« Vous avez besoin du pouvoir d'un système de soutien qui vous protège. » - Aya Chebbi (Afrique - Tunisie) 3/3

Nous sommes à la dernière partie de mon entretien avec Aya Chebbi, et je dois avouer que son histoire me fascine. Nous avons parlé de son identité panafricaine et comment cela a influé sur son travail (Partie 1) ; ses expériences pendant la révolution tunisienne et son travail comme Envoyée de l’UA pour la jeunesse (Partie 2).

Dans cette dernière partie, on parle de féminisme, d’engagement communautaire féministe et de navigation des espaces patriarcaux.

Quand tu as parlé au W7 à Paris, la première chose que tu as faite a été de te présenter comme féministe. Ça veut dire quoi pour toi d’être féministe ?

Être panafricaniste signifie être féministe, je ne fais aucune distinction entre les deux. Je dis toujours qu’il n’y a pas de panafricanisme sans féminisme. Sans les femmes qui ont mené les mouvements de libération.

Si les femmes ne s’étaient pas sacrifiées, si elles n’avaient pas lutté dans  l’ombre pour la libération, il n'y aurait pas d'agenda panafricain. Dans mon esprit, les deux sont intrinsèquement liés, et pour moi, quand je dis panafricain, cela inclut la perspective féministe. Le féminisme, pour moi, c'est la libération de soi en tant que femme. Il ne s'agit pas d'une femme qui vient vous voir et vous dit : « Tu as le droit de faire ça, cette personne ne peut pas te battre à cause de ça. » Si vous n'êtes pas libérée et que vous ne pouvez pas être vous-même dans chaque espace, pour moi, vous ne pouvez pas venir me donner des leçons de féminisme.

Quel a été, d’après toi, le moment déterminant de ce parcours dans ta vie ? Il ne s'agit pas nécessairement du moment où vous tu t’es dit « C’est bon, je suis féministe », mais d'un moment que tu considères comme charnière dans ton parcours en tant que féministe jusqu'à présent. Il peut s’agir d’un moment de transformation, ou de réalisation.

Je pense qu'il y a de nombreux moments, mais lorsque j'ai commencé à voyager et à me concentrer sur les jeunes, faire partie de cercles de femmes ; ces choses m'ont ouvert les yeux, car j'étais aussi dans une bulle où les définitions du féminisme, de la sororité et de la féminité peuvent être restrictives. En entrant dans ces nouveaux espaces, j'ai réalisé qu'il y avait tellement plus que cela et j'ai eu le sentiment de faire partie d'un plus grand mouvement. Je fais partie – à l'époque, je n'en avais même pas conscience – de la sororité ou plutôt d'une communauté de femmes qui se battent pour leurs droits, qui y croient et qui vous font croire que nous pouvons y arriver. Je pense que de nombreuses conversations avec des femmes m'ont inspirée. Qui plus est, je suis fille unique et toute ma vie, j'ai grandi entourée d'hommes, pas de femmes. On m'avait toujours dit que les femmes sont jalouses les unes des autres et je me suis sentie par mes amies. La première fois que j'ai reçu le soutien d'une femme a été un moment fondamentalement déterminant pour moi.

« La première fois que j’ai reçu le soutien d’une femme a été un moment fondamentalement déterminant pour moi. »

Cela a complètement changé mon idée de ce qu’une communauté de femmes était. Que le soutien était là du fait que, je te soutiens parce que tu es une femme et je comprends ta douleur. C'est aussi à ce moment-là que j'ai réalisé que dans ma vie, j'avais besoin d'un système de soutien. J'ai besoin que des femmes fassent partie de ma vie. Je pense que cela définit aussi mon féminisme, parce que lorsque vous vous battez pour le féminisme, au bout du compte, vous êtes un peu une amatrice dans des espaces masculins sans vraiment vous battre avec d'autres femmes. Cela n'a aucun sens. Le mouvement féministe mondial avait du sens pour moi, parce que je ne me définissais pas, avant, comme faisant partie du féminisme mondial, de la quatrième vague de féministes, parce que je ne suis pas d'accord avec l’idéologie. Pour moi, tout prend son sens si une femme vient me serrer dans ses bras et dans ce moment sincère de sororité.

Je vois. Donc ton expérience féministe se manifeste dans les moments de partage, d’affection et de bienveillance plutôt que dans les grands discours ? 

Absolument. Le cercle Eyala qui s’est tenu à Vancouver a été très bénéfique pour moi. C'était si apaisant d'être dans un espace sûr, même sans rien dire. Je n'ai jamais appris à être vulnérable, et c'est si difficile. Il m’est encore très difficile de me trouver dans un espace sûr et de pouvoir être vulnérable et de partager ma propre expérience. Mais entendre d'autres personnes me donne du pouvoir, et il est possible de partager la douleur sans dire un mot. C'est tellement utile.

Il existe cependant des espaces, et tu évolues dans un certain nombre d’eux, où l'on ne te laisse pas être féministe. Quand je vivais en France et que je m'intéressais aux questions liées au fait d'être une femme noire en France, à tout le mouvement contre le racisme, et même au mouvement panafricaniste, il y avait ce refus d'intégrer les questions liées à nos défis particuliers en tant que femme africaine. Je ne peux qu'imaginer que c'est la même chose pour toi aujourd'hui encore. Est-ce un phénomène que auquel tu es confrontée ou pas du tout ? Comment cela se manifeste-t-il et comment t’en sors-tu ? Comment négocies-tu ?

Je pense que c'est pire parce que tu es jeune et que tu es une femme. C'est comme si tu avais commis un double crime. C'est un aspect sur lequel j’essaie encore d’avancer, parce qu’à chaque fois que j’y pense... le patriarcat est si créatif. Chaque fois que je me dis : « Je peux gérer ça, je me retrouve dans telle situation, je sais comment remettre les gens à leur place. » Et puis le patriarcat arrive d'une manière différente, se manifeste différemment.

