« Il faut faire en sorte que ton propre bien-fondé prime sur l’avis des autres » - Salamatou Traoré (Niger) - 4/4

Dans cette quatrième et dernière partie de notre discussion avec Mme Salamatou Traoré, elle réfléchit au féminisme plusieurs années après sa participation à la Conférence de Beijing en 1995. Précédemment, nous avons parlé de sa vie (Partie 1), son travail dans la santé publique (Partie 2) et le travail qu’elle fait au Centre DIMOL (Partie 3).

Merci de nous avoir parlé de votre organisation, le Centre Dimol. Parlons maintenant de vous. Quand on parle de la femme nigérienne, on nous dit souvent qu'elle est soumise, silencieuse,  faible…Avec vous, c’est tout le contraire. Quand on vous rencontre, on voit d’abord que vous n'avez pas la langue dans votre poche.

Pas du tout! (Elle rit)

J’imagine cependant que ce n’est pas tous les jours facile de sortir autant du lot ? Comment est-ce que vous vivez cela?

Tout commence au niveau de ma famille. J’ai toujours eu un dialogue franc avec ma famille, dans l'éducation de mes enfants et même des petits enfants maintenant. Il faut être franc, il ne faut pas tergiverser. Aujourd'hui vous ne pouvez pas éduquer un enfant en lui cachant des choses. Je parle franchement des sujets tabous au sein de la famille. 

Vous pouvez me donner un exemple ?

Oui. J’ai un de mes fils, je ne me rappelle plus à quel âge, il était en train de manger. Il a posé une question à ma sœur. Il a dit : « Tantine, comment on fabrique une personne ? » Et ma sœur lui a dit : « On prend du sable, on met du sang et on tourne. » Mais moi, j’ai dit : « C‘est pas comme ça. Dis-lui la vérité. C'est le papa et la maman qui font le bébé. C'est comme ça qu’on fabrique un être humain. Tu vois je suis ta maman et lui c'est ton papa, donc c'est nous qui t’avons mis au monde. Plus tard je vais te dire la suite. » Il est devenu médecin maintenant et il a compris. (Rires)

Et comment ça se passe en dehors du cercle familial?

Même dans la famille ce n’est pas toujours si facile. Je vous donne un exemple. Mon fils s'est engagé en  politique et il ne voulait pas que je le sache pour que je ne dise pas mon point de vue. Donc ceci fait que, quand dans une famille, vous êtes quelqu'un qui voit clair, parfois les autres ne sont pas avec vous. « Ce qu'elle dit est vrai, mais c'est choquant. » « Faites attention, il fait la politique ». 

C'est comme ça qu'ils me gèrent. C’est ce qu'on me dit, que je ne suis pas diplomatique, je dis ce que je pense et parfois c'est choquant. Peut-être certaines choses, quand vous le dites ouvertement, alors qu'il faut les cacher ou bien il faut bien trouver des formules plus souples. Il y en a qui ruminent les phrases avant de les dire mais chez moi, c'est spontané. 

Est ce qu'il y a une femme dans votre vie qui vous a vraiment inspiré à vivre comme vous le faites ?

Ma maman. Elle est très dynamique. C’est une femme formidable. Elle a élevé et elle a défendu beaucoup d’enfants, même ceux qui n’étaient pas les siens. Elle n'allait pas à la cuisine. Non. Et quand elle dit quelque chose, le papa le fait. Et elle n’a jamais failli, même pour l’éducation des enfants. Chez nous, ma maman gérait tout, elle n'avait pas de problème. 

Il y en a qui ruminent les phrases avant de les dire mais chez moi, c'est spontané.

Quand vous y repensez, quelle est la chose que vous avez vraiment appris de votre maman qui vous permet aujourd'hui de porter ce combat-là ?

C'est sa patience. Elle l’a héritée de sa maman. Ma grand-mère, on l’appelle Aya, était purement du monde rural et elle a été surnommée “mouregn”, ça veut dire “négliger, il faut banaliser” en quelque sorte, c’est ce que ça veut dire dans notre langue. Quand par exemple vous venez vous confier à elle, elle vous dira toujours : « sois patiente. Il faut de la patience. » Elle répète toujours ça. Quand vous venez lui poser un problème de matériel ou de besoins, si même elle n'en a pas, elle me dit : vas-y, je vais t’envoyer ça. Un jour, mon papa a voulu la ramener à Niamey. Elle a dit : « Non. Les gens qui sont là-bas, ce sont mes enfants aussi, comment je vais les abandonner ? On va dire que j’ai privilégié ma propre famille au détriment des autres. » C’est quelque chose qu'elle a fait que que j'ai beaucoup admiré.

Donc elle était vraiment engagée pour la communauté. 

Houla lala, elle a fait plus que ça! Tous les enfants qui sont chez elle sont ses petits-enfants, ils lui appartiennent tous. Un beau jour, je suis venue, et c'est moi la financière, donc tous les trois ou quatre mois, il fallait aller chercher les vivres. Je suis allée la trouver et je lui dis : « Aya, est-ce que tu peux remettre à chacun son enfant ? Tu vois, mon budget est épuisé avec ces enfants et aucun des parents ne survient à leurs besoins. » Elle a souri et ne m'a rien dit. J'ai quand même continué à faire ce que je peux. 

