« Résister veut dire continuer à se battre lorsque tes rêves sont sur le point d’être brisés » - Musu Bakoto Sawo (Gambie) - 4/5

Nous sommes en conversation avec Musu Bakoto et nous explorons avec elle le thème de la résistance des filles. Dans la précédente partie de notre conversation (Partie 3), nous avons parlé de l’expérience de Musu en tant que fille mariée. Cela est mieux compris dans le contexte de ses souvenirs de ce que l’enfance et l’adolescence ont été pour elles (Partie 1) avec un gros plan sur les personnes qui l’ont influencée (Partie 2)

Dans cette quatrième partie de notre conversation, nous en apprenons plus sur ce qu’elle pense de la résistance et les nombreuses façons dont elle a fait preuve de résistance dans sa vie d’enfant et d’adolescente.

Musu a été pour la première fois en conversation avec Françoise Moudouthe en fin 2019 dans le cadre d’un projet mondial ayant pour but de documenter la résistance des filles. Cette conversation a été éditée en cinq parties par Jama Jack pour notre serie #GirlsResistWA. Vous pouvez trouver plus d'informations sur la série ici.

Avertissement: cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.

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Comme tu le sais, cette série tourne autour de la résistance féminine. Que signifie résister pour toi ?

Résister veut dire continuer à se battre lorsque tes rêves sont sur le point d’être brisés. La résistance c’est lutter contre le patriarcat et tous les types d’inégalités auxquelles les femmes sont confrontées en raison de leur sexe. Pour moi, la résistance consiste simplement à se battre contre les normes établies, particulièrement celles qui affectent ta vie de manière négative en général. 

C’est une belle définition de la résistance. Petite fille, as-tu eu des exemples de qu’était la résistance ? Avais-tu des modèles de résistance autour de toi ?

Non ! Toutes les femmes autour de moi lorsque j’étais enfant étaient soumises. Elles ne se sont jamais exprimées et demandaient la permission de leurs maris pour tout. Dans ma famille proche, aucune femme ne symbolisait la résistance pour moi. C’était la même histoire de soumission pour tout le monde, et je me demandais toujours pourquoi elles se comportaient comme des robots. 

On dit souvent aux femmes que leurs enfants ne réussiront dans la vie que si elles se soumettent aux figures masculines de leurs vies. Ma mère est décédée, mais les gens nous disent toujours que ses vertus et sa soumission sont les raisons pour lesquelles nous avons réussi aujourd’hui. C’est l’histoire de la plupart des femmes de ma vie. Je ne l’ai jamais vraiment comprise et il n’y avait aucune explication. Je voulais d’une vie totalement différente. Je voulais être la femme qui remettait en cause tout ce qui me désavantageait, moi ou les autres femmes autour de moi.

Que considères-tu comme ton premier acte de résistance ?

Refuser de faire la lessive de mes frères a été l’un de mes premiers actes de résistance. La norme était que les filles devaient faire les tâches ménagères alors que les garçons étaient de jouer et faire ce qu’ils voulaient. Je devais avoir 9 ans et j’ai été sévèrement battue pour avoir résisté, mais j’ai toujours refusé de le faire.

Et qu’est-ce qui d’après toi a été le catalyseur de cette résistance ? Je me rends compte que c’est à la même période que ton travail de militante a débuté. Y-a-t-il un lien ?

Bien sûr ! On nous apprenait les concepts d’égalité et de meilleur intérêt de l’enfant. J’en apprenais plus sur mes droits et je le mettais en application. J’étais consciente qu’il était injuste qu’on me dise de faire la lessive de mes frères. Lorsque je faisais référence au nouveau langage et aux concepts que j’apprenais, cela avait du sens.

Ça ne s’est pas toujours bien passé lorsque je ripostais. Cela était perçu comme un manque de respect envers mes parents. Je posais beaucoup de questions, et par conséquent, on me battait plus que tous mes frères et sœurs. Cela ne m’a pas empêché de riposter, et je suis heureuse d’avoir continué à résister. Cela me faisait du bien.

