« L’hymen est un morceau d’anatomie inutile. » - Dr Tlaleng Mokofeng (Afrique du Sud) - 3/4
/Mon entretien avec la médecin et activiste des droits reproductifs sud-africaine, Dr Dr. Tlaleng Mofokeng, ne fait que commencer. Après avoir entendu ses motivations (partie 1) et sa voix (partie 2), le moment est maintenant là pour parler avec Dr T. de son livre: A Guide to Sexual Health and Pleasure (Un guide de la santé et du plaisir sexuels - inédit en français). Asseyez-vous et prenez un verre.
Maintenant qu’on en sait un peu plus sur toi, on va se plonger dans ton livre. Je devrais commencer par te dire que je l'ai adoré ! Il est instructif et déconcertant à plus d'égards que ce que l'on pourrait attendre d'un "guide de la santé et du plaisir sexuels".
Merci Françoise, cela me touche beaucoup.
Je te propose de développer certains points du livre que j'ai trouvés puissants. Tout d'abord, tu nous invites tous à nous détourner de l'idée de normalité lorsqu'il s'agit de santé et de plaisir sexuels. N'y a-t-il vraiment aucune norme ?
A la clinique dans laquelle je travaille, nous recevons beaucoup d'appels affolés de personnes, mais elles ne disent pas : "Je ne sais pas ce qui se passe, aidez-moi". Elles nous disent plutôt : " Il ne m'arrive pas ce qui est arrivé à ma sœur quand elle était enceinte de huit semaines " ou " Mon vagin ne ressemble pas à ceux que j'ai vu sur tel ou tel site web ". Résultat, je me retrouve en consultation, pensant qu'il s'agit de dépistage d'IST et de frotti, mais au fur et à mesure que je consulte les antécédents médicaux de la patiente, je réalise que cette personne ne fait que passer des tests pour prouver qu'elle est normale. Si elle connaît une personne qui a ses règles pendant trois jours alors qu'elle-même les a pendant sept jours, elle se dit que quelque chose ne va pas du tout chez elle.
Il y a beaucoup d'anxiété qui se manifeste dans le pourquoi et le comment de la recherche de soins de santé. Les femmes, en particulier, comparent leurs maladies et partagent leurs observations, oubliant que nous n'avons pas les mêmes antécédents médicaux, ni les mêmes souhaits en matière de soins de santé, de bien-être ou de fertilité. Cette anxiété n'est pas seulement liée à nos processus physiologiques. Il s'agit également de notre apparence physique, de la façon dont nous gérons nos relations... C'est pourquoi nous nous retrouvons face à des listes de conseils qui vont vous énumérer toutes les choses que vous devez faire si vous êtes mariée et que vous voulez empêcher votre mari de vous tromper. Ce sont des idioties. Nous sommes toutes normales (et tous normaux), quelle que soit la forme sous laquelle nous sommes.
Cela concerne d'ailleurs les personnes intersexuées. Nous savons, par expérience médicale et anthropologique, qu'il existe d'autres représentations de l'aspect extérieur des organes génitaux, mais pour une raison qui m'échappe, nous considérons que la vulve et le pénis seraient les seules variantes des organes génitaux. Nous obligeons les gens à n'avoir qu'un pénis externe qui a un aspect bien précis, et une vulve qui a aussi un certain aspect - sans quoi on est considéré.e comme quelqu'un d'anormal.e. Même si nous savons que, statistiquement, l'intersexualité est une variation fréquente comme toutes les autres. C'est pourquoi je parle délibérément de ce qu'est la normalité, mais aussi de sa définition.
J’ai remarqué combien ton travail est naturellement inclusif des personnes LGBTQIA+.
Les gens me demandent toujours : "Comment pouvons-nous devenir inclusives et inclusifs vis-à-vis des personnes LGBTQIA+ dans notre travail ?" Dans le livre, j'essayais de montrer aux gens comment on peut y parvenir sans pour autant crier sur les toits: "Hé, regardez-moi, je suis inclusive (inclusif)". Il s'agit de briser l'idée préconçue de ce qu'est la normalité et d'informer tout le monde - chaque personne qui lit utilisera sa propre perspective et obtiendra les informations les plus pertinentes pour elle.