Bien plus tard, quand j’ai eu mes propres petits-enfants, je suis retournée lui en parler. Je lui ai dit : « je viens m'excuser auprès de toi. Un jour je t’avais demandé de renvoyer tous ces enfants que chacun n’a qu’à prendre ses responsabilités. Je ne savais pas qu’un petit fils était aussi agréable que ça. » Elle a ri et a dit : « tu as compris maintenant. » (rires) Les vieilles, elles sont très dynamiques. 

En parlant d'inspiration, vous êtes de la génération de féministes qui a participé à la Conférence de Beijing [la Quatrième conférence mondiale sur les femmes en 1995]. C'était important pour vous? 

Oui j'ai fait Beijing. J’y tenais mais c'était difficile de trouver les financements pour y aller. J’avais décidé d’aller à la conférence, même si je devais payer de ma propre poche. Je suis allée d’abord de Niamey à Addis. J’étais aidé par une autre femme guinéenne qui m’a donné un ticket en trop de Addis à Beijing. Alors je suis allée à Beijing et j'ai reçu le remboursement après mon retour. Je tenais vraiment à y être.

Beijing c'était il y a 25 ans. A votre avis, comment la situation de la femme nigérienne a évolué en 25 ans ? 

Au niveau du monde rural, il y a eu un changement. On a des foyers, il y a des groupements, il y a des femmes qui ont des fermes, des jardins, et des potagers. Il y a également le leadership féminin au niveau du monde rural qui a progressé. Je sais que j'ai vu des cas de femmes qui se sont défendues pour pouvoir sauvegarder leur lopin de terre par rapport à l'héritage. Donc vraiment il y a eu une évolution sur le plan mental, il y a plus d’ouverture. Surtout par rapport au crédit au niveau des villages, les tontines, là aussi il y a eu une forte évolution. Les moulins à grains, l'Etat a pris en charge pour soulager la pénibilité de ces femmes. La scolarisation de la jeune fille également, vraiment il y a eu un changement. Maintenant en milieu urbain, les filles ont accès quand même à une éducation plus élevée.

On dit que le Niger c'est un pays où ce n'est pas facile d'être porteur de changement parce qu'il y a des pesanteurs et les questions sont tabous. Qu’est-ce qui a bien évolué et qu’est-ce qui n’a pas trop marché ?  

Malgré le fait qu'on dise que le Niger est le dernier pays...selon moi, non. Moi, je dirai que c'est en matière d'indice de pauvreté qu'on peut le dire mais si on va en profondeur, on va trouver quand même des indicateurs qui nous permettent de dire que le Niger a évolué. On a évolué. Même si on dit que le Niger est dernier sur le plan politique et le développement, il y a quand même des indices de développement qui nous mettent en situation d’aisance. Nous avons également, toujours en milieu urbain, des femmes qui sont en retrait parce qu'il y a des hommes qui mettent la pression sur elles. Même en milieu rural, des femmes n'ont pas accès à toute l'information ni le droit d'aller dans les formations sanitaires si elles ne sont pas autorisées. Et là c'est un blocage pour le développement.

Quand notre génération pense à Beijing, nous sommes très inspirées et reconnaissantes. Vous avez tracé une partie du chemin sur lequel nous marchons aujourd’hui. Mais parfois on se rend compte que nos aînées ne se voient pas comme féministes… Quel est votre rapport avec ce mot? Est ce que vous vous considérez comme féministe ? 

Oui et non parce que ce sont les autres qui doivent évaluer mon action et décider si je suis feministe ou pas. Pour moi être feministe, c’est défendre les droits des femmes, leur liberté, et tout ce qui est en faveur de leur promotion. De ce point de vue, je suis feministe.

Je pense que le féminisme, au-delà de notre engagement associatif, c’est aussi quelque chose qu’il faut  incarner dans sa vie quotidienne, notamment dans la façon dont on gère nos relations avec nos proches. Comment est-ce que vous vous y arrivez ? 

Comment l'incarner ? Il faut parfois faire fi de l'observation des autres. Il faut faire en sorte que ton propre bien-fondé prime sur l’avis des autres. 

On dirait que les gens refusent de comprendre. Ce n'est pas qu'ils ne comprennent pas : ils refusent d'accepter ce changement, c'est ça qui est choquant. Les hommes connaissent les droits des femmes mais parfois choisissent d’entraver la bonne jouissance de ces droits. Pourtant, s’ils acceptaient le changement, qui en bénéficierait? Pas juste la femme, ce serait un resultat positif pour le développement futur de leur progéniture.

Il faut donc faire fi de tout ce que les gens pensent. Si on doit continuer à lutter, à défendre, à réprimer, à guider, à conseiller et tout, alors qu’en face de vous, vous n'avez pas un interlocuteur de taille…c'est décourageant. 

