« Mon père m’a éduquée comme un garçon » - Salamatou Traoré (Niger) - 1/4
/Au cours d’un voyage à Niamey en Août 2019, Françoise a pu rendre visite à Madame Salamatou Traoré et son ONG, Dimol. Dans cette conversation, Mme Traoré parle de sa vie et de sa carrière en santé publique (Partie 2), sa mission d’aider les femmes souffrant de la fistule obstétricale à transformer leurs communautés (Partie 3) et ses opinions sur le féminisme (Partie 4).
Bonjour Mme Traoré, et merci de vous prêter au jeu de l’interview Eyala. Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Je m’appelle Mme Salamatou Traoré. Je suis infirmière et sage-femme de formation. Je suis Nigérienne et très à cheval sur la défense des droits des femmes : voilà ce qui me caractérise. Je n’aime pas qu’on sous-estime une femme ou qu’on viole ses droits. Je souhaite vraiment le bien-être des femmes.
Pourquoi avez-vous voulu devenir infirmière et sage-femme ? Quand est-ce que la santé a commencé à ’être une chose importante dans votre vie ?
J'étais quelqu'un qui connaissait tous les problèmes de santé assez tôt. Mon papa était militaire et après il a été infirmier dans la vie civile. Il était dans toutes les régions. Il a servi au Niger et au Burkina. Je le voyais souvent aller en brousse, sur son cheval pour faire l'évacuation sanitaire avec son fusil sur l'épaule. S’il revenait avec du gibier, je savais que sa mission était une réussite, car il avait eu le temps de faire la chasse au retour. Si sa gibecière était vide, je comprenais que le malade était mort.
Lorsque je lui ai fait cette remarque, il a constaté que j'étais très habile, et que je le connaissais parfaitement. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble. Mon père m’a éduquée comme un garçon. C’est moi qui l’aidais pour faire les travaux dans la cour ou pour faire la salubrité du quartier. Je poussais ma brouette et mes balais: je balayais et il ramassait. Je montais sur le toit pour faire des réparations. J'étais comme un petit garçon à côté de lui alors que les garçons de la maison étaient en train de dormir. Je portais ma culotte. J'étais vraiment libre, pas comme toutes les filles. C’est bien après que j’ai compris à quel point mon père était différent dans son rapport aux enfants. Mon père a protégé toute les filles de la famille de l’excision. Dans ma famille, toutes les filles ont réussi.
Donc votre choix de devenir infirmière, c'était pour rendre hommage à votre père?
Oui. Au moment où j'avais découvert que j'étais admise au concours des infirmiers, il m'a dit : « Salamata, je veux te dire quelque chose. Si réellement c'est l’argent que tu cherches ne va pas à la santé, tu ne trouveras pas l’argent à la santé. Mais si tu veux la reconnaissance et les bénédictions des patients, là tu peux aller à la santé. » Je lui ai dit : « Je veux être comme toi, Papa. »
Mais il y a aussi une autre chose qui m’a convaincue de travailler dans la santé. Un jour, quand j'avais 13 ans, je suis allée à l'Hôpital National pour apporter quelque chose à manger à ma grande sœur qui était de garde au service maternité. Quand je suis arrivée, j’ai vu une fille dans le couloir qui marchait difficilement. Elle avait un tuyau à la main, et elle marchait en s’appuyant sur un bâton et sa maman était là pour l’aider. J’ai remarqué qu’elle n'avançait pas vite, et qu’il y avait de l'eau qui suintait à son passage. Elle pleurait et tremblait, je sentais qu’elle avait très mal. Quand ma grande sœur est arrivée, et je lui ai demandé ce qu’elle avait, cette petite-là. Elle m’a expliqué: « Ce n'est pas une petite, mais une nouvelle mère. Elle vient d’accoucher mais maintenant elle a la fistule, donc elle n’arrive plus à retenir ses urines. En plus, son bébé est mort. »
Ça m'a choquée de voir une petite fille toute maigre et plus jeune que moi, qui déjà mariée et avait accouché d'un enfant mort, et maintenant était malade. Moi, la fille de fonctionnaire, j’étais très forte et bien nourrie, mais elle, qui venait de la brousse, elle souffrait et ne pouvait pas retenir ses urines. Je me suis dit là, il y a un problème.
Alors, ça m'a guidée. Arrivée à la maison, j’en ai parlé à mon papa et je lui ai posé beaucoup de questions. J’ai appris que quand l'accouchement est difficile, l'enfant meurt et la femme meurt. Il m’a dit : « cette petite fille, c'est une rescapée de la mort ». J'ai gardé ça en tête, et j’ai dit, moi je vais faire la santé. Au total, j’ai travaillé dans le secteur de la santé pendant 25 ans: huit ans en tant qu’infirmière et sage-femme le reste du temps.
Dans la seconde partie, nous parlerons de la carrière de Mme Traoré dans la santé publique. Cliquez ici pour lire la conversation.
Lisez plus sur la fistule obstétricale ici: Fistule obstétricale | Fonds des Nations Unies pour la population (unfpa.org)