« Etre une féministe est une lutte pour la réalité que je sais que je mérite. » - Dr Tlaleng Mokofeng (Afrique du Sud) - 4/4

Quand je pense à tout ce que tu m’as dit sur ton livre, il est clair que tu ne nous as pas seulement donné un guide sur la santé sexuelle, mais aussi un manifeste sur le pouvoir féminin. Tu donnes même un indice de cela dans la dédicace - un beau poème qui se termine sur un appel à te rejoindre à être des “indomptables”. The mot te vas si bien. Tu peux m’en dire plus sur pourquoi tu l’as choisi pour nous accueillir dans ton monde?

Plusieurs personnes ont fait référence à moi sur Twitter en m’appelant ‘l’indomptable Dr. T” et donc quand ma maison d’édition a utilisé le même mot pour annoncer mon livre, je suis allée chercher la signification dans le dictionnaire. (L’anglais est ma 6e langue, tu sais? Donc je cherche assez souvent la signification des mots). Je suis donc allée chercher la signification, parce que je me suis dit, avant d’internaliser ce mot, il faut que je sache ce qu’il signifie. Je m’inquiétais de ce que les gens projetaient sur moi. 

Pourquoi cela t’inquiétait-il? C’est un compliment, n’est-ce pas?

Je résiste délibérément à toute personne qui essaie de me coller l’étiquette de forte, tenace ou des choses comme cela. En Afrique du Sud, il y a ce mot, mbokodo, qui était utilisé pour décrire les femmes actives dans la lutte anti-apartheid. Les gens l’utilisaient pour dire qu’une femme était forte, qu’elle était une pierre, qu’elle ne pouvait pas être brisée.

Mais très souvent, cette force qui est célébrée vient avec la réserve que les femmes restent silencieuses devant des bêtises. Cette force est utilisée comme une arme pour maintenir la maison même si tout est en train de s'effondrer. Ce qui est célébré est le fait que nous acceptons une certaine forme de violence et quand tu élèves la voix, quand tu décides que tu ne seras pas utilisée, alors, tout d’un coup, tu n’es plus si forte.

Donc je voulais connaitre la signification de indomptable parce que je ne voulais pas être vue comme un objet qui n’avait pas d’émotions. Mais quand j’ai vu ce que ça signifiait, je me suis dit, d’accord, ce mot me ressemble. Je le prends. (Elle rit.)

Comment définis-tu ton esprit indomptable?

Dire que je suis indomptable veut dire que je sais exactement ce que je soutiens, et par extension, cela veut dire que je n’ai pas à perdre mon temps à convaincre les gens que ce que j’ai à dire est important. Si je n’aime pas quelque chose, je te dirai. Et s’il y a des problèmes dans ton combat, je te dirai. Je ne suis pas cette personne qui va garder le silence. 

Je me trouvais dans un vol et ce poème m’est venu à l’esprit et donc je l’ai noté. Et puis j’ai pensé, c’est ce qui va aller dans ce livre. Il m’a été demandé d’inviter quelqu’un à écrire la préface mais ça m’a paru judicieux d’avoir ce poème comme ma dédicace.

Je ne peux pas te laisser partir sans qu’on ne parle de féminisme. Qu’est-ce que ça veut dire pour toi quand tu te réclames féministe?

Je ne connaissais pas ce mot, féminisme, jusqu’à tard dans mon adolescence, quand j’ai commencé à lire sur le sujet. Mais j’ai vécu dans un monde féministe. J’ai grandi en voyant des femmes arriver dans des pièces et commander le respect. J’ai grandi avec des femmes qui riaient bruyamment. J’étais entourée de femmes qui m’ont permis de discuter, qui ne m’ont jamais dit que je ne pouvais pas dire ci ou ça ou de donner une réplique à mon père parce que je n’étais qu’une enfant.

Donc ce monde que beaucoup de féministes essaient de construire, j’y ai vécu. Mon féminisme n’est pas quelque chose que je lis ou une réalité qui existe quelque part au loin. Mon féminisme, c’est ma vie. C’est mon histoire. C’est ma mère, ce sont mes tantes. Ce sont ces souvenirs d’enfance de femmes assises sur des tabourets autour de marmites bouillonnantes et parlant des relations sexuelles incroyables qu’elles avaient sans nous chasser. Je sais ce que c’est que de vivre dans un monde où je suis considérée pour ce que je suis et ce que je veux être. 

C’est une vision tellement apaisante du féminisme.

Oui, mais pour les mêmes raisons, mon féminisme est aussi une lutte. C’est une lutte pour ne laisser personne me retirer ma réalité, mon vécu et mon histoire. Mon féminisme est ma lutte pour protéger qui je suis. Les gens aiment se plaindre que les féministes luttent tout le temps. Mais bien sûr que je lutte!

Je lutte pour protéger le monde que je sais peut exister parce que je l’ai vécu: un monde dans lequel je peux me mouvoir sans être traitée de tous les noms ou sans que les gens ne passent des commentaires sur mon gros derrière ou sur mes vêtements. Un monde dans lequel je peux me mouvoir sans être inquiétée que je vais être violée. Mais maintenant j’étouffe. Je suis réduite au silence. Je suis violentée, alors, je lutte. Etre une féministe est une lutte pour la réalité que je sais que je mérite parce que je l’ai vécue.

Et maintenant, la question rituelle de fin sur Eyala. Quelle est ta devise féministe ?

Ce n'est pas vraiment une devise féministe, mais il y a cette phrase que ma mère me dit chaque fois que je voyage ou que je me prépare à donner une conférence ou autre. Elle dit toujours : "sois audacieuse". Je l’ai même en tatouage sur mon avant-bras depuis quelques mois, et en braille.

En Braille? Pourquoi?

Dans les années 80, ma mère était enseignante pour les enfants aveugles et sourds, alors elle leur enseignait la braille et le langage des signes. La langue des signes est en fait la première langue que j'ai apprise. Je voulais que ce tatouage soit en Braille et en 3D, pour que si jamais je rencontre un-e aveugle, il/elle puisse lire le tatouage.

Wow, j’adore. 

Oui, donc "être audacieuse " est une devise qui me permet d'avancer dans un monde où ma réalité, mon histoire, qui je suis et à quoi je ressemble, est constamment remise en question ou réduite au silence. Un monde où je ne suis jamais assez bien comme je suis, donc je dois toujours appuyer les choses. Et donc, "être audacieuse" est un rappel à être moi-même.

