« Il faut multiplier les espaces de rencontres féministes où nous pouvons parler de nos réalités. Cela ne peut que renforcer nos liens. » - Marie-Bénédicte Kouadio (Côte d’Ivoire) 2/2

Notre conversation avec Riane-Paule Katoua, Marie-Bénédicte Kouadio et Mariam Kabore se poursuit.

Dans la première partie, nous avons parlé de leurs questionnements, des réalités qui ont suscité ces questionnements chez elles et de la manière dont elles vivent leurs convictions féministes. Dans cette deuxième partie, elles abordent leurs rapports à la lecture, l’éducation féministe, l’importance de documenter les histoires des femmes africaines et leurs rêves en tant que féministes.

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Comment est-ce que vous gérez le fait que les gens soient toujours là à essayer d'attaquer les féministes, à ramener les questions reloues ?  

Marie-Bénédicte : Au début, c'était difficile parce que moi, j'aime bien répondre à tout. Quand je me sens attaquée, immédiatement, je viens répondre. Donc, j'avais tendance à tout le temps être sur la défensive. Quand quelqu'un m'attaque, je réponds. Plus tu participes au combat, plus tu vois qu'il y a plus important en fait. C'est vrai que nous sommes toutes des humaines et souvent, il y a des mots qui sont très forts. Il y a des choses qui sont dites qui te font vraiment mal et tu te poses des questions, est-ce que je dois répondre, est-ce que je ne dois pas répondre. 

Maintenant, je pense qu’il faut apprendre à ne plus répondre à tout. Au pire, tu viens, tu ironises dessus et puis tu passes. Quoi que tu diras, ils continueront de t'attaquer, de te rabaisser. Donc, mieux, tu passes et tu te concentres sur les combats qui sont importants, qui vont faire avancer la lutte, qui vont faire avancer les droits des femmes. Les conseils des devancières me permettent aussi de prendre un peu de recul. C'est vrai que parfois, c'est vraiment énervant et je viens quand même parler, mais j'essaie au maximum ces temps-ci d'être en retrait des débats qui n’avancent en rien le combat.  

Ce n'est pas toujours facile, mais nous allons y arriver. Pour en revenir aux livres, y a-t-il des livres féministes que tu as lus et qui t'ont marquée ?

Marie-Bénédicte : Oui, il y a beaucoup, beaucoup de livres qui m'ont marquée. Il y a par exemple, c'est un livre français, ça s'appelle « Féminisme et pop culture », de Jennifer Padjemi. C'est un livre sur lequel je suis tombée totalement par hasard, mais qui m'a vraiment marquée, en ce sens qu'il aborde les questions féministes, donc les grands points des luttes féministes, mais elle le fait, c'est une autrice, avec des exemples de la vie courante. Elle a décidé de choisir la pop culture, le cinéma, la musique, les séries, et elle se sert de ces exemples-là pour montrer l'avancée des luttes féministes. Par exemple, dans le livre, elle nous parle de la représentation de la femme noire dans les séries. Donc avant, tu étais dans un schéma où il n'y avait pas du tout de femmes noires dans les séries, ou bien si elles étaient là, elles avaient le rôle de nounours, de ménagères, elles étaient invisibilisées. 

C’est intéressant.

Marie-Bénédicte : C'est l'un des premiers que je recommande. Il se lit facilement, malgré qu’il soit assez volumineux. Il y a un autre livre, là, je l'ai lu, il n'y a pas longtemps. C'est une sorte d'autobiographie d'une féministe ivoirienne, elle s'appelle Madame Georgette Zamblé. Elle a fait un peu une autobiographie de sa vie et qui, en même temps, aborde les questions féministes, comment elle s'est découverte féministe, comment elle a réussi, en fait, à changer les choses dans sa communauté, comment elle a mené certains combats et tout, et j'ai trouvé très intéressant de lire ça, parce que ça te conforte, en tant que jeune femme, en tant que jeune féministe, ça te conforte dans le fait que tu n'es pas folle, en fait. S'il y a des dames d'une cinquantaine d'années qui te parlent des choses que toi, tu vis actuellement, des combats que tu mènes actuellement, c'est clair que tu n'es pas folle. Tu n'es pas venue créer, comme les gens disent. Tu n'as pas importé ça de l'Occident, comme ils disent sur Facebook. 

Dirais-tu que les livres que tu lis ont participé à ton éducation féministe ?

Marie-Bénédicte : Oui. De base, les livres, quel que soit le genre de littérature qu'on lit, ça a forcément une influence sur notre culture, sur notre personne. Donc lire des livres qui sont en rapport avec le féminisme, c'est clair que ça te forme, ça te permet d'approfondir certaines notions, de découvrir même l'histoire du féminisme. En tout cas, ça te permet de te rendre compte que ce sont des combats qui sont justes, ce sont des combats qui ont lieu d'être et que tu fais bien d'apporter ta part à l'édifice. C'est toujours bien d'avoir plus de culture, plus d'arguments parce que forcément, c'est clair que tu ne voudras pas rentrer dans tous les débats, mais arriver à un moment, tu sais comment monter au créneau pour défendre certains de tes points de vue. Et c'est toujours bien d'avoir des exemples sur lesquels s'appuyer pour étayer tes propos en fait.

Mariam, est-ce que toi, tu as eu accès aux livres, aux contenus féministes pour t’éduquer ?

Mariam : Internet. On dit merci Internet. En fait, de base, je suis quelqu'un, j'aime beaucoup chercher et j’ai trouvé certains livres. Je pense que le premier livre que j'ai lu, c’est un livre de Simone de Beauvoir. Il y a des livres que je ne pouvais pas avoir parce que même quand tu vas à la bibliothèque, impossible, tu ne vas pas trouver. Il y a aussi une autrice nigériane, je crois. Sinon, la majorité de ce que j’ai lu pour en apprendre plus, c'était soit des articles, soit des thèses.

