« Le mariage est un partenariat dans lequel tout le monde est au même pied d’égalité » – Dinah Musindarwezo (Rwanda) – 3/4

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Jusqu’ici je ne connaissais Dinah Musindarwezo que sur le plan professionnel, mais au cours de notre conversation, cette militante rwandaise pour les droits des femmes a accepté de me parler de comment elle applique les préceptes du féminisme dans sa vie privée. Il s’agit parfois de prendre des décisions douloureuses, comme elle l’a expliqué dans la partie précédente de notre entretien. Mais au quotidien, c’est en temps qu’épouse et mère qu’elle rencontre le plus de défis.

Ce que tu viens de me raconter me fait réfléchir à ce que ça veut vraiment dire de mettre nos valeurs féministes en pratique. Est-ce que tu y arrives toujours, ou est-ce qu’il y a encore des domaines de ta vie quotidienne où tu as plus de mal à le faire ?

Oh oui, il y en a ! En tant que mère, ce n’est pas toujours facile de donner une éducation féministe à mon fils. Chimamanda Ngozi Adichie disait que le monde entier se ligue contre les parents qui essaient d’appliquer les valeurs féministes dans leur façon d’éduquer. C’est exactement ce que je ressens en ce moment.

Quand il était tout petit, mon fils aimait toutes les couleurs : le rouge, le rose, le vert, le bleu, sans faire de différence. Il a toujours préféré les voitures mais si on lui donnait une poupée, il jouait avec.  Mais dès qu'il a commencé l'école, il a commencé à me dire qu'il n'aimait que le bleu. Si je lui donne quelque chose de rose, il me demande : « Pourquoi tu me donnes ça ? Je ne suis pas une fille ! » (Rires). J'ai dû lui expliquer qu'il n'y a rien de mal à ce que les garçons aiment le rose ou les filles aiment le bleu. Pareil pour ses longs cheveux : avant je lui faisais des tresses mais maintenant il refuse parce qu'il me dit qu'il ne veut pas ressembler à une fille !

Même misère chez moi ! J'ai dû demander à mon mari de porter des chemises roses pour que mon fils puisse voir que ça arrive aussi hommes de le faire… Tu aurais d’autres galères dont tu souhaiterais parler ?

Il y a tout ce qui concerne la façon dont mon partenaire et moi nous partageons les tâches ménagères. Nous travaillons tous les deux à l'extérieur de la maison et vu qu’on vit à Nairobi, on peut se permettre quelqu'un pour nous aider à nous occuper des enfants, cuisiner et nettoyer. Mais j’étais toujours la seule à faire le travail de planification : embaucher et gérer notre employée, m'assurer qu'on n'était pas à court de nourriture, et tout ça.  

Ça me rendait dingue et j'ai dû en parler à mon partenaire. On avait déjà reparti les rôles en termes de contributions financières aux dépenses de notre ménage, mais je voulais aussi qu’on partage la responsabilité de faire fonctionner le ménage – ce qui inclut la charge mentale liée à la planification. On s’est mis d’accord sur des solutions pratiques. Par exemple, pour les courses, il s'assure qu’il y a ce qu’il faut de fruits et légumes, et je m'occupe du reste. Mon partenaire passe plus de temps a s’occuper de notre fils, par exemple pour la douche ou le dîner. Et puis celui ou celle qui se réveille en dernier fait le lit. Au final, ce sont les petites choses qui comptent.

« Au final, ce sont les petites choses qui comptent »

Dinah, tout ça n’est pas un peu trop beau pour être vrai ? Dis-moi franchement : est-ce que vous arrivez vraiment à un partage équitable des tâches ?

Ça a pris du temps, mais on y arrive ! Mon partenaire se la raconte parce que ses amis le félicitent quand il va faire les courses, parce qu’il est un « bon mari ». Je lui rappelle de ne pas oublier de dire à ses amis qu'il a une bonne épouse qui achète du riz et de la viande. (Rires). C'est devenu une blague entre nous.

