« Pour moi, la liberté c’est ne pas avoir à me battre avec qui que ce soit pour quoi que ce soit parce que je suis une femme. » -  Wiyaala (Ghana) 4/4

SOURCE PHOTO : WIYAALA.COM

C’est la dernière partie de notre entretien avec Wiyaala, la lionne de l’Afrique est originaire de Funsi dans la région du Haut Ghana occidental. Icône mondiale, elle se distingue par son timbre de voix particulier, son style unique et son engagement pour aider les filles de sa communauté à réaliser leurs rêves.

Au cours de notre conversation, elle nous a parlé de son enfance et de ses premières influences (Partie 1), et de son parcours en tant qu'artiste, notamment de ses choix audacieux concernant sa musique et son personnage sur scène (Partie 2). Elle parle également du féminisme et du travail qu'elle accomplit pour lutter contre le mariage des enfants et soutenir les filles et les femmes de sa communauté (Partie 3). Dans cette quatrième partie, Wiyaala nous fait part de ses réflexions sur la vie, la liberté et l'impact qu'elle exerce.

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Tu œuvres dans le domaine de la justice sociale, et l'un des sujets qui ressort le plus est celui des mariages d'enfants. Qu'est-ce qui t’as incitée à faire du mariage des enfants l'une des causes que tu défends à travers ta plateforme, ta musique et tes messages ?

J'ai vu des mariages d'enfants à de nombreuses reprises dans ma communauté et dans différentes régions d'Afrique. Et en tant que femme africaine, lorsque tu sors de chez toi, parfois – peut-être même tout le temps – tu es comme une galerie ambulante de tous les problèmes et de toutes les choses qui se sont produites. Beaucoup de gens se demandent probablement si toi aussi, tu y es passée. Tu es dès lors automatiquement transformée en porte-parole. Je pense qu'il y a tant de jeunes filles qui ont probablement encore plus de talent que moi. J'ai eu la chance d'avoir des opportunités qu'elles n'ont peut-être pas eues. Donc, si je me trouve en position de donner un coup de main à une sœur, à une fille, pour lui rendre la vie meilleure, je le ferai.

Dans ma communauté, je ne suis pas la seule fille à savoir chanter. Je suis certaine qu'il y a d'autres filles, mais elles ne le savent probablement pas parce qu'il n'y a pas de plateforme. Personne ne revient dans cette communauté pour leur donner la parole. Tout se fait ailleurs, peut-être dans les grandes villes. J'avais l'habitude de regarder la télévision dans le village, et ils diffusaient des émissions pour enfants. Un jour, j'ai demandé à ma mère quand ils viendraient dans mon village pour présenter l'émission, afin que nous puissions également nous produire. Ma mère s'est mise à rire. Je comprends maintenant pourquoi elle riait. La route qui mène à mon village n'est pas très bonne. Personne ne connaît Funsi. Même quand je suis devenue très célèbre au Ghana, les gens ne savaient pas où se trouvait Funsi jusqu'à ce que je commence à chanter.

Et en quoi consiste le fait de donner un coup de main pour toi ?

Quand je pense à toutes les filles qui n'ont pas eu leur chance, je fais ce que je peux pour leur créer des opportunités.

Lorsque j'étais enfant, j'ai vu presque tous les jours du marché des filles y être emmenées pour être mariées. Un jour, ça a dû être le tour de quelqu'un qui n'habitait pas loin, et on m'a appelée pour voir si je pouvais aider, ce que j'ai fait. Puis j'ai décidé que puisque personne ne venait dans ma communauté et qu'aucun d'entre nous n'avait pu faire quelque chose, j'allais créer cette plateforme que je voulais quand j'étais enfant et que je n'ai pas eue. Nous sommes tous.tes concerné.e.s, mais nous ne pouvons pas tous.tes être à des endroits différents en même temps. Alors, quel que soit l'endroit où je me trouve, je dois peut-être apporter ma petite contribution.  

J'ai donc décidé de créer ces plateformes, en commençant par un centre d'art dans la communauté pour encourager les filles à monter sur scène. J'ai créé une plateforme et nous avons des concours de beauté. Nous organisons des concours de danse. Nous avons un club de théâtre pour encourager les jeunes filles en particulier, mais aussi les garçons, à utiliser ce moyen pour prendre confiance en eux, montrer leur talent à leurs parents, au monde entier, se voir faire et voir les mots d'encouragement qu'ils reçoivent du monde entier. Je pense que cela changera beaucoup de choses que certains d'entre eux ne connaissaient pas. Si j'avais eu cette plateforme enfant, Dieu seul le sait, j'aurais pleuré. C'est ainsi que j'ai commencé à m'impliquer dans la communauté et à défendre la cause des petites filles.

As-tu constaté des changements dans ta communauté, notamment en ce qui concerne le mariage des enfants et sa prévalence ?

Pour moi, l'impact a été considérable. Je l'ai constaté depuis que nous avons créé le Club des filles. En réalité, je n’ai pas créé ce groupe. Lorsque j'ai commencé à rentrer chez moi, un jour, environ sept filles âgées de onze à treize ans sont venues chez moi et m'ont dit : « Grande sœur Wiyaala, nous sommes aussi des danseuses. Nous aimerions que tu sois notre cheffe et que tu nous apprennes à danser. Et quand tu donneras tes spectacles, nous voudrions venir danser pour toi. »

J'ai accepté, et à chaque fois que nous dansions, elles voulaient danser davantage. Nous avons donc créé le Club des filles. Il n'y avait que des filles, et nous avons commencé à nous produire chaque fois que nous le pouvions. Leurs parents étaient contents, et d'autres parents disaient : « mais ma fille sait danser aussi, il faut qu'elle s'inscrive ». Lors de l'une de nos représentations, nous avons eu une discussion avec l'ensemble de la communauté. J'ai donné mon exemple et j'ai expliqué que tous mes talents auraient été cachés si mes parents m'avaient mariée.  Je les ai mis au défi de réfléchir au nombre de rêves de jeunes filles qu'ils ont tués en les mariant. Je les ai encouragés à permettre aux filles d'aller à l'école et d'acquérir des connaissances, afin qu'elles sachent quoi faire en grandissant. Elles auront suffisamment de connaissances pour faire des choix judicieux.  

Cela a-t-il changé quelque chose ?

Le club a changé beaucoup de choses, car je leur ai également dit que leurs enfants devaient être inscrites à l'école pour rejoindre le club. Tous les enfants sont donc retournées à l'école. Certaines sont devenus enseignantes, d'autres vont devenir infirmières, et c'est incroyable. Je n'ai même pas participé financièrement. Certains parents ont vu ce que je faisais, et ils pensent que leurs filles comptent autant que leurs fils. Ils nous ont même demandé d'inclure les garçons, et nous appelons maintenant le groupe "Club des filles et des garçons".  Et c'est vraiment bien, car si vous enseignez aux filles, les garçons devraient aussi se joindre à vous pour que nous nous enseignions mutuellement et que nous changions la mentalité selon laquelle les filles doivent faire des choses parce qu'elles sont des filles, et les garçons parce qu'ils sont des garçons. Nous apprenons comment nous pouvons tous grandir dans une communauté et nous respecter les un.e.s les autres. Nous avons aussi des gens qui viennent toujours nous conseiller et faire des dons pour encourager les enfants, ce qui les pousse à devenir encore plus sérieux. Voilà l'impact pour moi.