À ton avis, comment est-ce qu’on peut vulgariser plus de contenus féministes pour permettre à plus de filles, de jeunes femmes de s’éduquer ?

Mariam : Pour moi, ce qui serait génial, c’est déjà d'avoir des livres qui parlent de féminisme dans les bibliothèques. La plupart des collèges, des lycées et des universités ont des bibliothèques. Et dans leur registre, tu ne vas jamais, au grand jamais, trouver un livre féministe. Si tu as trouvé un livre féministe là-bas, c'est que ça s’est faufilé. Tu peux tomber dessus. Mais voir une rangée féminisme, tu ne vas jamais trouver. Donc, s'il y avait cet effort-là qui était déjà fait au niveau des bibliothèques, on avancerait. Parce que moi, je sais que quand j'étais au collège, au lycée, je passais beaucoup de temps là-bas et je lisais tout et n'importe quoi. Donc, je trouve que ça aurait beaucoup instruit. Et ça allait commencer depuis le bas âge. Maintenant, il faut aussi avoir plus de librairies et des bibliothèques spécialisées, comme 1949. Il nous faut beaucoup plus de librairies féministes parce qu'il faut accentuer les messages féministes.  

Je vois que des associations féministes ont de plus en plus des bibliothèques féministes dans leurs sièges.

Mariam : Oui. Il faut des clubs de lecture, par exemple. On se rejoint une fois par mois et on discute du livre. Et puis un truc que, personnellement, je pense qu'on peut faire, c'est de partager les messages féministes tout le temps, comme les évangélistes.

Un peu comme les témoins de Jéhovah.

Mariam : Franchement, moi, si j’ai la détermination des témoins de Jéhovah, j'accomplis tout dans ma vie. Avec cette détermination-là, tout est possible. J’imagine le contexte si des féministes font ça. On frappe à la porte et ils nous ouvrent. Et puis on dit : vous connaissez le féminisme ? Non ! Laissez-moi vous expliquer. (Éclats de rire)

Hahaha!

Mariam : Laissez-moi vous expliquer. Vous savez, on vit dans une société patriarcale, vous savez ça ?

Il y a une autrice afro-américaine, bell hooks, qui évoquait une idée comme ça. Elle dit : « Imaginez un mouvement féministe de masse où des gens feraient du porte à porte pour distribuer des textes, en prenant le temps (comme le font les groupes religieux) d'expliquer aux gens ce qu'est le féminisme... »

Mariam : Elle n’a pas tort. Parce que quand tu es endoctriné, c'est difficile de changer si tu ne reçois pas les infos.

Riane, comment est-ce que tu t'es retrouvée à la bibliothèque 1949 ?   

Riane-Paule : Alors, j'avais fini mes études, tu vois. Et je me baladais sur Facebook et je suivais Edwige DRO, qui est la directrice de la bibliothèque 1949. Je faisais des recherches, parce que je voulais l'interviewer pour un projet personnel. Et donc, je suis allée suivre sa page Facebook et elle a lancé l'appel pour le stage. J'ai dit, pourquoi pas ? J'étais consciente que je ne connaissais pas assez d'écrivaines africaines, noires aussi. Donc, je me suis dit, ok, pourquoi pas ? Ça me permet de comprendre, d'apprendre, de découvrir. Et puis, d'apprendre, d'acquérir des connaissances. J’ai été acceptée et j'ai commencé à travailler là-bas.  

Depuis que tu es à la Bibliothèque 1949, qu’est-ce qui te passionne dans le fait de travailler là ?

Riane-Paule : Il y a plusieurs choses qui me passionnent. La première, c'est déjà d'apprendre, de découvrir. Parce qu'à chaque fois, je découvre des écrits d’écrivaines noires. En tout cas, des femmes qui me ressemblent. Des écrivaines noires, des histoires. À travers leurs histoires, à travers leurs œuvres, je découvre d'autres réalités de femmes noires, en fait, partout dans le monde. D'autres théories, d'autres autrices, d'autres autrices d'autres siècles. Il y a ensuite le fait de travailler aussi avec la fondatrice. Je ne parle pas beaucoup d'elle, mais sa connaissance, en fait, par rapport à l'histoire, tu vois. Donc, j'apprends encore avec elle. Et puis enfin, le fait de pouvoir partager, en fait, ce que j'apprends, ce que je découvre, avec les personnes qui viennent lire. C'est-à-dire les jeunes, les enfants, ils ont l'habitude de venir lire ici.

Et quels sont les livres qui t'ont marquée à la Bibliothèque ?

Riane-Paule : Alors, déjà le premier, c’est « Les traditions-prétextes : le statut de la femme à l'épreuve du culturel » de Constance Yaï. Je ne savais pas qu'il y avait des livres théoriques manifestes comme ça. Je ne pensais pas qu'il y avait des femmes ivoiriennes qui pensaient comme ça et qui pouvaient même l'écrire. Il y a ça et le livre de Maryse Condé, « Tituba », j'adore. Au fur et à mesure, je pense qu'il y aura plusieurs autres livres qui vont me marquer à travers mes lectures.

Les livres ont-ils influencé la manière dont tu le vis le féminisme ?

Riane-Paule : Prendre conscience, c’est aussi la connaissance. Je pense qu'au fur et à mesure que je lis des livres, j'ai pris confiance en moi. J’ai pris confiance maintenant parce que je connais, j'apprends. Donc, je sais mieux défendre mon féminisme. Donc, je ne sais pas ce qu'on peut me dire là qui va essayer de me décourager, me faire croire que ce que je fais, c'est mal. Donc, ça me donne plus confiance. J'ai pris conscience aussi de tout ce que les femmes vivent aussi, tu vois partout. Donc, j’ai pris confiance et puis l’assurance. C'est ce que ça m’apporte.

