« On m’a toujours considérée rebelle et têtue » - Musu Bakoto Sawo (Gambie) - 1/5 

Musu Bakoto Sawo, originaire de la Gambie, est une avocate et une défenseuse des droits humains. Depuis son plus jeune âge, Musu est activement engagée dans la promotion des droits humains, luttant pour la défense des droits des enfants en Gambie et ailleurs.

Dans cette série, nous explorons ses définitions de l’enfance et de l’adolescence ainsi que les événements clés qui ont marqué ces périodes de sa vie. Nous parlons aussi avec elle de sa famille et des personnes qui l’ont influencée
(Partie 2); son expérience avec la mutilation génitale et le mariage des enfants (Partie 3), sa définition et son expérience de la résistance (Partie 4) ainsi que son travail de protection aux filles et aux femmes aujourd’hui (Partie 5).

Musu a été pour la première fois en conversation avec Françoise Moudouthe en fin 2019 dans le cadre d’un projet mondial ayant pour but de documenter la résistance des filles. Cette conversation a été éditée en cinq parties par Jama Jack pour notre serie #GirlsResistWA. Vous pouvez trouver plus d'informations sur la série
ici.

Avertissement: cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.

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Bonjour Musu, merci infiniment d’avoir accepté de me parler de ton enfance et de la manière dont tu as résisté à l’ordre établi à cette époque. Commençons par des chiffres : lorsque tu penses à ton enfance, quelle tranche d’âge te vient à l’esprit ?

Lorsque je parle de mon enfance, je fais référence aux périodes de ma vie pour lesquelles mes souvenirs sont les plus vivaces. Cela va de l'école primaire, quand j'avais environ 7 ans, jusqu'au moment où j'ai quitté le lycée, à l'âge de 17 ans. 

Analysons ces deux périodes. S'est-il passé quelque chose quand tu avais sept ans qui était si important que cela a marqué le début de ta vie de jeune fille ?

Eh bien, lorsque j’avais environ 6 ans, ma famille m’a dit que j’allais rendre visite à ma grand-mère maternelle. Mais elle était déjà décédée – quand mon père n’avait qu’un an je crois. Donc, il était évident qu’on me mentait et que je n’allais pas voir ma grand-mère, mais j’avais tout de même hâte, parce que c’était la première fois que j’allais rencontrer un de mes grands-parents. Je me souviens d’avoir pris le bus avec une de mes tantes. Ça allait également être la première fois que je me rendais dans le village et que je rencontrais d’autres membres de ma famille élargie. Lorsque nous sommes arrivées au village, on s’est bien occupé de moi.

Et puis un jour vers 4 heures du matin, on m’a réveillée et on m’a dit que j’allais rencontrer le chef spirituel. Je n’ai pas vraiment compris ce que ça voulait dire. Je me souviens qu’on m’a enroulée d’un drap fin qui avait été trempé dans de l’eau froide. Ensuite, j’ai dû courir jusqu’à ce que nous arrivions dans la brousse. Je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer avant que ça ne commence. C’est à ce moment-là que j’ai été mutilée. Donc, oui je m’en souviens.

Navrée que tu aies dû subir ça. Qu’as-tu ressenti après ?

Généralement, après la mutilation, il y a une grande cérémonie où les gens portent leurs tenues traditionnelles, les filles aussi. Elles portent leurs tenues traditionnelles pendant très longtemps. C’est pour montrer qu’elles ont subi une mutilation génitale féminine (FGM), et qu’elles sont pures désormais. Quand on était petites, on nous disait que les filles qui n'avaient pas été excisées n’étaient pas pures. Il y a des groupes ethniques qui ne pratiquent pas du tout les mutilations génitales féminines, et on nous disait que nous étions meilleures qu’eux parce que nous étions pures.

Mais, je n’ai pas accompli tous les rituels parce que mon père voulait que je rentre à la maison – contrairement à mes cousines qui sont restées tout le temps. Lorsqu’elles sont rentrées, je me souviens que j’étais très triste et d’avoir beaucoup pleuré. Je me sentais imparfaite, parce que je n’avais pas terminé le processus d’initiation. Je me souviens que j’allais à l’école avec mes amulettes autour du cou, en me promenant comme si j’étais meilleure que les autres filles qui n’étaient pas passées par ce processus. Je m’en souviens très bien. 

Peux-tu m’en dire plus sur le genre de petite fille que tu étais ?

J’étais la petite fille qui posait trop de questions. Lorsqu’on me disait « tu ne peux pas faire ça parce que ça n’est pas bien », je demandais toujours pourquoi ça n’était pas bien. Le fait que les gens me disent simplement que ce n'était pas bien de faire quelque chose ne me satisfaisait pas.

Je me souviens que lorsque j'étais à l'école primaire, un garçon m'a frappée sur la cuisse, et je l'ai giflé. Quand j'ai été dénoncée à l'enseignant et qu'on m'a demandé pourquoi je l'avais giflé alors qu'il était plus fort que moi car étant un garçon. L’affaire est arrivée chez la directrice et j'ai répondu que le garçon m'avait touchée à un endroit inapproprié. Je me suis dit que c'était mon corps, que je ne pouvais pas laisser n'importe qui me toucher n'importe comment sans mon consentement. La directrice de l'école m'a écoutée et a dit que j’étais une battante. Mais à ce moment-là, il ne s'agissait pas d'être une battante. Il s'agissait simplement de faire ce qu'il fallait, car j'estimais que s'il me malmenait de cette manière, je devais riposter à mon tour.

Ainsi, on m’a toujours considérée rebelle et têtue. Je remettais les choses en question et réclamais justice partout où je voyais qu’il se produisait quelque chose d’injuste, même parmi mes frères et sœurs. Parfois, les gens pensent que c'est impoli, mais ça ne l'est pas. C'est juste que je suis franche et claire sur mes points de vue et mes opinions sur certaines choses, surtout celles qui me concernent. J'appelle ça avoir une forte personnalité. C'est la personne que j’étais en grandissant, et je crois que j'ai toujours cette forte personnalité. 

Je peux voir que c’est le cas ! Tu as dit que ton enfance avait pris fin à tes 17 ans. Y-a-t-il une raison particulière à cela également ? 

17 ans parce que lorsqu’on parle de la définition de l’âge légal d’un enfant, il s’agit d’une personne âgée de moins de 18 ans. J’estime qu’à mes 18 ans, j’ai cessé d’être une enfant. J’étais considérée comme une adulte et les décisions prises à mon sujet avant cet âge n’étaient pas prises en mon nom. Mais à 18 ans, on considérait que j’y avais consenti. Cependant à 17 ans, toutes mes décisions ou celles qui ont pu être prises pour moi, n’étaient pas considérées comme consensuelles car je ne pouvais pas légalement donner mon consentement.

Notre conversation avec Musu continue dans la prochaine partie, où nous discutons de son expérience avec la mutilation génitale et le mariage des enfants, ainsi que des personnes qui ont une influence sur elle en tant que petite fille. Cliquez ici pour lire la partie 2 de notre conversation.