Être audacieuse n'est pas la même chose qu'être forte, par ailleurs. L’audace donne de l'espace à la vulnérabilité là où la force n'en laisse pas. Être audacieuse signifie que je dis ma vérité même lorsque ma voix tremble. Chaque fois que je vois une personne qui a besoin de soutien ou qui est en difficulté, je partage ces mots avec elle. Soyez audacieuse. Même si vous pleurez en ce moment, soyez audacieuse face à votre vulnérabilité. Ne soyez plus calme ou respectable. Peu importe que vos pleurs retardent toute la conférence. Quoi que vous ressentez, ressentez-le pleinement. Soyons audacieuses. 

C’est la fin! Grand merci à toi, Dr. T. d’avoir partagé une si grande partie de ton histoire avec moi et avec la communauté Eyala sans craindre la controverse. Chères lectrices et lecteurs, j’ai hâte d’entendre ce que vous en avez pensé, alors envoyez-nous un commentaire ci-dessous, ou parlons sur Twitter, Facebook ou Instagram @EyalaBlog.

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Cherchez vos copies de son livre Dr. T., A Guide to Sexual Health and Pleasure. Vous pouvez commander chez Book Depository pour les livraisons en Afrique et en Europe; et chez Barnes and Noble pour les livraisons aux Etats-Unis.

« L’hymen est un morceau d’anatomie inutile. » - Dr Tlaleng Mokofeng (Afrique du Sud) - 3/4

Mon entretien avec la médecin et activiste des droits reproductifs sud-africaine, Dr Dr. Tlaleng Mofokeng, ne fait que commencer. Après avoir entendu ses motivations (partie 1) et sa voix (partie 2), le moment est maintenant là pour parler avec Dr T. de son livre: A Guide to Sexual Health and Pleasure (Un guide de la santé et du plaisir sexuels - inédit en français). Asseyez-vous et prenez un verre.

Maintenant qu’on en sait un peu plus sur toi, on va se plonger dans ton livre. Je devrais commencer par te dire que je l'ai adoré ! Il est instructif et déconcertant à plus d'égards que ce que l'on pourrait attendre d'un "guide de la santé et du plaisir sexuels".

Merci Françoise, cela me touche beaucoup. 

Je te propose de développer certains points du livre que j'ai trouvés puissants. Tout d'abord, tu nous invites tous à nous détourner de l'idée de normalité lorsqu'il s'agit de santé et de plaisir sexuels. N'y a-t-il vraiment aucune norme ? 

A la clinique dans laquelle je travaille, nous recevons beaucoup d'appels affolés de personnes, mais elles ne disent pas : "Je ne sais pas ce qui se passe, aidez-moi". Elles nous disent plutôt : " Il ne m'arrive pas ce qui est arrivé à ma sœur quand elle était enceinte de huit semaines " ou " Mon vagin ne ressemble pas à ceux que j'ai vu sur tel ou tel site web ". Résultat, je me retrouve en consultation, pensant qu'il s'agit de dépistage d'IST et de frotti, mais au fur et à mesure que je consulte les antécédents médicaux de la patiente, je réalise que cette personne ne fait que passer des tests pour prouver qu'elle est normale. Si elle connaît une personne qui a ses règles pendant trois jours alors qu'elle-même les a pendant sept jours, elle se dit que quelque chose ne va pas du tout chez elle. 

Il y a beaucoup d'anxiété qui se manifeste dans le pourquoi et le comment de la recherche de soins de santé. Les femmes, en particulier, comparent leurs maladies et partagent leurs observations, oubliant que nous n'avons pas les mêmes antécédents médicaux, ni les mêmes souhaits en matière de soins de santé, de bien-être ou de fertilité. Cette anxiété n'est pas seulement liée à nos processus physiologiques. Il s'agit également de notre apparence physique, de la façon dont nous gérons nos relations... C'est pourquoi nous nous retrouvons face à des listes de conseils qui vont vous énumérer toutes les choses que vous devez faire si vous êtes mariée et que vous voulez empêcher votre mari de vous tromper. Ce sont des idioties. Nous sommes toutes normales (et tous normaux), quelle que soit la forme sous laquelle nous sommes.

Cela concerne d'ailleurs les personnes intersexuées. Nous savons, par expérience médicale et anthropologique, qu'il existe d'autres représentations de l'aspect extérieur des organes génitaux, mais pour une raison qui m'échappe, nous considérons que la vulve et le pénis seraient les seules variantes des organes génitaux. Nous obligeons les gens à n'avoir qu'un pénis externe qui a un aspect bien précis, et une vulve qui a aussi un certain aspect - sans quoi on est considéré.e comme quelqu'un d'anormal.e. Même si nous savons que, statistiquement, l'intersexualité est une variation fréquente comme toutes les autres. C'est pourquoi je parle délibérément de ce qu'est la normalité, mais aussi de sa définition.

J’ai remarqué combien ton travail est naturellement inclusif des personnes LGBTQIA+.

Les gens me demandent toujours : "Comment pouvons-nous devenir inclusives et inclusifs vis-à-vis des personnes LGBTQIA+ dans notre travail ?" Dans le livre, j'essayais de montrer aux gens comment on peut y parvenir sans pour autant crier sur les toits: "Hé, regardez-moi, je suis inclusive (inclusif)". Il s'agit de briser l'idée préconçue de ce qu'est la normalité et d'informer tout le monde - chaque personne qui lit utilisera sa propre perspective et obtiendra les informations les plus pertinentes pour elle. 

Si une personne intersexuée lit mon livre, elle se sentira légitime. Si vous êtes une femme transsexuelle, vous trouverez la légitimisation dans le chapitre où je parle des hormones, ou celui sur les types de massage de la prostate et les orgasmes de la prostate. Et si vous n'êtes ni l'une ni l'autre, cette information peut vous passer par-dessus la tête, et c'est tout aussi bien ainsi.

Tu ouvres ton premier chapitre en demandant : "Quand avez-vous regardé votre vagin pour la dernière fois ?" et tu invites ta lectrice à poser le livre et à découvrir à quoi ressemblent réellement les choses là dessous. Je me suis rendue compte que je ne l'avais jamais fait, alors j'ai accepté - sur ordre du médecin, non? Je dois dire que ça m'a époustouflée ! Pourquoi penses-tu qu'il est si important de regarder notre propre vagin ?