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C'est très inspirant. Je sais que tu as abordé la question de la marchandisation du corps des musiciennes et des délais dans lesquels elles s'épanouissent. Tu fais de l'art et tu t’exprimes et parfois les gens décrivent cela comme une provocation pour une femme de ton milieu culturel. Quelle est ta réaction habituelle face à cela ? Et comment réagis-tu à certains de ces commentaires ?

J'accepte les critiques, car avant même de publier une vidéo, je sais qu'elle ne plaira pas à tout le monde. Les gens me disent toujours : « Oh, tu exposes ton corps, tu danses de manière trop sexuelle », etc. J'en suis consciente et c'est mon art. Cela fait partie de mon art. Mes mouvements de danse, mon habillement. Ce que certains considèrent comme l'exposition de mon corps a déjà été fait auparavant. Je ne suis pas la première à le faire. C'est ainsi que je présente mon art. Lorsque je ne suis pas sur scène, je porte mes vêtements habituels. Mais lorsque je monte sur scène pour présenter ma musique et mon art, qui sont liés à ma culture africaine, tous mes costumes s'inspirent des danseurs traditionnels. J'améliore le costume traditionnel pour l'adapter à mon art et à mon corps, car mon corps est différent de celui de n'importe qui d'autre. Alors, quand les gens disent que je m'expose, que mon habillement n'est pas bon, ce sont des hypocrites. Et je refuse d'être d'accord avec eux lorsqu'ils disent que c'est vulgaire.

Nous avons des mouvements sexy et traditionnels, nous avons des chansons sexy traditionnelles que nous chantons si bien. J'apporte la même chose sur la plateforme et je chante notre culture. Alors parfois, je ne me laisse pas impressionner. C'est de l'art, et l'art peut être fou. Je prie toujours pour que tout le monde voie le bon côté des choses, mais en fin de compte, je me suis préparée à ne pas être en colère parce que tout le monde n'est pas toujours d'accord avec vous. Je me concentre sur les personnes qui voient l'art pour ce qu'il est, et j'y consacre mon énergie. Je n'ai pas de temps pour la négativité, car elle me ramène en arrière et c'est un endroit où je ne veux pas aller. J'ai verrouillé cette porte. [Rires]

[Rires] C’était intéressant d'apprendre que tu concevais et cousais tes propres tenues de scène. Comment te sens-tu, en utilisant tes mains et tes nombreux talents pour créer exactement ce que tu veux et te présenter de cette manière ?

Chaque fois que je crée un costume et que je vais choisir le tissu, j'ai le cœur qui bat la chamade. Je vois le motif dans ma tête, la couleur que je veux et la façon dont il va tenir sur mon corps. Je veux toujours que tout le monde sache que j’ai décidé, par défaut, de créer mes propres costumes. Au départ, je ne pouvais pas faire de robe. Enfin, peut-être que je pouvais, mais je ne savais pas. À l'époque, j'allais chez un tailleur ou une couturière et ils savaient que je n'avais pas d'argent, alors ils me faisaient faire des allers-retours. Je ne pouvais m'offrir que le matériel et je leur demandais de m'aider à confectionner les costumes. S'ils étaient d'accord et que je leur faisais part de ce que je voulais, ils refusaient parce qu'ils pensaient que je n'avais pas d'argent et que je ne pouvais donc pas leur demander de me faire des robes courtes.  Ils faisaient simplement la robe qu'ils voulaient et me disaient de la prendre. Je l'emportais alors chez moi et la découpais selon mes désirs. Mais lorsque le tailleur voyait que j'avais coupé la robe, il se mettait en colère. Cela s'est produit deux fois, et j'ai alors réalisé que je n'obtiendrais pas les costumes que je voulais dans les magasins. J'ai donc décidé de fabriquer mes propres costumes. Pour les premiers, j'ai vraiment détruit le tissu. Je l'ai porté ; il était très voyant, mais il m'a permis de me démarquer immédiatement. Certaines personnes l'insultaient et j'ai dû continuer à m'expliquer jusqu'à ce que je dise : « Vous savez quoi ? Je ne vais pas m'expliquer avec qui que ce soit. Si vous ne l'aimez pas, c'est votre problème ».

J'ai continué à le faire et à m'améliorer. Aujourd'hui, j'ai une idée très claire de ce que je veux et je connais mon type de corps, alors je crée ce qui me convient. Aujourd'hui, j'utilise davantage les costumes traditionnels parce qu'ils permettent vraiment de faire coïncider le sens de la danse et la musique. C'est comme si la musique parlait à la robe et que la robe parlait aussi à la musique, et c'est le pouvoir de la musique africaine. Je crée en fonction de la danse. Je fais beaucoup de danses africaines différentes et je danse beaucoup avec mes jambes. Je ne peux donc pas porter quelque chose qui m’empêcherait de bouger les jambes et de sauter. C'est ainsi que je crée mes costumes et j'aime le faire.

C'est génial ! Je sais que tu choisis délibérément d'honorer les traditions et la culture africaines – notamment ta propre culture et tes propres traditions – tout en t’opposant à certaines choses comme les mariages précoces, que les gens considèrent comme faisant partie de notre culture depuis longtemps. Comment trouves-tu un équilibre entre ces deux aspects manifestement importants pour toi ?

Je peux le faire, d'abord avec l'aide des médias sociaux, puis avec les messages de mes chansons. Oui, c'est l'Afrique, et c'est ce que nous sommes. Mais le monde a évolué et nous aussi. Oui, nous sommes instruit.e.s, mais cela ne veut pas dire que je vais me débarrasser de mes vêtements traditionnels et ne porter que des costumes. L'Afrique a changé. Nous avons nos problèmes, mais je vais aussi montrer le côté positif de l'Afrique parce que le côté négatif est montré presque tous les jours. Il y a de grand.e.s Africain .e.s qui réalisent de grandes choses ; il y a de belles villes et de beaux pays en Afrique.

Il y a des problèmes que je n'attends pas que quelqu'un vienne m'aider à résoudre parce que je sais que je peux les résoudre moi-même. Chaque fois que j'ai l'occasion de résoudre un problème, je le fais. Ainsi, le reste du monde sait que nous pouvons faire ce que nous voulons. Nous ne sommes pas parfaits, comme n'importe quel autre continent, mais il ne faut pas projeter uniquement nos mauvais côtés. Cette image nous hantera de différentes manières. Je ne permettrai donc pas que cela se produise. Mais en même temps, je fais de mon mieux pour garder les pieds sur terre parce que je viens d'un foyer qui sera gêné ou un peu triste si je fais des choses inappropriées. Le fait de rester dans ma communauté m'a également permis de garder les pieds sur terre, de toujours me rappeler d'où je viens, la chance que j'ai d'être là où je suis et le fait que je ne dois pas gâcher cette opportunité. Pour certains d'entre nous, des occasions comme celle-ci ne se présentent que rarement.

Ainsi, le fait de garder les pieds sur terre m'a vraiment aidée à équilibrer tout cela. Je suis un être humain et je ne suis pas parfaite, mais je fais de mon mieux. Ce n'est pas facile. C'est pourquoi j'ai hâte de pouvoir encadrer un.e ou plusieurs chanteur.euse.s, afin qu'il.elle.s prennent en charge une partie du travail. Je ne peux pas le faire seule. Je dois impliquer davantage de jeunes femmes et même de jeunes hommes pour qu'ils me rejoignent dans la diffusion de ces messages. J'espère et je prie pour trouver la force et l'énergie de faire tout cela avant d’être rappelée par le Seigneur un jour. (Rires)

Nous espérons qu’encore beaucoup d’années s’écouleront avant ça. Tu as abordé un sujet très important, à savoir l'aide aux autres jeunes, et j'avais une question concernant ton lien avec ta communauté. Nous avons vu des vidéos de toi marchant le matin pour aller chercher ton Waakye[1] et l'apprécier. Comment ta communauté t’a-t-elle soutenu avec ta musique et les causes que tu défends ?