C’est vrai oui. Quand tu sais, tu as plus confiance.

Riane-Paule : C’est pour ça qu’on doit apprendre. Parce que quand on apprend, on peut se défendre et on peut essayer de partager et attirer d'autres personnes qui sont dans le doute. C'est-à-dire, même les féministes, les féministes doivent continuer à apprendre. C'est bien aussi de faire du militantisme, mais c'est aussi bon d'acquérir la connaissance. On écrit peu aussi. Il faut écrire beaucoup. Des livres, des articles. Écrire notre histoire, écrire comment on pense, la vie ou la société qu'on aimerait. Lire, écrire et puis partager. Partager toujours. Même dans les petits coins. C'est comme ça que je vois les choses.

Ça rejoint un peu le fait de partager le féminisme dont parlait Mariam.

Riane-Paule : Ouais, exactement. Je vais donner un exemple des histoires. C'est-à-dire que si chaque femme écrivait son histoire, il y aurait moins de gens qui parlent à notre place. J'ai l'impression que les hommes parlent trop à notre place, en fait. Voilà comment on était. On voit les gars sur Facebook qui disaient : « Ah, nos mamans d'avant. Nos mamans d'avant étaient comme ça. » Ce qui est drôle, c’est que c'est faux. Si les mamans d'avant pouvaient écrire ce qu'elles vivent, ne serait-ce que dans un foyer, relater tout ce qu'elles vivaient, leurs ressentis, je ne pense pas qu'on entendrait toutes ces bêtises-là, en fait. 

Tu soulignes un bon point.

Riane-Paule : C’est très bien. Il y a mon cousin qui est venu récemment à la bibliothèque. Et lui, la première question qu'il m'a posée, c'est : est-ce qu'il y a des livres qui expliquent le féminisme en Côte d’Ivoire ? Il est trop dans ses privilèges, tu vois. Parce que pour lui, il se dit intérieurement que c'est un truc occidental, tu vois. Donc, il cherchait un livre qui relate l'histoire du féminisme ivoirien. Je lui ai dit : « Frère, lis. » Je lui ai proposé des livres. Quand les filles viennent, des collégiennes, lorsqu'elles viennent à la bibliothèque, je leur donne un livre de Mariama Bâ, en premier.

Tu fais bien.

Riane-Paule : C’est ça. On doit lire ce qui se passe ici. Je ne vais pas commencer avec les théories féministes d’ailleurs. Je dis : lisez Mâriama Bâ. Vous allez savoir. Puis, au-delà des livres, les contenus féministes doivent être divers, c'est-à-dire, soit des livres, soit des podcasts, des articles.

Marie-Bénédicte : Par exemple, il y a ORAF, Organisation pour la réflexion et l'action féministe, qui a une bibliothèque et elle a de très bons livres également. Ce sont des espaces où l'abonnement n'est pas forcément cher. Tu peux passer une partie de ton samedi là-bas, tu lis un peu, tu découvres. C'est toujours très intéressant de participer, de fréquenter ce genre d'endroits-là.

Très intéressant. Selon vous, comment peut-on faire en sorte qu'aujourd'hui, les adolescentes puissent commencer à avoir accès à une éducation sur le féminisme ?

Marie-Bénédicte : Les adolescentes ne sont pas forcément sur Internet, beaucoup n'ont pas encore de téléphone portable. Elles sont dans les écoles, elles sont à la maison, donc c'est de vraiment créer des petits espaces, aller leur parler, pas forcément même de féminisme, mais leur parler déjà de leurs droits en tant que jeune fille, leur parler de consentement, leur parler des règles, essayer de déconstruire en elles les tabous. C'est déjà un premier pas.

Aussi, il y a la lecture. On en a discuté. Beaucoup d'entre nous ont été éduquées sur ces questions, aussi via la lecture. Il y a de plus en plus de livres qui sont adressés justement à cette tranche d'âge, aux adolescentes, qui leur permettent d'avoir déjà les premiers outils de ce qu'est le féminisme. Je pense, par exemple, à « Nous sommes tous des féministes » qui a été fait en bande dessinée. Donc, c'est beaucoup plus facile pour elles de lire la bande dessinée, de comprendre. Il y a aussi « Chère Ijeawele, le manifeste pour une éducation féministe ». Ce sont des petits livres comme ça, qui ne sont pas difficiles à lire, qui ne sont pas très longs, et qui leur permettront d'avoir déjà les bases de ce qu'est le féminisme. Plus elles grandiront, plus ces notions prendront place en elles.

En effet. Comment est-ce que tu définirais le féminisme avec tes propres mots ?

Marie-Bénédicte : Selon moi, le féminisme, c'est la lutte pour la consolidation des droits des femmes et aussi une lutte pour accueillir de nouveaux droits parce que l'acquisition des droits n'est pas terminée. Il y a beaucoup de choses qu'on nous refuse encore en tant que femmes. Être féministe, c’est faire en sorte que les droits des femmes aujourd'hui ne soient pas bafoués, que nous ne rétrogradions pas, et aussi se battre pour accueillir de nouveaux droits.

Quels sont tes rêves à toi en tant que féministe ?

Marie-Bénédicte : Mon plus grand rêve, c'est que le féminisme en Afrique de l'Ouest arrive à un moment où les femmes ne seront plus vues uniquement à travers le prisme du mariage et du foyer. Qu'on les voit vraiment en tant qu'êtres humains, et qu'à partir de là, on leur reconnaisse tous les droits qui doivent être reconnus. Je veux que le poids de la tradition africaine sur la condition des femmes soit levé. Et mon second rêve, c'est que les liens de sororité que les féministes ivoiriennes et africaines de l'Afrique de l'Ouest ont tissés ne se dégradent pas, pour quelque raison que ce soit, et que nous continuions de rendre ces liens vraiment très forts, parce que c'est ensemble que nous pourrons arriver à l'idéal que nous souhaitons.