Les hommes connaissent les droits des femmes mais parfois choisissent d’entraver la bonne jouissance de ces droits.

Quand vous, qui êtes de la génération Beijing, pensez aux féministes de la génération Beijing +25, quel conseil leur donneriez-vous? 

Penser plus au collectif et moins à l'individu. Moi je trouve que maintenant, cette génération montante ici au Niger, c'est une génération qui lutte pour des intérêts individuels. On sent que la lutte elle est individuelle, elle n'est pas collective. Dans une ONG, on voit souvent une personne dire “c’est moi qui ai fait” au lieu de “c’est l’organisation qui a fait”. Ça ce n’est pas bon. Il n'y a pas de collaboration.

Mais il y a des jeunes organisations montantes que j'apprécie beaucoup. La génération d'avant avait plus de facilité à travailler avec les partenaires techniques et financiers qu'aujourd'hui. Les financements se font rares, vous avez plus de difficultés, ce n’est pas la même chose. Néanmoins le peu de financement dont vous disposez, vous devrez coordonner avec ladite génération de Beijing. 

Ma dernière question, celle que je pose à toutes mes invitées : est-ce qu'il y a une phrase ou une citation, une devise féministe, que vous appliquez à votre vie ? 

Aucune femme ne doit donner sa vie en donnant de la vie. Ça c'est ma devise. Aujourd'hui il y a beaucoup de femmes au Niger qui donnent leur vie. Mais moi, je veux vraiment le bien-être des femmes et voir les femmes toujours souriantes.

Tout à fait. Merci beaucoup Mme Traoré, c'était vraiment une très belle conversation. 

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« Elles rentrent en tant que victimes et elles ressortent en tant que leaders » - Salamatou Traoré (Niger) - 3/4

Notre conversation avec Mme Salamatou Traoré continue et devient de plus en plus intéressante avec chaque nouvelle partie. Nous avons parlé de ce qui a inspiré son choix de construire une carrière dans la santé (Partie 1) et son expérience dans la santé publique (Partie 2).

Dans cette troisième partie de notre conversation, nous en apprenons davantage sur le centre DIMOL qu’elle a créé pour soutenir les femmes souffrant de la fistule.

Vous venez de me dire comment vous avez créé votre ONG. Pour commencer, « Dimol », qu’est que cela signifie ? 

« Dimol » veut dire « dignité » en peul. J’ai créé le Centre Dimol à cause du problème de la fistule qui était toujours présent.

Est-ce que vous pouvez me parler un peu du Centre Dimol et du travail que vous y faites avec les femmes atteintes de fistule obstétricale ?

Les femmes que nous accueillons accèdent au Centre dans des situations difficiles à cause de la fistule. D'abord leur pagne est toujours mouillé car plein d’urine. Elles sont vraiment stressées, elles sont mal à l'aise. Dès qu’elles arrivent, elles ont droit à deux culottes et à deux savons par semaine. Elles se font propres. Le lendemain, quand vous revoyez chaque femme, il n'y a ni l'odeur, ni le stress; On ne les voit plus toucher sans cesse leur pagne pour vérifier s'il est mouillé. 

Ensuite, la sage-femme du Centre fait une consultation, et elle identifie si une femme a un cas de fistule ou pas. La période de l’enregistrement est importante pour les données quantitatives. Si la patiente a en effet un cas de fistule, la sage-femme l’envoie en référence au centre où on opère pour faire la consultation aussi et suivre son cas si ça nécessite l'opération ou les bilans. 

Pendant que la femme est suivie et même pendant sa convalescence après l’opération, elle reste hébergée avec nous au Centre. Cette période d'attente est mise à profit pour aider la femme à comprendre les causes et conséquences de sa maladie. On lui enseigne l'hygiène du milieu, l'hygiène de l'environnement, l’importance de ne pas déféquer à l'air libre, l’importance d'aller à l'école, et à quoi ça sert les méthodes contraceptives. Tout ça c'est de la prévention, pour éviter de futures infections.

Surtout, on explique aux femmes les raisons qui les ont amenées là. Maintenant, à partir de ce moment, les patientes comprennent mieux que ce n'est pas une malédiction. 

Ah oui, il y en a qui pensent que c’est une malédiction ?

Oui, en effet, beaucoup pensent qu’on leur a lancé un sort. Au Centre Dimol, elles apprennent que la fistule est plutôt due à un retard dans la prise en charge de leur état de santé: le fait de ne pas aller en consultation prénatale, de ne pas aller accoucher dans les formations sanitaires. Alors une fois qu'elles comprennent, ça devient répétitif car chaque semaine c'est la même chose qu'on répète : hygiène de l'environnement, salubrité, scolarisation de la jeune fille, planification familiale et ainsi de suite. On passe tout notre temps à leur expliquer mais à partir du moment où elles arrivent à prendre conscience de ce qui s'est passé et qu'elles sont plus réceptives, on passe à l'action. 

Et la phase “action” consiste en quoi ?