Le soutien que je reçois de la communauté est solide depuis trois ou quatre ans. Ce n'était pas le cas lorsque je suis rentrée chez moi. Les membres de ma communauté n'étaient pas prêts à croire que j'étais revenue chez moi et que je me mêlais encore à eux. Ils disaient des choses comme : « Tu es allé sur la terre de l'homme blanc. Tu es allée au paradis et tu reviens dans cet enfer. Cette fille n'est pas sérieuse ». Lorsque j'ai commencé avec les filles qui dansaient, certains parents n'étaient pas très contents. Ils pensaient que j'avais échoué et que j'étais venu utiliser les enfants du village à mon propre profit. Ils voulaient me voir vivre la "belle vie" en Europe, pour croire qu'eux aussi pouvaient y aller. Mon retour n’avait rien d’inspirant pour eux.

J'ai décidé de ne rien dire. Tout comme mon nom[2], celui qui agit sait ce qu'il fait. J'ai rejoint mes sœurs et nous avons démarré notre propre projet. Nous avons rénové de vieux bâtiments nous-mêmes et, au bout de quelques mois, les gens ont commencé à voir quelque chose. Ils se sont dit : « Attendez un peu. Nous pensons que cette fille fait quelque chose de bien. Nous ne devrions pas être comme ça. Aidons-la. » Lorsque nous avons construit le centre d'art et que je leur ai expliqué à quoi il servait, ils ont reconnu que nous n'avions même pas d'endroit où nous réunir pour nous divertir. Ils sont donc venus et ont travaillé gratuitement. Les femmes allaient chercher l'eau et les hommes construisaient. Tout a changé.

Maintenant, si j'ai un programme avec les enfants, j'ai toujours de jeunes garçons qui viennent me demander : « De quoi avez-vous besoin ? » Et avant qu'ils ne s'en rendent compte, des gens venaient de différentes parties du monde à Funsi pour voir les enfants jouer. Funsi est désormais sur la carte. C'est simplement quelque chose que nous avons décidé de faire ensemble. Je peux dire en toute confiance que les habitants de Funsi nous ont beaucoup soutenues. Le Ghana nous a beaucoup soutenues. Et les choses se passent bien. Les membres de ma communauté me soutiennent et me protègent. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, il vous suffit de le dire et ils sont là pour vous aider. Ils ont vu les résultats de l'impact que nous avons sur la communauté. C'est donc devenu positif.

Je suis ravie que les réactions aient pris une direction positive. Lors d'une précédente interview, tu as déclaré : « Je veux mettre en avant la liberté d'être libre, de faire des choses en tant que jeune femme ». Cela m'a interpellée, car mon féminisme est axé sur la liberté, la libération. Il s'agit de pouvoir faire ce que je veux et de réaliser mes rêves sans les limites qui m'entourent, simplement parce que je suis une femme. À quoi ressemble la liberté pour toi ?

Oh, wow ! Pour moi, la liberté c'est... avant tout, je suis heureuse. Je suis à l'aise et confiante. Je n'ai pas à me battre avec qui que ce soit pour quoi que ce soit parce que je suis une femme. Les ressources me sont accessibles, je peux les exploiter sans être remise en question juste parce que je suis une femme. On m’écoute et on me prend très au sérieux, parce que j'ai aussi de bonnes idées. Et les gens sont prêts à me soutenir parce qu'ils savent que j'ai du talent, et pas seulement parce que je suis une femme.

Je devrais pouvoir dire ce que je pense en toute confiance sans que quelqu'un vienne me dire : « Tu es une femme, tu n'as pas le droit de dire ça ». Mais surtout, tout ce qu'un homme peut faire, je le ferai aussi sans être jugée. Je dis toujours que les hommes et les femmes sont différents. Il y a certaines choses que l'un peut faire et que l'autre ne peut pas faire, et c'est dû à la façon dont nous sommes né.e.s... à la nature. On ne peut pas lutter contre la main de Dieu. Mais en fin de compte, nous sommes tous.tes des personnes et nous devrions être libres, avoir des chances égales et pouvoir essayer.

La liberté, c'est tout ce que j'ai mentionné : le bonheur, la liberté de penser, la liberté de parler, la liberté de choisir qui je veux épouser, la liberté d'avoir un enfant quand je le voudrais... la liberté. La liberté signifie également que je dois prendre mes responsabilités et faire des choses que j’estime positive.

Et si tu avais toute la liberté du monde aujourd'hui, que vous ferais-tu ?

[Rires] Je ne sais même pas ce que je ferais si j'avais toute la liberté du monde. Je répandrais autant d'amour que possible. L'amour apportera la paix, la joie et le travail. Il mettra fin aux égos, aux mépris et aux guerres. Quand il y a de l'amour, tout le monde est calme. Avec l'amour, on dit que tout est possible. Tout le monde fera quelque chose de positif. Je répandrai beaucoup d'amour.

C'est beau. Et cela me rappelle que tu as dit que tu aimais les motos. Parle-nous un peu plus de cet amour.

J'ai grandi en conduisant des motos et en faisant des courses. Je pense que l'une des premières choses que beaucoup de jeunes – hommes et femmes – utilisent dans ma région est une moto. Tout le monde roule, et vous n'avez même pas besoin d'un professeur. On apprend à le faire tout.e seul.e. Beaucoup d'entre nous commencent à rouler avant même d'avoir le permis. C'est pourquoi certains d'entre nous aiment vraiment les motos. En fait, nous adorons les motos. Elles sont numéro un, avant même les voitures.

Dans ma communauté, si tu veux vraiment impressionner quelqu'un, tu lui offres une moto et tu vois la joie sur son visage. Nos routes sont telles qu'une moto est plus rapide qu'une voiture, alors tout le monde aime ça. J'ai un autre niveau d'amour pour les motos, parce que lorsque tu conduis une moto, c'est comme si tu étais au sommet du monde. Tu es libre, tu voles et tu peux sentir l'air sur ton visage. Les motos me donnent ce sentiment de liberté. Je suis aux commandes et je vais où je veux.

C'est une très belle façon de conclure notre conversation, prendre la moto comme symbole de la liberté. Mais avant cela, je vais poser notre question finale à Eyala : Quelle est ta devise de vie féministe ?

Je dirais : « Osez être différent.e ». Et cela m'est venu des mots des gens. Ils me disaient : « Tu es tellement audacieuse et différente. Tu ne soucies pas de ce que les gens disent. Tu fais les choses d'une manière différente ». N'ayez pas peur d'être différent.e lorsque vous agissez. Ne demandez pas la permission. Souvent, c'est ce que nous faisons et nous sommes retenu.e.s. Contentez-vous de le faire. Quand on est différent.e, c'est bien. Alors, osez être différent.e. Allez-y.  Voilà qui je suis.

Merci beaucoup Wiyaala. J'ai vraiment apprécié cette conversation et j'espère que toi également. Y a-t-il quelque chose qui t’a traversé l’esprit lors de cet entretien et que tu t’es dit « J’en parlerai », mais que nos questions n'ont pas permis d'aborder ? C'est le moment de partager.

