« Je m'assure que ma Négritude apparaît dans toute sa force. » - Dr Tlaleng Mokofeng (Afrique du Sud) - 2/4
/Deuxième partie de mon entretien avec Dr. Tlaleng Mofokeng, médecin et activiste de santé reproductive aussi connue sous le nom de Dr. T. Après m’avoir expliqué pourquoi elle a fait le choix de devenir activiste (voir partie 1), elle me parle maintenant de comment elle s’y prend: en se présentant totalement et sans complexe comme elle est: une femme africaine noire. Fabuleux!
Parlons de ta voix. Tu n’es pas la seule à partager des messages sur la santé et les droits sexuels mais il y a quelque chose de distinctif sur comment tu approches cette démarche. Je pense que cela est dû à ta perspective en tant qu' activiste africaine noire. Par exemple, j'ai déjà lu des guides de santé sexuelle pour les femmes, mais je savais que ton livre serait différent à la couverture déjà. Quand j’ai vu comment tu t’es positionnée de façon centrale, avec ta peau noire, ton afro et ton rouge à lèvres rouge, je me suis, elle va au-delà du simple partage d’informations - elle répand son identité sur toutes les pages. J'espère que je n'interprète pas trop?
Je suis ravie que tu l'as remarqué ! Tu sais, j'ai grandi en étant consciente du fait que ce corps est politique - ce depuis le plus jeune âge, malheureusement. Même si je choisis de ne rien faire et de ne pas être une activiste, au bout du compte, être Noire et être femme est politique. Notamment parce que les gens projettent leurs intérêts sur moi. À l'heure actuelle, certaines personnes, jusqu'au Sénat des États-Unis, pensent pouvoir me dire que même si j'ai une grossesse indétectable ici à Johannesburg, je dois mourir d'un avortement non médicalisé simplement parce qu'ils ont donné de l'argent à mon gouvernement pour lutter contre le VIH.
Mon livre, et mon travail en général, sont enracinés dans ma Négritude et ma féminité, car c'est ce que je suis. Je connais beaucoup de personnes sur Twitter qui racontent qu'elles ont dû déconstruire leur passé pour parvenir au féminisme ou à la conscience noire. Je n'ai jamais eu un tel processus parce que le sentiment anti-noir ne s'est jamais ancré en moi. Je ne sais pas ce que ça fait de se dévaloriser.
C'est fascinant ça, parce que c’est si rare. Je pense que ta capacité à te présenter sans équivoque comme une femme noire et africaine est ce qui rend ton travail unique. D'où vient cela ?
Cognitivement, le cerveau est tel que nous n'avons pas de souvenirs du moment exact où nous avons appris les choses que nous avons apprises. Nous ne nous souvenons pas du jour, nous prenons juste des habitudes et accumulons des connaissances. Mais je pense que ma mère y est pour beaucoup.
Elle était si intentionnelle, même dans la manière dont elle a façonné comment je voyais mon propre corps. Ma mère me demandait toujours : "Pourquoi portes-tu une robe si longue ?" Et je répondais : "Mais je suis grosse." Et elle disait : "Non, tu ne l'es pas. Relève cette jupe et montre tes jambes, ouvre la fermeture éclair et montre tes seins. Regarde comme ils sont beaux". Elle était cette mère. Et je me disais : "Oh oui, en fait, tu as raison."
Donc, c'est juste une partie de mon identité. Dans certains espaces et pour certaines raisons, je mets en avant ma Négritude ou je l'exprime de manière plus théâtrale, car il faut parfois agiter même les espaces dont nous faisons déjà partie.
Tu peux me donner quelques exemples de ces moments où tu as ressenti le besoin de "mettre en avant" ta Négritude ?
Il y a des choses qu'on m'a dites en grandissant, notamment: "Oh, tu parles si bien, tu n'es pas comme les autres" - les autres étant mes compatriotes noirs. Ou encore : "Oh, tu es si propre". Maintenant, je suis adulte et j'entends encore des choses comme "Tu t’exprimes si bien". Mais je suis médecin! Certaines choses doivent couler de source, non? Ce sont des conversations où je m'assure que ma Négritude apparaît dans toute sa force, sans m'excuser ni demander à être validée. C'est toujours fascinant pour moi de voir à quel point je mets les gens mal à l'aise à ce moment-là.
Par exemple, chaque fois que je fais des présentations ici en Afrique du Sud ou même dans des instances internationales, beaucoup de femmes blanches me demandent : "Mais pourquoi ne dites-vous que femmes noires ? En disant "femmes noires, est-ce que vous nous excluez ?" Et je réponds : "Je sais que quand vous dites femme, vous ne parlez pas de moi. Je sais que vous ne m'incluez pas - ni les femmes noires, ni les femmes pauvres". J'ai actuellement des difficultés avec les femmes blanches qui sont libérales et féministes suivant leur propre appréciation et qui pourtant me donnent l'impression que le patriarcat est tout entier dans la pièce. Et comme elles sont soi-disant des "alliées" des femmes noires, c'est comme si elles n'avaient aucun compte à rendre.
Selon toi, quel est le dénominateur commun entre tous les exemples que tu viens de donner ?
C'est la façon dont les gens réagissent au fait que je suis une femme noire qui peut parler librement de son corps, qui peut articuler certaines choses sur ses expériences de vie, qui peut exiger certaines choses du gouvernement, qui n'est pas intimidée par qui que ce soit dans la pièce - littéralement, par qui que ce soit dans la pièce.
Si les gens avaient une réaction différente, je ne crois pas que je saurai l'importance de ma personnalité. Mais parce qu'ils réagissent comme si c'était quelque chose d'extraordinaire, je leur dis: "Peut-être que vous êtes occupé.e à opprimer et à faire taire d'autres personnes qui me ressemblent, qui parlent comme moi, juste parce que vous le pouvez ?
De plus, je suis une médecin indépendante et je suis une activiste indépendante depuis longtemps. Je n'ai pas d'ONG et je ne dépends pas d'une subvention pour poursuivre mon activité. Par conséquent, comme je n'ai de comptes à rendre à personne, je dis parfois des choses au nom d'autres personnes qui doivent se taire parce qu'elles sont contraintes de garder leur emploi ou leur contrat. Je serais une fraude si je ne disais pas ces vérités au nom de mes compatriotes noires qui ne peuvent pas en faire autant.
Alors oui, parfois j'utilise ma voix délibérément pour faire bouger les lignes. Mais je ne sais pas ce que je pourrais utiliser d'autre, de toute façon. Je n'ai pas d'autres astuces, tu sais. Être Noire et être une femme Noire, c'est tout ce que je sais être. Et donc ma vision du monde sera toujours celle d'une femme Noire et je ne m'en excuse pas.