« Je vois un arc-en-ciel de féminismes » – Faten Aggad (Algérie) – 2/4

Nous sommes à la seconde partie de mon entretien avec Faten Aggad, experte en gouvernance et développement d’origine algérienne. Après une discussion fascinante sur son identité africaine (vous avez raté ça ? Cliquez ici) nous avons parlé de sa vision du féminisme. Et voici ce qu’elle dit.

Tout à l’heure tu m’as dit que tu étais une « panafricaniste et féministe qui s’assume ». Qu’est-ce que ça veut dire, pour toi, d’être féministe ?

Pour moi, ça se joue sur les choix que je fais au quotidien, et sur comment ils s'intègrent à mon système de valeurs et à mes croyances. En gros, comment j’évolue dans cette société moderne en tant que femme : en tant que mère, épouse, professionnelle avec une carrière à succès, fille, sœur, belle-fille et belle-sœur, mais aussi amie de personnes dont les croyances et les modes de vie sont très divers.

J'appartiens à des « sociétés » et à des environnements différents que ce soit au travail ou dans la sphère privée. Chacun de ces environnements vient avec des attentes sur la façon dont une femme doit mener sa vie, et je dois faire face à ces attentes chaque jour. J’ai le pouvoir d’influencer ces environnements autant qu'ils m'influencent.  

Pourquoi c’est important pour toi d’assumer cette étiquette de féministe et d’en être fière ?

C’est une étiquette qui s’attire une certaine stigmatisation, et il faut que cela cesse. En ce qui me concerne, je suis plutôt à l’aise de la porter. À mon avis, la plupart des gens qui stigmatisent le féminisme y voient une lutte anti-patriarcat, certes, mais aussi une lutte anti-hommes. Ils s’opposent à ce type de féminisme. Moi aussi, d’ailleurs.

D’autre part, les gens considèrent que le féminisme est importé de l'Occident et qu'il est porté par des femmes blanches. Ils y voient un féminisme qui célèbre le modèle de la « femme indépendante », par exemple. Il fut un temps en Algérie où il fallait s’habiller comme une Occidentale pour montrer qu'on était féministe. Il fallait porter la jupe la plus courte possible, des talons hauts, et bien sûr enlever son foulard. Quand le féminisme s’attache plus à l'apparence d'une femme qu’à son essence, c'est très problématique.

Quand le féminisme s’attache plus à l’apparence d’une femme qu’à son essence, c’est très problématique.

Tu peux élaborer un peu sur ce point ?

Ce que je veux dire c’est que porter une minijupe ne suffit pas à faire d’une femme une féministe. Tes actions font de toi une féministe, pas ce que tu portes. Tu peux porter le foulard si c’est ton choix. « Choix » étant le mot le plus important : c’est pour moi le mot qui définit l’essence du féminisme.

Le féminisme, c'est la capacité d'une femme à décider par elle-même de ce qu'elle veut, sans subir les contraintes du patriarcat. Et les choix des femmes ne sont pas les mêmes d’un endroit à l’autre car le féminisme est contextuel.

« Le féminisme est contextuel » : ça veut dire quoi, exactement ?

Je ne vois pas le féminisme comme une seule entité, mais plutôt comme un arc-en-ciel de féminismes. Nos parcours personnels et nos contextes jouent un rôle important. Ce qui semble parfaitement ordinaire ici peut paraitre beaucoup moins normal ailleurs : une femme qui travaille aux Pays-Bas, ce n'est pas la même chose qu'une femme qui travaille au Yémen. 

En ce qui concerne le féminisme africain, il y a pas mal de choses à déconstruire. D’ailleurs, on parle de féminisme africain, le féminisme ne se manifeste peut-être pas de la même manière en Afrique du Sud qu’en Libye ou au Sénégal. De même, je pense qu’il faut déconstruire cette idée de la femme indépendante.