Tu parles de sororité. Comment est-ce qu'on peut consolider cette sororité-là, à ton avis ?

Marie-Bénédicte : Je pense que déjà, on a un peu compris et on avance. Par exemple, nous avons eu ici notre petit cercle de parole à la bibliothèque 1949. Donc, on n'a pas besoin d'être 100 ou 1000 pour créer des liens. À chaque fois que nous avons l'occasion de nous retrouver entre nous, n'hésitons pas à venir, que ce soit pour un club de lecture, un cercle de parole, ou une activité organisée par une autre organisation. Il faut toujours être là où tes sœurs sont pour leur apporter ton soutien, leur dire que tu sais les efforts qu’elles fournissent pour la cause. Et toi, je suis là pour les soutenir au cas où elles seraient fatiguées, ou auraient besoin de toi. Donc, je pense qu'il faut multiplier les espaces de rencontres féministes, vraiment faire plus d’espaces non mixtes, où nous pouvons parler de nos problèmes et de nos réalités. Cela ne peut que renforcer nos liens.

Être sorore implique de se connecter. 

Marie-Bénédicte : C'est ça.

Riane, pour toi, c’est quoi la sororité ?

Riane-Paule : Alors, la sororité, c'est un terme un peu compliqué pour moi, tu vois. Je ne sais pas comment le dire, mais c’est « être ensemble ». Je pense que, déjà, les femmes n'ont pas toutes les mêmes vécus, même dans le contexte féministe, on n'a pas toutes le même vécu. Donc, être consciente qu'on est différentes et essayer de comprendre les autres. Essayer de comprendre les autres tout en restant unies sur le même objectif. Tu vois, le but final, c’est la libération des femmes. En tout cas, c'est comme ça que moi, je conçois la sororité.

Comment est-ce que tu définirais le féminisme ?

Riane-Paule : Simple, la liberté de choix des femmes. C'est toujours comme ça que j'ai défini le féminisme, en tout cas, c'est comme ça que je le définis personnellement. La liberté de choix, la liberté de laisser les femmes choisir ce qu'elles veulent, comment elles veulent vivre leur vie. Comment elles veulent, sans les obliger à suivre des diktats ou des règles sociétales. La liberté de choix des femmes.

Est-ce que tu as un rêve qui te tient à cœur en tant que féministe ?

Riane-Paule : Oui, j'ai un rêve qui me tient à cœur. Je compte faire un podcast sur la représentation des femmes. Ce qui m'a toujours intéressée, c'est la représentation des femmes. Donc, mon combat féministe est plus axé sur la représentativité. J'aimerais avoir plus de femmes dans différentes sphères, qui nous inspirent en tant que jeunes filles, même celles plus jeunes que moi, dans différentes sphères. Des femmes libres, en fait. Le mot même, des femmes libres. Plus de femmes libres. Plus de femmes avec des objectifs clairs. Plus de femmes qui ne suivent pas les diktats de la société. Voilà, c'est ça, mon rêve.

C’est un peu ce que tu as commencé à faire avec le podcast « Meet'Her Podcast ».

Riane-Paule : Oui. C'est le début donc j'y vais tout doucement.

C’est génial. Bravo! Et toi Mariam ?  

Mariam : L’une des choses que j’aime dans le cinéma, c’est qu' à travers ça, on peut s'exprimer. Et quand on peut s'exprimer, on peut tout dire. J'y tiens fortement pour mes œuvres futures. Je vais créer de la représentation pour les jeunes filles. Parce qu'il n'y a pas vraiment de représentation ici. Il y a peu de représentations, même dans les dessins animés. Moi, j'aurais bien aimé voir une femme dans un dessin animé que je regardais avant, qui ne veut pas avoir d’enfant. Une représentation d’une femme qui dit : « Ok, moi, je ne veux pas avoir d’enfant. Je fais ce que je veux. » Mais il n'y a pas ça. Peut-être dans les films étrangers.

Le film que j'ai fait cette année parle un peu de ça. Le titre du film c’est « Mémoires d’une mère ». Je ne l’ai pas encore mis en ligne. On vit dans une société où on met la pression sur les femmes pour qu'elles aient des enfants. Que ce soit les gens de l'extérieur, que tu ne connais même pas, ou la famille. Et ça crée une dépression nerveuse et pousse certaines femmes à faire des choses qui mettent leur vie en péril.

Tu as déjà bien commencé à t'exprimer à travers tes réalisations. J'ai vu ton short film « Encore un autre jour » en ligne. Bon travail!

Il y a une question que nous posons souvent dans les conversations : quelle est votre devise féministe ? Y a-t-il une pensée, une phrase, ou quelque chose qui vous anime particulièrement ou qui vous tient à cœur en tant que féministe ?

Mariam : Je ne sais pas. Mais moi, personnellement, dans la vie de tous les jours en général, j’aime aller au feeling. Donc, quand je peux me battre, je me bats. Si je peux changer quelque chose, je fais mon maximum pour…

Marie-Bénédicte : Bon, ma devise féministe, je ne dirais pas que j'ai une devise en tant que telle, mais j'ai une phrase qui résume tout ce que je pense en tant que féministe de ce qui nous entoure. J'ai l'habitude de dire, par exemple, que le patriarcat vous ment. Ça, c'est ma phrase. Il y a beaucoup, beaucoup d'inégalités aujourd'hui dans les rapports hommes-femmes, parce que le patriarcat nous ment et continue de mentir. Et tant qu'on ne sera pas sorti des mensonges du patriarcat, beaucoup de personnes ne pourront pas encore comprendre la teneur des combats féministes. Ce serait plus que ça, mais ma phrase en tant que féministe, que je n'arrêterai pas de brandir à bras-le-corps, c'est que le patriarcat nous ment.