En général, les femmes passent entre trois et six mois avec nous. Elles font la première intervention chirurgicale au bout de trois mois. Ensuite, après leur opération, on leur donne rendez-vous et elles font les va-et-vient entre le Centre Dimol et l'hôpital, jusqu'à leur guérison. Il y en a qui ont eu jusqu'à cinq interventions. 

Pendant ce temps, au Centre Dimol, elles apprennent un métier : la couture, les broderies, la vannerie, tricot, tissage…tout ce qu'elles peuvent apprendre. La patiente choisit, et elle apprend. Une fois qu’elle est guérie, on renforce la formation sur l'activité choisie par la patiente. Si c'est la couture qu'elle a choisie, on met l'accent dessus. Si on voit qu’elle ne maîtrise pas la coupe ou bien si elle ne maîtrise pas certains modèles, on accentue la formation. 

Au Centre Dimol, elles apprennent un métier : la couture, les broderies, la vannerie, tricot, tissage…tout ce qu'elles peuvent apprendre.

Et elle rentre chez elle avec la possibilité de mener une activité, c’est génial !

Une fois qu'elle est prête à rentrer au village, on lui donne pour mission d'enseigner à ses collègues femmes du village l’activité qu’elle a apprise au Centre Dimol. Elle va mener aussi des activités de sensibilisation à l'endroit de ses collègues, de guider les femmes vers les services de santé en cas de problèmes. Elle peut rechercher des cas de fistules dans le village, de bouche à oreille pour leur dire que la fistule est guérissable. 

On lui donne de l’argent pour lancer l'activité chez elle. Elle peut acheter le matériel dont elle a besoin pour son activité et aussi pour ses séances de sensibilisation sur la fistule: un banc, une table, tout ce dont elle a besoin. Ça aide les habitants à prendre au sérieux ce qu’elle est en train de faire. 

De bouche à oreille, les anciennes patientes sensibilisent, elles orientent ou accompagnent les femmes qui ont besoin d’accéder aux soins pour leur fistule. Elles deviennent des ambassadrices du Centre Dimol, et elles ramènent parfois de nouvelles patientes. Il y a même des anciennes patientes qui sont devenues des auxiliaires de santé. 

Et le cycle continue. C’est un cercle vertueux, en fait. Vous pouvez me parler d’une femme dont le parcours vous a marquée ? Je suis sûre qu’il y en a plusieurs.

Il y a Oumou, qui nous a déjà ramené 14 nouvelles patientes. Juste hier, elle a amené deux femmes. Oumou passe tout son temps lors des jours de marché à sensibiliser et à poser des questions : « avez-vous des cas de fistules chez vous ? Les femmes qui sentent les urines ? Si vous en avez, moi, j’ai quelqu'un qui traite gratuitement ». Et elle fait passer le message. 

Pendant son passage ici, Oumou avait choisi de faire de la couture. Elle a bénéficié des fonds de réintégration, d’une machine, et elle a appris à son mari à faire de la couture, puis le mari a appris à d’autres également. 

Ce qui est intéressant dans le modèle du Centre Dimol, c'est que la femme entre dans une position presque de victime et elle ressort en position d’actrice du changement. Elle est autonomisée personnellement, mais, elle change aussi la société. C’est très transformatif.

Les patientes entrent au Centre Dimol en tant que victimes et elles ressortent en tant que leaders. Il y en a qui ne les reconnaissent même plus, tellement elles ont changé. Quand une patiente retourne au village, elle est guérie, toute propre, bien habillée, avec des connaissances que les autres n’ont pas, et avec des fonds et du matériel ou du bétail que les autres n’ont pas. 

Elle accompagne des membres du Centre Dimol qui expliquent qu'elle est guérie et qu'ils doivent l'accepter et cesser de la stigmatiser. On explique devant tout le monde que l’argent et les matériels qu’elle a sont pour son activité, et pour financer de futures césariennes ou autres opérations, donc il ne faut pas les lui prendre. 

Et les femmes en général n'ont pas de difficultés quand elles rentrent, parce que vous faites un accompagnement. Vous avez dit que vous parlez avec la communauté, aux leaders et aux familles.

Oui, la sensibilisation c'est d'abord avec la famille. L’agent santé nous accompagne auprès des autorités pour leur dire que l'ONG va intervenir vers tel endroit, et voilà ce qui nous amène. Pour les patientes qui sont guéries de la fistule obstétricale, là, l'infirmier nous accompagne jusqu'au village. Parfois les infirmiers découvrent les localités qu’ils ont l'habitude d'écrire « banalement » alors qu'ils n’ont jamais été sur le terrain. Et quand ils se rendent compte de l'éloignement, des distances que parcourent ces femmes, alors ils prennent maintenant au sérieux les cas des femmes qui viennent de ces villages. Une fois arrivées dans le village, les femmes témoignent de leur vécu. Mais l’agent de santé a l’obligation aussi de parler. Il fait aussi son plaidoyer. Il dit ce qu'il attend les habitants de ces villages ou de cette communauté, qu'ils viennent vite pour les soins pour pouvoir guérir rapidement plutôt que d'être évacués car c’est coûteux. 

