« Je m’approprie et je politise sans réserve mon identité féministe. » : Kavinya Makau (Kenya) – 1/3
/Toutes les fois qu’on me demande ce qui m’a inspirée à commencer Eyala, je réponds que ce n’est pas « quoi » mais plutôt « qui », et je rends hommage à ces nombreuses féministes africaines avec qui j’ai travaillées au début de ma carrière. Celles qui m’ont inspirée à réfléchir à la politique derrière les politiques que je défendais. Celles qui avec patience ont répondu à ces questions qui se posaient au fur et à mesure que j’apprenais à intégrer des principes féministes dans tous les aspects de mon travail et de ma vie. Kavinya Makau fait partie de ces personnes.
Avocate des droits de l’Homme et consultante sur les questions de droits de femmes, personnes trans et non-binaires originaire du Kenya, la meilleure description de Kavinya est celle d’une féministe discrètement féroce. Elle n’a pas de patience pour des inepties, ne les accepte pas non plus et je l’aime pour cela. Ses analyses pointues ont aidé la jeune féministe que j’étais alors de naviguer les eaux parfois troubles du monde du développement international. Elle a aussi été la première personne à m’introduire au concept de bien-être d’un point de vue féministe. Dix ans plus tard, j’apprends toujours de sa détermination à mettre en pratique ce qu’elle prêche et son soutien indéfectible à ses sœurs dans le féminisme. Je suis donc très reconnaissante de pouvoir partager avec vous aujourd’hui l’une de nos causeries.
Dans cet entretien, vous lirez comment Kavinya a commencé à se définir comme féministe (Partie 1, ci-dessous), and ce que ce mot veut dire pour elle (Partie 2). Ne ratez pas la troisième partie où Kavinya nous donne ce conseil inspirant sur comment gérer le syndrome de l’impostrice féministe (qui, mes ami.e.s, est bien réel) !
Bonjour Kavinya ! Merci d’avoir pris le temps de me parler aujourd’hui. Comment te présenterais-tu à des personnes qui ne te connaissent pas ?
Je dis toujours : je m’appelle Kavinya Makau et je suis une avocate féministe. Voilà.
OK, il va m’en falloir un peu plus !
Eh bien, je suis kényane, j’ai 38 ans. Je suis une fille, une sœur et une tante — d’ailleurs tante est l’identité dont je suis le plus fière aujourd’hui.
Je suis une avocate spécialiste des droits de l’homme et qui plus est une avocate féministe. Parfois, les gens ne disent pas qu’ils/elles sont féministes parce qu’ils/elles veulent être politiquement correct. e. s, parce que c’est un mot intimidant ou parce qu’il est lourd de sens. C’est un terme que je me suis volontairement approprié, car c’est un geste fort de se déclarer féministe. En le nommant et en nous l’appropriant, nous reconnaissons la dimension politique du féminisme - un féminisme qui n’est pas caractérisé par des “si”, “mais” ou encore par la honte. C’est important, car c’est une manière de s’inscrire dans la lutte contre toutes formes d’oppression sexospécifiques et transversales, et d’ouvrir un espace de discussion.
Comment est-ce que ta fierté à te déclarer féministe a-t-elle été accueillie dans le milieu professionnel dans lequel tu évolues ?
Tout au long de ma carrière, tout du moins lorsque j’avais un poste officiel, j’ai eu le privilège de travailler pour des institutions féministes et de défense des droits des femmes. J’ai été ‘gâtée’ parce que j’étais avec des sœurs et des allié.e.s et je n’avais pas besoin de m’expliquer, du moins la plupart du temps.
Il y a quatre ans, j’ai commencé à travailler à mon compte et mon travail est globalement centré sur les questions relatives aux droits des jeunes filles et des femmes. Cela implique de travailler assez souvent avec de nombreuses institutions de droits de l’Homme ou de développement qui ne sont pas féministes. Et dans ces endroits, je me suis retrouvée à expliquer les choses les plus élémentaires sur la nécessité d’avoir une perspective qui vise à transformer le système de pouvoir patriarcal d’une manière qui ne véhicule pas des stéréotypes négatifs sur les filles, femmes, et les personnes trans et non-binaires africaines.
Je m’approprie et je politise sans réserve mon identité féministe. Je travaille avec une optique féministe et j’affirme cela plus délibérément que jamais.
Tu as intentionnellement placé le féminisme au cœur de ta vie personnelle et professionnelle. Comment cela se fait-il ? En repensant à ton parcours, y a-t-il quelque chose dans ton éducation ou même un élément de ta personnalité, qui t’ont poussée vers cette voie ?
Il y a plusieurs facteurs. Premièrement, j’ai grandi au Kenya dans les années 90, et c’était une époque où, en tant que société, nous recherchions des alternatives en termes de démocratie. Il y avait donc beaucoup de militantisme en faveur d’une démocratie multipartite solide. À la maison, nous avons été encouragé. e. s à beaucoup lire (y compris des publications non traditionnelles), à poser des questions et à nous faire notre propre opinion indépendante sur la situation. J’ai alors compris que je devais remettre en question le statu quo, et je continue à le faire aujourd’hui. On nous a également appris à défendre ce en quoi nous croyons et à ne pas nous en excuser. Je crois que le mélange de ces deux éléments, savoir ce qu’est le statu quo et savoir qu’on peut le remettre en question et le contester, le fait d’être conscient et de ne pas s’excuser, sont des choses qui ont une réelle influence sur les décisions que je prends. Donc, lorsque j’ai commencé à m’identifier comme étant une féministe il y a environ 14 ans, cela s’est produit naturellement, car c’était cohérent avec ma personnalité.
La plupart des féministes avec lesquelles je m’entretiens ne peuvent pas situer le moment exact où elles ont adhéré au féminisme. Comment y parviens-tu ? Peux-tu me dire ce qui s’est passé il y a 14 ans ?
J’ai commencé à étudier la nature sexospécifique des atteintes aux droits de l’Homme lors de mes cours consacrés au droit international et aux droits de l’homme à l’université. J’ai décidé que c’était un thème autour duquel je souhaitais travailler mais je n’avais aucun cadre pour le faire, ni de perspective politique pour le faire. Donc, après avoir obtenu mon diplôme de la Kenya School of Law, je suis allée travailler dans des cabinets de droit commun. C’était une expérience fantastique dont je suis très reconnaissante, mais cela m’a confirmé que ce n’était pas des espaces dans lesquels je voulais évoluer. Je ne voulais pas pratiquer le droit commun.
En 2006, j’ai obtenu un stage chez Urgent Action Fund — Africa, et j’avais postulé dans cette organisation parce qu’elle travaillait autour des violations sexospécifiques dans le contexte des conflits et des situations post-conflits, principalement dans le domaine de la justice transitionnelle et de la consolidation de la paix. Une fois là-bas, j’ai découvert que l’organisation soutenait des initiatives de construction de mouvement sur des questions que certains considéraient comme secondaires aux droits humains et aux droits des femmes, comme la prostitution et les droits des personnes LGBTIQ. Elle le faisait en appliquant délibérément une optique féministe à son travail.
La même année, la Charte des féministes africaines a été adoptée, et plusieurs membres du personnel et du conseil d’administration de l’Urgent Action Fund – Africa et de ses réseaux ont participé au processus. J’ai appris et je me suis inspirée d’eux; cela a été mon premier aperçu de ce qu’était le féminisme africain et ce que ça signifiait d’orienter son travail autour de celui-ci. Ça a été une grande révélation. On connaît la suite !