Riane-Paule : Pour moi, c’est apprendre, lire, partager.

Merci Mariam, Riane et Marie-Bénédicte. Ce fut un plaisir d’échanger avec vous.


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« C'est juste après le bac que mon esprit de féministe s'est réveillé » - Riane-Paule Katoua (Côte d’Ivoire) 1/2

Riane-Paule Katoua, Marie-Bénédicte Kouadio et Mariam Kabore sont des jeunes féministes ivoiriennes engagées qui militent à leur façon pour les droits des femmes. Marie-Bénédicte Kouadio est juriste de formation et militante féministe au sein de la Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes. Riane-Paule Katoua est également juriste de formation, bibliothécaire à la bibliothèque 1949, la bibliothèque des écritures féminines d'Afrique et du monde noir et host du podcast « Meet'Her Podcast ». Mariam Kabore est une jeune cineaste, passionnée de photographie, amoureuse d’art et de decouverte.

Rencontrées à Abidjan, à Yopougon, lors d’une rencontre organisée par Eyala avec des féministes à la bibliothèque 1949, elles ont partagé une partie de leurs parcours féministes avec nous. Dans cette conversation, Chanceline Mevowanou échange avec elles sur leurs prises de conscience, leur rencontre avec le féminisme et la manière dont elles vivent les valeurs et la lutte féministes personnellement. 

Cette conversation est en deux parties. Dans la première partie, elles parlent de leurs questionnements, des réalités qui ont suscité ces questionnements chez elles et de la manière dont elles vivent leurs convictions féministes. Dans la deuxième partie, elles abordent leurs rapports à la lecture, l’éducation féministe, l’importance de documenter les histoires des femmes africaines et leurs rêves en tant que féministes.

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Salut Riane, Bénédicte et Mariam. J’ai été très ravie de vous rencontrer à la bibliothèque 1949. Ce fut un merveilleux moment de connexion, avec des échanges riches. Merci d’avoir accepté de partager un peu de votre voyage féministe avec Eyala. Pouvez-vous vous présenter ?

Marie-Bénédicte : Moi, c'est Marie-Bénédicte Kouadio. Je suis juriste de formation et activiste féministe. Je milite au sein de la Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes, plus précisément au département juridique. À côté de ça, j'aime beaucoup la lecture, la lecture en tout genre, la littérature féministe et la littérature en général. C'est vraiment mon passe-temps favori. J'ai un blog qui me permet de partager mes fiches de lecture avec les personnes qui me suivent.

Mariam : Mariam Kabore, jeune cinéaste, encore en formation. Je viens de valider ma licence. Yes!

Riane-Paule : Alors, je suis Riane-Paule KATOUA. J'ai 24 ans. J'ai fait des études de droit. Je travaille en tant que bibliothécaire à la bibliothèque 1949. J'adore la lecture aussi. J'adore lire. J'adore découvrir des contenus, c'est-à-dire des films, des livres, des autrices/auteurs. J'adore découvrir, j'adore apprendre.

Vous êtes toutes passionnées par les œuvres de l’esprit, les livres. On s’est rencontrées dans une bibliothèque. L’histoire est cohérente hahaha! Riane, d'où te vient cette passion pour la lecture, les ouvrages et tout?

Riane-Paule : De loin que je me souvienne, j'ai toujours aimé la lecture, en fait. Depuis toute petite. Je me souviens, au primaire, on récompensait les élèves à la fin de chaque année avec des livres. À chaque fois, j'avais des livres et ma mère aussi m'en achetait. Donc, je découvrais les histoires. C'étaient plus des histoires de pharaons, ce genre de choses. Mon amour pour la lecture et pour l'histoire aussi a commencé de là. Arrivée au collège, ça a commencé à m'énerver parce que les livres qu'on nous proposait m'ennuyaient. Donc, j'ai arrêté de lire au collège. C'est juste après le bac que mon esprit de féministe s'est réveillé. Je me suis dit qu’il faut que je lise, il faut que je comprenne plus de quoi il s'agit. Donc, j'ai recommencé à lire.

C’est vrai que les livres au programme dans les collèges n'étaient pas toujours les plus intéressants.

Riane-Paule : Pas du tout. En tout cas, je ne me retrouvais pas. Donc, j'ai passé tous ces moments-là en pensant que je n'aimais plus lire. Et c'est après le bac que je me suis dit, bon, il faut que je commence à me poser des questions. Quels sont les livres que j'aimerais lire ? Qu'est-ce que j'aimerais apprendre ? Et c'est là que j'ai recommencé à lire, etc. Donc, il y a des livres féministes, il y a des livres historiques, il y a différents types de livres, mais tout tourne autour de mes intérêts et de ce que j'aimerais apprendre et découvrir.

Et toi, Bénédicte, comment est née ta passion pour les livres, la littérature et l'écriture ? Tu lis beaucoup et que tu partages même tes fiches de lecture en ligne.

Marie-Bénédicte : Je dirai depuis que j’étais toute petite aussi. Je ne saurais dire à quel moment exactement ça a commencé, mais d’aussi loin que je me rappelle, j'ai toujours aimé lire. Je demandais des livres comme cadeau de Noël, j'allais à la bibliothèque quand j'en ai eu l'âge. Donc, c'est depuis vraiment toute petite que j'ai eu cette passion pour la lecture. Comme ça coule un peu de source, plus tu lis, plus tu développes ta plume. Donc l'écriture, c'est venu bien après, mais ça va, j'aime assez aussi.

