« Je ne me considère pas comme originaire d’une seule partie de l’Afrique. » - Aya Chebbi (Afrique - Tunisie) - 1/3

Une des choses à propos d’Aya Chebbi est qu’elle ne passe pas inaperçue! Elle se démarque à tous égards, que ce soit par les vêtements et les bijoux qu'elle porte, par son langage ou par son approche féministe radicale. 

Lorsqu'Aya a participé à notre tout premier Cercle Eyala, qui s'est tenu à Vancouver en 2018, j'ai remarqué que c'était le plus calme que je l'ai jamais vue. Elle ne disait presque rien, et j'étais curieuse de voir comment elle pouvait être vocale dans des espaces qui exigent que nous le soyons, et combien dans un espace de communauté partagée et de vulnérabilité, elle était très silencieuse, réfléchie et repliée sur elle-même. 

Chaque fois que je vois une personne qui est si extravertie et audacieuse, je suis toujours intéressée à l'entendre, à connaître son histoire. Lorsqu'une personne a une forte personnalité publique, les gens oublient souvent qu'elle a des nuances et des complexités. Lorsque j'ai eu l'occasion de parler avec Aya, je lui ai demandé si elle voulait bien partager son histoire avec moi, et elle a accepté. Je voulais vraiment en savoir plus, et j'espère que notre conversation fera ressortir ces complexités. 

Nous parlons de son identité africaine et de la manière dont le panafricanisme constitue la base de son travail (première partie ci-dessous). Nous avons également parlé de son travail et des leçons qu’elle en a tiré en tant qu'organisatrice pendant la révolution tunisienne et de son expérience en tant que première Envoyée de l'UA pour la jeunesse (partie 2). Nous avons terminé notre conversation par une discussion sur son parcours en tant que militante féministe et sur sa façon de naviguer dans les espaces patriarcaux (partie 3).

C'est parti ! 

Bonjour Aya, merci d’avoir accepté mon invitation. Et quel plaisir de pouvoir discuter en vrai, ici au Maroc ! Je cherchais une manière brève de te présenter tout en rendant justice à tous tes accomplissements… ce n’est pas si facile ! Comment aimerais-tu te présenter ?

La première chose que je dis toujours c’est que je suis panafricaine. Lorsque je fais de nouvelles rencontres, on me demande toujours « D’où viens-tu ? » et quand je réponds que je suis Africaine, on essaie de limiter cette réponse au pays dans lequel j’ai grandi : la Tunisie. Mais je ne me considère pas comme originaire d’une seule partie de l’Afrique.

Je ne suis pas uniquement africaine. Je suis panafricaine. Ce sont deux choses distinctes. Être panafricaine c’est à la fois mon identité et mon idéologie. En me présentant comme telle, je ne dis pas seulement que je suis originaire d’Afrique mais aussi que je veux l’unifier. Comme l’a dit Kwame Nkrumah, « Je suis africain, non pas parce que je suis né en Afrique, mais parce que l'Afrique est née en moi ».

Commençons avec la question de l’identité.

Je viens d’Afrique du Nord ; j’ai une identité méditerranéenne, une identité amazighe, une identité maghrébine, mais également une identité africaine. Et aucune de ces identités n’efface l’autre, tu vois ce que je veux dire ?

Je vis en Afrique du Nord depuis un moment maintenant, et dire que tout le monde ne se sent pas aussi africain.e que toi, serait un euphémisme… 

C’est vrai et je le déplore. C’est parce que nous avons été privés de notre identité africaine. Les choses ont changé après l’indépendance : tout s’est arabisé et islamisé. On ne nous enseigne rien sur l’histoire africaine à l’école, et il y a la barrière de la langue qui rend difficile la lecture d’auteur.e.s originaires du reste du continent.

Dis-moi alors comment est né ton sentiment d’africanité ?

Je pense qu’il résulte de deux expériences que j’ai vécues très tôt dans mon parcours. J’ai rejoint mon père qui travaillait pour l’armée tunisienne dans le camp de réfugiés de Choucha à Ras Jedir. Il l’avait installé à la frontière tuniso-libyenne et il s’en occupait, à la suite du conflit entre les autorités pro Kadhafi et les rebelles libyens. Environ 1 million de réfugié.e.s, essentiellement des migrant.e.s africain.e.s, ont fui vers la Tunisie en passant par la frontière. C’était comme si j’étais dans un livre d’histoire sur l’Afrique. Je m’asseyais et je discutais pendant des heures avec des personnes venant de la « Sénégambie », du Bénin, de la Sierra-Leone et d’autres pays. Un pan de l’histoire dont je n’avais jamais entendu parler. Et pourtant, je me retrouvais dans certains de leurs récits. 

Ensuite, l’expérience de traverser les frontières coloniales et de visiter d’autres pays a été très importante. Mes premières destinations ont été le Kenya et le Sénégal. Je me suis sentie comme chez moi en partageant des repas, en rompant le jeûne et en ayant des conversations à propos de l’islamisation, en apprenant les liens entre le swahili et l’arabe ou en me promenant le long de l’avenue Habib Bourguiba à Dakar. Cette familiarité a été révélatrice, surtout parce que je viens d’un pays où les gens ont de nombreux stéréotypes sur le reste de l’Afrique. 

Et tu as été confrontée à des stéréotypes sur ta propre identité de la part d’autres Africain.e.s?

Lors de mon séjour au Kenya en 2012, j’ai réalisé que la plupart des personnes qui me voyaient ne me considéraient pas comme une africaine. Elles croyaient que je venais d’Espagne ou du Brésil et me surnommaient Mzungu (en swahili : la blanche). Cela a piqué ma curiosité, je voulais savoir pourquoi les gens ne me percevaient pas comme africaine et je leur ai donc demandé. Je leur expliquais presque tous les jours : « Je viens de Tunisie. C’est en Afrique du Nord, je suis africaine. » C’est comme ça que j’ai commencé à revendiquer mon identité. 

Plus je voyageais à travers l’Afrique, plus l’idée du panafricanisme me fascinait. J’ai commencé des lectures détaillant la relation de l’Afrique du Nord au reste du continent ainsi que sur le mouvement africain de libération. J’ai été fascinée par la manière dont les pays sont devenus indépendants les uns à la suite des autres grâce à la solidarité, à l’idéologie de se rassembler en tant qu’Africains pour se libérer. C’est de cette manière qu’est née mon identité actuelle, qu’elle s’est renforcée et qu’elle est devenue politique. Je crois sincèrement que nous sommes bien organisés.

Mon entretien avec Aya a bien commencé en effet. Dans la deuxième partie, nous explorons plus ses réflexions sur le panafricanisme, et on en apprend plus sur ces expériences en tant que première Envoyée de l'UA pour la jeunesse. Cliquez ici pour lire la partie 2.

Note d’Eyala: Cet entretien a été enregistré pour la première fois par Françoise Moudouthe en juillet 2019. Nous avons effectué des mises à jour en avril 2022 pour refléter les changements et les progrès dans la vie d’Aya depuis ce premier entretien. 

Faites partie de la conversation

On a hâte de savoir ce que vous en avez pensé. Vous pouvez écrire un commentaire ci-dessous, ou on pourrait se causer sur Twitter, Facebook ou Instagram @EyalaBlog.

Pour les actualités de Aya, c’est sur Twitter @aya_chebbi