Si une personne intersexuée lit mon livre, elle se sentira légitime. Si vous êtes une femme transsexuelle, vous trouverez la légitimisation dans le chapitre où je parle des hormones, ou celui sur les types de massage de la prostate et les orgasmes de la prostate. Et si vous n'êtes ni l'une ni l'autre, cette information peut vous passer par-dessus la tête, et c'est tout aussi bien ainsi.
Tu ouvres ton premier chapitre en demandant : "Quand avez-vous regardé votre vagin pour la dernière fois ?" et tu invites ta lectrice à poser le livre et à découvrir à quoi ressemblent réellement les choses là dessous. Je me suis rendue compte que je ne l'avais jamais fait, alors j'ai accepté - sur ordre du médecin, non? Je dois dire que ça m'a époustouflée ! Pourquoi penses-tu qu'il est si important de regarder notre propre vagin ?
Cette question interpelle tout le monde. Même les femmes se réclamant body-positives. Même les femmes se réclamant sex-positives. Même les féministes qui répètent haut et fort: "mon corps, mon choix". Quoi que les gens disent sur Twitter, ou quoi que nous lisions dans le magazine Cosmo, je peux te dire que les femmes n'ont pas la relation avec leur vagin que nous pensons qu'elles ont. Je voulais que cette question figure dans le livre parce que je sais que nous ne pouvons pas déplacer le curseur dans cette conversation sans démystifier la vulve et le vagin.
Il y a tellement de pouvoir à regarder son vagin. J'ai vu le visage de femmes s'illuminer lorsqu'elles prennent ce miroir dans la salle de consultation et le regardent. Des personnes sont venues me voir pour me dire : "Ma libido est très basse. Je n'aime pas les relations sexuelles". D'autres me disent que faire l'amour est douloureux. Voire même certaines atteintes de vaginisme, c'est-à-dire qu'elles sont totalement incapables de se faire pénétrer dans le vagin par un accessoire/sex-toy, un pénis ou autre. Je fais cet exercice avec toutes ces personnes. Et je vois le changement de leur posture corporelle, de leur expression faciale. Je les vois s'illuminer.
C'est un bon moyen de briser la glace. Les femmes me disent alors ce qu'elles ressentent et ce que cela signifie pour elles de contempler leur vagin. Elles partageront des histoires inexprimées sur les traumatismes qu'elles ont subis dans leur enfance. Quelques-unes d'entre elles suivront une thérapie. D'autres quittent ma salle de consultation le jour même et leur problème a disparu. Elles sont venues chercher des médicaments ou du réconfort, et elles repartent avec quelque chose de complètement différent.
Wow ! C'est incroyable. Pourquoi penses-tu que cet exercice est si puissant ?
Je pense que c'est à cause de la religion, de la culture et de toutes les autres façons dont le vagin est instrumentalisé contre les filles et les femmes. Quand on vous réprimande, on vous accuse d'être une pute. Quand vous avez vos premières règles, on vous accuse de coucher à droite et à gauche. Il y a tellement de choses que l'on endure, que le vagin et la vulve endurent. Il y a un million de jurons, qui sont utilisés spécifiquement pour la vulve et le vagin. Nous ne réalisons pas à quel point cela devient notre réalité.
Parfois, il suffit que quelqu'un affirme que vous pouvez avoir une relation différente avec votre vagin. Qu'en fait, ce vagin est le vôtre, qu'il fait partie de vous et que vous devriez en être fière. Ce n'est pas quelque chose qui reste là et qui attend qu'un homme lui fasse l'amour. Alors oui, c'est un exercice fascinant qui, je le sais, a beaucoup de pouvoir sur les femmes. C'est pourquoi je commence souvent par ça.
Dans le livre, vous appelez les personnes qui ont un vagin de non seulement le regarder, mais de l’appeler par son nom.
Oui, j'essaie de faire en sorte que toutes les femmes disent vagin dans leur langue. Quelle que soit votre langue, dites juste les mots. Quand je fais un discours ou un atelier, je demande à tout le monde de dire le mot. Même quand je suis passée à la télévision pour la première fois avec ma propre émission, la première chose que j'ai dite a été "vagin, vagin, vagin !"