Qu'est-ce que je peux dire ? Je pense que j'ai presque tout dit. Oui, je sais que les gens veulent parfois savoir si je suis mariée ou non. C'est un autre aspect de ma liberté d'esprit et une question à laquelle je réponds toujours : « Quant à celle-là, je préfère garder la réponse privée ».

[Rires] Et c'est une question que nous ne posons délibérément pas. Nous sommes donc d'accord pour garder cette question privée.

Merci Jama !

Merci pour le travail que tu accomplis afin d'influencer des vies et de changer les communautés et les mentalités. Merci beaucoup, Wiyaala.

[1] Plat populaire composé de riz et de haricots cuits, vendu en bordure de route.

[2] Wiyaala signifie « celle qui agit ».

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Pour en savoir plus sur Wiyaala, rendez-vous sur son site web et sur ses réseaux sociaux @Wiyaala.

« Mon féminisme consiste à m'autonomiser et à autonomiser la prochaine génération de jeunes femmes » - Wiyaala (Ghana) 3/4

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Notre conversation avec l'emblématique Wiyaala se poursuit. Dans les parties précédentes, elle nous a fait part de ses souvenirs d'enfance et de ses premières influences (Partie 1), ainsi que de son choix de chanter dans sa langue, de l'accueil réservé à sa musique dans différentes régions du Ghana et dans le reste du monde, et de certains des défis auxquels elle a été confrontée (Partie 2).

Dans cette troisième partie, nous allons plus loin autour de ses expériences en tant qu'artiste féminine dans une industrie dominée par les hommes, elle dévoile également ses idées sur ce que les femmes peuvent faire pour résister à la misogynie dans l'industrie de la musique et s'y épanouir. Nous explorons également ses idées sur le féminisme et la manière dont elle se présente en tant que féministe dans les espaces qu'elle crée et auxquels elle a accès.

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Je suis curieuse de savoir quelle a été ton expérience dans un secteur dominé par les hommes. As-tu été confrontée à des difficultés spécifiquement liées au fait d’être une femme qui s'épanouit dans une industrie contrôlée par les hommes ?

Ô que oui ! Dès que j'ai commencé à travailler dans l'industrie, j'ai été confrontée à ce problème. En fait, c'était tellement sous mon nez que pouvais presque le toucher. Ce sentiment... on pouvait presque le toucher.

Comment as-tu vécu cela ?

Dans les chansons que l’on s’apprête à chanter, certains ingénieurs tentent de réarranger vos chansons pour te sexualiser pour faire vendre. Ils ne s'intéressent qu'à ton joli visage et à la manière dont ils peuvent utiliser ta sexualité pour faire de vous un sex-symbol. Beaucoup de femmes nous voyaient, nous les artistes, comme des gens qui étaient là pour le plus offrant. Elles nous voyaient comme des musiciennes à la recherche d'un homme riche à épouser, pour ensuite disparaitre. Il y avait cette croyance – et je pense qu'elle existe toujours – qu'une femme ne peut pas évoluer dans l'industrie. Nous sommes perçues comme étant trop fragiles, pas assez fortes. Ainsi, lorsque tu entres dans un espace et qu'il n'y a que des hommes, ils essaient de te décrédibiliser. Mais nous sommes toutes ici pour faire des affaires. Si je peux porter un bébé dans mon ventre et donner la vie, pourquoi croyez-vous que je ne puisse pas gérer le secteur de la musique ? Il n'y a rien qu'une femme ne puisse gérer.

Ce n'était pas facile. Ils tentent de te sexualiser et d'influencer ta façon de t’habiller. Quand tu te produis sur scène, ce sont surtout les hommes ou les jeunes garçons qui viennent te voir. Lorsque tu commences à "réussir", les gens commencent à te harceler pour devenir mère. Ils disent des choses comme « ton horloge tourne ». Je dis toujours : cet utérus m’appartient. Je décide de ce qui va y vivre. Peut-être que je ne suis pas encore prête. Peut-être que je ne peux pas avoir d'enfant. Peut-être que j'ai déjà un enfant, ou peut-être que j'ai adopté.  Nous venons tous d'horizons différents et nous avons des choses que nous pouvons faire passer avant d'autres.

J'entendais aussi dire : « Ton teint est trop foncé, tu devrais éclaircir ta peau ». Aujourd'hui, personne n'a essayé de le faire avec moi. Ma peau a changé et j'en suis très heureuse. Mais dans le passé, on m'a encouragée à me blanchir la peau et j'ai refusé. Je ne toucherai pas à ma peau si précieuse. Voilà qui je suis. Si vous ne m'aimez pas, je suis sûre que d'autres m'aimeront.

C’est fou de voir ce à quoi les artistes féminines sont confrontées, à la fois dans l'industrie et au sein du grand public.

Oui, on m'a même dit que je devais augmenter mes fesses. Que si j'avais de grosses fesses, je pourrais les remuer. Mais je suis là pour chanter et je ne chante pas avec mes fesses. Quelqu'un m'a aussi dit de ralentir et de prendre mon temps, parce que les choses que les gens me conseillaient de faire étaient comme des paroles en l’air qui disparaitraient rapidement. Que j’étais remplaçable. Que l'industrie ne m’accorderait qu’une courte période de succès avant de passer à quelqu’un d’autre.

Je pense également que la raison pour laquelle le secteur reste dominé par les hommes et qu'il est devenu difficile d’y percer est que presque tous les postes sont occupés par des hommes. Je ne sais pas si c'est parce que les femmes ne sont pas intéressées par ces rôles, ou parce que nous avons nos propres façons de gérer ces rôles, mais nous ne nous mettons pas en avant. Par exemple, j'avais l'habitude de puiser des idées auprès des hommes avec lesquels j'ai commencé. Presque tous avaient au moins un ordinateur portable dans leur chambre où ils pouvaient créer leurs propres rythmes avant de les amener au studio. Mais beaucoup d'artistes féminines s'en remettaient aux ingénieurs pour obtenir de l'aide. Les gars achetaient des ordinateurs portables et d'autres instruments pour apprendre à faire des choses basiques. Cela m'a vraiment motivée et j'ai commencé à réinvestir en moi-même. J'ai décidé d'acheter un ordinateur portable et une guitare pour pouvoir écrire et composer mes propres chansons. Je suis devenu très douée à la guitare, et certains de ces gars sont aussi d'excellents ingénieurs du son aujourd'hui.

Que peut-on faire pour que davantage de femmes du secteur investissent dans l'apprentissage et la croissance de la même manière ?

Je crois simplement que nous, les femmes, pouvons faire les choses selon nos propres conditions, à notre manière, avec notre propre énergie et en créant l'environnement adéquat. Nous avons besoin de femmes ingénieures et productrices. Il n'y en a pas beaucoup. Je ne sais pas combien de femmes sont propriétaires de maisons de disques, mais nous avons besoin de femmes à tous ces postes. Nous pouvons apprendre beaucoup de ces choses en ligne. Nous pouvons investir dans l'équipement. Nous pouvons abolir l'idée qu'il suffit juste d'être un « joli minois » dans l'industrie.

