"Notre plus grand ennemi, c'est l’indifférence" - Laila Slassi, co-fondatrice de Masaktach - Maroc (4/4)

Ma conversation avec Laila touche à sa fin. Elle m’a parlé de Masaktach, le collectif qu’elle a initié pour dénoncer la culture du viol au Maroc : sa genèse (partie 1), sa plus belle campagne (partie 2), et les ingrédients de son succès (partie 3). Pour finir, elle me dit, sans langue de bois, ce qu’elle pense de la situation des femmes dans son pays.

Tu m’as expliqué que chaque campagne de Masaktach porte sur une problématique bien particulière. Avec du recul, qu’est-ce que tu as appris de la situation globale des femmes au Maroc ?

Il y a des gens qui pensent en toute bonne foi que les violences contre les femmes c'est un phénomène mineur. On a des problèmes d'éducation, de santé, de pauvreté, et toi tu viens nous emmerder avec des questions de femmes. Et pourtant c’est un problème grave et récurrent. Le fond du problème c’est que les violences contre les femmes sont vues comme légitimes dans ce pays.

“Le fond du problème c’est que les violences contre les femmes sont vues comme légitimes dans ce pays.”

Quand je me suis installée à Casablanca, j’ai d’abord été impressionnée par le dynamisme et la modernité de ce pays. Du coup certaines réalités sociales m’ont surprise, notamment en ce qui concerne la situation des femmes marocaines. A ton avis, qu’est-ce que la plupart des gens hors du Maroc ignorent sur la situation de la femme marocaine ?

Wow, cette question ! (Rires) Je pense que ce qui pourrait vraiment étonner c'est de savoir que les questions liées au genre, à la sexualité et aux droits des femmes n’intéressent personne. Tout le monde s’en fout. Certes on vient d'acheter un TGV, on a lancé un satellite dans l'espace. Magnifique, on est modernes. Mais derrière ce vernis de modernité qu'on vend à l'étranger, on se fout bien des réalités la vie des Marocaines.

Ça nous a pris dix ans pour adopter une loi contre les violences faites aux femmes qui représente une avancée extrêmement maigre – juste quelques mesures comme la criminalisation du harcèlement de rue. Dix ans !

“Notre manque d'intérêt peut avoir des conséquences terribles sur la vie des victimes de violences.”

Notre manque d'intérêt peut avoir des conséquences terribles sur la vie des victimes de violences. Prenons la loi, par exemple. Ça y est, le viol et le mariage des mineures sont punis par la loi. Mais la loi est appliquée par des gens qui s’en foutent ! Des violeurs se retrouvent en prison pour un an… et ça c’est quand ils ne prennent pas de sursis. C’est hyper violent pour les victimes, comme message. Récemment une jeune femme s’est suicidée après que son violeur s’en soit sorti à si bon compte. En tant qu’activistes, notre plus grand ennemi c'est l’indifférence.

Laila et son équipe en pleine action. Crédit photo: Masaktach

Laila et son équipe en pleine action. Crédit photo: Masaktach

Comment vis-tu le fait de porter la parole féministe dans l’espace public au Maroc? Moi, dès que je me présente comme féministe, certaines personnes veulent me montrer un trou dans lequel je peux me cacher pour être bien en sécurité. En toute bienveillance !

Ben oui, t'es une sorcière ! (Rires) On est dans un pays arabe, musulman et archi-patriarcal. Le Maroc, c’est le patriarcat à l'état pur. Toutes ces idées de féminisme, #MeToo et tout ça, c’est vu comme des idées que l'Occident veut nous imposer. C’est bien pour ça que nous tenons systématiquement à faire la distinction entre #MeToo et Masaktach. On est Marocain.e.s, c’est pour ça qu’on a choisi un hashtag en darija.

Et même avec ça, on nous accuse d’importer des idées occidentales et de vouloir aider les femmes à prendre le pouvoir à la place des hommes. C'est de la pure ignorance car la vocation première du féminisme, c’est l'égalité des droits, pas la prise de pouvoir.

“La vocation première du féminisme, c’est l'égalité des droits, pas la prise de pouvoir.”

Tu veux dire que Masaktach ne se revendique pas comme féministe ?

Ici, si tu commences par te présenter comme féministe, tu te retrouves dans des débats du type « je suis pour le droit des femmes mais je ne suis pas féministe » avec des personnes qui n'ont pas pris le temps de se renseigner sur ce qu'était le féminisme.

Donc avec Masaktach, on ne part pas de l’intellectualisation ou du concept, on part de l’action. On évite les débats, on agit et les gens adhèrent. C’est seulement après qu’on dit aux gens, « vous savez c'est féministe ce qu'on vient de faire » !

Vous montrez le féminisme en action avant de le nommer, c’est ça ?

Oui, c'est du féminisme en action, même si on n’a pas de projets de terrain classiques. Notre action se fait sur le terrain des opinions. On y arrive en utilisant les réseaux sociaux, et cet outil fait la différence entre nous et les féministes qui nous ont précédé.e.s.

Elles ont fait un boulot monstrueux, elles ont arraché des victoires sans cet outil. Aujourd'hui on est animé.e.s des mêmes envies et des mêmes valeurs. On a juste un outil en plus, qu'on maîtrise et qui fait la différence.

Dernière question – c’est un rituel sur Eyala. Quelle est ta devise féministe?

« Si une porte se ferme, je rentre par la fenêtre ! »

Merci à Laila de m’avoir parlé de Masaktach et de sa perspective sur la situation des femmes au Maroc. Vous pouvez retrouver Masaktach sur Twitter @Masaktach et Laila @Lylou20.

 

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