Est-ce qu'ils ont crié : " Lancez la publicité s'il vous plaît" ?
Dieu merci, c'était une maison de production qui croyait déjà en ma politique. Elle a trouvé ça fantastique. C'était incroyable : vous allumez votre télé à sept heures, et tout ce que vous entendiez, c'était "vagin, vagin, vagin" avant même la première séquence. Maintenant, certaines personnes qui me voient dans la rue ou ailleurs se mettent à crier "vagin, vagin, vagin" et là je sais que ce sont des gens qui me connaissent bien.
Tu sais, je n'ai jamais entendu les mots vagin ou vulve quand j'étais enfant. Je ne pense pas que ma mère m'ait jamais dit comment l'appeler. Le mot que j'ai appris des autres enfants était "njunju", une insulte qui signifie "monstre". Je ne réalise que maintenant les dégâts que cela a provoqué ! J'essaie donc de faire les choses différemment avec ma fille, qui a trois ans. Je lutte contre mon malaise et je lui apprends à dire "vulve". L'autre jour, j'ai glissé et comme ma propre mère, je lui ai dit "va faire pipi et n'oublie pas de t'essuyer les fesses". Elle a répondu : "Non maman, je fais juste pipi, alors je vais devoir essuyer ma vulve." À ce moment-là, je me suis dit : "Bon sang ! Il y a eu des dégâts, mais il y a aussi des progrès. Je n'en suis peut-être pas encore là, mais si je continue à faire semblant, il se peut qu'elle s'en sorte !"
Vous ne pouvez pas donner à d'autres personnes ce que vous n'avez pas. Vous ne pouvez pas enseigner la positivité sexuelle ou le body-positivisme quand vous-même en faites défaut. Ce livre est donc destiné aux soignant.e.s, aux parents et à toutes ces personnes qui n'ont jamais eu d'éducation sexuelle et qui veulent faire les choses différemment, mais qui ne savent peut-être pas par où commencer.
C'est aussi la raison pour laquelle ce livre est un guide. Il ne doit pas être lu d'un bout à l'autre. Je veux que vous alliez à la section que vous devez consulter ce jour, et que vous sachiez que lorsque vous aurez besoin de plus - et ce sera le cas, car la vie vous y amènera - vous pourrez y revenir.
Voici une déclaration que tu as faite dans le livre et qui m'a fait hurler : "À mon avis, l'hymen est le morceau d'anatomie le plus surestimé". J'ai littéralement hurlé !
L'hymen est un morceau d'anatomie inutile. Tu peux me citer à ce sujet. Inutile. Laisse-moi te raconter une histoire. Il y a quelques années, dans l'une des circonscriptions d'Afrique du Sud, un membre du gouvernement local a décidé de mettre en place un programme de bourses pour les jeunes femmes âgées de 17 à 18 ans, je pense, afin qu'elles puissent étudier à l'université. Et ils ont inclus une clause dans les demandes disant que les jeunes filles devaient subir un test de virginité pour obtenir la bourse.
Quoi?
Oui, je suis sortie de mes gongs. J'étais très contrariée. Quel est le rapport entre le mérite scolaire et l'hymen? Il montre jusqu'où le patriarcat peut aller. Se servir de l'hymen comme d'un critère pour décider qui mérite une éducation. Cela illustre simplement une des manifestations du patriarcat autour du corps des femmes.
Partout dans le monde, la pureté des femmes est très observée. Les gens sont obsédés par les organes génitaux des femmes et considèrent l'hymen et le vagin comme les seules choses que vous devez préserver pour votre mari. Pourtant, dans ces mêmes communautés, ce même hymen et ce même vagin sont diabolisés lorsque les femmes décident de les utiliser pour leur propre plaisir. Pourquoi ces communautés font-elles une exception de ce morceau d'anatomie - avec lequel toutes les femmes ne sont pas nées, soit dit en passant, et qui n'est pas un signe de virginité chez les femmes qui l'ont - mais seulement lorsqu'il sert les intérêts des hommes? C'est là que se situe l'hypocrisie.