Et lorsque nous aurons acquis de l'expérience et que nous serons parvenues au sommet, nous créerons l'espace nécessaire pour aider une autre femme. Ainsi, lorsqu'une sœur viendra nous voir, il y aura une entraide mutuelle et nous éliminerons certaines choses qu'un homme a pu essayer de faire et qui n'ont rien à voir avec la musique. Si nous sommes nombreuses à faire cela, nous pourrons aussi dominer à notre manière. Les hommes peuvent faire ce qu'ils veulent, nous pouvons aussi faire ce que nous voulons et nous nous rencontrerons à mi-chemin.

Je pense que cela peut être un défi, surtout après avoir entendu certaines des expériences que tu as partagées. Mais il se peut très bien que ce soit LE défi à relever pour changer la réalité actuelle.

Ce n'est pas un travail d'un jour. Quand on reste fidèle à soi-même et qu'on avance pas à pas, on se construit et on grandit. Lorsque vous aimez quelque chose, profitez-en. Ça grandira avec vous et plus le temps passera, plus vous vous améliorerez. Et ce sera pour toujours.

En fin de compte, je peux aussi aider quelqu'un. Je peux aider une sœur. Parce que le voyage n'est pas facile. Il n'a pas été facile, mais avec le recul, j'ai survécu. J'ai survécu.

Tu l’as fait, et d'une manière si belle et si puissante. Certaines personnes doivent travailler dur pour que d'autres n'aient pas à souffrir des mêmes choses... Parlons du féminisme. Te considères-tu comme féministe ?

C’est ce que je dis toujours. Je dis à quelqu'un que je suis une femme. J'ai mes droits et aussi mes responsabilités. Je ferai de mon mieux. Je ferai ce que j'aime. Vous ne m'arrêterez pas et vous ne me mépriserez pas parce que je suis une femme. Je vous respecterai, mais vous me respecterez aussi. J'oserai rêver et parfois me démarquer et être différente. Et vous ne me ferez pas taire.

Si cela et tant d'autres choses positives peuvent ressortir avec force et intimider n'importe quel homme à me traiter de féministe, alors oui, je suis une féministe.

Quand en es-tu arrivée à cette prise de conscience ? Est-ce à cause d'un événement survenu dans ta vie ou de choses que tu as observées autour de toi ?

Je ne savais même pas que le mot "féministe" signifiait toutes ces choses qu'une femme défend. Je pense que j'ai été féministe dès le départ, parce que je n'ai pas choisi une voie ordinaire. J'ai joué au football. Je suis musclée. J’aimais ça, je ne l'ai pas caché. Si vous êtes un homme et que vous êtes grossier avec moi, je vous répondrais avec la même énergie, au point que j’en suis venue aux mains avec certaines personnes. En grandissant, je ne faisais rien d’habituel, surtout parce que je suis une femme. Et ce n'était que des choses que je faisais par passion et par amour.

Aujourd’hui, je regarde en arrière — et même ce que je fais maintenant — et je réalise à quel point ça a été difficile. Les gens disaient que j’étais têtue et que personne ne m'épouserait parce que je n'écoutais pas et que je montrais mes muscles. On m'a dit que j'étais trop indépendante et que je devais laisser de la place aux hommes pour qu'ils m'aident parce que j'avais besoin d'eux. On m'a également dit que j'étais "trop savante", une expression qui désigne les personnes qui se croient plus intelligentes que les autres. C'est grâce à tout cela que certaines personnes se sont rapprochées de moi, et j'ai toujours résisté.

Quand j'ai enfin entendu le mot "féministe" et que j'ai compris ce qu'il signifiait, je me suis dit : « Eh bien, je crois que je suis féministe ». Et si quelqu'un ne l’accepte pas, c'est son problème. Je suis féministe. Mon féminisme consiste à me donner du pouvoir et à donner du pouvoir à la prochaine génération de jeunes femmes qui veulent elles aussi se lancer et bâtir pour elles-mêmes, parce que c'est possible. Je sais que c'est difficile, mais ce n'est pas aussi difficile que certaines personnes essaient de le faire croire. C'est pourquoi je sais que je suis féministe et je le dis toujours.

Je pense que c'est une histoire que de nombreuses féministes partagent. Nous y avons cru pendant longtemps. Mais nous ne savions pas qu'il existait un nom pour cela. En parlant de noms, tu es connue comme "la lionne de l'Afrique" et c'est ainsi que tu t’es présentée au début de cette conversation. As-tu choisi ce surnom ou t’a-t-il été donné ?

Eh bien, deux choses. Tout d'abord, j'ai choisi ce nom à cause de l'Afrique. Les lions vivent en Afrique et sont considérés comme les rois de la jungle. Être la lionne, fait de moi la reine. J'en suis très, très fière. Et j'ai choisi cela parce que lorsque je sors, oui, je suis une Africaine et je suis ici, mais ne pensez pas que je peux être manipulée. Vous n'allez pas me regarder de haut et essayer d'être raciste. Je suis la lionne de l'Afrique, la reine de l'Afrique, et je suis ici pour vous parler de mon continent. Je rugirai et vous entendrez mon nom. Je ne suis pas contre vous. Je suis juste ici pour me faire des ami.e.s, faire de la musique et partir. Je ne viens pas pour vous intimider. N'ayez pas peur de moi. Je ne vous prendrai rien. Soyons ami.e.s et avançons ensemble.

Lorsque certaines personnes m'appellent, elles s'attendent à ce que je vienne en tant qu'Africaine avec une calebasse. Cela correspond à l'image qu'ils se font d'un.e Africain.e qui n'est pas éduqué.e et qui n'est qu'un objet de curiosité. C'était donc l'occasion pour moi d'embrasser mon africanité avec fierté et de leur montrer. Je suis africaine ! Je vais vous parler de l'Afrique. Mais je ne le ferai pas avec de la haine et du racisme ou en étant imbue de ma personne. Je prendrai mon temps pour vous faire découvrir mon continent. Je suis en mesure de changer les choses, et ce changement doit commencer par moi. Mon attitude. Ma mentalité. Je ne suis pas mentalement esclave de qui que ce soit et je ne suis pas née esclave. Et personne ne me mettra en cage.

Tu te rends compte que tu es comme une galerie et que tu as l'occasion de présenter l'Afrique sous un jour favorable. Et je ne plaisante pas avec ces moments. Je fais savoir aux gens que c'est ce que nous sommes. Je suis fière d'être Africaine et de chanter dans ma propre langue. Et j'apprécie aussi le fait qu'il y ait tant de gens qui écoutent, soutiennent, achètent et veulent vraiment en savoir plus sur l'Afrique. En fin de compte, nous sommes amie.s. Et vous savez, la lionne est forte, elle est indépendante, c'est un animal très majestueux et très intelligent. Elle peut chasser toute seule. Elle n'a pas besoin du lion pour cela. Elle met au monde ses lionceaux et s'en occupe. Pour moi, toutes les femmes africaines sont comme ça. Nous sommes toutes des lionnes à part entière.

Dans la dernière partie de cet entretien, nous discutons avec Wiyaala du travail qu'elle accomplit dans sa communauté pour élever les filles. Elle nous parle de l'impact de ses actions, du soutien qu'elle reçoit de la communauté et de sa vision de la liberté pour elle-même et pour toutes les filles et les femmes. Cliquez ici pour lire cette partie.

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« J'ai compris que je devais chanter dans ma langue pour toucher mon peuple » - Wiyaala (Ghana) 2/4

SOURCE PHOTO : WIYAALA.COM

Nous nous entretenons avec Wiyaala, la Lionne de l'Afrique et icône mondiale de la musique, originaire de Funsi dans la région du Haut Ghana occidental. Dans la première partie, elle a partagé avec nous ses souvenirs d'enfance, ainsi que les personnes et les lieux qui ont inspiré son parcours.

