« Je ne veux pas que ma fille grandisse en ayant à lutter contre les mêmes difficultés auxquelles j’ai été confrontée » - Musu Bakoto Sawo (Gambie) - 5/5

Ceci est la dernière partie de notre conversation avec Musu Bakoto Sawo, avocate et défenseuse des droits humains gambienne. Nous avons parlé de sa vie de fille et d’adolescente (Partie 1), ses expériences quand elle grandissait et des personnes qui ont influencé ses choix (Partie 2), son récit en tant que fille mariée (Partie 3) et ses nombreux actes de résistance contre le patriarcat et la violence (Partie 4)

Dans cette dernière partie, nous allons plus loin pour en savoir plus sur son esprit de résistance, sur comment elle a continué à lutter contre l’injustice et l’inégalité et ses perspectives sur la solidarité féministe.

Musu a été pour la première fois en conversation avec Françoise Moudouthe en 2019 dans le cadre d’un projet mondial ayant pour but de documenter la résistance des filles. Cette conversation a été éditée en cinq parties par Jama Jack pour notre serie #GirlsResistWA. Vous pouvez trouver plus d'informations sur la série ici.

Avertissement: cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer celles qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.

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Passons à la femme à qui je parle aujourd’hui. Tu résistes toujours ! Est-ce qu’il te semble vrai de dire que tu es passée d’une résistance pour ta propre survie, à une résistance pour les autres et pour des causes qui vont au-delà de ton parcours personnel ?

Déjà, en grandissant et en défendant les droits de l'enfant, je faisais campagne non seulement pour moi, mais aussi pour les autres enfants de Gambie. C'était donc quelque chose qui était déjà ancré en moi. Je pense que c'est devenu encore plus réel lorsque je me suis rendue compte qu'il pouvait y avoir une différence entre la théorie et la réalité. En théorie, nous avons toutes et tous des droits en tant qu'enfants, mais ce n'est pas toujours le cas en réalité. Même s'il existe des lois claires qui protègent nos droits, de nombreuses normes sociales entravent l'application de ces lois, ce qui conduit à la violation impunie des droits. 

Mon histoire n'est pas unique et je sais qu'il y a tant de filles et de jeunes femmes gambiennes qui vivent des expériences similaires et qui n'ont pas eu les opportunités que j'ai eues pour pouvoir résister. À un certain moment de ma vie, j'ai presque abandonné, mais j'ai senti que je pouvais utiliser mon histoire pour les inspirer, mais surtout pour leur faire savoir que le pouvoir est parfois entre leurs mains et que l'exploiter peut changer leur situation. C'est le fait de pouvoir leur montrer que cela ne devrait pas être notre histoire, ce qui nous définit qui m'a aidée à poursuivre ce travail.

Comment décrirais-tu ta résistance actuelle ?

Ma résistance a pour but de détruire le patriarcat de manière flagrante. En évoluant, je réalise que je prends très à cœur les actes sexistes des hommes à mon égard. Je suis donc la personne qui se rend aux réunions et qui secoue les choses. Pas parce que je le veux, mais parce qu’en général, quelqu’un a tenu des propos désobligeants à propos des femmes. Et ce même dans des espaces créés pour le progrès des femmes.

Je résiste toujours, et je crois que j’y consacrerai ma vie, jusqu’au bouleversement de l’ordre établi. Qu’importe la difficulté, je continuerai de faire bouger les choses, et je continuerai de me faire entendre. En fin de compte, nous devons changer pour nos enfants. Je ne veux pas que ma fille grandisse en ayant à lutter contre les mêmes difficultés auxquelles j’ai été confrontée. Je ne veux pas que ma fille ou n’importe quelle autre fille traverse ce que nous avons traversé. Je n’abandonne pas !

Et lorsqu’on se penche avec plus d’attention sur les formes de résistance plus organisées et élaborées, comme ton travail à Think Young Women, à quoi cela ressemble ?

Think Young Women est comme mon bébé. Je ne l’ai pas mise au monde, mais je l’ai adoptée. L’association a été fondée par deux de mes amies proches après avoir obtenu la bourse MILEAD. Il s’agissait initialement d'un projet de changement social visant à créer un espace pour les jeunes féministes et les militantes en faveur des droits de la femme en Gambie. Je ne pouvais pas participer pleinement à ce stade parce que j'étais enceinte, je me suis donc jointe au projet après avoir accouché. 

Avec Think Young Women, le travail que je fais va au-delà de mon histoire. Nous sommes plus organisées et nous trouvons des moyens innovants de changer le statut établi des femmes dans notre pays. Nous créons des plateformes pour les adolescentes et travaillons en étroite collaboration avec les communautés de toute la Gambie par le biais d'un engagement qui conduit à un changement de comportement positif. Nous n'avons peut-être pas toutes vécu les mêmes expériences, mais nous avons des objectifs similaires, et nous travaillons ensemble vers un but commun.