Cette question interpelle tout le monde. Même les femmes se réclamant body-positives. Même les femmes se réclamant sex-positives. Même les féministes qui répètent haut et fort: "mon corps, mon choix".  Quoi que les gens disent sur Twitter, ou quoi que nous lisions dans le magazine Cosmo, je peux te dire que les femmes n'ont pas la relation avec leur vagin que nous pensons qu'elles ont. Je voulais que cette question figure dans le livre parce que je sais que nous ne pouvons pas déplacer le curseur dans cette conversation sans démystifier la vulve et le vagin. 

Il y a tellement de pouvoir à regarder son vagin. J'ai vu le visage de femmes s'illuminer lorsqu'elles prennent ce miroir dans la salle de consultation et le regardent. Des personnes sont venues me voir pour me dire : "Ma libido est très basse. Je n'aime pas les relations sexuelles". D'autres me disent que faire l'amour est douloureux. Voire même certaines atteintes de vaginisme, c'est-à-dire qu'elles sont totalement incapables de se faire pénétrer dans le vagin par un accessoire/sex-toy, un pénis ou autre. Je fais cet exercice avec toutes ces personnes. Et je vois le changement de leur posture corporelle, de leur expression faciale. Je les vois s'illuminer.

C'est un bon moyen de briser la glace. Les femmes me disent alors ce qu'elles ressentent et ce que cela signifie pour elles de contempler leur vagin. Elles partageront des histoires inexprimées sur les traumatismes qu'elles ont subis dans leur enfance. Quelques-unes d'entre elles suivront une thérapie. D'autres quittent ma salle de consultation le jour même et leur problème a disparu. Elles sont venues chercher des médicaments ou du réconfort, et elles repartent avec quelque chose de complètement différent.  

Wow ! C'est incroyable. Pourquoi penses-tu que cet exercice est si puissant ?

Je pense que c'est à cause de la religion, de la culture et de toutes les autres façons dont le vagin est instrumentalisé contre les filles et les femmes. Quand on vous réprimande, on vous accuse d'être une pute. Quand vous avez vos premières règles, on vous accuse de coucher à droite et à gauche. Il y a tellement de choses que l'on endure, que le vagin et la vulve endurent. Il y a un million de jurons, qui sont utilisés spécifiquement pour la vulve et le vagin. Nous ne réalisons pas à quel point cela devient notre réalité. 

Parfois, il suffit que quelqu'un affirme que vous pouvez avoir une relation différente avec votre vagin. Qu'en fait, ce vagin est le vôtre, qu'il fait partie de vous et que vous devriez en être fière. Ce n'est pas quelque chose qui reste là et qui attend qu'un homme lui fasse l'amour. Alors oui, c'est un exercice fascinant qui, je le sais, a beaucoup de pouvoir sur les femmes. C'est pourquoi je commence souvent par ça.  

Votre vagin n’est pas quelque chose qui reste là et qui attend qu’un homme lui fasse l’amour.

Dans le livre, vous appelez les personnes qui ont un vagin de non seulement le regarder, mais de l’appeler par son nom.

Oui, j'essaie de faire en sorte que toutes les femmes disent vagin dans leur langue. Quelle que soit votre langue, dites juste les mots. Quand je fais un discours ou un atelier, je demande à tout le monde de dire le mot. Même quand je suis passée à la télévision pour la première fois avec ma propre émission, la première chose que j'ai dite a été "vagin, vagin, vagin !"

Est-ce qu'ils ont crié : " Lancez la publicité s'il vous plaît" ?

Dieu merci, c'était une maison de production qui croyait déjà en ma politique. Elle a trouvé ça fantastique. C'était incroyable : vous allumez votre télé à sept heures, et tout ce que vous entendiez, c'était "vagin, vagin, vagin" avant même la première séquence. Maintenant, certaines personnes qui me voient dans la rue ou ailleurs se mettent à crier "vagin, vagin, vagin" et là je sais que ce sont des gens qui me connaissent bien.

Tu sais, je n'ai jamais entendu les mots vagin ou vulve quand j'étais enfant. Je ne pense pas que ma mère m'ait jamais dit comment l'appeler. Le mot que j'ai appris des autres enfants était "njunju", une insulte qui signifie "monstre". Je ne réalise que maintenant les dégâts que cela a provoqué ! J'essaie donc de faire les choses différemment avec ma fille, qui a trois ans. Je lutte contre mon malaise et je lui apprends à dire "vulve". L'autre jour, j'ai glissé et comme ma propre mère, je lui ai dit "va faire pipi et n'oublie pas de t'essuyer les fesses". Elle a répondu : "Non maman, je fais juste pipi, alors je vais devoir essuyer ma vulve." À ce moment-là, je me suis dit : "Bon sang ! Il y a eu des dégâts, mais il y a aussi des progrès. Je n'en suis peut-être pas encore là, mais si je continue à faire semblant, il se peut qu'elle s'en sorte !" 

Vous ne pouvez pas donner à d'autres personnes ce que vous n'avez pas. Vous ne pouvez pas enseigner la positivité sexuelle ou le body-positivisme quand vous-même en faites défaut. Ce livre est donc destiné aux soignant.e.s, aux parents et à toutes ces personnes qui n'ont jamais eu d'éducation sexuelle et qui veulent faire les choses différemment, mais qui ne savent peut-être pas par où commencer. 

C'est aussi la raison pour laquelle ce livre est un guide. Il ne doit pas être lu d'un bout à l'autre. Je veux que vous alliez à la section que vous devez consulter ce jour, et que vous sachiez que lorsque vous aurez besoin de plus - et ce sera le cas, car la vie vous y amènera - vous pourrez y revenir.

Voici une déclaration que tu as faite dans le livre et qui m'a fait hurler : "À mon avis, l'hymen est le morceau d'anatomie le plus surestimé". J'ai littéralement hurlé ! 

L'hymen est un morceau d'anatomie inutile. Tu peux me citer à ce sujet. Inutile. Laisse-moi te raconter une histoire. Il y a quelques années, dans l'une des circonscriptions d'Afrique du Sud, un membre du gouvernement local a décidé de mettre en place un programme de bourses pour les jeunes femmes âgées de 17 à 18 ans, je pense, afin qu'elles puissent étudier à l'université. Et ils ont inclus une clause dans les demandes disant que les jeunes filles devaient subir un test de virginité pour obtenir la bourse

Quoi?