Alors, ça fait plusieurs fois que tu mentionne la notion de « femme indépendante ». On en parle ?

Il y a un argument féministe assez traditionnel qui voudrait que toutes les femmes deviennent indépendantes à tout prix. C'est pourquoi nous encourageons nos filles à étudier et à construire une carrière. Je suis d'accord, évidemment. Mais pour moi, la carrière n'est pas une fin en soi : c'est un outil qui permet aux femmes d’atteindre l'indépendance financière dont elles ont besoin pour choisir par elles-mêmes ce qu’elles souhaitent faire de leurs vies. 

Il y a aussi cette idée qu’être indépendante signifie se détacher émotionnellement des hommes. Dans le contexte africain, beaucoup en déduisent qu’être féministe implique être contre le mariage, par exemple. Pas moi. Bien au contraire, j’adore pouvoir compter sur mon mari. Je ne vois aucune contradiction entre le fait d’être une femme forte et le fait de se montrer vulnérable au sein de sa relation avec une personne qui vous aime, avec laquelle vous bâtissez une vie et une famille. 

Encore une fois, je vois l'indépendance comme cet outil qui nous permet de faire des choix et de garder le contrôle sur nos vies. Pour reprendre l’exemple des relations amoureuses, garder son indépendance devient un moyen de s’assurer qu’on ne restera pas coincé dans une relation très patriarcale. 

Qui sont les femmes que tu admires et qui ont inspiré ton engagement féministe ?

Sans hésiter : ma tante Mimi.  Chaque jour de sa vie, elle a remis en question nombre d’idées reçues sur la place des femmes dans la société. Elle n’a pas fait beaucoup d’études, mais à l’âge de 20 ans, elle a divorcé de son mari alors qu'elle était enceinte. À cette époque, la société algérienne n’était pas tendre avec les femmes divorcées, mais ma tante savait parfaitement ce qu'elle voulait dans la vie et ce qu'elle ne voulait pas. Elle a reconstruit sa vie avec les ressources limitées dont elle disposait. Pour moi, elle incarne la résilience de la femme africaine. 

Ma tante ne dirait jamais qu’elle est féministe, mais pour moi elle l'est, à tous points de vue. C'est une femme qui se soucie de son identité et qui a du respect pour elle-même. Elle m'inspire plus que toute féministe célèbre, peut-être parce que j'ai pu observer de près les choix et les sacrifices qu'elle a dû faire.

Ma tante ne dirait jamais qu’elle est féministe, mais pour moi elle l’est, à tous points de vue.

Elle a l'air extraordinaire. Il faut beaucoup de courage et de détermination pour appliquer les principes féministes dans nos vies quotidiennes. Et parfois, ces principes nous attirent des ennuis ! C’était quand, la dernière fois que ça t’est arrivé ? 

Il y a peu de temps, je parlais avec quelqu’un qui se plaignait parce que son conjoint essayait de la contrôler financièrement. Je lui ai répondu : « Mais c’est aussi ton choix » et ça l’a tellement offensée que je me suis demandé ce qui m’avait pris de l’ouvrir. (Elle rit) Le message que je voulais faire passer est que dans la vie, tout est une question de choix. Certains choix sont très difficiles et d'autres très faciles. Si tu choisis de rester dans cette relation et d’en accepter les contraintes, c’est un choix – pour revenir à la situation de cette femme.

J’imagine le malaise ! Qu’est-ce que tu as appris de cette conversation ? 

J'ai compris que je devrais faire l’effort d’admettre qu’il est difficile de faire certains choix.  Et aussi qu’il y a des façons un peu moins brusques d’exprimer mes arguments !

Se taper la honte, il n’y a pas mieux pour retenir sa leçon ! Je voulais en savoir plus sur la vision du féminisme selon Faten et comment il se manifeste dans sa vie de tous les jours. Cliquez ici pour une conversation qui mêlent grandes idées et moments pratiques de vie de la plus gracieuse des manières.

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