C’est un travail collectif impressionnant, et ça me fait penser à la solidarité dans ton travail. Qu’est-ce cela représente pour toi ?

Il y a du pouvoir dans la solidarité. Lorsque les femmes sont unies, il est impossible de nous arrêter. 

La solidarité, pour moi, c'est se soutenir mutuellement et ne pas se voir en comme des concurrentes. C'est une difficulté dans nos mouvements, notamment avec les associations et les groupes qui travaillent sur des thèmes similaires. La solidarité consiste donc à mettre les intérêts personnels de côté et à travailler ensemble pour atteindre un objectif commun. À Think Young Women, nous avons pu canaliser cela et travailler avec d'autres organisations qui partagent les mêmes intérêts, afin d’avoir un impact durable. 

Le simple fait de pouvoir travailler ensemble et de créer un réseau de soutien est important et je suis reconnaissante de la sororité que nous avons mise en place ces dernières années grâce à Think Young Women. Notre programme de mentorat pour les filles est également une forme d'accélération de cette méthodologie, car nous mettons en place une sororité dès leur plus jeune âge, afin qu'elles disposent d'un réseau de soutien. 

Il y a du pouvoir dans la solidarité. Lorsque les femmes sont unies, il est impossible de nous arrêter. 


En pensant à ton parcours de résistance de l’enfance jusqu’à maintenant, comment décrirais-tu l’impact que cela a eu sur ta vie et celle des autres ?

J’espère avoir pu donner à quelqu’un l’espoir et le courage de comprendre qu’en tant que femmes nos voix ont du pouvoir. Voyager à travers la Gambie pour soutenir et encourager les femmes que je rencontre a eu de l’impact. Mes engagements sont très centrés sur l’importance de l’éducation parce que je ne suis pas sûre que j’aurais été où je suis aujourd’hui si je n’avais pas été à l’école.

Qui plus est, pouvoir faire campagne pour les intérêts des femmes est l'une des choses les plus gratifiantes que j'ai faites. Savoir que j'ai inspiré quelqu'un à utiliser son pouvoir ou que je lui ai donné de l'espoir que tout est possible si l'on y travaille vraiment, c'est ce qui me fait vivre. Quand j'entends les réactions, cela me donne de l'espoir. 

Je dis aux gens que je ne fais pas ce travail pour une quelconque reconnaissance. Recevoir un prix ne me monte pas à la tête. Tout ce que je vois, c'est que je ne fais pas assez et qu'il y a davantage de femmes et de filles qui ont besoin de moi. Mon objectif est de mettre en pratique ces éléments théoriques afin que les gens puissent en bénéficier de manière significative.

C’est en effet un rêve d’une grande noblesse, et j’espère qu’on pourra assister à ce changement. Pensons à l’avenir. À quoi ressemble le monde (et la Gambie) que tu tentes de construire pour les femmes et les filles ?

Pour moi, c'est tout simplement ce rêve que j'ai toujours imaginé : une Gambie, où les femmes et les filles bénéficieraient de l'égalité des chances. Elles auraient également la possibilité d’avoir les rêves les plus grands et de changer toutes ces normes sociales néfastes qui existent. Je sais qu'il y aura des contraintes en ce qui concerne les ressources ainsi que des réactions négatives de la part des communautés, mais le simple fait de savoir qu'un jour nous pourrons regarder en arrière et célébrer le succès est énorme. 

J'espère que la prochaine génération n'aura pas à traverser les mêmes épreuves et qu'elle n’entendra parler de pratiques comme les mutilations génitales féminines comme faisant partie du passé. C'est pourquoi je continue à me battre, à résister et à demander à mes sœurs de me soutenir pour que nous puissions changer ces récits.

Une lampe fait partie des objets que tu as apportés pour cette interview. Que signifie cette lampe à tes yeux ?

J’ai choisi la lampe parce qu’elle représente la manière dont j’ai continué à faire tenir le feu lorsque tout ne semblait qu’être obscurité autour de moi. C’est la lumière sur mon chemin lors de cette période difficile de ma vie. Lorsque j’ai été confrontée à l’adversité et à de nombreux challenges à un très jeune âge.

La lampe est un symbole de la manière dont j’ai pu me battre malgré toute cette obscurité. Je vis dans la clarté désormais, et cela transparaît dans la lumière de la lampe.

C’est très beau ! Merci infiniment d’avoir partagé tant de toi avec nous et pour tout le travail que tu fais.

Musu nous inspire et nous espérons qu’elle vous a inspiré avec son récit alors qu’elle continue de résister à l’injustice de diverses manières. Cette conversation se déroule dans le cadre d’une série de conversations avec des femmes originaires de l’Afrique de l’Ouest sur le thème de la résistance. Cliquez ici pour voir toutes les conversations.