Oui, je suis sortie de mes gongs. J'étais très contrariée. Quel est le rapport entre le mérite scolaire et l'hymen? Il montre jusqu'où le patriarcat peut aller. Se servir de l'hymen comme d'un critère pour décider qui mérite une éducation. Cela illustre simplement une des manifestations du patriarcat autour du corps des femmes.

Partout dans le monde, la pureté des femmes est très observée. Les gens sont obsédés par les organes génitaux des femmes et considèrent l'hymen et le vagin comme les seules choses que vous devez préserver pour votre mari. Pourtant, dans ces mêmes communautés, ce même hymen et ce même vagin sont diabolisés lorsque les femmes décident de les utiliser pour leur propre plaisir. Pourquoi ces communautés font-elles une exception de ce morceau d'anatomie - avec lequel toutes les femmes ne sont pas nées, soit dit en passant, et qui n'est pas un signe de virginité chez les femmes qui l'ont - mais seulement lorsqu'il sert les intérêts des hommes? C'est là que se situe l'hypocrisie.

Un autre point important que tu soulèves dans ton livre est que "le plaisir sexuel est le chaînon manquant dans de nombreuses discussions sur la santé sexuelle". Peux-tu m'en dire plus?

La santé publique aime à prétendre que le sexe est dépourvu de plaisir. On évoque les aspects patho-physiologiques, économiques et politiques du sexe, mais personne ne parle de la véritable raison pour laquelle les gens ont des rapports sexuels. Les gens font l'amour parce que c'est agréable. En tant que médecin, lorsque vous niez le fait que les gens ont des relations sexuelles pour le plaisir, vous vous privez de la possibilité d'encourager vos patient.e.s à utiliser et à négocier des instruments sexuels plus sûrs. C'est notre rôle de donner aux gens des informations sur le sexe qui reflètent le fait qu'ils/elles recherchent le plaisir sexuel.

C'est notre travail de dire aux femmes que nous savons que le préservatif interne, ou préservatif féminin comme on l'appelle, a l'air gros et intimidant. C'est seulement à ce moment-là que nous pouvons éduquer les femmes et leur expliquer que si l'anneau extérieur du préservatif interne est si gros, c'est parce qu'il protège vos lèvres et une partie de votre pubis, notamment contre les IST qui n'ont pas besoin de fluides corporels pour se transmettre. Mais qu’il est toujours possible d'avoir des relations sexuelles agréables tout en utilisant le préservatif : saviez-vous que l'anneau extérieur est si gros que si vous mettez un lubrifiant sur votre clitoris et que l'anneau extérieur frotte dessus, il est lubrifié ? Vous allez en fait améliorer votre capacité à avoir un orgasme clitoridien ainsi qu'un orgasme vaginal par pénétration, et à avoir encore plus de plaisir.

En centrant l'approche sur le plaisir, je trouve que je suis capable d'amener plus de gens à comprendre et à avoir une relation différente avec les contraceptifs parce que j'affirme leur fait qu'ils ont droit au plaisir sexuel. J’explique à mes patients que les médicaments que je leur prescris contre l'hypertension artérielle peuvent provoquer des troubles de l'érection, et je leur parle donc des lubrifiants, des sex toys, de la masturbation et de l'éjaculation retardée. Je leur dis comment communiquer avec leurs partenaires, de leur dire par exemple : " Écoute, les prochaines fois que nous ferons l'amour pourraient être différentes à cause de ce médicament, alors il faudra gérer nos attentes, ou peut-être passer plus de temps sur les préliminaires ". Je leur donne toutes ces informations pour éviter qu’ils n’arrêtent de prendre leurs médicaments contre l'hypertension. Mais la plupart des médecins ne le font pas, et ensuite ils constatent que les patients ne respectent pas les prescriptions. Pratiquons la médecine dans son intégralité. Ne choisissons pas ce que les patients ont besoin d'entendre. La rétention d'informations nuit aux individus.

Pourquoi penses-tu que la plupart des médecins n'utilisent pas cette approche centrée sur le plaisir?

Les professionnel.les de la santé sont des êtres humains, tu vois? En tant que personnes, elles ont donc des préjugés et des jugements. J'étais déjà inquiète à ce sujet lorsque j'étais jeune étudiante en médecine. J'ai étudié la médecine à une époque où l'Afrique du Sud mettait en place une réponse structurelle du système de santé face  à l'épidémie de VIH. Il y a eu une discussion sur les vecteurs de la maladie et la cible des messages de santé publique, et ils ont décidé que c'était les femmes et les jeunes filles noires. L'idée était alors que si les femmes noires n'étaient pas aussi hypersexuelles, si les jeunes filles noires pouvaient garder les jambes fermées et se concentrer sur l'école, la situation s'améliorerait. 

J'avais un problème avec certaines des questions que les professionnel.les de la santé posaient aux patient.e.s sur leur histoire sexuelle. Iels leur demandaient "avec combien de personnes avez-vous couché ?" et rien d'autre. Je me disais : quel est le but de tout cela, à part légitimer le jugement que les professionnel.les de la santé portent déjà sur les femmes et les jeunes ? Ces questions bouillonnaient toujours pour moi. 

À l'époque, la plupart des brochures d’informations et des guides martelaient un seul message: ne couchez pas à droite à gauche, vous allez attraper le VIH, ne faites pas ceci, vous allez attraper cela. Or, nous savons que les campagnes par la peur sont inefficaces. Les gens ne viennent pas voir les médecins et les infirmières avant d'avoir des relations sexuelles. Ils ont des rapports sexuels alors que nous ne sommes même pas là! Nous devons nous assurer que les gens sont suffisamment informés pour évaluer leurs propres risques et négocier l'utilisation d'outils de protection sexuelle, quel que soit le contexte dans lequel ils ont des relations sexuelles. Ce n'est pas le rôle de la communauté médicale de juger les gens sur la façon dont ils ont des relations sexuelles, quand ils en ont, avec qui ils en ont. Je pense que la santé publique serait plus efficace si nous cessions de juger nos patient.e.s.

Je pense que la santé publique serait plus efficace si nous cessions de juger nos patient.e.s.

Cela me rappelle une expérience que j'ai vécue récemment alors que je faisais des recherches dans la région du Sahel. J'ai interrogé plusieurs professionnel.les de la santé mais aussi des personnels d’ONG, qui ont admis qu'ils et elles ne disaient pas aux filles et aux femmes qu'elles avaient le droit de se faire avorter (après un viol ou un inceste par exemple) parce que c'était contraire à leurs propres valeurs religieuses. Que réponds-tu à cela ?

