« Ce qui semblait aussi légitime à mes yeux, l’égalité entre les genres, ne l’était pas aux yeux des autres. » - Mafoya Glélé Kakaï (Bénin) 1/3

Mafoya Glélé Kakaï est une jeune artiste féministe béninoise. Elle est poétesse, peintresse et sculpteuse introspective, engagée dans une exploration personnelle à travers sa pratique artistique. Elle utilise son art comme un moyen d'expression authentique, pour raconter son histoire, ses émotions et ses expériences vécues en tant que femme et celles des autres femmes depuis ses propres lentilles. Elle se revendique artiviste, car son art est militant et se met au service des luttes féministes de diverses manières. Mafoya est également une blogueuse, juriste spécialisée en droits de la personne humaine. Elle se focalise sur la défense des droits des femmes béninoises et africaines.

Dans cette conversation, Chanceline Mevowanou discute avec elle sur son parcours féministe et son engagement en tant qu'artiviste. Dans la première partie de la conversation, elle partage des moments significatifs de son enfance, notamment son lien fort avec ses grands-parents, son amour pour la lecture et l'écriture, ainsi que ces questionnements liés au traitement des femmes qu'elle a observé, notamment dans les traditions et les attitudes sociales. Dans la deuxième partie, elle parle de ses réflexions concernant son rapport avec sa mère et les stéréotypes de genre, en particulier les attentes sociales liées au rôle des femmes et le début de son parcours artistique. Enfin, dans la troisième partie, la discussion porte sur le parcours personnel et artistique de Mafoya lié à l’art et à ses convictions féministes. 

************

Bonjour Mafoya. Merci d’avoir accepté de discuter avec moi. Peux-tu te présenter, s’il te plaît ?

Je m’appelle Mafoya Glélé Kakaï. Je suis juriste, peintressse, et poétesse féministe. Je suis la coordonnatrice du programme Girl Talk au Bénin avec l'organisation Choose Yourself. Je suis aussi blogueuse. Mon blog, c’est Agoodojie. C’est un blog féministe qui veut briser les tabous sociaux en abordant des sujets comme les règles, la sexualité féminine, la santé physique et mentale des femmes et aussi des faits de société qui touchent les femmes. Je suis originaire d’Abomey, plus précisément de Sinwé-Lègo. J’ai grandi et je vis à Cotonou. Je ne sais pas si mon nom de famille te le donne. Je suis descendante d’une famille royale du Bénin.

Oui, lorsque j’ai entendu le nom, j’ai fait un peu le lien. Alors, comment grandit-on en tant que descendante d’une famille royale ?

J’ai grandi à Cotonou, comme je le disais. J’ai passé le début de mon enfance à Akpakpa avec mes parents. On ne vivait pas très loin de mes grands-parents maternels. J’ai passé beaucoup de temps de mon enfance avec mes grands-parents du côté de ma mère. On passait énormément de temps avec eux. Nos parents étaient à cette étape de la vie où tu te construis, où tu travailles beaucoup. Les grands-parents étaient là. Ça faisait qu’on avait des adultes de confiance qui pouvaient prendre soin de nous en journée quand les parents allaient travailler. Quand je dis nos parents, je parle de moi et mes cousins/cousines. J’ai eu une enfance plutôt calme, plutôt bien, si on peut dire. J’étais une enfant assez sensible et curieuse. Je posais beaucoup de questions.

Tes grands-parents ont marqué ton enfance on dirait. C’était comment avec eux ?

Je me sens très proche de mes grands-parents. Il y avait ce respect qu’on devait avoir envers les grands-parents, mais ils étaient quand même assez ouverts à nous, leurs petits-enfants. Ils s’impliquaient beaucoup dans notre vie, au-delà du respect qu’on doit aux aînés, ce qui fait qu’ils ont beaucoup marqué notre enfance. 

Des deux, j’étais plus proche de ma grand-mère. À cet âge-là, on va dire que c’était ma meilleure amie. J’avais beaucoup d’humeurs et une façon de penser bien tranchée, ce qui faisait que je n’étais pas forcément acceptée dans mon environnement immédiat. J’avais souvent des disputes avec mes cousins/cousines, des choses comme ça. Et ma grand-mère, elle était cette personne-là qui me comprenait. Aujourd’hui, je ne peux pas dire qu’elle me comprenait, mais elle m’acceptait pleinement et entièrement. Et à chaque fois qu’il y avait des petites difficultés, j’allais me réfugier auprès d’elle. Elle me mettait souvent sur ses cuisses pendant qu’elle cuisinait. Je ne me souviens pas vraiment qu’on discutait, mais il y avait ces petits instants-là où je pouvais avoir un refuge en elle et tout.