Au niveau de la famille, on fait aussi le plaidoyer auprès des hommes. On les met à témoin pour leur dire que la fistule n'est pas facilement guérissable, ça demande beaucoup de fonds, ça stigmatise, ça traumatise les filles. Alors, si vous évitez le mariage des enfants et les donner la chance d’aller à l’école, si vous évitez aux filles d'attendre avant d'aller aux soins, et vous leur permettez d'aller faire les consultations et les accouchements assistés à la place, vous n'aurez plus de cas de fistule. 

Et enfin, on responsabilise les chefs de village, en leur disant : si toutefois dans ce village, il y a un cas de fistule, c'est vous qui êtes responsables parce que vous êtes avertis. Vous l'aurez cherché, parce que, nous, on vous a prévenus. Et vraiment, ça marche: dès qu’un femme est malade, ils disent: faut aller vite au dispensaire et une autre femme doit vous accompagner. Alors ils ont toutes les informations sous la main et ils les respectent. 

Si vous évitez aux filles d'attendre avant d'aller aux soins, et vous leur permettez d'aller faire les consultations et les accouchements assistés à la place, vous n'aurez plus de cas de fistule. 

C’est super de voir la réussite de cette approche. J’imagine que vous rencontrez quand même quelques difficultés. Quelle est la plus grande d’entre elles ? 

La grande difficulté c'est l'incompréhension des autres vis-à-vis de la fistule. La fistule se trouve dans des zones reculées ou éloignées, dans des zones enclavées. Si vous n’y allez pas, on ne vous écoute pas, les gens ne prennent pas la lutte au sérieux. Pour lutter contre la fistule les gens ne parlent que de l'opération, encore et encore. Moi je dis, ce n’est pas l'opération qui va éradiquer la fistule. L'éradication de la fistule passe par la prévention. Premièrement, il faut bannir le mariage des enfants et il faut promouvoir l'accès aux services sociaux de base de proximité rapide. Deuxièmement, il faut amener les parents à comprendre les risques qu'il y a si on ne fait pas de consultations prénatales et d’accouchements assistés. 

Le Centre Dimol peut accueillir environ 50 femmes, mais la fistule atteint des milliers de femmes au Niger. De quoi auriez-vous besoin pour soutenir davantage de femmes ?

Il nous faut plus d’espace. Il faut pouvoir avoir la capacité d'héberger plus de femmes et mieux agencer la prise en charge des cas, et faire un meilleur suivi. Il faut aussi de l’espace pour les formations que nous faisons en couture, vannerie, tissage, tricotage, etc. Ces formations ne sont pas destinées seulement aux victimes de fistules. Nous avons les femmes des groupements féminins qui viennent acquérir des connaissances pour lutter contre la pauvreté. Nous, on se dit que le problème de la fistule est un problème aussi de pauvreté. Pour éviter les complications à ces femmes, si elles accèdent aux formations pour l'autonomisation économique, elles peuvent lutter aussi contre leurs problèmes de santé. Et ça marche parce que lorsqu’elles viennent pour l'autonomisation, ça leur permet d'écouter les causeries, et ça enrichit les femmes. On a besoin d’espace pour faire tout cela. 

Il faut mobiliser des ressources par rapport à la création d'un Centre où nous allons proposer des formations pour les femmes, les ONG ou les associations, les décideurs communautaires, et autres. On a beaucoup à partager…mais où le faire ? 

Nous souhaitons aussi faire plus de travail au-delà de la question de la fistule. On veut prendre en charge les femmes qui ont subi des violences basées sur le genre. On veut soutenir davantage l'autonomisation économique de la femme. Pour augmenter notre impact, il faut plus de place et plus de ressources. 

Malgré les défis, on voit que vous avez beaucoup de fierté et de joie. Quand nous sommes arrivées au Centre tout à l’heure, j’ai vu comment votre visage s'est illuminé. Qu’est-ce que vous ressentez  à chaque fois que vous entrez ici ? 

Oui, quand je rentre et que je vois surtout l'environnement qui est sain et propre, quand je vois les femmes toutes propres, quand je vois les dispositifs que moi j'ai organisés qui sont en place, ça me donne de la fierté. Ça me donne de la fierté d'autant plus que je me dis au moins il y en a qui écoutent ce qu'on leur dit. Elles sont présentes. C'est ce que nous avons voulu pour les femmes qui sont là et ont besoin de nous. 

C’est aussi une responsabilité. Tout ce que vous faites comme gestes, tout ce qu’elles entendent, elles prennent cela pour argent comptant. Et donc, on évite de dire des choses qui ne sont pas faisables.

Vous évitez de faire des promesses que vous ne pouvez pas tenir ?

Oui. Et quand on traduit les paroles des visiteurs, on traduit exactement ce que la personne a dit. Parce qu’elles mémorisent tout. Elles n'écrivent pas mais elles enregistrent tout ce qu’on dit. Elles nous rappellent après. Ça me réconforte. Pour moi, c'est vraiment un honneur de voir qu'il y a des femmes qui attendent de nous. 