C'est tout à fait déshonorant. Mais c'est la norme, et ça me fait tellement mal. C'est pourquoi je passe tant de temps à travailler avec des étudiant.e.s en médecine, des jeunes médecins, des infirmières et d'autres professions apparentées comme les pharmacien.ne.s. Nous ne pouvons pas avoir une autre génération de professionnel.les de la santé qui imposent leur culture et leur religion à des patient.e.s vulnérables et marginalisé.e.s.

Personne ne force une personne qui croit en un Dieu qui a toutes ces règles à devenir médecin, infirmière ou pharmacien.ne. Comment osent-elles exercer ces professions en sachant qu'elles vont faire obstruction aux droits humains des personnes ? Elles utilisent leur pouvoir pour imposer leurs opinions personnelles aux individus et interfèrent avec les soins pour des raisons égoïstes. Moi je leur dis : il n'y a pas de place pour vous dans la profession médicale. Si vous êtes si spirituel.le, allez faire de la théologie. Je sais que les mots que j'utilise sont très forts, mais je les utilise délibérément. Nous ne devrions pas avoir la moindre tolérance pour cela.

Je leur dis: il n’y a pas de place pour vous dans la profession médicale. Si vous êtes si spirituel.le, allez faire de la théologie.

Des jeunes filles ont des grossesses inopportunes qui changent le cours de leur vie pour toujours. Des femmes meurent littéralement parce qu’on leur refuse des avortements médicalisés. Certaines d’entre nous meurent en couches. Et tout ça parce que les médecins nous disent: Dites seulement non et priez de ne pas avoir envie de sexe. Quelle est cette absurdité? Je vis dans un pays où une femme sur 7 est une survivante du viol. Le fait que je dise non ne va pas me prémunir contre le viol donc le moins que vous ppuissiez faire en tant que mon prestataire de santé est de ne pas entraver les soins.

Mais une fois encore, examinons les personnes qui subissent les préjudices de ces types de prestataires de soins. Il s'agit des femmes et des jeunes. Ce sont les personnes qui ont besoin d'un avortement et celles qui veulent une contraception. Encore une fois, c'est le patriarcat qui se manifeste. Pas seulement dans le monde médical, d'ailleurs ! Pourquoi pensez-vous que si peu d'avocat.e.s se battent pour nous, les femmes ? Il est facile d'obtenir un.e avocat.e pour une faute médicale, pour un accident de voiture ou pour une procédure orthopédique qui a mal tourné. Mais personne ne voit l'intérêt de se battre pour que les femmes aient accès à la santé et aux soins sexuels et reproductifs, ainsi qu'à leurs droits. Le système juridique lui-même est patriarcal. Sinon, nous gagnerions des procès tous les jours !

Absolument. Voici la dernière déclaration sur laquelle je voulais t’interroger. Tu écris dans ton livre que "le travail du sexe est un vrai travail". Je te pose cette question parce que le travail du sexe est une question qui divise énormément le mouvement féministe, en particulier en Afrique. J'aimerais donc connaître ton point de vue sur cette question.

Lorsque vous avez des adultes qui sont des travailleur-euses du sexe, qui sont capables de participer de manière consensuelle à des actes sexuels (tous n'ont pas besoin d'être pénétrants d'ailleurs), qui sont capables de négocier, quand, comment, avec qui et dans quel but ils et elles ont des rapports sexuels, je pense que ces personnes n’ont aucune raison d’être criminalisées.

Criminaliser le travail du sexe, c'est punir les femmes d’être capables de négocier des rapports sexuels. Cela n'a aucun sens. C'est comme une dissonance cognitive. Celles qui ne soutiennent pas la décriminalisation du travail du sexe en tant que question féministe ne font que montrer leur hypocrisie. Ce qu'elles disent aux travailleurs-euses du sexe, c'est : "Vous êtes si doué-e-s pour négocier les conditions du sexe que je ne vous soutiendrai pas".

Ce sont les travailleurs-euses du sexe qui devraient nous apprendre quelque chose. Ils-Elles savent comment se protéger des IST parce qu'ils-elles ne peuvent pas se permettre d'en attraper. Les travailleurs-euses du sexe savent comment mettre un préservatif avec leur bouche lors d'une fellation. Vous devriez apprendre, c'est une compétence de vie, chérie ! (Nous rions.) Pourtant, nous nous sommes tellement enfermé.e.s dans cette prison du sexe et de la morale que nous sommes des agent.e.s du patriarcat, même au sein du féminisme. Pourquoi ? Parce que c'est le sexe, parce que ce sont des femmes.

Ce que nous disons à ces femmes, c'est : comment osez-vous penser que vous avez le droit d'être sexuellement actives? Comment osez-vous penser que vous pouvez prendre plaisir à être sexualisées ? Alors comment osez-vous penser que vous pouvez négocier la façon dont le sexe doit se produire et, Dieu vous en garde, comment osez-vous faire payer les hommes pour cela ? Voici le problème que les gens ont avec le travail du sexe : c'est le fait que les hommes doivent payer pour cela.

C'est une perspective intéressante.

Le patriarcat autorise les femmes à faire l'amour dans la mesure où ça leur retire quelque chose, où c'est vigoureux, où c'est violent. Les travailleurs-euses du sexe sont un moyen de pression politique sur le patriarcat. C'est pourquoi le patriarcat déteste tellement les femmes qui sont des travailleuses du sexe.

Ce n'est pas comme si les hommes qui sont des décideurs politiques se tenaient à l'écart des travailleuses du sexe ! Les membres du Congrès et du Parlement sont précisément leurs clients. Certains des plus grands scandales en politique commencent par le sexe - et je ne parle pas d'un scandale sexuel entre un membre du Congrès et sa femme. C'est toujours avec un.e travailleur-euse du sexe.

Le problème de ces hommes, en revanche, est qu'ils veulent reproduire avec les travailleurs-euses du sexe ce qu'ils font aux femmes dans toutes les autres industries et à tous les autres niveaux de la société. Ils veulent prendre, ils veulent être vigoureux et violents. Et voilà que les travailleurs-euses du sexe arrivent, renversant tout l’ordre établi, et disent : non seulement nous serons des femmes, mais nous serons des femmes et nous pourrons négocier le sexe. Nous serons des femmes qui aiment le sexe. Nous serons des femmes qui vous ferons même payer pour avoir des rapports sexuels. C'est le problème du travail du sexe et des travailleurs-euses du sexe.

