"On ne peut pas dissocier la libération des Noir.e.s de la diaspora de celle du continent africain": Aïchatou Ouattara (Belgique - Sénégal - Côte d’Ivoire) (3/4)

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J’avais très envie de parler avec Aïchatou Ouattara, la créatrice du blog Afrofeminista, de son rapport à l’Afrique. Ses réponses m’ont non seulement inspirée personnellement, mais – gros bonus – m’ont aidée à apaiser mon propre rapport avec l’afroféminisme. J’espère que vous en tirerez aussi quelque chose !

Au cas ou vous auriez manqué le début : cliquez ici pour en savoir plus sur les fondations du parcours militant d’Aïchatou, et ici pour connaitre sa vision de l’afroféminisme et de la sororité.

Ce que j’apprécie particulierement sur ton blog Afrofeminista, c’est que tu accordes autant d’attention à la situation de la femme africaine/afrodescendante vivant en milieu occidental qu’à celle de la femme africaine vivant en Afrique. Ce n’est pas si courant, du moins de ce que je vois du mouvement afrofeministe. Est-ce que ça tient de ton parcours de vie personnel ou est-ce que c’est un choix militant ?

Evidemment il y a mon identité africaine qui joue beaucoup. Je suis née en Afrique, j’y ai vécu une partie de ma vie. J’ai été élevée en Europe par des parents africains qui s’y trouvaient le temps d’une affectation, pas parce qu’ils voulaient y vivre pour toujours – du coup on a été élevées dans nos cultures d’origine. Noire, c’est mon identité chromatique, mais je suis africaine avant tout. 

Au-delà du personnel, je ne conçois pas qu’on puisse parler afroféminisme sans parler de ce que vivent les femmes en Afrique et même dans les communautés afro dans le monde occidental. En tant que femmes noires, on subit des discriminations au sein de nos familles africaines. Tu sens la pression d’incarner une certaine idée de la femme qui pèse sur toi : tu dois te marier, tu dois t’habiller comme ça, te comporte comme ça. Donc je ne peux pas me dire afroféministe si je ne dénonce pas le patriarcat tel qu’il se manifeste au sein de nos communautés.

“Je ne peux pas me dire afroféministe si je ne dénonce pas le patriarcat tel qu’il se manifeste au sein de nos communautés”

En plus, je suis convaincue qu’on ne peut pas dissocier la libération des Noir.e.s de la diaspora de celle du continent africain dans son ensemble. On ne peut pas avoir une vision territoriale et penser que nos problèmes en tant que Noir.e.s vivant en Europe sont circonscrits au territoire européen et se dire que ce qui se passe en Afrique ne nous intéresse pas. Tant que l’Afrique ne sera pas libre, les afrodescendants dans le monde continueront à subir toute une série de discrimination structurelle et systémique.

La dernière raison pour laquelle je mets en avant le féminisme africain, c’est que je veux me démarquer d’un certain complexe d’infériorité de l’afroféminisme– par rapport au Black feminism américain.

Tu peux m’en dire plus sur ce complexe d’infériorité ?

Je trouve juste que le mouvement afroféministe ne doit pas se limiter à être une simple transposition du Black feminism en milieu européen. C’est une tendance que j’observe et qui me gêne beaucoup. Et ce n’est pas un reproche ! Tu as vu toi-même que depuis le début de notre conversation j’ai cité Audre Lorde, entre autres.

“Le mouvement afroféministe ne doit pas se limiter à être une simple transposition du Black feminism en milieu européen”

Je m’inspire du Black feminism car il y a des points de convergence entre les réalités que les afrodescendants vivent en Europe et ce que les Afro-Américains vivent aux Etats-Unis. On vit dans des sociétés majoritairement blanches donc forcément les mêmes dynamiques et discriminations raciales s’exercent de la même manière.