J'ai aussi vécu une expérience horrible en France, lorsque j'ai prononcé un discours au Forum Génération Égalité à Paris, à l'été 2021. Je portais fièrement ma robe et mon châle africains, je faisais partie d’un panel avec Melinda French Gates, la Première ministre Sanna Marin et la ministre Elisabeth Moreno. Le discours a été publié par le média Brut et est devenu viral et j'ai reçu les commentaires et les messages directs les plus islamophobes et misogynes de ma vie. J'ai dû me déconnecter des réseaux sociaux pendant une semaine. 

En diplomatie et même dans les espaces où les personnes sont le plus éduquées, le pouvoir entre toujours en jeu, et cela complique les choses. Comment gérer cela ? Honnêtement, j’y travaille toujours. Je me sens bien dans ma peau quand je suis juste moi, libre, audacieuse, sans complexes et j’essaie de ressentir ces sentiments davantage et d'emmerder le patriarcat.

Comment arrives-tu à canaliser ce pouvoir, en tant que jeune femme, africaine, nord-africaine qui s’exprime au nom de l'Afrique ? Comment avances-tu et négocies-tu ces moments où le patriarcat s'installe, car il peut être si dévastateur pour certains petits détails ?

J'en parlais hier, dans un groupe avec des jeunes marocain.e.s. Nous parlions du harcèlement et des gens qui veulent me voir échouer. Un mécanisme qui fonctionne pour moi, que j'ai commencé il y a trois mois, consiste à écrire des journaux intimes et à traiter les gens comme des personnages. Que ce soit le patriarcat ou les personnes qui veulent m'utiliser, me manipuler, les personnes qui veulent m'instrumentaliser ou les personnes qui veulent me voir échouer, j'observe simplement leur comportement. 

Je me souviens que les trois premiers mois, je réagissais de manière virulente aux attaques et je me sentais frustrée. Cela ne fonctionne pas dans le monde de la politique et de la diplomatie et cela ne permet pas de se faire des ami.e.s. Et je pense qu'une fois que j'ai commencé à écrire, j'ai commencé à prendre mon temps pour absorber tout ce qui arrivait et y faire face. Et je pense que cela m'a aidé à gérer certaines situations difficiles. J'ai commencé à sourire davantage lorsque les autres sont mal à l'aise avec ma présence, mon opinion ou ma manière de diriger. 

 Selon toi, quel aspect de ta personnalité fait de toi une militante féministe accomplie ?

Je ne suis pas certaine d'être une féministe accomplie.  J’estime avoir réussi lorsque j'atteins mes objectifs. Je n'ai pas l'impression d'avoir accompli ma mission, donc je n'ai pas l'impression d'avoir réussi. Le succès pour moi n'est pas évident, donc je ne sais pas. Je dirai que je suis une source d'inspiration, oui, parce que je vois beaucoup de gens changer des choses après notre rencontre et cela me touche beaucoup. Je ne le vois pas cependant comme un succès.

Ce qui me pousse à aller dans certains espaces ou me donne ma plateforme, puise sa source dans mon enfance. Mon père et moi vivions comme des nomades. J'ai vécu de nombreuses expériences qui m'ont fait comprendre la diversité. Même lorsque j'ai commencé à voyager, à rencontrer des gens qui ne me ressemblent pas, qui sont différents à tous points de vue, en idéologie, en expériences, etc. J'y ai été préparée par 20 ans de déplacements en Tunisie et de compréhension de notre mosaïque. Je ne voyais pas cela comme quelque chose à gérer, mais comme quelque chose de naturel.

Lorsque j'ai commencé à voyager et à croire vraiment en la vision panafricaine, à la porter, à convaincre les gens et à recruter des gens, les gens ont cru en moi ou m'ont rejoint parce que je les accepte sous toutes leurs formes. Je ne savais pas que c'était là mon pouvoir, mais après une décennie, en voyant comment le mouvement s'est développé et comment les gens se le sont approprié et se sont auto organisés, je suis fière de dire que j'en ai fait partie en tant que Tunisienne, malgré tous les stéréotypes à mon sujet. Grandir avec les valeurs de l'intégration des personnes au-delà des différences et de la diversité est la meilleure chose qui soit.

« Grandir avec les valeurs de l’intégration des personnes au-delà des différences et de la diversité est la meilleure chose qui soit. »

Qu'est-ce qui te donne le plus grand sentiment de réussite en tant que femme, en tant que féministe ?

Honnêtement, il y a tant de choses. Certaines d'entre elles sont très personnelles. Il y a ce grand changement de politique auquel j'ai participé en Tunisie, où nous avons modifié la loi qui permettait aux violeurs d'épouser des survivantes, et où nous avons réussi à faire reculer une loi qui disait que les femmes étaient complémentaires des hommes. Nous avons eu d'énormes manifestations, et les hommes étaient en première ligne avec nous, et ces grands moments de victoire sont très agréables en tant que féministe. Cependant, au quotidien, c'est vraiment tout ce que vous pouvez faire pour emmerder le patriarcat. Les autres moments où, en tant que communauté et en tant que féministes, nous nous rassemblons et nous nous sentons habilitées, ça me comble aussi. Et c'est tellement beau.

L'une des choses que je constate depuis que j'ai lancé Eyala... Je me rends compte, au fur et à mesure que je parle avec les gens et qu’elles partagent leurs expériences, que prendre la décision de vivre sa vie d'une certaine manière ou de se libérer, comme tu l’as dit, c'est parfois une grande décision, et parfois une petite. Quelle est la plus grande décision que tu aies eu à prendre ? Quel conseil donnerais-tu à quelqu'un qui hésite et ne sait même pas comment s'y prendre ?