Alors, comment vos parcours féministes ont commencé ?

Mariam : Ça a commencé à la maison. Je suis la dernière de la famille. Et quand tu es la dernière de la famille, tu es un peu comme l'esclave de tout le monde, d'une certaine façon. Et à un moment, je voyais qu'il y a certaines tâches que moi, on me demandait de faire, qu'on ne demandait pas à mes frères de faire. Sachant que mes frères comme mes cousins, c'est vrai qu'ils sont plus âgés que moi, mais je trouve qu'on a tous les mêmes membres. Pourquoi c'est moi qui dois faire ça à leur place ? À la maison, j'ai intentionnellement refusé de m'approcher de la cuisine. En fait, je n'ai aucun problème avec la cuisine. C'est important de cuisiner parce que c'est se nourrir. Mais avant, volontairement, j'ai décidé de ne pas m'approcher de là parce qu'on me disait, parce que tu es une femme, tu dois savoir cuisiner.

Aussi, quand j'étais petite, je voulais des jouets. J'ai toujours aimé les consoles. On m'achetait des poupées. Pourquoi faire ? J'ai demandé, j'ai pleuré et à un moment, on a arrêté de m'acheter des poupées. On m'achetait que des jouets mixtes. On m'achetait des lego, des consoles, ce genre de choses. Bon, je peux dire que mon combat a un peu commencé là-bas, inconsciemment. Quand j'étais petite.

Et en dehors de la maison, est-ce qu'il y avait des choses qui t’interpellaient concernant la manière dont les femmes étaient traitées ?

Mariam : Ouais, ça arrive tout le temps. Par exemple, dans le cinéma, mon domaine, c'est un milieu qui est très sexiste. Je connais une fille de ma classe. Elle est en spécialité production. Et à chaque fois qu'elle part pour un entretien, on lui propose du sexe. Automatiquement. Il n'y a pas de demi-mesure. C'est-à-dire qu'à chaque fois qu'elle part pour un travail, on lui propose autre chose en lui disant, si tu ne veux pas, tu laisses. Et tu n'auras pas de travail. 

C'est révoltant de voir à quel point le sexisme et les violences sexistes sont présents partout. 

Mariam : Et ça, c'est un cas parmi des milliers. J'ai parlé avec beaucoup d'autres femmes dans le cinéma. Et c'est très récurrent. Il y a un truc que j'ai remarqué encore dans le travail. J'étais en stage sur une série ici. J'avais un poste où on était avec l'équipe image. Avec l'équipe image, il faut savoir qu'il y a plein de trucs à soulever. Il y a des trépieds. Il y a plein de trucs, tu vois. Et j'avais l'impression qu'on minimisait mes forces naturelles. C'est-à-dire que je peux prendre un trépied. Ce n'est pas lourd. Je ne sais pas. Ils ont l'intention de t'aider. Sauf que tu n'as pas besoin d'aide et tu n'as pas demandé d'aide. Et dans le milieu, c'est ce qui arrive tout le temps, tout le temps. C'est comme de la bonne intention. Mais vraiment, tu as l'impression que... Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire.

Oui je vois. C’est du sexisme ordinaire. À quel moment as-tu commencé à parler de féminisme, à utiliser les termes spécifiques pour adresser ces réalités ?

Mariam : En vrai, j'ai commencé à mettre les mots dessus très récemment. J'étais en licence 1 de cinéma. Je connaissais le féminisme de loin, mais je n’étais jamais vraiment allée m'y intéresser profondément, en lisant et en m’informant. Je ne l’avais pas fait. Je connaissais juste les définitions. Et puis, pour moi, c'était juste du bon sens. Donc, normalement, tout le monde devrait être féministe. Quand j'étais en première année, ça devait être en 2020, il y avait les 16 jours d'activisme. Et c'était juste à côté de mon université. J'ai décidé de faire un tour là-bas. D'ailleurs, c'est là que j'ai vu Riane pour la première fois. Elle était déjà dans une association qui s'appelle le Mouvement Femmes et Paroles. Et donc moi, je vais là-bas, je découvre tout un univers. Je découvre des femmes, des personnes qui parlent de diverses thématiques. On parle de violence basée sur le genre, on parle de précarité menstruelle... Et là, je me rends compte de l'ampleur de la chose et je réalise à quel point il y a beaucoup à faire. Suite à ça, j'ai même rejoint une association.

Et toi Riane, tu as parlé de l'éveil de ton féminisme. Comment est-ce que ton féminisme s’est réveillé ?

Riane : Alors, le féminisme s’est réveillé en moi avant même que je sache que c'était du féminisme, en fait. J'étais frustrée par tout ce que je vivais. Chez nous, il y a un plat qui est vraiment prisé à la maison, le foutou. Tous les midis, on doit piler le foutou. Et ma grand-mère s'offusquait à chaque fois : « Pourquoi tu ne piles pas le foutou ? Pourquoi tu ne vas pas t'asseoir à côté de ta tante pour piler le foutou ? » Ça m'ennuyait. Donc, j'étais obligée, je me forçais à aller m'asseoir pour regarder comment piler le foutou. Mais au fur et à mesure, je ne pouvais plus faire semblant. Donc, j'ai arrêté d'aller faire la cuisine. Ça m'ennuyait, en fait. Le fait qu’on me dise à chaque fois que je dois savoir faire le ménage, que je dois forcément savoir faire la cuisine parce que « ton mari…», que je dois savoir faire tout ce qui est attribué aux femmes, que je dois savoir porter des robes… Ça m’énervait.

Il y a de quoi. 

Riane : À l'école aussi, les professeurs avaient des paroles sexistes à chaque fois. « Pourquoi les filles dépassent les garçons dans telle matière ? Pourquoi ? » Du sexisme tout le temps. De la misogynie, des harcèlements qui me dérangeaient. Et les regards à l'extérieur, les gestes inappropriés qui étaient banalisés. Tout ça me frustrait, en fait.