Un autre point important que tu soulèves dans ton livre est que "le plaisir sexuel est le chaînon manquant dans de nombreuses discussions sur la santé sexuelle". Peux-tu m'en dire plus?
La santé publique aime à prétendre que le sexe est dépourvu de plaisir. On évoque les aspects patho-physiologiques, économiques et politiques du sexe, mais personne ne parle de la véritable raison pour laquelle les gens ont des rapports sexuels. Les gens font l'amour parce que c'est agréable. En tant que médecin, lorsque vous niez le fait que les gens ont des relations sexuelles pour le plaisir, vous vous privez de la possibilité d'encourager vos patient.e.s à utiliser et à négocier des instruments sexuels plus sûrs. C'est notre rôle de donner aux gens des informations sur le sexe qui reflètent le fait qu'ils/elles recherchent le plaisir sexuel.
C'est notre travail de dire aux femmes que nous savons que le préservatif interne, ou préservatif féminin comme on l'appelle, a l'air gros et intimidant. C'est seulement à ce moment-là que nous pouvons éduquer les femmes et leur expliquer que si l'anneau extérieur du préservatif interne est si gros, c'est parce qu'il protège vos lèvres et une partie de votre pubis, notamment contre les IST qui n'ont pas besoin de fluides corporels pour se transmettre. Mais qu’il est toujours possible d'avoir des relations sexuelles agréables tout en utilisant le préservatif : saviez-vous que l'anneau extérieur est si gros que si vous mettez un lubrifiant sur votre clitoris et que l'anneau extérieur frotte dessus, il est lubrifié ? Vous allez en fait améliorer votre capacité à avoir un orgasme clitoridien ainsi qu'un orgasme vaginal par pénétration, et à avoir encore plus de plaisir.
En centrant l'approche sur le plaisir, je trouve que je suis capable d'amener plus de gens à comprendre et à avoir une relation différente avec les contraceptifs parce que j'affirme leur fait qu'ils ont droit au plaisir sexuel. J’explique à mes patients que les médicaments que je leur prescris contre l'hypertension artérielle peuvent provoquer des troubles de l'érection, et je leur parle donc des lubrifiants, des sex toys, de la masturbation et de l'éjaculation retardée. Je leur dis comment communiquer avec leurs partenaires, de leur dire par exemple : " Écoute, les prochaines fois que nous ferons l'amour pourraient être différentes à cause de ce médicament, alors il faudra gérer nos attentes, ou peut-être passer plus de temps sur les préliminaires ". Je leur donne toutes ces informations pour éviter qu’ils n’arrêtent de prendre leurs médicaments contre l'hypertension. Mais la plupart des médecins ne le font pas, et ensuite ils constatent que les patients ne respectent pas les prescriptions. Pratiquons la médecine dans son intégralité. Ne choisissons pas ce que les patients ont besoin d'entendre. La rétention d'informations nuit aux individus.
Pourquoi penses-tu que la plupart des médecins n'utilisent pas cette approche centrée sur le plaisir?
Les professionnel.les de la santé sont des êtres humains, tu vois? En tant que personnes, elles ont donc des préjugés et des jugements. J'étais déjà inquiète à ce sujet lorsque j'étais jeune étudiante en médecine. J'ai étudié la médecine à une époque où l'Afrique du Sud mettait en place une réponse structurelle du système de santé face à l'épidémie de VIH. Il y a eu une discussion sur les vecteurs de la maladie et la cible des messages de santé publique, et ils ont décidé que c'était les femmes et les jeunes filles noires. L'idée était alors que si les femmes noires n'étaient pas aussi hypersexuelles, si les jeunes filles noires pouvaient garder les jambes fermées et se concentrer sur l'école, la situation s'améliorerait.
J'avais un problème avec certaines des questions que les professionnel.les de la santé posaient aux patient.e.s sur leur histoire sexuelle. Iels leur demandaient "avec combien de personnes avez-vous couché ?" et rien d'autre. Je me disais : quel est le but de tout cela, à part légitimer le jugement que les professionnel.les de la santé portent déjà sur les femmes et les jeunes ? Ces questions bouillonnaient toujours pour moi.