Je pense d'abord à revendiquer son droit de choisir, d'être. J'ai pris de nombreuses décisions qui me semblent libératrices en commençant par ma famille, même si les conséquences ont été difficiles, surtout pour mes parents. Ma famille élargie est très conservatrice, sur le plan religieux. Il y a des traditions, des cultures, des valeurs spécifiques, ils ne comprendraient pas pourquoi je vis de cette façon où pourquoi j’ai certaines croyances. Finalement, tout le monde est fier de ce que je représente. Ils me voient enfin. Je pense que la plus grande décision que j'ai prise a été de m'opposer aux aînés de la famille et de dire simplement : « Voilà qui je suis ». 

Laisse-moi te contextualiser ce que je veux dire. J'ai été adoptée par le frère de mon père. Mes parents biologiques avaient déjà quatre enfants à ma naissance, et mon père a décidé de me « donner » à son frère pour qu'il m'élève comme son enfant. Nous avons quitté le village quand j'avais quatre ans, mais nous y retournions à chaque vacance. Nous sommes très liés au village, et à ma grand-mère. Le père qui m'a élevée est féministe, même s'il refuse de l'admettre. Mais il a eu le pouvoir de l'être, le droit de se rebeller, et quels que soient nos désaccords, mon droit de choisir était garanti. 

L'année de mes 18 ans, les choses ont changé car j'avais désormais ma propre vie, et je prenais mes propres décisions. Toute cette année-là a été difficile pour moi. C'était une année scolaire déterminante à cause du baccalauréat, mais aussi une année où mon père est parti en République démocratique du Congo pour une mission de maintien de la paix de l'ONU. Je suis très attachée à mon père, mon féministe, j’étais seule avec ma mère qui a dû elle aussi faire face à tant de pression. D'abord, après que j'ai eu mes règles, les gens ont commencé à me considérer comme une femme et non plus comme une enfant et ont commencé à me dire de ne pas faire certaines choses. Mes parents biologiques se sont également sentis investis d'un droit. Ils ont commencé à dire : « Nous avons notre mot à dire dans ta vie. Tu ne peux pas te comporter comme ça, porter ça ou autre chose. »  Nous sommes allés au village pour le mariage de ma sœur, et j'ai eu un désaccord public avec mon père biologique devant toute la famille étendue conservatrice, le village, la communauté. Vous m'imaginez, moi, cette petite chose debout devant l'aîné, en désaccord public avec lui : « Tu sais quoi ? je refuse d’aller à ce mariage et je vais porter cette robe. » Et puis ma cousine a dit : « Si Aya n'y va pas, je n'y vais pas ». C'était un vrai bordel. Et même la mariée attendait que je prenne une décision. 

Alors, ça c’est tellement de pouvoir ! Et qu’est-ce qui s’est passé après ça ? Qu’est-ce que tu as décidé ?

À ce moment-là, j'ai réalisé ce qui peut arriver lorsque l’on s’exprime ouvertement. À ce moment-là, vous êtes cette fille silencieuse, et vous vous dites : « Je suis face à l’oppression, que dois-je faire ? » Je n'aurais jamais rien fait dans ma famille si je ne savais pas que mon père était féministe parce qu'il me soutient et me protège. Il n'était même pas là, mais je me sentais habilitée à être moi-même. J'étais confiante. J’ai pensé : « J'ai mon père. » Vous avez besoin du pouvoir d'un système de soutien qui vous protège. Je dirais: Défendez vos droits et ne parlez que si vous avez une protection, un système de protection qui peut vous tirer d'affaire, que ce soit votre père, votre ami.e, votre camarade. Créez cet entourage pour vous soutenir, pour votre bien et soyez radical.e. 

Et parfois, nous devons créer ce système pour nous-mêmes. En tant que féministe, en tant que femme, mais plus généralement en tant qu'Aya, quel livre qui te viens à l’esprit et qui, selon toi, t’a grandement influencée ?

Il y en a beaucoup. Je voudrais commencer par Tahar Haddad. C'est un féministe tunisien qui a écrit un livre en arabe sur les femmes dans l'Islam et la société. Venant d'une société qui se dit libérale et progressiste depuis 1956, puis grandissant dans un environnement oppressif, il m'a confortée dans l'idée que tout commence par la communauté. Il parle beaucoup de politique et de droit, et de la nécessité de faire progresser les droits des femmes, car les femmes sont la moitié de l'humanité et de la société. On ne peut pas paralyser la moitié de la société. J'ai lu beaucoup de livres sur Elissa (également connue sous le nom de Didon), la fondatrice de la cité de Carthage. Les gens disent que son histoire est un mythe, mais je veux croire qu'elle a existé. Chaque fois que j'ai l'impression d'être jugée à cause de ma radicalité, je me replonge dans cette histoire et je me dis : « Si elle l'a fait, je peux y arriver. »

Et quelle est ta devise féministe ?

Dure à cuire, je le dis trop souvent. Je le dis aussi dans les espaces politiques, et la dernière fois que je l'ai dit, c'était au Sud-Soudan, devant la Première Dame et le Vice-président. Et le coordinateur m’a dit : « C’est pas vrai, Aya, tu l'as dit devant la Première Dame. » Cela définit tout simplement, pour moi, ce qu'est une femme à part entière. Je me dis : « Je suis moi-même, une dure à cuire ». Ça me fait me sentir tellement bien.

Et quelle belle manière de terminer notre entretien. Sur du lourd ! J'ai vraiment apprécié notre conversation, Aya. Merci beaucoup d'avoir pris le temps de partager tout ça avec moi.