Dans cette deuxième partie, Wiyaala nous parle du lancement de sa carrière, de ses choix audacieux en matière de langue et d'apparence, et des défis qu'elle a dû relever pour se faire une place au Ghana et dans le monde.

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Tu es décrite comme la seule femme au monde à chanter en sisaala. Qu’est-ce qui a inspiré ce choix ? Est-ce lié à cette idée de de rester connectée, ancrée dans ses origines ?

Oui. C'était une décision intentionnelle, et je pense que j'ai été inspirée par Madonna, mais pas vraiment influencée par sa vie réelle, sa façon de s'habiller ou de parler. Je ne pense pas avoir jamais été influencée par quelqu'un au point de le copier. Elle m'a inspirée par sa musique et sa danse, mais quand j'ai commencé à chanter, je n'étais pas du tout comme elle. Ma voix était différente. Et je chantais dans ma langue.

Je parlais déjà anglais et je pouvais écrire en anglais. Lorsque j'ai écrit ces chansons en m’inspirant de Madonna, j'ai donc dû les chanter en anglais. Plus tard, j'ai commencé à chanter uniquement en anglais parce que je n'avais, malheureusement, pas accès aux vidéos des musiciens africains qui chantaient dans leur propre langue. Je ne connaissais même pas Angélique Kidjo et Brenda Fassie. Je n'en avais jamais entendu parler. Je ne les avais jamais vues. Tout ce que je voyais, c’étaient des Afro-Américains ou des Américains blancs qui chantaient. Il m'a donc fallu beaucoup de temps avant de voir des femmes africaines chanter avec plus de puissance. Il n'y avait pas d'internet à l'époque et je n'avais donc pas accès à des vidéos. La seule fois où j'ai entendu des femmes africaines chanter, c'était avec les Shaka Bundu Girls. C'est sur ces mélodies que nous dansions au village.

J'ai donc commencé à chanter en anglais, et c'était bien. Quelques personnes sympathiques m'ont encouragée, mais elles complimentaient uniquement. Elles me disaient : « Wow ! Tu as du talent. Continue. Tu peux chanter en anglais, ta voix ressemble tellement à Céline Dion et aux chanteuses pop du monde entier. Je ne pense pas que tu puisses avancer dans cette partie du monde. Si seulement tu étais née en Amérique, tu aurais eu une carrière à la Céline Dion ». C'est ce que j'ai toujours entendu. Je pense que ces personnes voulaient bien faire, mais une partie de moi se disait : « Non, je n'ai pas besoin d'aller en Amérique pour réussir. Vous devez aussi apprécier ce que je fais ».

C'est à ce moment-là que tu as pris la décision de chanter en Sisaala ?

À un moment donné, j'ai décidé d'aller au studio pour enregistrer mes chansons. Je n'avais pas d'argent, alors j'ai dit à l'ingénieur du son que je chanterais s'ils avaient besoin d'une choriste. En échange, je pouvais enregistrer mes chansons. Lui et un producteur qui était là m'ont dit que j’avais réellement une belle voix. Il a également dit la même chose à propos du fait d'être en Amérique. Mais il m'a aussi demandé de chanter dans ma langue pour qu'ils puissent se faire une idée. J'ai écouté ses conseils et ma voix s'est encore améliorée. Et c'est ainsi que cela s'est passé !

J'ai compris que je devais chanter dans ma langue pour toucher mon peuple. Si je chante dans une langue qu'ils ne comprennent pas, ils ne se rendront probablement même pas compte de mon talent. Lorsque j'ai commencé à chanter dans ma langue, les habitants des villages et des villes alentour étaient très heureux. Et ils parlaient aussi du message de ma musique. C'est à ce moment-là que la magie a opéré au sein de ma communauté et que j'ai explosé localement. Bien sûr, je ne gagnais pas d'argent, mais j'étais populaire. Tout le monde disait : « Wiyaala, tu sais chanter ! ».

Quels étaient les messages de ta chanson à l'époque ? Il semble qu'il y ait eu un lien très fort entre les deux.

Sans raison particulière, j'ai choisi de chanter des choses positives... sur l'éducation. J'ai même écrit des chansons sur l’époque où l'on m'a demandé de prendre mes études au sérieux. J'ai donc fini par devenir la "chanteuse des choses positives". La première fois que j'ai essayé de chanter des chansons sexy, j'ai eu quelques réactions négatives, mais peu à peu, les gens se sont habitués à moi et ont dit « C'est une artiste ».

Certaines décisions ont donc été prises délibérément. J'en suis arrivée à un point où je savais que je devais chanter dans ma langue si je voulais vraiment que mon peuple perçoive mon talent et me soutienne. Lorsque j'en ai eu l'occasion, j'ai commencé à ajouter l'anglais que je faisais déjà. Ils ont alors réalisé : « Elle ne va nulle part, elle est là pour durer ».

Comment s'est déroulé le passage de la popularité au sein de ta communauté et de l'appréciation de ta musique par tes concitoyen.ne.s au statut d'icône mondiale que tu occupes aujourd'hui ?

Eh bien, l’inverse s’est produit. Lorsque j'ai quitté ma communauté et que j'ai continué à chanter dans ma langue, les sons et les rythmes étaient incroyables. J'ai eu la chance de rencontrer mon manager John, qui a décidé d'investir dans le son parce qu'il était génial. Mais après avoir joué pendant un certain temps, la production devait être améliorée. Il m'a dit : « Ta voix est aussi bonne que celle de n'importe quel autre artiste dans le monde. Tu dois investir dans le son. S'il s'agit d'une production locale, nous suivrons la même production et les mêmes rythmes que dans votre pays, mais nous les adapterons aux normes internationales ».

Cela m'a permis de me rendre dans les grandes villes, y compris au Ghana. Cependant, un nouveau problème est apparu. Les gens me disaient : « Nous ne vous comprenons pas. Les chansons sont belles, mais nous n'avons pas la moindre idée de ce dont vous parlez, alors nous ne pouvons pas les jouer pour vous. » Aujourd'hui, lorsque tu vas à l'étranger, les gens se fichent de ne pas comprendre la langue. Ils peuvent simplement ressentir la beauté de l'art à travers ma voix, l'émotion et l'instrumentation. Et pour couronner le tout, je suis arrivée sur la scène musicale en tant que femme africaine qui n'essayait même pas de devenir quelqu'un. Je n'imitais personne. Je suis juste là pour être heureuse, faire de la musique et me faire des ami.e.s. Je suis une simple fille Sissala qui poursuit ses rêves et j'espère que je rencontrerai des gens sympas comme moi. Les gens à l'étranger ont vite compris.

Et ce n'était pas le cas au Ghana ?

Dans certaines régions de mon pays, les gens ont refusé de jouer mes chansons si je ne chantais pas dans leur langue, et pas seulement en anglais. J’ai réalisé qu'il s'agissait de l'habituel : « OK, tu n'es pas de cette région ou du même groupe ethnique ». Et c'est quelque chose qu'ils font entre eux... Nous le faisons tous.tes au Ghana. Ce n'est que récemment que les gens ont abandonné l'idée et se sont dit « si nous décidons tous.tes d’arrêter le tribalisme, cela commence maintenant. Il faut arrêter et profiter de la musique ». Ce n'était donc pas vraiment un problème sur la plateforme internationale. Dans ma région, j'étais également très populaire. Mais ce n'était pas la même chose dans les grandes villes de mon pays.

