"L’activisme, c’est dans notre ADN" - Laila Slassi, co-fondatrice de Masaktach - Maroc (3/4)
/Dans cette troisième partie de notre entretien, Laila analyse les ingrédients du succès fulgurant de Masaktach. Ses conseils peuvent servir aux activistes du monde entier.
Masaktach existe depuis à peine plus de quatre mois, mais vous avez déjà des résultats impressionnants à votre actif. Est-ce que vous envisagez d’établir Masaktach comme association ou ONG ?
Pas du tout. Masaktach n’est pas une association. Déjà, l'idée de devoir rédiger des statuts, de pointer à la préfecture ou de voter pour savoir qui sera le chef, ça n'enchante personne. Ça ne fait pas partie de notre état d’esprit. Et puis on a tous une autre vie déjà ! Moi je suis avocate, mais on a aussi un journaliste, une artiste peintre, quelques chefs d’entreprise, une nana qui bosse dans un établissement public… Chacun a son boulot, sa vie sa famille, on ne va pas tout plaquer!
En plus, on est conscient.e.s de nos limites : on n'est pas du tout équipé.e.s pour ça. On sait que les associations qui existent au Maroc font un boulot extraordinaire sur le terrain. Elles ont des refuges, des centres d'écoute, etc. Il y a une faillite totale de l’État, et quasiment tout ce qui existe est fait par la société civile. Nous, on n’a pas du tout les mêmes moyens que ces associations, ni les mêmes ambitions.
L’activisme, c’est dans notre ADN. Voila pourquoi nous n’avons pas de programmes sur le terrain, à part notre suivi sur l'affaire Khadija. On se rend à toutes les audiences, et on live-tweete ce qui s’y passe. On aide aussi la famille à se construire après le drame : la reprise des études pour Khadija et un déménagement de la famille. On fait ce qu’on sait faire de mieux et on garde l’œil sur notre objectif.
“On fait ce qu’on sait faire de mieux et on garde l’œil sur notre objectif.”
Et c’est quoi votre objectif, en un mot ?
En un mot, c'est sensibiliser. On veut prendre de ces sujets qui jusqu'à présent étaient relégués à la rubrique des faits divers – après le foot, et encore ! – et faire en sorte qu'ils fassent la une de nos médias, qu’ils deviennent des trending topics, que tout le monde en parle.
Tu vois, au Maroc il y a l'Etat d’un côté, avec ses lois, ses politiques, et tout ça, et de l’autre côté il y a les associations qui font un vrai travail sur le terrain et interpellent les pouvoirs publics. Nous on expérimente un modèle dans lequel on se met entre les deux. On ne va pas supplier les pouvoirs publics de prendre toutes ces questions au sérieux. Si les politiciens s’en foutent, tant pis; on va parler aux gens directement sur les réseaux sociaux. On leur fait comprendre l’importance de ce combat. Comme ça, même si le politique ne fait rien, au moins le citoyen peut réagir.
“Si les politiciens s’en foutent, tant pis; on va parler aux gens directement sur les réseaux sociaux.”
Donc vous avez court-circuité les pouvoirs publics ?
On n’interpelle les pouvoirs publics que lorsqu’on n’a pas d’autre choix. On vient d’ailleurs de le faire pour la première fois, dans le cadre de notre campagne #HuelvaGate ensoutien aux “dames aux fraises”. Il s’agit de 130 femmes migrantes parties en Espagne comme saisonnières pour cueillir les fraises, et qui ont accusé leur employeur espagnol d'utiliser le viol comme un moyen de domination supplémentaire – en plus des conditions de travail absolument horribles qu'elles ont dû subir sur place.
On a interpellé l'ambassade du Maroc en Espagne pour leur demander de les accompagner financièrement et juridiquement dans le cadre de cette action en justice.
Ce qui revient dans ce que tu dis, c’est qu’en termes d’organisation, la flexibilité est un élément important dans le modèle Masaktach. Ça aussi, ça fait partie de votre ADN ?
Absolument. Il ne s’agit pas de choisir une structure puis d’essayer de nous tordre pour y rentrer. On est partis de notre objectif, on a recruté un petit groupe de personnes qui y adhèrent, sur la base des prises de position des un.e.s et des autres sur l'affaire Khadija, via Twitter. Ensuite on a réfléchi à comment on peut y arriver. C'est ça, l'avantage d'être un collectif plutôt qu’une association.
Une de nos plus grandes forces, c’est qu’on a une organisation horizontale plutôt que verticale. Masaktach c’est 12 personnes. Il n’y a pas de chef.fe. On se fait confiance, on essaie d’avoir un consensus. Quand il y a des dérapages on les règle rapidement entre nous et on avance.
“Un de nos plus grandes forces, c’est qu’on a une organisation horizontale plutôt que verticale. Masaktach c’est 12 personnes. Il n’y a pas de chef.fe.”
Cette flexibilité nous permet de mener notre combat sans lourdeurs. On n'a jamais fait une seule réunion physique, d’ailleurs on ne vit pas tout.e.s au Maroc et il y a au moins quatre membres que je n’ai jamais rencontré.e.s en personne. Au total, on a dû faire deux réunions téléphoniques, pas pour décider quoi que ce soit, mais pour partager l’euphorie après l'opération sifflets. On a juste un groupe privé sur Twitter dans lequel on discute à longueur de journée, et voilà.
C’est un modèle qui me fascine, peut-être parce que je viens du monde bien complexe des ONG. Dans ce que tu dis, il y a des leçons qui seraient bien utiles à d’autres initiatives féministes. Un dernier petit conseil pour la route ?
Le choix de la revendication, c’est très important. Chez Masaktach, on cherche toujours des petites victoires, donc nos revendications sont toujours très précises : que les radios arrêtent de diffuser les chansons de Saad Lamjarred, que les femmes utilisent un sifflet pour dénoncer le harcèlement de rue, etc. Ça prend tout de suite. Assurez-vous que vos revendications restent modestes mais très précises.