A propos, quand je rencontre une nouvelle personne, les opinions qu'elle a sur le travail du sexe et l'avortement me renseignent déjà sur le genre de féministe qu’elle est, le genre de politique elle mène. Donc, comme je te l'ai dit plus tôt, parfois je me présente en disant que je suis une travailleuse du sexe. D'après la façon dont les gens réagissent à cette déclaration, je suis capable de savoir très clairement et très rapidement à qui j'ai affaire.

Merci Dr. T. d’avoir partagé avec nous tes perspectives! Mes ami.e.s, rendez vous ce service et procurez-vous une copie du livre. Vous pouvez l’achetez chez Book Depository pour livraison en Afrique et en Europe et presque partout dans le monde, et aussi chez Barnes and Noble pour livraison aux Etats Unis. Mais ne partez pas maintenant!

Comme vous le savez, Eyala s’engage à explorer comment les féministes africaines vivent leurs valeurs donc je ne pouvais pas laisser Dr. T. partir sans lui poser des questions sur son féminisme. C’est ici pour ses réponses.

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« Je m'assure que ma Négritude apparaît dans toute sa force. » - Dr Tlaleng Mokofeng (Afrique du Sud) - 2/4

Deuxième partie de mon entretien avec Dr. Tlaleng Mofokeng, médecin et activiste de santé reproductive aussi connue sous le nom de Dr. T. Après m’avoir expliqué pourquoi elle a fait le choix de devenir activiste (voir partie 1), elle me parle maintenant de comment elle s’y prend: en se présentant totalement et sans complexe comme elle est: une femme africaine noire. Fabuleux!

Parlons de ta voix. Tu n’es pas la seule à partager des messages sur la santé et les droits sexuels mais il y a quelque chose de distinctif sur comment tu approches cette démarche. Je pense que cela est dû à ta perspective en tant qu' activiste africaine noire. Par exemple, j'ai déjà lu des guides de santé sexuelle pour les femmes, mais je savais que ton livre serait différent à la couverture déjà. Quand j’ai vu comment tu t’es positionnée de façon centrale, avec ta peau noire, ton afro et ton rouge à lèvres rouge, je me suis, elle va au-delà du simple partage d’informations - elle répand son identité sur toutes les pages. J'espère que je n'interprète pas trop?

Je suis ravie que tu l'as remarqué ! Tu sais, j'ai grandi en étant consciente du fait que ce corps est politique - ce depuis le plus jeune âge, malheureusement. Même si je choisis de ne rien faire et de ne pas être une activiste, au bout du compte, être Noire et être femme est politique. Notamment parce que les gens projettent leurs intérêts sur moi. À l'heure actuelle, certaines personnes, jusqu'au Sénat des États-Unis, pensent pouvoir me dire que même si j'ai une grossesse indétectable ici à Johannesburg, je dois mourir d'un avortement non médicalisé simplement parce qu'ils ont donné de l'argent à mon gouvernement pour lutter contre le VIH.

Mon livre, et mon travail en général, sont enracinés dans ma Négritude et ma féminité, car c'est ce que je suis. Je connais beaucoup de personnes sur Twitter qui racontent qu'elles ont dû déconstruire leur passé pour parvenir au féminisme ou à la conscience noire. Je n'ai jamais eu un tel processus parce que le sentiment anti-noir ne s'est jamais ancré en moi. Je ne sais pas ce que ça fait de se dévaloriser.

C'est fascinant ça, parce que c’est si rare. Je pense que ta capacité à te présenter sans équivoque comme une femme noire et africaine est ce qui rend ton travail unique. D'où vient cela ? 

Cognitivement, le cerveau est tel que nous n'avons pas de souvenirs du moment exact où nous avons appris les choses que nous avons apprises. Nous ne nous souvenons pas du jour, nous prenons juste des habitudes et accumulons des connaissances. Mais je pense que ma mère y est pour beaucoup. 

Elle était si intentionnelle, même dans la manière dont elle a façonné comment je voyais mon propre corps. Ma mère me demandait toujours : "Pourquoi portes-tu une robe si longue ?" Et je répondais : "Mais je suis grosse." Et elle disait : "Non, tu ne l'es pas. Relève cette jupe et montre tes jambes, ouvre la fermeture éclair et montre tes seins. Regarde comme ils sont beaux". Elle était cette mère. Et je me disais : "Oh oui, en fait, tu as raison."

Donc, c'est juste une partie de mon identité. Dans certains espaces et pour certaines raisons, je mets en avant ma Négritude ou je l'exprime de manière plus théâtrale, car il faut parfois agiter même les espaces dont nous faisons déjà partie.

Il faut parfois agiter même les espaces dont nous faisons partie.

Tu peux me donner quelques exemples de ces moments où tu as ressenti le besoin de "mettre en avant" ta Négritude ?

Il y a des choses qu'on m'a dites en grandissant, notamment: "Oh, tu parles si bien, tu n'es pas comme les autres" - les autres étant mes compatriotes noirs. Ou encore : "Oh, tu es si propre". Maintenant, je suis adulte et j'entends encore des choses comme "Tu t’exprimes si bien". Mais je suis médecin! Certaines choses doivent couler de source, non? Ce sont des conversations où je m'assure que ma Négritude apparaît dans toute sa force, sans m'excuser ni demander à être validée. C'est toujours fascinant pour moi de voir à quel point je mets les gens mal à l'aise à ce moment-là.

Par exemple, chaque fois que je fais des présentations ici en Afrique du Sud ou même dans des instances internationales, beaucoup de femmes blanches me demandent : "Mais pourquoi ne dites-vous que femmes noires ? En disant "femmes noires, est-ce que vous nous excluez ?" Et je réponds : "Je sais que quand vous dites femme, vous ne parlez pas de moi. Je sais que vous ne m'incluez pas - ni les femmes noires, ni les femmes pauvres". J'ai actuellement des difficultés avec les femmes blanches qui sont libérales et féministes suivant leur propre appréciation et qui pourtant me donnent l'impression que le patriarcat est tout entier dans la pièce. Et comme elles sont soi-disant des "alliées" des femmes noires, c'est comme si elles n'avaient aucun compte à rendre.

Selon toi, quel est le dénominateur commun entre tous les exemples que tu viens de donner ?