Est-ce que la prévalence de la fistule a évolué au Niger au cours de votre carrière? Quelles évolutions avez-vous observées ?

Il y a moins de fisules, et les cas sont moins graves aujourd'hui. Avant, on avait des fistules multiples. Maintenant le type de fistule est moins grave, c'est la fistule vésicale. Avant, on avait beaucoup de fistule recto vaginale. Il y avait beaucoup de décès au Niger. On a les dernières statistiques qu'on ne maîtrise pas encore, mais on a quand même une réduction, les décès ont été réduits. Ça déjà, c'est un résultat de voir que même si la fistule est là, au moins, il y a une réduction de la mortalité maternelle et la mortalité en suite de couches. 

Une de nos grandes réussites est que, grâce au fort plaidoyer que Dimol a eu à faire, aujourd’hui, la fistule n'est plus un secret pour quiconque. D'abord, il y a un réseau qui est créé, le Réseau pour l'éradication de la fistule ou REF. Dans les centres mères-enfants partout au Niger on parle de la thématique de la fistule. C'est un résultat pour nous, la fistule a été identifiée comme un problème de santé publique, ça c'est un honneur pour nous. 

Et ce n’est pas qu’au Niger. Je me souviens en 1998 ou 1999, quand j'ai parlé de la fistule lors d'une conférence, il y a un des pays dont le représentant disait : chez moi la fistule n’existe pas. Il ne savait même pas ce que c'était que la fistule. Mais aujourd'hui ce pays reçoit des centaines de millions pour la fistule. Au Burkina tout près, ils ont pris l'exemple de tout ce que j'ai dit. C'est comme si c'était une consultation. Il y a même une dame qui a créé une fondation sur la fistule. Et quand elle m'a vu, elle m’a dit : Mme Traoré, je vous respecte parce que c'est grâce à vous que j'ai eu mes idées de création de la Fondation au Burkina. La fondation s'appelle la fondation RAMA. Ça me fait plaisir. D’ailleurs, on a fait notre atelier de lutte contre la fistule avec un professeur du Nigeria, et ils ont fait un Centre pour la fistule sur le modèle de Dimol. 

Dans la quatrième partie, nous parlerons des femmes qui l’ont inspirée et les changements qu’elle constate vis-à-vis des femmes en tant que participante à la conférence mondiale sur les femmes à Beijing en 1995 mais aussi en tant que défenseuse depuis une décennie contre le stigma attaché à la fistule.

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« Je sais qu’avec mes dix doigts et ma tête, je peux subvenir à mes propres besoins » - Salamatou Traoré (Niger) - 2/4

Nous sommes en conversation avec Mme Salamatou Traoré du Niger. Dans la première partie de notre conversation, nous avons parlé de ce qui a inspiré son choix de construire une carrière dans la santé. Dans cette seconde partie, nous continuons notre discussion avec un focus sur sa carrière dans la santé publique.

Vous m’avez expliqué comment vous avez décidé de commencer une carrière dans la santé publique. Parlez-moi de quelques moments importants de cette carrière.

En 1983, je travaillais dans une maternité publique de référence, d’abord en tant que surveillante. Il n'y avait pas assez d'espace pour toutes les patientes atteintes de fistule: seulement neuf lits alors que le nombre de cas dépassait largement 20 femmes. On allouait les lits pour les cas graves ou urgents, mais toutes les autres étaient obligées d'être dehors, sous les hangars. 

Quand j'ai été promue directrice d'une autre maternité du quartier Lamor Dieng, j'avais 32 lits presque vides, car ils étaient pour les accouchements et il y avait rarement plus d’un accouchement par jour. J’ai donc pris le soin de demander à mon patron qui était également mon professeur, un Français qui s'appelait Docteur Bianchi, si je pouvais faire venir les femmes de l’autre maternité. De 1983 à 1988, elles sont restées avec moi à Lamor Dieng. Là on s'occupait entièrement d'elles. Elles avaient la gratuité de l'alimentation et des produits d'entretien comme le savon, grâce aux dotations de la maternite et les dons qu’on recevait parfois. On corrigeait les infections, et on les préparait à l'opération, et avant leur retour, on leur faisait passer des examens physiques afin d’éviter qu’elles rentrent avec des infections sans même savoir.

C'était vraiment bien et c'est une école que j'ai faite avec ces patientes. Pendant leur séjour, on leur apprenait les règles d'hygiène, les causes et conséquences de ce qu'elles avaient vécu, et comment se préserver après leur retour à la maison. On a fait aussi leur bilan pré-opératoire.

C’est fantastique. 

Mais ça n'a pas duré. Lorsque j'ai été nommée Directrice à la maternité de référence cinq ans plus tard, elles ont été virées de cette maternité à Lamor Dieng et ont dû revenir à la Centrale, sous les hangars. 

Ça reste une grande réussite, malgré les difficultés ! Vous pouvez me parler d’une des décisions les plus difficiles que vous avez pu prendre dans votre carrière dans la santé publique ? 