Quant à mon grand-père, il était vétérinaire. Je pense que c’est lui qui m’a donné mon amour des animaux. Avec ma cousine, qui a quelques mois de plus que moi, il la tenait par la main et on allait nourrir les animaux dans le poulailler.

Tu situes ces moments à quel âge ?

De ma naissance à mes 6 -7 ans.

En dehors de la relation avec tes grands-parents, il y a d’autres choses qui ont marqué ton enfance ?

Oui. Les livres. Il y a la première fois que j’ai été inscrite à l’Institut Français qui s’appelait le Centre Culturel Français (CCF)  à l’époque. Je crois que j’avais entre 7 et 8 ans. Ça m’a beaucoup marquée parce que j’ai toujours aimé les livres. Je dévore les livres depuis ma tendre enfance et je me souviens que la première fois qu'on m’a emmenée au CCF et que je suis entrée dans la bibliothèque, j’ai eu l’impression de me trouver au paradis. C’était ma mère qui m’avait emmenée là-bas. C’est quelque chose qu’on partage, cette passion pour les livres. Et ça a été une expérience positive pour moi.

Et quels sont les livres que tu aimais lire à l’époque ?

C'étaient surtout les livres de contes que je lisais. Dans mon enfance, j’ai été marquée par les contes d’Ahmadou Kourouma. J’ai aussi lu Pourquoi le bouc sent mauvais et autres contes du Bénin. C'étaient beaucoup les livres de contes qui me fascinaient quand j’étais enfant. Il y a la poésie que j’écrivais aussi. Mon père est un poète publié. Et j’ai grandi avec cet homme qui, quand il avait une inspiration, tout devait s’arrêter autour de lui pour qu’il écrive. Il nous réunissait les soirs dans le salon, mon frère, ma mère et moi, et il nous lisait ses poèmes.

Tu te rappelles la première fois que tu as écrit un poème ?

Oui. Il y avait un concours qui avait été organisé dans mon école quand j’étais au cours primaire, où on devait créer des objets qui seraient mis dans un coffre à trésor qui devait être ouvert en 2050 pour montrer aux enfants de 2050 comment nous, on vivait à l’époque. J’ai eu envie de participer, mais je ne savais pas quoi faire. Je dessinais déjà depuis ce moment-là, mais je n’ai pas eu envie d’utiliser le dessin comme médium. Le jour où on devait rendre nos idées, parce que d’abord, on devait rendre les idées, les meilleures idées seraient sélectionnées. Et quand ton idée est sélectionnée, tu vas au bout de l’idée. Je me souviens du jour où on devait rendre les idées, c’était à la rentrée après les congés de Noël. J’étais dans la salle de bain en train de me laver et je me suis souvenue de mon père qui écrivait. Je me suis dit, tiens, je vais m’essayer à la poésie. 

Mon idée a été sélectionnée, puis j’ai écrit le poème. Mes parents ont lu, ils ont corrigé les petites fautes qu’il y avait. Mon poème a été retenu et j’ai dû le clamer, le déclamer, lors de la cérémonie où on enfermait les œuvres dans le coffre. Pour une enfant hyper timide comme moi, c’est un événement qui m’a marqué, qui m’a donné envie d’écrire encore plus.

C’est super. Il y a des choses négatives qui ont marqué ton enfance ?

Oui. La mort de mes grands-parents pour commencer. Ils sont décédés l’un après l’autre en deux mois d’intervalle et puis on a déménagé. C’est là qu’on est venu vivre dans le quartier où je vis actuellement qui est Fifadji. Le décès de mes grands-parents m’a énormément affectée.

Oh, je suis désolée.

Ensuite, ce sont les moments d’inégalité que j’ai pu remarquer. Au cours primaire, souvent quand on voulait élire les responsables de classe, on faisait en sorte que ce soit toujours un garçon qui soit le premier responsable et que le second responsable soit une fille, comme si les filles ne pouvaient pas occuper le poste de responsabilité aussi bien que les garçons. Je n’avais pas, à ce moment-là, assez de force de caractère pour me proposer moi-même aux élections, mais à chaque fois qu’il y avait une fille qui se présentait, même quand le garçon qui se présentait, c’était un ami très proche de moi, je votais toujours pour la fille. J’ai l’impression d’être née un peu comme ça, avec cette préférence, cette envie de faire en sorte que les femmes soient rayonnantes. Ce qui faisait que j’étais toujours dans le camp des femmes, quoi qu’il arrive.