Note d’Eyala : Cet entretien a été enregistré pour la première fois par Françoise Moudouthe en juillet 2019. Nous avons effectué des mises à jour en avril 2022 pour refléter les changements et les progrès dans la vie d’Aya depuis ce premier entretien. 

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« Je suis une diplomate qui a un esprit militant. » - Aya Chebbi (Afrique - Tunisie) - 2/3

Je suis en conversation avec Aya Chebbi, organisatrice féministe panafricaine et la première Envoyée de l'UA pour la jeunesse. Dans la première partie de notre entretien, Aya nous a parlé de son identité africaine et de son enracinement dans le panafricanisme. 

Dans cette deuxième partie, nous creusons un peu plus pour découvrir sa vision d’une Afrique unie et unifiée et nous explorons son expérience quant à son rôle en tant que Envoyée de l'UA pour la jeunesse. 

Je voudrais parler de ton style, parce que tu es toujours bien mise. J’ai le sentiment que ça n’est pas uniquement une question de style, mais que tu désires faire passer un message à travers les vêtements que tu portes. Est-ce que c’est le cas ?

Tout à fait. J’estime qu’il s’agit d’une question d’identité et de libération personnelle. Tu sais, nous grandissons en mettant ce que l’on nous dit de mettre et il y a des standards de beauté particuliers, surtout en tant que femme. Mon expérience capillaire m’a fait réaliser que la manière dont je suis perçue reflète qui je suis. J’ai été harcelée à cause de mes cheveux naturels et donc j’ai pris l’habitude de les couper très courts, mais ensuite j’ai été obligée d’avoir les cheveux lisses. Ma mère les enroulait dans de longs collants tous les soirs pour qu’ils soient disciplinés le matin. Dès que je prenais une douche, je devais aller au salon de coiffure. C’était normal dans ma famille. 

Lorsque je suis allée à l’université, je n’avais plus le temps ni l’argent pour faire ça et je me souviens avoir été choquée de découvrir que j’avais les cheveux bouclés. J’adorais être au naturel, prendre simplement une douche et sortir en laissant mes cheveux tels quels. Dans ma famille les 2-3 premières années, on me disait « Va t’arranger, tu ne ressembles à rien. C’est quoi cette coiffure ? C’est n’importe quoi ». Les cheveux lisses étaient la norme. Je me suis rendue compte que mes cheveux étaient politiques et je les ai utilisés pour montrer qui je suis et que j’aime les porter au naturel. Cela demande du courage également de porter certaines de mes tenues et d’entrer dans une pièce. Je ne porte ni de tailleur ni de jupe cintrée ou une tenue que la société estime qu’une jeune femme ou ce qu’une diplomate doit porter, même dans les couloirs de l’Union africaine. 

« Je me suis rendue compte que mes cheveux étaient politiques et je les ai utilisés pour montrer qui je suis et aimer cela. »

Mon identité panafricaine m’a permis d’avoir le courage d’affirmer : « C’est ainsi que je souhaite être perçue. J’aime mes boucles d’oreilles africaines. Je ne peux pas les retirer. Elles représentent qui je suis ». C’est pour cela que je m’habille tel que je le fais, parce que c’est une démarche panafricaine pour moi.  Toutes les pièces que je porte proviennent d’une partie de l’Afrique, c’est comme si je disais « Je suis toute l’Afrique en mouvement ». Surtout en Tunisie, j’adore le fait que lorsque les gens me voient, ils commencent à poser des questions du genre : « Oh mon Dieu, d’où est-ce que ça vient ? » et que ça lance une conversation. J’aime beaucoup ça ; j’aime provoquer cette réaction. Cela me permet de lancer des discussions sur l’Afrique en Afrique du Nord, ce qui n’est pas évident à faire. J’ai également remarqué que lorsque je voyage, je blogue sur la nourriture, les vêtements et nombre des personnes qui me suivent veulent aller visiter les pays africains où je me rends. Cela leur fait apprécier la culture ou bien ça éveille leur curiosité à ce propos et j’adore ça. Ça change l’image de l’Afrique.

À quoi ressemble une Afrique unie aujourd’hui ? Si nous pouvions faire vivre le panafricanisme tel que tu l’entends, à quoi ressemblerait-il ? Quelle vision as-tu de cette utopie ? 

Bien que les années 60 m’inspirent beaucoup, je pense que nous avons une vision différente. Les dirigeants ont créé des frontières et se sont battus pour avoir des États-nations. Je pense que c’est l’opposé de ce que recherche ma génération actuellement. Nous voyons une Afrique sans frontières qui n’est pas dirigée en fonction des intérêts personnels ou des frontières coloniales. Les gens pourraient se déplacer partout. Ils connaîtraient l’histoire de la Tunisie, ce que les Tunisien.nes ont fait en 2011. Un enfant Zambien, par exemple, saurait ce que les Tunisien.nes ont changé et cela pourrait l’inspirer à agir. Nous serions puissants sur le plan économique, sans nous soucier de l’impérialisme colonial, nous siègerions aux Nations Unies en ayant un pouvoir décisionnaire. Ma vision de l’unité consiste en une population dont la conscience est africaine. Une définition commune de l’africanité et de l’appartenance à cet espace. C’est également une question de leadership. Sans un leadership panafricaniste, il est facile de vendre nos ressources et nos idées. Nous avons besoin de dirigeant.e.s qui pensent : « Je ne vais pas agir ainsi parce que ça pourrait porter préjudice au Ghana, mon voisin, ou à l’Algérie. Je ne procéderais pas de telle manière car cela pourrait porter préjudice au Kenya. » Une mentalité altruiste, qui pense aux autres pays, au peuple en tant qu’Africain, d’un point de vue idéologique… C’est ce que devrait faire un.e dirigeant.e panafricaniste à mes yeux. 