C'est la façon dont les gens réagissent au fait que je suis une femme noire qui peut parler librement de son corps, qui peut articuler certaines choses sur ses expériences de vie, qui peut exiger certaines choses du gouvernement, qui n'est pas intimidée par qui que ce soit dans la pièce - littéralement, par qui que ce soit dans la pièce. 

Si les gens avaient une réaction différente, je ne crois pas que je saurai l'importance de ma personnalité. Mais parce qu'ils réagissent comme si c'était quelque chose d'extraordinaire, je leur dis: "Peut-être que vous êtes occupé.e à opprimer et à faire taire d'autres personnes qui me ressemblent, qui parlent comme moi, juste parce que vous le pouvez ?

De plus, je suis une médecin indépendante et je suis une activiste indépendante depuis longtemps. Je n'ai pas d'ONG et je ne dépends pas d'une subvention pour poursuivre mon activité. Par conséquent, comme je n'ai de comptes à rendre à personne, je dis parfois des choses au nom d'autres personnes qui doivent se taire parce qu'elles sont contraintes de garder leur emploi ou leur contrat. Je serais une fraude si je ne disais pas ces vérités au nom de mes compatriotes noires qui ne peuvent pas en faire autant.

Alors oui, parfois j'utilise ma voix délibérément pour faire bouger les lignes. Mais je ne sais pas ce que je pourrais utiliser d'autre, de toute façon. Je n'ai pas d'autres astuces, tu sais. Être Noire et être une femme Noire, c'est tout ce que je sais être. Et donc ma vision du monde sera toujours celle d'une femme Noire et je ne m'en excuse pas.

Aucune excuse à avoir! Entendre Dr .T. sur comment elle se positionne dans son travail  m’a donné une toute nouvelle perspective sur son écriture. Dans la prochaine partie de notre conversation, j’ai demandé à Dr. T. d’apporter plus de clarifications sur certaines des déclarations audacieuses qu’elle émet dans son livre A Guide to Sexual Health and Pleasure (Un guide de la santé et du plaisir sexuels - inédit en français) sur la virginité, le plaisir sexuel, le travail du sexe et plus encore. Pour en savoir plus, c’est par ici.

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J’ai hâte de savoir ce que vous en avez pensé. Vous pouvez écrire un commentaire ci-dessous, ou on pourrait se causer sur Twitter, Facebook ou Instagram @EyalaBlog.

Pour les actualités de Dr. T, c’est sur Twitter et Instagram @DrTlaleng

« Me réveiller un jour sans me sentir rebelle, c’est inimaginable » - Dr Tlaleng Mokofeng (Afrique du Sud) - 1/4

Dr Tlaleng Mofokeng, (ou Dr T. comme tout le monde l’appelle) vit plusieurs vies à la fois, les unes toutes aussi fascinantes que les autres. Médecin sud-africaine, Dr T. dirige DISA, une clinique basée à Johannesburg qui se spécialise sur la santé des femmes. Elle est également à la tête du cabinet de conseil Nalane, qu’elle a fondé pour promouvoir la justice reproductive en Afrique du Sud et dans le monde. Le tout en plus de son travail comme Vice-présidente de la Coalition pour la justice sexuelle et reproductive d’Afrique du Sud et comme Co-présidente de l’antenne sud-africaine de Global Doctors for Choice. Et c’est sans compter les émissions télé, les chroniques radio, et surtout son travail d’autrice où elle milite pour la santé et la justice reproductive et sexuelle des femmes et des enfants. Cette femme est une icône!

Je nourrissais donc de grandes attentes pour notre causerie, et laissez-moi vous dire, c’était beaucoup plus inspirant que ce à quoi je m’attendais. Dr T. m’a parlé du parcours qui l’a amenée à choisir l’activisme au lieu de se contenter du confort d’une carrière privilégiée mais silencieuse (1ère partie, ci-dessous). Nous avons parlé de sa voix, et pourquoi il est important qu’elle se présente sans ambages en tant qu’une sud-africaine noire (2ème partie). Puis nous avons décortiqué plusieurs des déclarations choc qu’elle fait dans son livre - Dr T: A Guide to Sexual Health and Pleasure  (3ème partie – à ne rater sous aucun prétexte !). Je ne pouvais laisser Dr T. partir sans parler de féminisme -  rendez-vous dans la partie 4 pour lire sur sa vision et pratique féministe.

Attachez vos ceintures!

Bonjour Dr T., et merci d'avoir accepté mon invitation. Je suis ravie d’avoir cette occasion de parler de ton livre, que j’ai adoré, mais aussi de ton parcours et tes combats. On va commencer par une question simple : comment aimes-tu te présenter lorsque tu rencontres quelqu’un pour la première fois ? 

Je dis : "Bonjour, je m'appelle Tlaleng. Je suis une travailleuse du sexe" (Rires).

Je ne l'ai pas vue venir, celle-là ! Sérieux, tu te présentes vraiment comme ça ?

Ça m’arrive, oui. Je trouve toujours cela comme une question assez bizarre parce que d'habitude, quand les gens demandent « Que faites-vous dans la vie ? », la question qui est vraiment posée c’est : « Quel niveau de respect dois-je vous accorder ? » C’est pour ça que je ne donne pas toujours mon nom complet ni mon titre. Je me contente de dire « Bonjour, je suis Tlaleng » et me fondre dans la masse. En général, après un moment il y a toujours quelqu'un qui vient me demander : « Attendez, vous ne seriez pas Dr T. ? » Et là je réponds : « Oui, c'est bien moi. »

Je trouve très intéressant de voir comment les gens vous traitent quand ils ne savent pas que vous êtes Dr T. et quand ils le savent. Dès qu’ils savent qui vous êtes, le changement est immédiat. Tout d’un coup, telle personne veut une consultation, ou veut parler des douleurs qu’elle a dans le dos depuis dix ans. 

Ça n’a pas l’air drôle. En même temps, quand on est une personnalité publique en Afrique du Sud et dans le monde entier, il faut s'y attendre… Non ? 

Oui, j’imagine que se mettre en scène fait partie du jeu. Mais ce que j'aime, c’est rencontrer les gens, et observer leurs interactions. Je pense d’ailleurs que c'est ce qui fait de moi un bon médecin.  Je n'ai pas besoin d'être constamment au centre de l’attention ; je préfère être un peu à la marge et juste observer.