À l'époque, la plupart des brochures d’informations et des guides martelaient un seul message: ne couchez pas à droite à gauche, vous allez attraper le VIH, ne faites pas ceci, vous allez attraper cela. Or, nous savons que les campagnes par la peur sont inefficaces. Les gens ne viennent pas voir les médecins et les infirmières avant d'avoir des relations sexuelles. Ils ont des rapports sexuels alors que nous ne sommes même pas là! Nous devons nous assurer que les gens sont suffisamment informés pour évaluer leurs propres risques et négocier l'utilisation d'outils de protection sexuelle, quel que soit le contexte dans lequel ils ont des relations sexuelles. Ce n'est pas le rôle de la communauté médicale de juger les gens sur la façon dont ils ont des relations sexuelles, quand ils en ont, avec qui ils en ont. Je pense que la santé publique serait plus efficace si nous cessions de juger nos patient.e.s.
Cela me rappelle une expérience que j'ai vécue récemment alors que je faisais des recherches dans la région du Sahel. J'ai interrogé plusieurs professionnel.les de la santé mais aussi des personnels d’ONG, qui ont admis qu'ils et elles ne disaient pas aux filles et aux femmes qu'elles avaient le droit de se faire avorter (après un viol ou un inceste par exemple) parce que c'était contraire à leurs propres valeurs religieuses. Que réponds-tu à cela ?
C'est tout à fait déshonorant. Mais c'est la norme, et ça me fait tellement mal. C'est pourquoi je passe tant de temps à travailler avec des étudiant.e.s en médecine, des jeunes médecins, des infirmières et d'autres professions apparentées comme les pharmacien.ne.s. Nous ne pouvons pas avoir une autre génération de professionnel.les de la santé qui imposent leur culture et leur religion à des patient.e.s vulnérables et marginalisé.e.s.
Personne ne force une personne qui croit en un Dieu qui a toutes ces règles à devenir médecin, infirmière ou pharmacien.ne. Comment osent-elles exercer ces professions en sachant qu'elles vont faire obstruction aux droits humains des personnes ? Elles utilisent leur pouvoir pour imposer leurs opinions personnelles aux individus et interfèrent avec les soins pour des raisons égoïstes. Moi je leur dis : il n'y a pas de place pour vous dans la profession médicale. Si vous êtes si spirituel.le, allez faire de la théologie. Je sais que les mots que j'utilise sont très forts, mais je les utilise délibérément. Nous ne devrions pas avoir la moindre tolérance pour cela.
Des jeunes filles ont des grossesses inopportunes qui changent le cours de leur vie pour toujours. Des femmes meurent littéralement parce qu’on leur refuse des avortements médicalisés. Certaines d’entre nous meurent en couches. Et tout ça parce que les médecins nous disent: Dites seulement non et priez de ne pas avoir envie de sexe. Quelle est cette absurdité? Je vis dans un pays où une femme sur 7 est une survivante du viol. Le fait que je dise non ne va pas me prémunir contre le viol donc le moins que vous ppuissiez faire en tant que mon prestataire de santé est de ne pas entraver les soins.
Mais une fois encore, examinons les personnes qui subissent les préjudices de ces types de prestataires de soins. Il s'agit des femmes et des jeunes. Ce sont les personnes qui ont besoin d'un avortement et celles qui veulent une contraception. Encore une fois, c'est le patriarcat qui se manifeste. Pas seulement dans le monde médical, d'ailleurs ! Pourquoi pensez-vous que si peu d'avocat.e.s se battent pour nous, les femmes ? Il est facile d'obtenir un.e avocat.e pour une faute médicale, pour un accident de voiture ou pour une procédure orthopédique qui a mal tourné. Mais personne ne voit l'intérêt de se battre pour que les femmes aient accès à la santé et aux soins sexuels et reproductifs, ainsi qu'à leurs droits. Le système juridique lui-même est patriarcal. Sinon, nous gagnerions des procès tous les jours !