Tout à fait, un.e dirigeant.e seul.e ne peut pas penser au panafricanisme; une action de groupe est nécessaire. Est-ce ce que tu avais à l’esprit lorsque tu as fondé Afrika Youth Movement ? 

Oui. J’ai appris de la révolution tunisienne, un mouvement sans figure de proue. Je ne crois pas en Ghandi, Mandela, Martin Luther King ou en l’idée d’une personne seule qui lance un mouvement et mobilise les autres. Cette théorie a en réalité effacé de nombreuses femmes de l’histoire. Je crois qu’il existe des dirigeant.e.s et des personnes qui ont une influence ou un impact sur la vie des gens, mais je crois que si ces gens n’en ont rien à faire, il ne se passerait jamais rien. L’idée initiale avec la création d’Afrika Youth Movement était de réunir des jeunes qui, comme moi en 2011, n’avaient aucune idée de qui ils/elles étaient, les rassembler dans un espace et leur dire : « Peut-être que ce que tu es, c’est ça, cette identité ». Je suis très extrémiste dans mon panafricanisme, c’est pour ça que je dis que je « radicalise » la jeunesse, parce que je pose des questions critiques en ayant une idée derrière la tête. Je ne m’adresse pas à elle en disant « Tu es peut-être ceci ou cela ». Je mène mon mouvement en déclarant « Tu es avant tout Africain.e ». J’enrôle autant de jeunes que possible avec cette idéologie d’être africain.e d’abord et de placer les intérêts de notre communauté en premier.

A quoi cela ressemble-t-il? J’imagine que ça doit être une tâche très difficile vu la diversité présente, et ce, même au sein d’une seule nation.

La construction de ce mouvement a pris sept ans, avant mon départ et maintenant, en regardant d'autres mouvements comme Black Lives Matter, que nous considérons comme des mouvements importants et massifs, j’estime qu'il faudrait plus que ce que nous faisons actuellement. Chaque fois que je voyage, je réalise que celles et ceux que je recrute font plutôt partie de l'élite. Et beaucoup de ces jeunes occuperont des postes à haute responsabilité, mais cela ne mobilisera pas la base. Et si mon cousin qui vit actuellement dans le nord-ouest de la Tunisie, à la frontière algérienne, au milieu de nulle part, ne croit pas en cela, alors nous ne ferons rien. Si une révolution éclate demain, ces personnes vivant dans ces endroits ne le sauront pas. Elles ne savent même pas que la révolution a eu lieu. Elles ne savent pas qui est le président. Donc, si nous ne mobilisons pas ces personnes-là, nous n’arriverons à rien.

Est-ce à cela que tu souhaites te consacrer à l’avenir ? Quelle est ta vision pour ce projet ? 

Mon rêve serait que les 300 millions de jeunes en Afrique soient toutes et tous panafricanistes. Si j’avais les ressources nécessaires dans quatre ans, c’est mon objectif. Entre 2012 et 2015, lorsque nous avons créé le groupe Facebook et lancé le mouvement, je suis allée dans 35 pays africains, que j’ai sélectionnés en connaissance de cause, et j’ai profité de la moindre occasion pour rester plus longtemps et organiser des rencontres.  Je me rendais à des conférences mondiales, et j'organisais des réunions sur l’Afrique avec des jeunes africain.e.s en parallèle. Tout était réalisé consciemment. J'avais une stratégie. Je me rendais également très souvent dans les universités, ces grands espaces où je pouvais rencontrer de nombreux jeunes en même temps. 

Avant d'être nommée Envoyée de l'UA pour la jeunesse, j'allais réaliser une vidéo et j'avais commencé une tournée afin de voyager et donner des conférences à propos de la décolonisation dans toute l’Afrique. Mon rêve était de toucher 3 millions de jeunes en un an. En m'inspirant de la révolution tunisienne, je voulais aussi les connecter au mouvement... c'est-à-dire à l'infrastructure. Je recrutais ces personnes et leurs partisan.nes, en rassemblant tous ces mouvements. 300 millions de personnes, c'est énorme, mais je pense que si nous ciblons les bonnes personnes, celles qui disposent d’un public important et du pouvoir de mobilisation, nous pouvons y arriver. Ce n'est pas impossible, nous pouvons le faire.  

Tu as évoqué avoir été inspirée par ce que tu as appris lors de la révolution. En y repensant, comment cette expérience a-t-elle façonné la femme Africaine et Tunisienne que tu es aujourd’hui ?

La révolution m’a changé la vie. Tout d’abord parce qu’à mon avis elle est arrivée au bon moment - l'année de la fin de mes études. Elle est survenue à une période où je me rebellais dans ma famille, je remettais en cause des membres de ma famille qui tentaient de m’opprimer parce que je suis une femme. J’étais assez radicale dans ma famille, mais je n’étais pas politique. J’avais peur d’être une militante ou de parler de politique parce que mon père est dans l’armée et ne peut pas prendre part à la vie politique. Ma mère était harcelée elle aussi parce qu’elle porte le voile. J’ai mis mon énergie dans le bénévolat en faisant de la photographie et des ateliers de lecture dans les hôpitaux pour enfants.

Lorsque la révolution est survenue, je n'avais pas peur et j'étais prête grâce à mon expérience de bénévole. Je suis allée au camp de réfugiés. J'ai rejoint la Croix-Rouge et d'autres organisations. Je vois mon intrépidité comme la conséquence de se trouver à un stade où l’on n’est pas seule et où l’on peut dire : « J'en ai rien à foutre que vous me tuiez parce que je vais gagner et si je meurs, nous aurons un héritage parce que toutes ces personnes vont se lever. » Les gens ont essayé de me frustrer en prenant mon appareil photo, parce que je tenais un blog à l'époque. Je me souviens avoir eu peur de la police toute ma vie, mais la révolution a brisé ma peur du système, de l'institution, de l'establishment. Je ne m'étais jamais sentie aussi puissante de ma vie. Le mot « liberté » avait à nouveau un sens. 