Peu à peu, les gens se sont rendu compte que je chantais, et ils ont peut-être commencé à se sentir gênés que des personnes étrangères au Ghana chantaient et dansaient sur les rythmes de notre pays alors qu’eux ne le faisaient pas. Je pense que cela a contribué à changer la perception de nombreuses personnes au Ghana. En fin de compte, tout le monde m'a acceptée telle que je suis. Et grâce à l'éducation que l'on m'a encouragée à prendre au sérieux, j'ai pu communiquer ces chansons sur scène et les expliquer à la foule en anglais, une langue très répandue dans le monde.

Cela m'a aidé et aujourd'hui, je peux choisir de chanter en anglais ou dans ma langue. Je peux toujours m'exprimer. C'est pourquoi je dis toujours à toutes les jeunes filles : quel que soit votre talent, obtenez autant d'informations et instruisez-vous autant que possible. Il est possible que ce que vous allez apprendre ne provienne pas uniquement de la salle de classe, mais prenez-le et ajoutez-le à votre art. Cela vous mènera loin.

Tu as mentionné l'accueil initial dans la grande ville ghanéenne, et du fait que cela a pu être dû à tes origines : le nord du Ghana. Penses-tu que le changement de relation avec ta musique a également influencé un changement de perception ? Dirais-tu que ta musique contribue à combler le fossé ?

Le nord du Ghana a toujours été considéré comme la région la plus pauvre du pays. En fait, il était – et est toujours – considéré comme la région la plus jeune. C'est donc comme si le plus jeune obtenait toujours tous les restes. À moins d’être l’enfant préféré.e de vos parents, ce qui signifie que quelqu'un qui participe aux décisions est originaire de votre région, et que vous êtes donc prioritaire. Malheureusement, le Nord semble toujours être le dernier à bénéficier de tout ce qui a trait au développement.

Les choses ont beaucoup changé aujourd'hui, mais à l'époque de mes débuts en tant qu'artiste, cela m'a réellement affectée. Malheureusement, les quelques Nordistes qui ont commencé à chanter n’étaient pas allés à l'école et ne parlaient pas très bien l'anglais pour s'exprimer. C'était très évident lors des interviews, en particulier à la télévision, lorsqu'ils parlaient et que l'on voyait immédiatement qu'ils n'avaient pas reçu une bonne éducation formelle. Mais lorsqu'ils s'expriment dans leur propre langue, les messages de leur musique sont pleins de sagesse. On sait qu'ils sont intelligents, mais qu'ils n'ont pas eu la chance d'aller à l'école. Il y avait également beaucoup de pauvreté.

Donc, quand je suis arrivée sur le devant de la scène, les gens s'attendaient à ce que ce soit également mon cas. Malheureusement, je n'étais pas la Nordiste qu'ils avaient en tête. Lorsque j'ai commencé à parler, tout le monde s'est tu. J'ai donc profité de l'occasion pour informer les gens sur le Nord. Tu serais surprise d'apprendre qu'il y avait des gens au Ghana qui ne pensaient pas que j'étais ghanéenne. Les gens de l'industrie du divertissement pensaient que j'étais née au Nigeria, en Afrique du Sud, au Togo ou au Burkina Faso parce qu'ils ne savaient même pas qu'il existait un endroit appelé Funsi. Tout ce qu'ils connaissent, c'est le Nord, et quand ils disent "Nord", cela signifie une ville ou une région : Tamale et nous parlions tous le dagbani. Ils ne savent pas du tout que nous avons quatre régions du nord et que nous parlons tous.tes des langues différentes. Les cultures sont similaires, mais tellement différentes. Mais ils m'ont presque enfermé dans une case : « Tu es une Nordiste, donc tu dois parler l’haoussa indigène ». J'ai réalisé que c'était l'occasion d'éduquer de nombreux Ghanéen.e.s qui ne savent rien de mes origines.

As-tu constaté des changements ?

J'ai commencé à beaucoup promouvoir le Nord. Nous nous améliorons. J'ai également réalisé qu'à chaque fois que je rentrais chez moi, je devais faire savoir aux gens d'où je venais. Il n'y a rien de gênant à cela. Faites connaître vos racines à tout le monde pour qu'en fin de compte, nous sachions que nous sommes tous.tes pareil.le.s et que nous partons tous de quelque part. Je ne suis qu'une fille ordinaire qui a décidé de se lancer.

Au début, j'ai considéré que cela allait de soi. Je rentrais chez moi et vivais ma vie, et quand il fallait repartir pour une prestation, je le faisais. Puis un jour, je suis rentrée chez moi et j'ai montré ma maison ; tout le monde était choqué. C'était l'occasion de montrer au reste du monde et au Ghana que c'est Wa, et non Tamale. Tamale est différent ; le Haut Ghana oriental est différent. Mais je veux toujours montrer les choses sous un jour positif. Car si je prêche la paix et que je ne suis pas moi-même pacifique, suis-je authentique ?

Dans la troisième partie de notre conversation, Wiyaala partage son expérience en tant qu'artiste féminine à succès dans une industrie dominée par les hommes, ses idées pour la croissance et le développement des femmes dans la musique, et ses propres définitions de son féminisme. Cliquez ici pour lire la suite.

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« Je suis juste une simple fille Sissala qui poursuit ses rêves » - Wiyaala (Ghana) 1/4

SOURCE PHOTO : WIYAALA.COM

Pendant des siècles, les femmes africaines ont utilisé leurs voix et leurs talents pour mener et influencer le changement dans leurs communautés. L’art demeure un outil puissant pour la justice sociale, et les artistes, à travers le continent et la diaspora, continuent à participer à nos mouvements pour la justice et la libération.

Wiyaala, la lionne de l’Afrique est originaire de Funsi dans la région du Haut Ghana occidental. Icône mondiale, elle se démarque par sa voix singulière, son style unique et son dévouement sans faille pour soutenir les filles de sa communauté à réaliser leurs rêves.

Dans cette conversation avec Jama Jack, elle se livre sur son enfance et ses premières influences (Partie 1), son parcours d’artiste, notamment les choix audacieux concernant sa musique et sa personnalité sur scène (Partie 2). Elle parle également de féminisme et de son œuvre pour lutter contre les mariages précoces et soutenir les filles et les femmes de sa communauté (Partie 3). Dans la dernière partie, Wiyaala partage ses réflexions sur la vie, la liberté et son influence (Partie 4).

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Wiyaala, c’est presque incroyable d’échanger avec une icône mondiale comme toi. Commence par nous parler de toi. Comment souhaites-tu te présenter ? 

Je suis Wiyaala, la lionne de l’Afrique. Parce qu’où que j’aille, je me fais entendre ! Je suis une chanteuse, auteure-compositrice et danseuse. Et je joue un peu la comédie parfois.

Entrons dans l'univers de Wiyaala, la lionne quand elle était plus jeune. Où as-tu grandi et à quoi ressemblait cette expérience ? Quels sont tes souvenirs d’enfance ?

Je viens d'un foyer africain typique. Mon père a plusieurs épouses. Plus de deux, même. Vous pouvez donc imaginer à quoi ressemble le système familial. Il s'agit d'une famille recomposée, où mon père était également responsable des enfants de son frère. Et son frère était aussi en quelque sorte responsable de ses enfants, au cas où il ne serait pas là. C'est dans ce système que j'ai grandi : une sœur s'occupe des enfants de sa sœur et un voisin s'occupe des enfants de son voisin. Il arrivait donc que l'on se retrouve avec les voisins lorsque les parents partaient travailler.