Je me suis dit qu'il fallait que je sache de quoi il s'agit. Et bizarrement, j'ai fait des recherches. Je ne savais pas ce que je cherchais, mais j'ai fait des recherches et je suis tombée sur des vidéos, par exemple, de Christiane Taubira. Je crois que c'est par là que j'ai découvert le féminisme, et par elle aussi. J'ai découvert son combat. J'ai découvert quelle femme politique elle était. Je me suis dit, ah oui, c'est ça le féminisme. J'ai continué les recherches, j'ai lu des livres, etc. En fait, j'ai lu plus d'articles que de livres au début.

Les premiers contenus sur le féminisme que j'ai lus étaient aussi des articles. 

Riane : J’ai beaucoup lu d'articles pour essayer de comprendre petit à petit. Au début, je voyais ça comme un mouvement européen. Je ne savais pas que c'était un mouvement présent ici. C'est-à-dire que je ne pensais pas qu'il y avait un mouvement féministe présent ici. Plus je lisais, plus je voyais des écrits, des théories qui sortaient. C'est là que mon éveil au féminisme a commencé.

Et toi, Bénédicte ?

Marie-Bénédicte : Pour la prise de conscience, on va dire que c'est venu de certaines inégalités que je voyais chez moi, même avant d'avoir des réseaux sociaux. Il y avait beaucoup d'inégalités chez moi. Les hommes avaient beaucoup de privilèges que je n'avais pas, et je me suis toujours demandée pourquoi. Par exemple, chez moi, les garçons ne lavent pas les douches, tout simplement parce que des femmes s'y douchent également. Mon papa avait l'habitude de dire que là où les femmes qui ont leurs règles se lavent, ce n'est pas à un garçon de laver là. Donc, dès la cellule familiale, on était déjà enfermés dans ces carcans de rôles de genre, de place de la femme, place de l'homme. Je trouvais que ce n'était pas normal.

Les affaires de place de la femme, place de l’homme, hummm…!

Marie-Bénédicte : Et plus tu grandis, plus tu as accès aux réseaux sociaux, aux médias, tu vois qu'il y a des femmes qui sont tuées pour la simple raison qu'elles sont des femmes. Ou bien, il y a des femmes qui sont violées, battues par leurs compagnons. On n’a pas à vivre ça. Parce qu'il y a très peu d'hommes qui vivent ce genre de situation pour la simple raison qu'ils sont des hommes. Ce sont ces inégalités et ces bafouements des droits des femmes dans la société que j'ai remarqués qui m'ont poussée à m'engager également.

Comment tu as commencé alors à prendre la parole autour de ces réalités ?

Marie-Bénédicte : À la maison, déjà bien avant que je me définisse comme féministe, toutes ces histoires de règles, de ce que les garçons doivent faire, ce que les femmes doivent faire, moi, je ne les suivais pas. J'étais un peu têtue. Les gens chez moi étaient déjà habitués. Quand j'ai commencé à m'identifier comme féministe, ça n'a pas vraiment étonné les gens de ma maison. Ce sont plutôt les gens de dehors, les amis, les personnes qui vont te dire que tu es rentrée dans leur groupe de féministes, les filles qui détestent les hommes. Tu es rentrée dans leur groupe, tu vas venir commencer à faire la guerre contre les hommes. Alors que ce n'est pas du tout ça, en fait.

Qu’est-ce qu’on n’entendrait pas hein!

Marie-Bénédicte : Les gens de dehors commencent à t'identifier comme une détesteuse d'hommes, quelqu'un qui est là pour se battre contre les règles établies dans la société. C'était plus dans le regard des amis que c'était un peu difficile. Et jusqu'à présent, il y a certaines personnes avec qui je ne peux pas parler de ça parce qu'elles sont totalement fermées à la discussion. Elles ne cherchent même pas à comprendre. Elles disent immédiatement que, quand tu t'identifies comme féministe, ça veut dire que tu détestes les hommes, que tu veux que tous les hommes disparaissent de la terre.

J'ai noté que tu t’exprimais beaucoup en ligne.  

Marie-Bénédicte : Oui. Sur les réseaux sociaux, j'ai découvert certaines militantes ivoiriennes comme Carrelle Laetitia, Meganne Boho, Marie-Paule Okri... Il ya avait une femme qui avait été victime de violence. Donc, elles se sont mises toutes ensemble, elles sont venues, comme on dit, elles ont tempêté. Ça fait qu'à un moment, on ne voyait plus qu'elles. Même si ce qu'elles faisaient, ça ne plaisait pas à tout le monde, on ne voyait plus qu'elles. Je me suis dit que je veux faire comme elles, parce qu'il y a beaucoup d'inégalités dans la société, il y a beaucoup de bafouements des droits des femmes. Et c'est pour ça que j'ai voulu m'engager en tant que militante féministe. J'ai rejoint la Ligue.  

Mariam, quand tu as commencé à parler de féminisme, comment ça a été perçu autour de toi ?  

Mariam : Chez moi, ici à la maison, c’est un peu problématique. Les gens ne sont pas trop d'accord. Mais c'est la routine. On ne va pas arrêter de parler parce que certaines personnes ne sont pas d'accord. Donc, des fois, je rentre dans des débats interminables avec les gens de la maison. Parce que je reste ferme sur mes points de vue, sur ma position. Franchement, c'est comme tous les jours dehors. C'est la même chose.  Avec certain.e.s de mes ami.e.s, j'ai coupé les ponts parce que j’ai trouvé que je ne pouvais pas les supporter. Donc, pour ma paix, je suis partie. Il y en a d’autres aussi, peut-être pour me taquiner, mais dès qu'il y a un truc, ils me disent : ouais, la féministe, elle va parler-là. Enfin, tout le temps. Des fois, il y a des connotations négatives à ça. Je ne sais pas pourquoi. En tout cas, tu connais les gens.