Tu as parlé du blogging et je sais que ton blog, Proudly Tunisian (Fière d’être tunisienne en français, NDLR) est très suivi, même en dehors de la Tunisie. Parle m’en plus en relation avec la révolution. 

La deuxième chose que j'ai apprise pendant la révolution est liée au blogging, car j'avais le devoir de dire au monde ce qui se passait. J'étais vraiment frustrée, et la technologie m'a donné du pouvoir. Lorsque mes articles ont commencé à être repris par des médias internationaux, j'ai vu à quel point ma voix était puissante. J'avais l'habitude d’interpeller le New York Times sur Twitter et de leur dire : « Non, cette manifestation avait tel nombre de personnes, pas tel autre. » Et les journalistes changeaient l’information ! J'ai compris la manière dont je pouvais me faire entendre et de quelle manière je pouvais façonner les conversations. J'ai compris que si je ne m'exprimais pas, je ne changerais jamais les choses.

J’ai aussi appris l’engagement communautaire, car tout était organique et magnifiquement chaotique. J’ai rencontré nombre de mes ami.e.s. actuel.le.s dans la rue. Nous nous organisions toutes et tous sur internet. Nous ne nous connaissions pas et, d'une manière ou d'une autre, nous étions coordonné.e.s. Lorsque Ben Ali est parti, nous avons dû nous organiser pour empêcher d'autres personnes de s'emparer de l'espace politique. J'ai appris que l’engagement communautaire demande du temps et des efforts, qu'elle rassemble beaucoup de gens et qu'elle exige l'inclusion. Les concepts de création de coalitions, d'organisation, de rassemblement des gens, d'écoute des gens, de retour d'information, ont pris tout leur sens au final. Au cours des deux premières années, il y a également eu beaucoup de trahisons et de détournements de notre mouvement. J'ai donc également appris que l’engagement communautaire consiste à observer et à écouter, à ne pas porter de jugements hâtifs, à prendre du recul et à faire participer les gens, car vous aurez besoin de tout le monde. 

« J’ai appris que l’engagement communautaire demande du temps et des efforts, qu’elle rassemble beaucoup de gens et qu’elle exige l’inclusion. »

C'est ainsi que j'ai réussi à créer l’engagement, car l'organisation de la jeunesse est mouvementée, mais celle de la jeunesse africaine, qui est si diverse dans un même pays, avec des ethnies, des clans, des langues différentes, etc. l’est particulièrement. Même les personnes originaires d'un même pays ne peuvent pas s'asseoir et dialoguer. Sans la force de croyance dans le panafricanisme, j'aurais plus d’une fois tout abandonné. C'est ce que j'ai appris plus tard dans le mouvement des jeunes : il ne s'agit pas seulement de gagner le combat, mais aussi de construire en son sein. J'ai appris tant de choses ; il faudrait qu’un jour j’écrive un livre sur une révolution. 

Tu devrais ! Je travaille dans les secteurs des ONG et dans le développement international, et tout ce mouvement d’engagement significatif des jeunes… Je ne sais même pas ce que cela veut dire à ce stade. Lorsque tu as été nommée en tant qu’Envoyée de l’UA pour la Jeunesse, qu’en as-tu pensé ?

C'était une surprise, et je ne m'attendais pas à être sélectionnée, car deux ans avant ma nomination, j’avais organisé un boycott à l’UA en quittant la même salle dans laquelle j'ai prononcé mon discours d’investiture. Un dialogue intergénérationnel avait été organisé et je n’ai pas aimé la façon dont le dialogue avait été organisé. Cela ne ressemblait pas à un dialogue, et ne semblait pas démocratique, j’ai donc quitté la salle avec 20 autres jeunes. 

J’ai tout de même posé ma candidature parce que j’estimais mériter ce poste et parce qu’il s’agissait de la prochaine étape que je désirais franchir dans le système. J'ai également postulé pour le poste d’Envoyée des Nations unies pour la jeunesse, et j'ai fait partie des finalistes. C'était une surprise totale, et j'ai apprécié la façon dont j'ai été sélectionnée. C'était un processus rigoureux et transparent qui a pris plusieurs semaines. J'aime raconter cette histoire pour inspirer les jeunes et leur montrer qu'elles et ils peuvent occuper les postes haut placés qu'elles méritent. Vous n'avez pas besoin de connaître quelqu'un ou de travailler pour votre gouvernement ou parce que vous connaissez ou êtes apprécié à l'UA. Et beaucoup de gens croient encore que mon gouvernement m'a nommée ou que j’ai été pistonnée, mais j'ai passé toute ma vie dans la société civile. Je leur montre aussi que l’activisme peut ouvrir les portes de la diplomatie, de la politique, ou de tout ce que vous voulez. Ce n'est pas le poste qui compte, mais ce que vous voulez accomplir. Les titres ne sont que des vecteurs de changement. Je suis très fière de ce rôle. Je l'adore. J'aime servir la circonscription des jeunes. J'espère lui avoir rendu justice. Je pense que l'UA est très pertinente pour l’unité. 

Et pendant les 2 années que tu as passées à ce poste, quels ont été à tes yeux tes succès ?

J'espère avoir rendu justice à ce rôle et avoir posé des fondations solides pour les jeunes au sein de l'institution. J'ai tout rassemblé dans un rapport consacré à l’héritage dans le but d’amplifier l'impact des jeunes et de montrer ce que les jeunes peuvent faire lorsque davantage d’espaces d’innovation sont disponibles.