J’ai l’impression d’être née un peu comme ça, avec cette préférence, cette envie de faire en sorte que les femmes soient rayonnantes.

Quand en 2006, Marie-Élise GBEDO (première femme béninoise à se présenter aux élections présidentielles) s’est présentée aux élections et qu’à l’école, on me demandait, si toi tu pouvais voter, tu allais voter pour qui  ? Je disais toujours que je voterais pour la seule personne qui me ressemble parmi les candidat.e.s : Marie-Élise GBEDO. C’est la seule femme que je vois, donc c’est pour elle que j’allais voter. La première pièce de théâtre que j’ai écrite, et d’ailleurs la seule que j’ai écrite, c’était au CM2. On devait faire un spectacle de fin d’année, et j’ai écrit une pièce de théâtre qui montrait une femme qui allait essayer de convaincre les gens de son village de voter pour elle à une élection et qui finissait par réussir par gagner les voix des gens de son village. Cette pièce, elle m’a été clairement inspirée par Marie-Élise GBEDO parce qu’à l’époque de mon CM2, elle allait aux élections et les gens étaient généralement contre elle. Et je pense que ça aussi, c’est une prise de conscience féministe, même si à ce moment-là, je ne savais pas. J’ai longtemps cru que j’étais peut-être bizarre, que j’étais une alienne, parce que ce qui semblait aussi légitime à mes yeux, l’égalité, entre les genres, égalité de sexe, ne l’était pas aux yeux des autres et je ne comprenais pas.

Parlant de prise de conscience féministe, ou de tout ce qui s'en approche, y a-t-il d'autres moments qui te viennent à l'esprit ?

Il y a mes constats liés aux impositions de couleurs. Je n’étais pas contente qu’on essaie de m’imposer l’amour du rose, soi-disant parce que c’était une couleur féminine. Je n’aimais pas le fait qu’on genrait les couleurs. Pour moi, c'étaient juste des couleurs. Et pour quelqu’une qui a la fibre artistique depuis l’enfance, je n’ai jamais vraiment eu de couleur préférée. Je les aime toutes parce que pour moi, elles expriment des choses différentes à différents moments. Et le fait qu’on voulait m’imposer le rose, ça m’énervait. Quand il y avait tout plein d’objets qu’on doit distribuer, qu’on me disait « ah tiens, toi t’es une fille, il faut prendre le rose », ça me mettait hors de moi. C’est un moment de prise de conscience féministe, même si à l’époque j’ignorais pourquoi, je me suis juste mise à haïr le rose avec une profondeur que je ne comprenais pas. Même si maintenant je me suis réconciliée avec la couleur parce que le fait de ne pas genrer les couleurs, c’est accepter toutes les couleurs comme elles sont et ne pas rejeter les couleurs dites féminines.

Tu évoquais le fait que tu sois descendante d’une famille royale. Y a-t-il des choses que tu observais au sein de ta famille et qui ont également suscité des prises de conscience ?

Oui. Quand on allait par exemple à Abomey avec les parents, je voyais la façon dont on traitait mon frère, comparativement à moi. Quand les adultes s’adressaient à moi pour me demander d’après mon frère, ils avaient tendance à me demander « et ton grand frère ? » et je répondais « je n’ai pas de grand frère. C’est mon petit frère et il va bien ». Et on me répondait « ah, même s’il a un an et que tu en as sept ou six, c’est ton grand frère ici ». Et je disais « non, c’est moi l’aînée, c’est moi la grande sœur. »

Quand on doit saluer le roi ou les chefs de collectivité, les hommes, eux, ils se frottent, ils apposent juste leur front sur le sol. Je ne comprenais pas pourquoi les femmes devaient s’annihiler à ce point-là. Moi, j'ai rarement embrassé le sol. Je faisais à la manière des hommes. Je n’aimais pas non plus le fait qu’à chaque cérémonie, les hommes soient assis en train de rigoler, que ce soit les femmes qui se gênent à la cuisine. J’ai toujours pensé à ce moment-là que c’était une vie que je ne voulais pas pour moi. Ce sont des choses qui m’ont négativement marquée.

Dans la deuxième partie de la conversation avec Mafoya, nous explorons ses réflexions concernant son rapport avec sa mère et les stéréotypes de genre, en particulier en ce qui concerne les attentes sociales liées au rôle des femmes et le début de son parcours d’artiviste féministe. Cliquez ici pour lire la partie 2.

Faites partie de

la conversation.

On a hâte de savoir ce que vous en avez pensé. Vous pouvez écrire un commentaire ci-dessous, ou on pourrait se causer sur Twitter, Facebook ou Instagram @EyalaBlog.