En 1991, alors que je travaillais comme directrice à la maternité Issaka Gazobi, qu’on appelle aussi la Centrale, j'ai pris la décision de quitter l’administration. J'ai été déçue par mon personnel qui n'aimait pas travailler. Dans mon poste précédent à la maternité de Lamor Dieng, j’avais réussi à convaincre le personnel de l’importance de la salubrité. Dès que j’arrivais, je commençais par vérifier la propreté des toilettes, avant même d’aller dans mon bureau. L'hôpital était aussi propre qu’une clinique privée. 

Quand je suis arrivé à la Centrale, j'ai essayé au maximum d'entraîner le personnel du service public mais je n’y suis pas arrivée. Le vendredi, quand il fallait laver la maternité à grande eau, tout le monde fuyait en donnant des excuses : « Mon mari est malade »; « Je dois amener mon enfant en consultation »… Je me souviens d’un vendredi ou il n’y avait presque personne pour faire le ménage, alors j’ai sorti mon savon (que j’achetais parfois de ma poche) et j’ai fait le ménage moi-même avec trois agents. On a tout désinfecté. 

Je suis rentrée dans le bureau, avec mes vêtements tout mouillés. Je me suis assise et j'ai attrapé ma tête. Je me suis dit : « Au fait, ce que je suis en train de faire dans ce service, ce n'est pas le travail d’une sage-femme, ce n’est pas le travail de ma valeur. Je peux faire plus que  la méchante avec ces gens. » Alors, j'ai pris une feuille. J'ai fait une demande de départ volontaire et je suis allée trouver mon professeur, je lui ai dit : « Docteur Bianchi, je vais partir de la Centrale ». Il m’a écoutée et puis il a éclaté de rire. Il m’a dit : « Moi, je savais que tu perdais ton temps ». C’était un encouragement. 

Aviez-vous du tout les doutes sur votre décision ?

Quand vous êtes en train de chercher une solution, vous ne savez pas ce qui est juste ou ce qui ne l'est pas. A partir du moment où vous trouvez une solution, juste ou pas, vous vous sentez à l'aise. 

Les gens étaient choqués, que ce soit mes collègues ou le staff du Ministère, après réception de ma lettre. « Une directrice qui démissionne ? Comment ça? Pourquoi tu pars ? » Je leur ai dit: « Je n'ai rien de plus que tout le monde, je sais que je rends service à mon État mais chaque chose a ses limites ». La situation m’a dégoûtée parce que je devenais méchante avec tout le monde. Alors j’ai arrêté et je suis partie.

Vous n’aviez pas de craintes pour l’avenir?

J’ai dit : « Je vais créer une clinique privée et voir ce que je peux faire ». Si ça ne marchait pas, en tant que suis sage-femme, je pouvais encore travailler dans d’autres cliniques, c’est quelque chose que je faisais déjà de tenps en temps pour les appuyer pour les accouchements et tout ça. Je sais qu’avec mes dix doigts et ma tête, je peux subvenir à mes propres besoins. J'étais en paix. Je sais que j'ai déçu certains qui croyaient que je tenais à cette maternité en tant que maternité de référence. Mais ils se rendent compte que je suis venue et j'ai fait plus que ça. 

Est-ce qu’il y avait un moment où vous avez senti que d’autres personnes ont vraiment reconnu vos contributions ?

Avant dedémissionner, j’ai rencontré Mme Aïssata Moumouni, la première femme membre du gouvernement nigérien. Nous étions à la conférence sur la maternité sans risque qui se tenait au Niger et à cette époque elle était Secrétaire d’Etat à la santé publique et aux affaires sociales, chargée de la condition féminine. Elle savait qui j'étais grâce aux changements que j’avais fait à la maternité, par exemple pour réduire les risques d’accidents causés par la présence de vendeurs ambulants devant le portail. Elle savait qui j’étais aussi grâce  un article que j’avais écrit sur la santé de la femme dans le journal Femme Action et développement.

Elle a trouvé que j’étais une femme très dynamique, et a décidé de m’envoyer à une conférence régionale sur les mutilations génitales féminines, qui se déroulait au Mali en 1988. A l’époque, tous les pays de la region avaient mis en place un Comité sur les mutilations génitales féminines sauf le Niger. Elle a pensé que j’étais capable de le faire. 

C’est comme ça que le CONIPRAT [Comité Nigérien sur les Pratiques Traditionnelles ayant effet sur la Santé des Femmes et des Enfants] a été créé en 1989. Après la conférence au Mali, j’ai collecté beaucoup d'informations de gauche à droite. J'ai fait le montage et ça a marché. J’étais la Secrétaire Générale et une autre de mes anciennes monitrices était la Présidente. J’y ai travaillé jusqu'en 1996. 

En 1998, j'ai créé une clinique privée et personnelle, Dimol, et c’est parti.

Mme Traoré a fondé le centre DIMOL pour soutenir les femmes souffrant de la fistule obstétricale. Nous parlerons plus du centre dans la troisième partie de notre conversation.