J'ai grandi entre la révolution et aujourd'hui, je suis passée de la résistance au système à la volonté d’en faire partie pour changer les choses de l'intérieur. C'était effrayant pour moi. Je ne voulais pas faire de compromis sur mon identité – ma personnalité radicale et bruyante – ni sur mes valeurs. Je suis une diplomate qui a un esprit militant, et ce que je veux être, c'est être un pont entre les générations, entre des systèmes déconnectés. Le problème est qu'en tant que jeunes, nous sommes ces personnes là qui sont radicales et nous dénonçons le système. Mais ensuite, nous ne trouvons pas de terrain d'entente. Parallèlement, il est très frustrant pour moi de m'asseoir dans des salles avec des vieux monsieurs qui n'ont rien à faire de la jeunesse de leur pays. Et ce, au niveau le plus élémentaire. Je ne parle même pas de politique ou de mise en œuvre de mesures particulières. Je parle de convaincre l’autre de la raison pour laquelle elle devrait s’en soucier. 

Parle moi de cette expérience de naviguer ces espaces en tant que jeune, surtout jeune dans une position de leadership. Comment t’es-tu sentie?

Actuellement, je suis épuisée d'avoir tant blâmé le système et je pense que nous devrions trouver un moyen de dialoguer avec les institutions. Cela ne marche pas pour nous de nous organiser simplement en dehors des couloirs du pouvoir. C'est ce qui m'a incité à organiser le co-leadership intergénérationnel, pour dialoguer et trouver des solutions ensemble. Ces espaces existent parce que nous les acceptons, et nous acceptons d'être là, de nous y asseoir pour que nos idées soient mises à profit. Là je pars dans un espace où je vais m’occuper de l’engagement. J’inviterai ces personnes à se rallier à ma cause et à s’engager. Je me sens plus confiante, plus puissante, plus motivée, et personne ne se sert de ma jeunesse. 

Je souhaiterais, après ces deux années, que ce concept soit ancré, que ce soit une normalité, et que chaque espace soit intergénérationnel et dirigé conjointement. Le processus de leadership, de gouvernance, les conversations, tous les sujets de haut niveau dont nous parlons devraient comporter ce co-leadership intergénérationnel. Je vois aussi une différence dans les espaces réservés aux femmes. Je pense que dans ces derniers, les personnes se sentent inspirées par les autres générations et sont plus à l'aise pour parler à une aînée que dans les espaces avec des hommes âgés.   

Je suis d’accord avec toi à propos de cette différence dans les espaces féminins, ou le co-leadership est un modèle que la plupart de ces espaces adoptent. Je sais que tu as parlé de ton expérience en tant que jeune dans cet espace souvent dominé par des vieux monsieurs. Quelle a été ton approche en tant que femme ?

Je suis allée dans ce rôle en tant que femme dirigeante. Mon idée du leadership féminin est collaborative. C'est l'intelligence émotionnelle ; d'unir les gens autour du panafricanisme, autour de l'agenda africain. Les deux sont d'abord liés parce que j'ai le sentiment que nous n’avons aucune idée de toutes ces femmes qui ont contribué à la libération. Je sais au fond de moi qu'il y avait un mouvement massif de femmes derrière tout cela. Aussi, les hommes qui m'inspirent, comme Thomas Sankara, sont féministes. Je ne peux pas considérer que Thomas Sankara était féministe sans être panafricaniste, car il s'est battu pour que l'Afrique soit indépendante et a déclaré que cela ne pouvait se faire sans la participation et l'émancipation des femmes. 

On ne peut pas unir notre continent ou parvenir à quoi que ce soit sans être féministe, sans croire à l'égalité et sans croire que les femmes font fondamentalement partie de la révolution africaine.

Dans la prochaine partie de cet entretien, on parlera de comment Aya est devenue féministe et ses efforts d’organisation de l’engagement des jeunes africain.e.s sur le continent. C’est ici pour cette dernière partie.

Note d’Eyala: Cet entretien a été enregistré pour la première fois par Françoise Moudouthe en juillet 2019. Nous avons effectué des mises à jour en avril 2022 pour refléter les changements et les progrès dans la vie d’Aya depuis ce premier entretien. 

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Pour les actualités de Aya, c’est sur Twitter @aya_chebbi

« Je ne me considère pas comme originaire d’une seule partie de l’Afrique. » - Aya Chebbi (Afrique - Tunisie) - 1/3

Une des choses à propos d’Aya Chebbi est qu’elle ne passe pas inaperçue! Elle se démarque à tous égards, que ce soit par les vêtements et les bijoux qu'elle porte, par son langage ou par son approche féministe radicale. 

Lorsqu'Aya a participé à notre tout premier Cercle Eyala, qui s'est tenu à Vancouver en 2018, j'ai remarqué que c'était le plus calme que je l'ai jamais vue. Elle ne disait presque rien, et j'étais curieuse de voir comment elle pouvait être vocale dans des espaces qui exigent que nous le soyons, et combien dans un espace de communauté partagée et de vulnérabilité, elle était très silencieuse, réfléchie et repliée sur elle-même. 

Chaque fois que je vois une personne qui est si extravertie et audacieuse, je suis toujours intéressée à l'entendre, à connaître son histoire. Lorsqu'une personne a une forte personnalité publique, les gens oublient souvent qu'elle a des nuances et des complexités. Lorsque j'ai eu l'occasion de parler avec Aya, je lui ai demandé si elle voulait bien partager son histoire avec moi, et elle a accepté. Je voulais vraiment en savoir plus, et j'espère que notre conversation fera ressortir ces complexités. 

Nous parlons de son identité africaine et de la manière dont le panafricanisme constitue la base de son travail (première partie ci-dessous). Nous avons également parlé de son travail et des leçons qu’elle en a tiré en tant qu'organisatrice pendant la révolution tunisienne et de son expérience en tant que première Envoyée de l'UA pour la jeunesse (partie 2). Nous avons terminé notre conversation par une discussion sur son parcours en tant que militante féministe et sur sa façon de naviguer dans les espaces patriarcaux (partie 3).