Tu as accompli de nombreux actes de résistance après cette première fois. Quel est d’après toi l’acte de résistance le plus important de ton enfance ou ton adolescence ?

Lorsque j’ai refusé d’être retirée de l’école pour être mariée. J’ai pris le risque et menacé de me suicider. Je n’adressais plus la parole à ma famille et je refusais de manger. Je restais dans mon lit et je pleurais toute la journée. Le mariage avait déjà eu lieu, et je ne pouvais rien y faire. Je savais cependant que je devais agir pour que ma vie ne se limite pas à ça. Je ne savais que ce qu’il en résulterait, mais ça a marché !

Même si mon plan avait fonctionné, et que j’allais toujours à l’école, j’avais en moi la peur de me réveiller un jour et d’être envoyée à l’étranger en raison du mariage. Cela pouvait arriver, je n’aurais rien pu y faire. La famille du marié aurait pu refuser notre accord à tout moment, et comme j’étais mariée dans leur famille, mon père n’aurait pas eu beaucoup de pouvoir sur mon avenir.

Dans tous ces actes de résistance que tu as accomplis dès ton plus jeune âge, qu’est-ce qui t’effrayait le plus ?

J’avais peur de tomber enceinte et de ne plus pouvoir étudier. Il y avait à l’époque une loi en Gambie qui interdisait aux filles qui avaient quitté l’école à cause d’une grossesse d’y retourner après leur accouchement. Je n’avais que 14 ans, mais je n’étais pas une adolescente type puisque j’avais des responsabilités d’adulte. J’étais aussi devenue amie avec des femmes plus âgées et je leur posais de nombreuses questions. Avant que mon mariage ne soit consommé, une femme plus âgée m’a conseillé d’utiliser des contraceptifs, ce que j’ai fait.

J’étais une enfant qui a été forcée de grandir, mais j’avais peur de devenir mère aussi jeune et de devoir abandonner mes rêves de devenir avocate et de défendre les droits des filles et des femmes.

J’ai finalement donné naissance à ma fille à l’âge de 21 ans.

J’ai dû construire un mur autour de moi pour me protéger, parce que personne ne se souciait suffisamment de moi pour se battre pour moi.


De nouveau, dans cette résistance, avais-tu des allié.es ?

Je ne crois pas avoir des allié.es à cette époque. Peut-être la femme qui m’a montré les contraceptifs et m’a permis d’éviter une grossesse. Elle a été mon plus grand soutien à cette période.

Certains amis n’ont rien fait lorsque je leur ai dit que mon père m’avait forcé à me marier. Certains n’ont même pas répondu à mes messages. Je me sentais seule dans ma lutte, et c’est le pire des sentiments, notamment lorsque l’on est entouré par tant de gens. Je ne pouvais faire confiance à personne, et je me suis complètement renfermée sur moi-même. 

Je ne parle pas souvent de ces expériences et lorsque j’ai l’occasion de les partager, les gens me trouvent forte. Je n’étais pas forte. J’ai dû construire un mur autour de moi pour me protéger, parce que personne ne se souciait suffisamment de moi pour se battre pour moi. J’ai fini par réaliser que je ne pouvais pas tout faire seule et que j’avais besoin d’aide.

À cette époque, quel type de soutien t’aurait été utile ? Qu’est ce qui aurait nourri ta résistance encore plus ?

Simplement d’avoir quelqu’un avec qui partager ce que je ressentais aurait fait la différence. Si j’avais eu une personne à qui parler, surtout enfant, ça aurait tout changé. Et surtout ne pas avoir été mariée de force. Cela aurait changé toute mon histoire. J’aurais été la plus heureuse.

Ce n’est pas tout de Musu. Dans la dernière partie de notre conversation, nous allons plus loin dans le concept de résistance, et nous apprenons aussi sur comment elle a continué à résister au patriarcat dans sa vie aujourd’hui, en solidarité avec d’autres personnes, actrices du changement comme elle.