Mais ça s’arrête là ! Les afro-américains ont vécu l’esclavage sur le sol américain, et ça a eu un impact particulier sur le rôle de l’homme et de la femme dans la famille afro-américaine. Ce n’est pas la même chose que pour certains d’entre  qui sommes issu.e.s d’une immigration post-coloniale, qui sommes arrivé.e.s en France, en Belgique ou ailleurs d’anciens pays colonisés. On ne peut pas juste reprendre les concepts et les méthodes du Black feminism pour appliquer en Europe sans mettre les choses en perspective.

D’ailleurs il y a tout autant de convergences entre ce qui se passe sur le continent et nos réalités d’afrodescendant.e.s en Europe. Bien sûr que j’admire Angela Davis, mais je m’inspire également d’Awa Thiam, Mariama Bâ, et toutes les intellectuelles qui ont écrit et pratiqué un féminisme africain. Donc oui, ton analyse est juste : sur mon blog je parle autant des réalités des femmes en Afrique autant que je parle de la diaspora. Et je mets en avant les figures historiques du féminisme africain autant que celles du Black feminism.

Awa Thiam, grande figure du féminisme africain et autrice de La parole aux négresses. Pour Aïchatou, c’est LE livre à mettre entre toutes les mains! Credit photo: www.journeefemmeafricaine.com

Awa Thiam, grande figure du féminisme africain et autrice de La parole aux négresses. Pour Aïchatou, c’est LE livre à mettre entre toutes les mains! Credit photo: www.journeefemmeafricaine.com

Je crois que tu viens de me débloquer un truc là!  En tant que Française d’origine africaine, l’afroféminisme est une évidence, mais je me suis longtemps demandé si m’affirmer afroféministe c’était donner priorité à cette expérience-là, par rapport à mon expérience de femme africaine qui vit sur le continent et travaille avec le mouvement féministe ici. J’avais peur que cette étiquette m’oblige à choisir, à me désolidariser d’une part ou d’autre. Mais ce que tu dis, c’est que l’afroféminisme n’impose pas ce choix. Je ne savais pas à quel point j’avais besoin de cette conversation. Merci !

Je t’en prie ! C’est important qu’on se souvienne qu’en tant que femmes africaines et afrodescendantes, nous sommes héritières d’une belle lignée de féministes puissantes. On a la reine Zinga au Congo. On a les femmes de Nder au Sénégal qui ont choisi de se suicider collectivement plutôt que se laisser capturer par les esclavagistes.

Il y aussi des  intellectuelles africaines féministes dont le travail est remarquable. Je pense à Amina Mama, Marie Angélique Savané, Fatou Sow , Ama Ata Aidoo, Fatou Sow Sarr, etc….C’est inspirant de savoir que nous pouvons nous inspirer de femmes qui nous ressemblent – pas seulement d’Angela Davis ou Bell Hooks.  

“En tant que femmes africaines et afrodescendantes, nous sommes héritières d’une belle lignée de féministes puissantes.”

C’est pour ça que je célèbre ces figures historiques tous les ans sur mon blog, avec la série #BlackHerStoryMonth.  L’histoire nous rappelle que, quoi qu’on dise, les femmes africaines ne sont pas des victimes. Elles sont des résistantes. Pour nous qui vivons au 21e siècle, l’histoire nous apprend qu’on ne peut pas accepter l'ignominie, la servitude les discriminations sans broncher. Il faut faire quelque chose pour que les choses avancent. Pour moi en tout cas, de savoir que ces femmes africaines ont mené toutes ces luttes pour nous permettre de vivre un peu plus libre aujourd’hui, ça m’encourage à faire de même pour les générations à venir.

Quel beau message! Pour conclure notre conversation, Aichatou a bien voulu partager ses stratégies pour survivre à la folie toxique des réseaux sociaux. C’est par ici!

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A vos claviers!

Quelle est votre expérience de l’afroféminisme? Avez-vous encore des questions? Que vous a inspiré cette conversation? Rejoignez la conversation en écrivant un un commentaire sur cette page, ou sur Twitter et Facebook @EyalaBlog.