"J’ai survécu à une excision, mais mon excision ne définit pas qui je suis" – Diakhoumba Gassama (3e partie)

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Tu t’es exprimée publiquement sur l’excision à laquelle tu as survécu pendant ton enfance. J’ai remarqué que tu en avais parlé assez tard, contrairement à de nombreuses militantes qui ont fait de leur expérience personnelle le socle fondateur et ont consacré leur action militante à la lutte contre les mutilations génitales féminines (MGF). Qu'est-ce qui t'a poussée à en parler?

Quand j’étais enfant, l’excision, on n’en parlait jamais. Quand ça m’est arrivé, on n’en a pas parlé. Je me souviens que pendant la période de convalescence, si on avait de la visite à la maison, je devais me cacher dans la cave, où on rangeait tous les légumes. Je t’assure, l’odeur des poivrons jaunes me retourne encore l'estomac aujourd’hui.

Mes sœurs ont subi la même épreuve, mais elles non plus ne disaient jamais rien. J’ai failli aborder le sujet avec ma mère lorsqu’elle est tombée malade, mais il ne lui restait que quelques mois à vivre. On avait autre chose à se dire.

"Je ne voulais pas que les gens se mettent à juger mes parents"

Si j’ai pris autant de temps avant d'en parler, c’est d’abord parce que je pensais que ce qu’il se passait dans ma culotte ne regardait personne. Mais la raison principale, c'est que je ne voulais pas que les gens se mettent à juger mes parents. La toute première fois que j’en ai parlé, j’ai omis de mentionner que ma mère était avec moi, je n’ai parlé que de ma grand-mère. Et pourtant, elle était là.

Beaucoup de personnes respectent mon père et le voient comme un humaniste. Personne n'aurait compris le rôle qu'il a joué dans mon excision – contrairement à celle de mes sœurs. On lui a demandé si je devais être excisée et il a dit oui, parce qu’il ne voulait pas que notre communauté ne me considère comme une paria. Du coup, j’ai décidé de ne rien dire jusqu'à ce que mes parents ne soient plus de ce monde. 

Et pourtant, ton père est toujours en vie. Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?

Une fois je suis allée à une conférence, où j’ai écouté parler la grande Efua Dorkenoo, une militante qui malheureusement n’est plus parmi nous. Elle parlait des effets psychologiques des MGF, et tout d’un coup je me suis dit, « mais attends, c’est exactement ce qui m’arrive ! ». Même à ce moment-là, je n’ai rien dit. J’y ai pensé, mais il y avait les sœurs d’Afrique de l’Est qui parlaient de viol subis après l'infibulation, de fistules et d’incontinence… Moi je n’avais rien vécu de tout ça, donc je me suis dit : « tu n’as aucun droit de t’inviter dans ce débat et de venir parler de ton expérience ».

Et une fois, dans une autre conférence, j’ai participé à une session un peu spéciale. On formait un cercle, et on parlait de nos expériences. Une jeune fille s’est mise à raconter comment elle avait été violée par son oncle. Elle pleurait. Je ne sais pas pourquoi, quand le micro est arrivé jusqu’à moi, je l’ai saisi, et j’ai raconté à tous ces inconnus que j’etais une survivante, que j’avais été excisée. Face à cette femme qui venait de mettre son âme à nu devant nous, j’ai eu l’impression d’être dans l’imposture : j’avais été en empathie profonde avec son histoire, alors que j’étais incapable de l’être avec la mienne.

"J’ai eu l’impression d’être dans l’imposture : j’avais été en empathie profonde avec son histoire, alors que j’étais incapable de l’être avec la mienne"

Après ça, il m’a fallu quelques années pour en parler au-delà de ce groupe. Le 6 février qui a suivi la mort de ma mère [Journée de la Tolérance Zéro à l’égard des MGF], je suis allée sur Facebook et j’ai révélé dans un post que j’étais l’une des millions de filles concernées. Un peu plus tard, j’ai écrit un article à ce sujet.

Le fait d’en parler, ça a changé quelque chose dans ton parcours de militante féministe ?

Pour moi c’était une façon d’être encore plus en phase avec moi-même. Jusque-là je m’étais bien débrouillée pour faire illusion, faire le clown et garder les autres a bonne distance de qui j’étais vraiment. C’était une période vraiment compliquée de ma vie et j'avais besoin de dire ma vérité.

"J'avais besoin de dire ma vérité"

Par la suite, il m’a fallu encore un an pour inclure « survivante des MGF » dans ma biographie professionnelle. Il m’arrive parfois de ne pas l'inclure: oui, j’ai survécu à une excision, mais mon excision ne définit pas qui je suis. Je veux bien en discuter avec d’autres activistes, partager mon expérience et apprendre des leurs, mais dans un cadre purement professionnel… Je n’ai pas honte, mais je préfère partager ça avec mes proches. Et puis il suffit d’une recherche sur Google et en quelques clics on finit par tomber dessus de toutes façons.

En tant qu’amie, tu m’as souvent parlé de l’importance de prendre soin de soi – pour tout le monde, mais en particulier pour nous féministes et militantes. Pourquoi ce sujet compte-t-il tant pour toi ?

Ça m’importe autant Françoise, parce que j’ai failli en mourir. Et ce n’est pas une métaphore. Pendant deux ans je me suis réveillée tous les matins avec des pensées suicidaires. Je n’arrivais plus à travailler : je ne pouvais plus ouvrir mon ordinateur et la sonnerie de mon téléphone m’effrayait. J’étais tellement habitée par l’anxiété que j’ai arrêté de sortir de chez moi. Pendant sept mois, je suis restée allongée sur mon canapé. Tout ça, ce sont des symptômes du burnout et de la dépression.

Quand j’ai finalement réussi à demander de l’aide, la psychologue m’a dit que j’avais été en surchauffe pendant dix ans. Elle m’a demandé de lui parler de mon rythme de vie, et je lui ai décrit une course ininterrompue. Impossible de me souvenir d’un seul moment de ma vie d’adulte où je n’avais pas été en train de courir. Le décès de ma mère a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Qu’as-tu appris de cette période de ta vie ?

Au bout du compte, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée. Pendant ces sept mois, je n’étais pas seulement assise là à ne rien faire. Je me reconcentrais sur moi. J’ai compris que ce dont j’ai le plus besoin, c’est de ma liberté.

"J’ai réalisé que ce dont j’ai le plus besoin, c'est de ma liberté"

Depuis, je suis une adepte du « self-care » : j’encourage les autres à prendre soin d’eux-mêmes. Je ne veux pas que d’autres traversent les mêmes épreuves que moi.

Dernière question: Quelle est ta devise féministe ?

« Un gagnant est un rêveur qui n’abandonne jamais » (Nelson Mandela).

 

J’espère que vous aussi, vous avez trouvé le récit de Diakhoumba inspirant. Retrouvez la première partie de notre conversation, où elle livre sa vision du féminisme, et la seconde partie où elle parle de dire non aux compromis.

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Qu’en pensez-vous?

Qu’en avez-vous pensé ? Quelle est l’influence de votre parcours personnel sur votre action militante ? On en parle ci-dessous dans les commentaires, ou alors sur Twitter et Facebook : @EyalaBlog.

Retrouvez Diakhoumba sur Twitter: @diakhoumbag2015