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« Mon père m’a éduquée comme un garçon » - Salamatou Traoré (Niger) - 1/4

Au cours d’un voyage à Niamey en Août 2019, Françoise a pu rendre visite à Madame Salamatou Traoré et son ONG, Dimol. Dans cette conversation, Mme Traoré parle de sa vie et de sa carrière en santé publique (Partie 2), sa mission d’aider les femmes souffrant de la fistule obstétricale à transformer leurs communautés (Partie 3) et ses opinions sur le féminisme (Partie 4).

Bonjour Mme Traoré, et merci de vous prêter au jeu de l’interview Eyala. Pouvez-vous vous présenter brièvement ?

Je m’appelle Mme Salamatou Traoré. Je suis infirmière et sage-femme de formation. Je suis Nigérienne et très à cheval sur la défense des droits des femmes : voilà ce qui me caractérise. Je n’aime pas qu’on sous-estime une femme ou qu’on viole ses droits. Je souhaite vraiment le bien-être des femmes. 

Pourquoi avez-vous voulu devenir infirmière et sage-femme ? Quand est-ce que la santé a commencé à ’être une chose importante dans votre vie ? 

J'étais quelqu'un qui connaissait tous les problèmes de santé assez tôt. Mon papa était militaire et après il a été infirmier dans la vie civile. Il était dans toutes les régions. Il a servi au Niger et au Burkina. Je le voyais souvent aller en brousse, sur son cheval pour faire l'évacuation sanitaire avec son fusil sur l'épaule. S’il revenait avec du gibier, je savais que sa mission était une réussite, car il avait eu le temps de faire la chasse au retour. Si sa gibecière était vide, je comprenais que le malade était mort. 

Lorsque je lui ai fait cette remarque, il a constaté que j'étais très habile, et que je le connaissais parfaitement. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble. Mon père m’a éduquée comme un garçon. C’est moi qui l’aidais pour faire les travaux dans la cour ou pour faire la salubrité du quartier. Je poussais ma brouette et mes balais: je balayais et il ramassait. Je montais sur le toit pour faire des réparations. J'étais comme un petit garçon à côté de lui alors que les garçons de la maison étaient en train de dormir. Je portais ma culotte. J'étais vraiment libre, pas comme toutes les filles. C’est bien après que j’ai compris à quel point mon père était différent dans son rapport aux enfants. Mon père a protégé toute les filles de la famille de l’excision. Dans ma famille, toutes les filles ont réussi. 

Donc votre choix de devenir infirmière, c'était pour rendre hommage à votre père?

Oui. Au moment où j'avais découvert que j'étais admise au concours des infirmiers, il m'a dit : « Salamata, je veux te dire quelque chose. Si réellement c'est l’argent que tu cherches ne va pas à la santé, tu ne trouveras pas l’argent à la santé. Mais si tu veux la reconnaissance et les bénédictions des patients, là tu peux aller à la santé. » Je lui ai dit : « Je veux être comme toi, Papa. »

Mais il y a aussi une autre chose qui m’a convaincue de travailler dans la santé. Un jour, quand j'avais 13 ans, je suis allée à l'Hôpital National pour apporter quelque chose à manger à ma grande sœur qui était de garde au service maternité. Quand je suis arrivée, j’ai vu une fille dans le couloir qui marchait difficilement. Elle avait un tuyau à la main, et elle marchait en s’appuyant sur un bâton et sa maman était là pour l’aider. J’ai remarqué  qu’elle n'avançait pas vite, et qu’il y avait de l'eau qui suintait à son passage. Elle pleurait et tremblait, je sentais qu’elle avait très mal. Quand ma grande sœur est arrivée, et je lui ai demandé ce qu’elle avait, cette petite-là. Elle m’a expliqué: « Ce n'est pas une petite, mais une nouvelle mère. Elle vient d’accoucher mais maintenant elle a la fistule, donc elle n’arrive plus à retenir ses urines. En plus, son bébé est mort. » 

Ça m'a choquée de voir une petite fille toute maigre et plus jeune que moi, qui déjà mariée et avait accouché d'un enfant mort, et maintenant était malade. Moi, la fille de fonctionnaire, j’étais très forte et bien nourrie, mais elle, qui venait de la brousse, elle souffrait et ne pouvait pas retenir ses urines. Je me suis dit là, il y a un problème.

Alors, ça m'a guidée. Arrivée à la maison, j’en ai parlé à mon papa et je lui ai posé beaucoup de questions. J’ai appris que quand l'accouchement est difficile, l'enfant meurt et la femme meurt. Il m’a dit : « cette petite fille, c'est une rescapée de la mort ». J'ai gardé ça en tête, et j’ai dit, moi je vais faire la santé. Au total, j’ai travaillé dans le secteur de la santé pendant 25 ans: huit ans en tant qu’infirmière et sage-femme le reste du temps.

Dans la seconde partie, nous parlerons de la carrière de Mme Traoré dans la santé publique. Cliquez ici pour lire la conversation.

Lisez plus sur la fistule obstétricale ici: Fistule obstétricale | Fonds des Nations Unies pour la population (unfpa.org)

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