A cause de cette hypervisibilité, ce n’est pas toujours possible d’être moi-même et de me détendre lorsque je suis en société. Trop de personnes veulent simplement utiliser votre capital social et la proximité qu’elles ont avec vous. La visibilité et la notoriété et tout le reste, pour moi, c’est un prix terrible qu’il faut payer pour pouvoir faire son travail. Je ne me suis pas lancée dans l’activiste en me disant : « Je veux être une activiste pour être connue ».

La visibilité et la notoriété et tout le reste, pour moi, c’est un prix terrible qu’il faut payer pour pouvoir faire son travail.

Pourquoi as-tu choisi l'activisme ? Les médecins que je connais se contentent de traiter leurs patient.e.s…

Depuis toujours, ma mère m'a encouragée à exprimer ce que je pensais. Elle ne m'a jamais punie pour avoir posé des questions ou donné mon avis. Du coup, une fois en faculté de médecine, je me retrouvais à dire des choses du type : « Je sais que vous êtes le professeur, mais je vois bien que dans vos cours sur les IST (infections sexuellement transmissibles) vous n’utilisez que des images des organes génitaux de personnese Noires, alors que pour parler de santé et de bien-être, vous utilisez toujours un homme Européen de 70 kg comme référence. ».

Pendant longtemps, j'ai pensé que c'était normal de m’exprimer ainsi. Mais en faculté de médecine, je me suis rendue compte que mes camarades internes et même les médecins craignaient d’être réprimandé.e.s pour avoir dit ce qu'ils/elles pensaient, pour avoir été en désaccord avec le professeur, ou simplement pour avoir voulu pousser la discussion un peu plus loin. Je leur demandais toujours : « Attendez, vous avez vu ce truc ? » Et tout le monde répondait « oui ». Et j’essayais de comprendre : « Alors pourquoi tout le monde se tait ? Sommes-nous en train de dire que ce qui se passe là est bon ? Pourquoi suis-je la seule à réagir ? »

As-tu trouvé la réponse à cette dernière question ? Pourquoi toi tu prends la parole alors les autres se taisent ?

C'est comme ça que je suis, tout simplement. Tout comme je ne peux pas dissocier Tlaleng du Dr. T, je ne peux pas dissocier mon travail de médecin du fait de m’exprimer haut et fort. Me réveiller un jour sans me sentir rebelle, c’est inimaginable. Accepter les choses telles qu'elles juste parce qu'elles ont toujours été ainsi, c’est inimaginable. Ce sont des sentiments qui me sont complètement étrangers. 

Je pense que devenir médecin m'a donné l'expertise dont j'avais besoin pour confirmer ce que je revendiquais depuis longtemps. Je ne me contentais pas de dire « Je n’aime pas telle ou telle autre chose parce que ça me met mal à l’aise », mais j’avais des preuves scientifiques pour appuyer mes propos. Ça m’a permis d’argumenter avec plus de pertinence, avec plus de clarté, avec plus d'obstination et aussi avec l'arrogance dont j’avais besoin pour répondre aux gens qui me disaient « Tu te prends pour qui ? ». Eh bien maintenant je peux leur répondre : « Alors, je suis médecin et ça fait 12 ans que j’exerce ce métier et c’est exactement ce que je suis. »

Ceci dit, le fait qu’on exige toujours des femmes noires – et des personnes noires en général – qu’elles corroborent ce qu’elles disent de leurs propres expériences de vie avec de la recherche et des diplômes, c’est de la discrimination pure et simple. Ce que je dis depuis que je suis médecin, et ce que j’ai écrit dans le livre, c’est ce que je dis depuis cinq, six, huit, dix ans. Mais maintenant, les gens se disent, « maintenant c’est bon! On peut la considérer comme une experte. » Pendant ce temps, tu as ces hommes et femmes Blanc.he.s médiocres qui se proclament expert.e.s des pays du Sud.

Le fait qu’on exige toujours des femmes noires - et des personnes noires en général - qu’elles corroborent ce qu’elles disent de leurs propres expériences de vie avec de la recherche et des diplômes, c’est de la discrimination pure et simple.

C’est clair. Ceci dit, se faire entendre est une chose et être activiste en est une autre. Pourquoi as-tu choisi de franchir ce cap plutôt risqué.

Je savais que me faire entendre et m'exprimer était tout aussi important pour moi-même que pour la communauté et les personnes autour de moi qui ne pouvaient pas le faire, pour quelque raison que ce soit. En tant que médecin, je suis confrontée quotidiennement aux visages des gens, à leurs émotions et à leur vie privée. Ça n'a rien d'académique. Ce sont des hommes et des femmes de la vraie vie : des personnes en crise, des personnes suicidaires, des personnes violées, des femmes qui ont besoin d'un refuge pour leurs enfants, leurs biens et elles-mêmes.

Les gens tweetent souvent sur la façon dont ils se sentent accablés et bouleversés par les titres de l'actualité. Imaginez donc être ce médecin qui va recoudre un enfant de trois ans souffrant de blessures dues à un viol. Pour moi, ce sont des gens de la vraie vie. Et donc, le sentiment d'urgence et l'entêtement que j'apporte au monde viennent du fait que je vois ces personnes tous les jours.

Par ailleurs, je n'ai pas tellement le choix. Je me souviens avec émotion d'avoir prêté le serment d'Hippocrate, et je sais qu'il va au-delà de la prévention des maladies et du traitement des personnes. Le serment d'Hippocrate parle aussi de défendre les droits de vos patients, et c'est un aspect que je prends au sérieux. Je pense que beaucoup de praticien.nes ont oublié que la défense des droits des patient.e.s fait aussi partie de leur pratique médicale. Récemment, j'ai vu des questions sur Twitter et dans les médias demandant si les universités devraient former des médecins qui se battent aussi pour la justice sociale. Cela me fait rire. Je me demande: que faisiez-vous depuis le début?!

Selon moi, être militante fait partie de ma pratique médicale, de mon rôle de médecin, de guérisseuse. Il s'agit d'améliorer le cadre de vie des gens. Partout dans le monde, les médecins sont très réputés dans la société. Il est important que j'utilise ce titre pour faire quelque chose qui ait un sens pour la société.

Quelle belle manière d’entamer cette conversation. Dans la 2e partie, j’ai demandé à Dr. T. de m’en dire plus sur l’intention derrière la façon dont elle se présente - cheveux afro, rouge à lèvres vif et tout! Sa réponse est un appel retentissant pour toutes les femmes noires dans chaque espace, et chaque jour. Cliquez ici et soyez inspirée!

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Pour les actualités de Dr. T, c’est sur Twitter et Instagram @DrTlaleng