« Ma mère a créé un coin Afrique en plein milieu du Maryland » : Stéphanie Kimou (Côte d'Ivoire/États-Unis) - 3/4
/Lorsque Stéphanie Kimou, militante américano-ivoirienne, m'a parlé de sa puissante mission visant à faire du développement international un secteur plus inclusif pour les femmes noires (cliquez ici si vous l'aviez manquée), cela m’a donné l’envie d’en apprendre d’avantage sur le parcours personnel qui l’a conduite à faire ce choix. Dans cette partie, nous parlerons de son identité hybride et comparons les notes de nos voyages respectifs en tant qu’immigrantes noires.
Nous avons beaucoup parlé de ce que tu fais et de ce en quoi tu crois. Je propose de changer maintenant de sujet pour parler de qui tu es. Nous nous connaissons depuis deux ans maintenant, et je pense que tu es la seule personne que je connaisse qui soit autant africaine que américaine. Je me demande comment cela se passe dans la façon dont tu abordes ton travail. Par exemple, depuis le moment où nous avons commencé cette conversation, tu utilises les mots «noire» et «africaine» de façon interchangeable.
Tu sais Françoise, tu me l’as déjà dit et c’est intéressant parce que moi je ne le remarque pas. Tu es littéralement la seule personne de ma vie à me faire cette remarque.
Vraiment? Peut-être que je me trompe…
Non, je pense que tu as raison. Je ne connais personne qui soit plus capable que toi d’identifier ce genre de choses.
Donc à quoi est-ce dû?
Je ne sais pas. Je dois y réfléchir. Tout de go, je dirais que je suis chanceuse de ne m’être jamais sentie rejetée sur le fait de ne pas être assez africaine ou assez américaine. Peu importe que je sois avec mes sœurs africaines ou mes ami.e.s afro-américain.e.s, que je sois avec ma famille ivoirienne ou mon mari afro-américain, je suis toujours tout à fait moi-même et les gens m'acceptent telle que je suis.
J’ai grandi aux États-Unis mais ma mère était déterminée autant que possible à ce qu’on garde notre identité ivoirienne. C'était sa priorité numéro un. Elle a veillé à ce que nous sachions tout sur la Côte d’Ivoire: la nourriture, la langue, la politique, l’histoire. Elle s'est assurée que nous y retournions une fois l’an. Ma mère a créé un coin Afrique en plein milieu du Maryland, ce qui m'a permis de grandir dans cette africanité authentique que je porte encore en moi aujourd'hui.
D’autre part, je n’ai jamais eu à négocier le fait d’être Noire aux États-Unis parce que être noire est une expérience si naturelle et partagée ici - tant qu’on est prêt.e à y prendre part, ce qui était le cas pour moi. Donc, je ne remarque, ne différencie, ni ne négocie rien de tout cela. Je suis africaine et américaine en tout temps. C'est en fait la première fois que j'y réfléchis avec une telle profondeur.
Merci à Mama Kimou! Je dirai que tu incarnes le terme «Afro-Américaine» d’une manière que je n’ai jamais vu auparavant: tu es une Noire en Amérique, mais tu es aussi totalement africaine et totalement américaine. C’est fascinant pour moi parce que je suis française et camerounaise, et laisse-moi te dire que je ne connais aucun.e immigrant.e africain.e en France qui puisse dire qu’elle (il) n’a pas à négocier entre ses deux identités. Ce qui me fait me demander qu’elle a été ton expérience l'année dernière, lorsque tu es allée vivre à Paris pendant quelques mois ?
Pour moi c'était si difficile d'être en France. Je n’ai pas ressenti cette expérience commune d’être noire qui règne partout aux Etats-Unis. En tant qu’américaine et ivoirienne, j’ai plutôt ressenti combien l’expérience d’être Noir.e en France est fragmentée.
Aussi, parce que je suis ouest-africaine, les Français ne s’intéressaient pas du tout à moi, dans un premier temps, mais dès que j’ouvrais la bouche et que je parlais Français avec mon accent américain ou que je parlais anglais avec mon mari, ils étaient soudainement impatients de connaître notre histoire et de nous inviter partout.
N’est-ce pas! De part mon expérience, la seule femme noire qui n’a pas à lutter pour le respect en France est la femme noire américaine. Tu aurais pu jouer cette carte! Tu n’as pas eu à le faire?
Comment aurais-je pu me sentir bien d’être des Etats Unis si là était la seule raison pour laquelle on s’intéressait à moi? Ce que j'ai vu en France était une bien triste et inquiétante hiérarchisation des noirs.
J'ai ressenti cette dernière phrase au plus profond de mon âme. Avant de dire au revoir à Stéphanie, je tenais à lui demander ce que le féminisme signifiait pour elle et comment elle était devenue féministe. Cliquez ici pour savoir ce qu'elle a à dire à ce sujet.