Evidemment on a encore du chemin à faire. Il m’arrive de cuisiner un repas de temps en temps, même si c’est juste le petit déjeuner. Par contre, ça fait trop longtemps que mon fils n'a pas vu son père aux fourneaux. Une fois il m'a demandé : "mais maman, les papas ne cuisinent pas, n'est-ce pas ?"

Ça fait mal, ça !

Carrément. Comment tu veux lui enseigner que les hommes ont leur place dans la cuisine s’il ne voit jamais son propre père aux fourneaux ? Je lui ai expliqué : papa sait faire la cuisine comme maman, c’est juste qu’il n’a pas beaucoup de temps pour le faire. Il a compris, mais après j'ai dû en parler à mon partenaire et lui demander d'aller cuisiner quand notre fils n’est pas loin. Le risque c’est que mon fils accepte de cuisiner chez moi mais qu’il arrête de le faire quand il deviendra papa.

Elles sont là, les batailles du féminisme au quotidien. Dans mon cas il s’agit de répartir plus équitablement les tâches domestiques et d'élever un fils qui saura s’impliquer à l'avenir.

En tout cas, on dirait que tu t'en sors bien mieux que moi ! Tu l’as dit, ce n’est pas toujours facile d’incarner nos valeurs féministes dans notre vie quotidienne. Quels conseils donnerais-tu aux femmes qui n’y arrivent pas aussi bien que toi ?

Mon conseil : ne lâchez pas l’affaire. Surtout si votre partenaire est un homme. Exigez qu’il s’implique dans les tâches domestiques. Mettez la pression pour que vos fils et vos filles comprennent que leurs responsabilités dans la maison ne dépendent pas de leur sexe.

« Mon conseil : ne lâchez pas l’affaire »

Et pour les femmes plus jeunes, mon conseil serait : épousez quelqu'un qui comprend et respecte vos valeurs. Faites-en un critère non-négociable de votre choix de partenaire. Mais comprenez aussi que même quand vous pensez qu’un homme a tout compris, il suffit de passer de la théorie à la pratique pour vous rendre compte qu’il y a encore du chemin à faire.

Évidemment, si ça ne vous dérange pas d’être seule à tout faire dans la maison, il n’y a pas de souci ! Mais sachez que quand ça commence comme ça, c’est pour la vie.  

Merci pour les conseils. C'est peut-être une question étrange, mais j'ai remarqué que tu utilises systématiquement le mot « partenaire » alors que tu es mariée. C’est moi ou tu évites délibérément le mot « mari » ?

Bien vu.  Je trouve que le mot « mari » vient avec tout un tas de connotations patriarcales et toutes ces attentes que la société a de ce qu’un mari est supposé être ! (Rires) On présume que le mari est le chef de famille, celui qui rapporte de l’argent, tout ça. Pareil pour toutes les attentes sur les rôles et les attitudes qu’une « épouse » doit avoir. Je choisis de dire que nous sommes des « partenaires » car pour moi le mariage est un partenariat dans lequel tout le monde est au même pied d’égalité.

Parler de « partenaires » c’est aussi remettre en question cette idée selon laquelle une relation sanctionnée par le mariage a plus de valeur qu'une relation entre deux personnes qui ne sont pas passées devant le maire. Je ne suis pas du tout d'accord. La société refuse de valider la relation de personnes qui vivent ensemble depuis des années sous prétexte qu'ils n'ont pas officialisé la chose. Avec mon choix de mots, j'essaie de neutraliser ce genre de discours.

Wow ! Cette conversation m'a fait repenser à mon mariage et me poser, à moi et à mon mari – euh, mon partenaire – des vraies questions de fond. J’attends vos réactions en commentaires ! On se retrouve ici pour la dernière partie de ma conversation avec Dinah. Elle y répond avec classe à certaines des questions les plus difficiles que je me suis posées sur le militantisme. On y va ?