Absolument. Voici la dernière déclaration sur laquelle je voulais t’interroger. Tu écris dans ton livre que "le travail du sexe est un vrai travail". Je te pose cette question parce que le travail du sexe est une question qui divise énormément le mouvement féministe, en particulier en Afrique. J'aimerais donc connaître ton point de vue sur cette question.
Lorsque vous avez des adultes qui sont des travailleur-euses du sexe, qui sont capables de participer de manière consensuelle à des actes sexuels (tous n'ont pas besoin d'être pénétrants d'ailleurs), qui sont capables de négocier, quand, comment, avec qui et dans quel but ils et elles ont des rapports sexuels, je pense que ces personnes n’ont aucune raison d’être criminalisées.
Criminaliser le travail du sexe, c'est punir les femmes d’être capables de négocier des rapports sexuels. Cela n'a aucun sens. C'est comme une dissonance cognitive. Celles qui ne soutiennent pas la décriminalisation du travail du sexe en tant que question féministe ne font que montrer leur hypocrisie. Ce qu'elles disent aux travailleurs-euses du sexe, c'est : "Vous êtes si doué-e-s pour négocier les conditions du sexe que je ne vous soutiendrai pas".
Ce sont les travailleurs-euses du sexe qui devraient nous apprendre quelque chose. Ils-Elles savent comment se protéger des IST parce qu'ils-elles ne peuvent pas se permettre d'en attraper. Les travailleurs-euses du sexe savent comment mettre un préservatif avec leur bouche lors d'une fellation. Vous devriez apprendre, c'est une compétence de vie, chérie ! (Nous rions.) Pourtant, nous nous sommes tellement enfermé.e.s dans cette prison du sexe et de la morale que nous sommes des agent.e.s du patriarcat, même au sein du féminisme. Pourquoi ? Parce que c'est le sexe, parce que ce sont des femmes.
Ce que nous disons à ces femmes, c'est : comment osez-vous penser que vous avez le droit d'être sexuellement actives? Comment osez-vous penser que vous pouvez prendre plaisir à être sexualisées ? Alors comment osez-vous penser que vous pouvez négocier la façon dont le sexe doit se produire et, Dieu vous en garde, comment osez-vous faire payer les hommes pour cela ? Voici le problème que les gens ont avec le travail du sexe : c'est le fait que les hommes doivent payer pour cela.
C'est une perspective intéressante.
Le patriarcat autorise les femmes à faire l'amour dans la mesure où ça leur retire quelque chose, où c'est vigoureux, où c'est violent. Les travailleurs-euses du sexe sont un moyen de pression politique sur le patriarcat. C'est pourquoi le patriarcat déteste tellement les femmes qui sont des travailleuses du sexe.
Ce n'est pas comme si les hommes qui sont des décideurs politiques se tenaient à l'écart des travailleuses du sexe ! Les membres du Congrès et du Parlement sont précisément leurs clients. Certains des plus grands scandales en politique commencent par le sexe - et je ne parle pas d'un scandale sexuel entre un membre du Congrès et sa femme. C'est toujours avec un.e travailleur-euse du sexe.
Le problème de ces hommes, en revanche, est qu'ils veulent reproduire avec les travailleurs-euses du sexe ce qu'ils font aux femmes dans toutes les autres industries et à tous les autres niveaux de la société. Ils veulent prendre, ils veulent être vigoureux et violents. Et voilà que les travailleurs-euses du sexe arrivent, renversant tout l’ordre établi, et disent : non seulement nous serons des femmes, mais nous serons des femmes et nous pourrons négocier le sexe. Nous serons des femmes qui aiment le sexe. Nous serons des femmes qui vous ferons même payer pour avoir des rapports sexuels. C'est le problème du travail du sexe et des travailleurs-euses du sexe.
A propos, quand je rencontre une nouvelle personne, les opinions qu'elle a sur le travail du sexe et l'avortement me renseignent déjà sur le genre de féministe qu’elle est, le genre de politique elle mène. Donc, comme je te l'ai dit plus tôt, parfois je me présente en disant que je suis une travailleuse du sexe. D'après la façon dont les gens réagissent à cette déclaration, je suis capable de savoir très clairement et très rapidement à qui j'ai affaire.