant l’émission ?

Ce n’était pas une surprise. Tu sais, chaque fois que je suis censurée, je ressens une certaine fierté. Tu sais que tu es proche de la vérité quand la censure est le seul argument qu’il reste aux gens en face. Si tu racontais n’importe quoi, si tu n’avais aucun impact, ils s’y prendraient autrement.

 

Rejoignez-nous pour la dernière partie de ma conversation avec Diakhoumba, dans laquelle elle se confie sur les blessures intimes qui ont fait d’elle une militante plus aguerrie. A lire ici.