C'est parti ! 

Bonjour Aya, merci d’avoir accepté mon invitation. Et quel plaisir de pouvoir discuter en vrai, ici au Maroc ! Je cherchais une manière brève de te présenter tout en rendant justice à tous tes accomplissements… ce n’est pas si facile ! Comment aimerais-tu te présenter ?

La première chose que je dis toujours c’est que je suis panafricaine. Lorsque je fais de nouvelles rencontres, on me demande toujours « D’où viens-tu ? » et quand je réponds que je suis Africaine, on essaie de limiter cette réponse au pays dans lequel j’ai grandi : la Tunisie. Mais je ne me considère pas comme originaire d’une seule partie de l’Afrique.

Je ne suis pas uniquement africaine. Je suis panafricaine. Ce sont deux choses distinctes. Être panafricaine c’est à la fois mon identité et mon idéologie. En me présentant comme telle, je ne dis pas seulement que je suis originaire d’Afrique mais aussi que je veux l’unifier. Comme l’a dit Kwame Nkrumah, « Je suis africain, non pas parce que je suis né en Afrique, mais parce que l'Afrique est née en moi ».

Commençons avec la question de l’identité.

Je viens d’Afrique du Nord ; j’ai une identité méditerranéenne, une identité amazighe, une identité maghrébine, mais également une identité africaine. Et aucune de ces identités n’efface l’autre, tu vois ce que je veux dire ?

Je vis en Afrique du Nord depuis un moment maintenant, et dire que tout le monde ne se sent pas aussi africain.e que toi, serait un euphémisme… 

C’est vrai et je le déplore. C’est parce que nous avons été privés de notre identité africaine. Les choses ont changé après l’indépendance : tout s’est arabisé et islamisé. On ne nous enseigne rien sur l’histoire africaine à l’école, et il y a la barrière de la langue qui rend difficile la lecture d’auteur.e.s originaires du reste du continent.

Dis-moi alors comment est né ton sentiment d’africanité ?

Je pense qu’il résulte de deux expériences que j’ai vécues très tôt dans mon parcours. J’ai rejoint mon père qui travaillait pour l’armée tunisienne dans le camp de réfugiés de Choucha à Ras Jedir. Il l’avait installé à la frontière tuniso-libyenne et il s’en occupait, à la suite du conflit entre les autorités pro Kadhafi et les rebelles libyens. Environ 1 million de réfugié.e.s, essentiellement des migrant.e.s africain.e.s, ont fui vers la Tunisie en passant par la frontière. C’était comme si j’étais dans un livre d’histoire sur l’Afrique. Je m’asseyais et je discutais pendant des heures avec des personnes venant de la « Sénégambie », du Bénin, de la Sierra-Leone et d’autres pays. Un pan de l’histoire dont je n’avais jamais entendu parler. Et pourtant, je me retrouvais dans certains de leurs récits. 

Ensuite, l’expérience de traverser les frontières coloniales et de visiter d’autres pays a été très importante. Mes premières destinations ont été le Kenya et le Sénégal. Je me suis sentie comme chez moi en partageant des repas, en rompant le jeûne et en ayant des conversations à propos de l’islamisation, en apprenant les liens entre le swahili et l’arabe ou en me promenant le long de l’avenue Habib Bourguiba à Dakar. Cette familiarité a été révélatrice, surtout parce que je viens d’un pays où les gens ont de nombreux stéréotypes sur le reste de l’Afrique. 

Et tu as été confrontée à des stéréotypes sur ta propre identité de la part d’autres Africain.e.s?

Lors de mon séjour au Kenya en 2012, j’ai réalisé que la plupart des personnes qui me voyaient ne me considéraient pas comme une africaine. Elles croyaient que je venais d’Espagne ou du Brésil et me surnommaient Mzungu (en swahili : la blanche). Cela a piqué ma curiosité, je voulais savoir pourquoi les gens ne me percevaient pas comme africaine et je leur ai donc demandé. Je leur expliquais presque tous les jours : « Je viens de Tunisie. C’est en Afrique du Nord, je suis africaine. » C’est comme ça que j’ai commencé à revendiquer mon identité. 

Plus je voyageais à travers l’Afrique, plus l’idée du panafricanisme me fascinait. J’ai commencé des lectures détaillant la relation de l’Afrique du Nord au reste du continent ainsi que sur le mouvement africain de libération. J’ai été fascinée par la manière dont les pays sont devenus indépendants les uns à la suite des autres grâce à la solidarité, à l’idéologie de se rassembler en tant qu’Africains pour se libérer. C’est de cette manière qu’est née mon identité actuelle, qu’elle s’est renforcée et qu’elle est devenue politique. Je crois sincèrement que nous sommes bien organisés.

Mon entretien avec Aya a bien commencé en effet. Dans la deuxième partie, nous explorons plus ses réflexions sur le panafricanisme, et on en apprend plus sur ces expériences en tant que première Envoyée de l'UA pour la jeunesse. Cliquez ici pour lire la partie 2.

Note d’Eyala: Cet entretien a été enregistré pour la première fois par Françoise Moudouthe en juillet 2019. Nous avons effectué des mises à jour en avril 2022 pour refléter les changements et les progrès dans la vie d’Aya depuis ce premier entretien. 

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On a hâte de savoir ce que vous en avez pensé. Vous pouvez écrire un commentaire ci-dessous, ou on pourrait se causer sur Twitter, Facebook ou Instagram @EyalaBlog.

Pour les actualités de Aya, c’est sur Twitter @aya_chebbi