Les blagues reloues, les allusions bizarres..Bref ! 

Mariam : Pourtant, il n'y a rien de négatif à être féministe.  

Dirais-tu que le féminisme a changé des choses en toi et dans la manière dont tu vis ou fais les choses ?

Mariam :  Oui. Au fur et à mesure que j’apprenais des choses sur le féminisme, je me suis rendue compte qu'il y a plein de choses qu’inconsciemment, je faisais et je me disais : « Waouh, ça ne va pas ! » Par exemple, tu peux sortir des propos et puis accentuer la culture du viol sans te rendre compte que c'est super grave. Mais il y a certaines choses que, maintenant, je ne me permettrais pas du tout de dire.

Donc, oui, il y a eu une grande remise en question, et même professionnellement. Dans les films que je regarde, je me suis rendu compte qu'il y avait plus de réalisateurs que de réalisatrices. Pourtant, il y a autant de réalisatrices que de réalisateurs. C'est juste que les réalisatrices sont invisibilisées. Et je fais attention à regarder les films faits par les femmes. C’est venu aussi avec une vague d’indépendance. L'indépendance que j'avais avant s'est accentuée encore plus maintenant.

Ah, c’est super.

Mariam : Oui. Même dans ma façon de visionner, quand je regarde des films, surtout les films africains, je juge fort. Par exemple, je me souviens, j’ai vu un film ici. C'est un film ivoirien. Je pense que personne n'a vu le problème. Peut-être que c'est moi. Comment dit-on déjà ? Je suis peut-être paranoïaque. Dans le film, il y avait deux enfants. Les deux enfants sont assis à l'arrière. Et les parents sont là et disent quelque chose comme : « Ah, c'est ton mari, tu seras une bonne femme, tu vas faire la cuisine. » Je dis, mais vous ne faites pas passer des messages comme ça aux enfants, en fait. Je trouvais que c'était déjà déplacé pour des enfants.

Tu n'es pas paranoïaque. Ce que tu dis à propos des films est important. La société nous façonne à travers les médias de masse, et des films véhiculent souvent des messages qu'il faut questionner. Selon toi, qu'est-ce que cela signifie d'être féministe en Côte d'Ivoire ?

Mariam : Être féministe en Côte d'Ivoire ? C’est un combat 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Déjà, parce qu’il est très facile de tomber dans des situations où tu vas rencontrer des personnes avec des propos déplacés. On est aussi dans un pays où, de mon point de vue, par exemple, la p*dophil*e est très banalisée. Il y a eu un cas, une petite fille de primaire, qui est tombée enceinte de l'un de ses maîtres. Et dans un article, ils ont écrit qu’ils avaient une relation. Ça m'a outrée. Une mineure. Enfin bref, comme je dis, c'est un combat permanent. Il y a des misogynes partout. 

J'avais lu des publications à propos de ce cas.

Riane, tu disais qu'au début, tu ne savais pas qu'un mouvement féministe existait ici. Comment as-tu découvert ce mouvement par la suite ?

Riane-Paule : C’est aussi à travers les réseaux sociaux, déjà. J'ai vu qu'il y avait des associations. Et il y en avait assez. Il y avait la Ligue, Stop au Chat Noir, et le Mouvement Femmes & Paroles, l'association dans laquelle je suis actuellement. C'est une association qui milite avec l'éducation pour lutter contre le sexisme et la violence basée sur le genre. Donc moi, je me suis retrouvée plus dedans. Puisque je me dis que pour essayer de faire changer la mentalité, il faut qu'on passe par l'éducation. Donc, je me suis sentie plus dans l'association dans laquelle je suis. J'ai intégré cette association depuis, je crois, 2021-2022. Et c'est là que j'ai commencé mon militantisme.

Et quand tu as commencé à te revendiquer féministe, quelle a été la réaction de ton entourage ?  

Riane-Paule : Je me rappelle une fois, on m’a dit « ah oui, mais t'es féministe ? ». Je dis « ouais, je suis féministe ». On me dit « mais t'es féministe pour quoi, en fait ? Tu ne peux pas te revendiquer féministe avec toutes les plaisantines qu'on voit sur Facebook. » Je dis, qu’est-ce que tu sais du féminisme ? Aucune réponse. Et c'est ce qui est drôle.  Tu vois qu'il y a une méconnaissance du féminisme. Et puis, il y a une mauvaise foi. Mauvaise foi dans le sens où on peut chercher, on peut décider de chercher, de comprendre, mais il n'y a pas cette envie-là. Donc, on préfère rester là et dire « ah ouais, mais ce sont des frustrées, voilà ». Il y a un des parents qui m'a dit « ah ouais, ces frustrées-là, elles ne vont pas se marier, etc. Donc toi aussi tu veux rester dans ce lot-là, quoi ». 

Presque les mêmes réactions partout! 

Riane-Paule : Tout ça ne va rien changer dans ce que je ressens, dans mon militantisme. De toute façon, je préfère agir par des actions. Oui, oui, il faut essayer de convaincre les gens. Mais moi, je ne veux pas convaincre quelqu'un. Moi, je veux juste agir à ma manière, dans mon féminisme.

Dans la deuxième partie de la conversation avec Riane-Paule Katoua, Marie-Bénédicte Kouadio et Mariam Kabore, nous parlons de leur rapport à la lecture, de l’éducation féministe, de l’importance de documenter les histoires des femmes africaines et de leurs rêves en tant que féministes. Cliquez ici pour lire la partie 2.

Faites partie de la conversation. 

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