Quand j'étais enfant, je courais partout, je jouais, je faisais les choses habituelles d'un enfant africain typique. Parfois, nous sortions et nous nous amusions à nous battre. De retour à la maison, les parents nous grondaient un peu. J'étais dans un environnement où presque tous les parents emmenaient leurs enfants à l'école. C'était comme une compétition pour savoir lequel des enfants s'en sortait le mieux. Personne ne voulait que son enfant ne soit pas doué en classe. Nous rentrions à la maison avec nos résultats, et s’ils étaient bons, nous recevions des friandises. Cependant, certains d'entre nous avaient de bons résultats, mais pas sur le plan scolaire. L'enfance a donc été un peu difficile pour moi.

De quelle manière ?

J’étais considérée comme étant un peu pénible parce que je ne voulais pas écrire. Je préférais chanter ou danser, ce qui était bon pour moi. Mais on me disait que c'était trop, et que si je voulais vraiment avancer, il fallait que j'aime les livres et que j'apprenne à lire et à écrire. C'était donc ça l'enfance pour moi. Je suis la deuxième enfant de la famille. Nous sommes huit filles et ma mère est la première épouse. La vie a été faite de hauts et de bas. J'ai vécu dans notre village pendant un bon moment et je sais ce qu'est la vie d'un village. C'est soit dur, soit amusant, soit très traditionnel. J'ai également vécu dans une petite ville où la vie était bien meilleure. Il y a eu des moments difficiles et d'autres très agréables. Oui, j'ai grandi au village et dans la ville. Mais je garde toujours l'équilibre. Aujourd'hui, je suis de retour au village.

Tu as parlé de l'école et de la nécessité de trouver un équilibre entre les études et les activités que tu aimais – le chant, la danse. D'où vient le chant ? Te souviens-tu de la première fois que tu as commencé à chanter et que tu t’es dit : « C'est ce que je veux faire » ?

L'église ! Le premier endroit était l'église. Même si j'avais commencé à chanter, je ne savais pas que c'était un talent. Je pensais que tout le monde savait chanter et donc je chantais moi aussi. Lors des funérailles dans le village, les gens chantaient et nous chantions tous avec eux. Lors des cérémonies de mariage, ils chantaient et nous chantions également. Nous avions aussi des soirées jazz.

Mais quand j'ai commencé à chanter, beaucoup de gens ont remarqué que je chantais avec un style qui sortait de l’ordinaire. Je chantais, je dansais et je jouais du tambour, et l'excitation qui se lisait sur mon visage faisait rire les gens. Par exemple, ils pouvaient nous dire à tous : « OK, vous allez tous bouger comme ça ». Tout le monde bougeait de cette façon, mais je mettais un peu de style dans mes mouvements. À l'époque, je ne savais même pas qu'il s'agissait d'un talent, jusqu'à ce que les gens commencent à dire « Elle fait toujours un truc en plus. Elle est vraiment douée. Tu es très douée pour le chant ». Cela m'a encouragée.

Dès que j'en avais l'occasion, je me rendais à l'église, où il y avait un endroit réservé au chant après la prière. J'allais directement dans cette section. C'est aussi parce que ma mère est catholique. Elle nous emmenait à l'église. Et lorsqu’elle chantait dans la chorale, je gardais ma sœur. Chaque fois qu'ils chantaient, j'adorais ça. Et j'aimais leur manière de jouer du piano. Au fil du temps, j'ai rejoint la chorale. C'est là que j'ai réalisé que j'aimais vraiment chanter. Pour moi, c'était la seule partie amusante de l'église. J'attendais toujours que le prêtre se retourne et dise : « Maintenant, nous allons écouter la chorale ». Je me sentais alors très excitée... et ma voix se faisait entendre. L'église était donc le premier endroit où je me sentais à l'aise pour chanter.

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 C’est donc un don que tu as cultivé dès l'enfance ? À quel moment t’es-tu dit : « Je peux en faire quelque chose de plus grand » ? Au-delà du simple plaisir d'enfant qui chante avec tout le monde à l'église, quel a été le déclic ?

J'ai vu des gens chanter à la télévision et ils étaient très spéciaux pour moi, parce qu'ils portaient des costumes différents. Ils chantaient, et l’une des personnes qui chantait, faisait des choses que je ne faisais que dans ma tête. Malheureusement, je ne grandissais pas dans un environnement où l’on conseillait les bons chanteurs.

Personne ne m'apprenait que « c'est une scène et que cette personne qui chante est un.e musicien.ne, une star, et qu'elle a des tenues de scène ». Dans ma tête, je me disais : « J'ai toujours pensé à quelque chose de ce style-là. » Mais je craignais un peu qu'ils n'aiment pas ce que je faisais.

Dès que je voyais quelqu'un chanter, surtout s'il s'agissait d'une femme, je ne me souciais pas de savoir si elle était la meilleure chanteuse du monde. Je voyais quelqu'un chanter pour la première fois et la musique était si agréable à mes oreilles. Les gens jouaient d'instruments de musique et mon cerveau a fait "pouf". C’est devenu ce que je voulais faire quand je serais grande. J'ai commencé à imiter la chanteuse, et les costumes étaient tout simplement incroyables. Elle représentait presque tout ce que je voulais être, mais je n'étais qu'une enfant en train de grandir. Quand j'ai essayé de le faire dans la vraie vie, c'était un défi. Les gens me disaient : « Tu es folle ? »

Quel âge avais-tu à l'époque ?

Le début de mon adolescence. Je pense que j'avais entre treize et quinze ans. C'est l'âge où l'on pense parfois avoir conquis le monde et l'avoir dominé.

Et cette chanteuse à laquelle tu es tellement attachée... T’en souviens-tu ?

C'était Madonna ! Je m'en souviens parce que c'était la seule cassette que j'avais trouvée dans la maison de mon père, dans la ville voisine. Ils avaient l'électricité, alors chaque fois que nous allions passer des vacances avec lui et ma belle-mère, sa seconde femme, nous pouvions regarder la télévision. Je suis donc tombée par hasard sur cette cassette, sur laquelle était écrit "Madonna". J'ai pensé qu'il s'agissait d'un film d'action dont la femme était peut-être l’héroïne. Puis j'ai vu cette femme chanter, et le tour était joué.

Je me souviens de toutes les personnes qui m'entouraient à l'époque et de ce qu'elles me disaient. Je venais d'arriver du village. Je voyais ces choses à la télévision et en tant qu'adolescente qui se découvrait encore, je sortais et reproduisais les costumes dans mon propre style. Ensuite, je me mettais à chanter et certains me disaient : « Tu fais du bruit. Tais-toi ! Sérieusement, ça ne t’avancera à rien ». D'autres disaient : « Ne faites pas attention à elle. Vous savez, c'est une fille de la brousse, une fille du village. Elle est venue ici et a vu une télévision pour la première fois. Elle s'en remettra. Vous savez, elle est jeune, elle ne sait pas ce qu'elle fait. »

Qu'as-tu ressenti ?

Je ne sais pas pour quelle raison, mais quand certaines choses t’arrivent, et ce peu importe ton âge, les mots t’atteignent. Ils restent en toi. Personnellement, je pense qu'ils m'ont motivée même si certains mots étaient horribles. Pour une raison ou une autre, je ne me suis pas mise en colère. J'ai juste utilisé la colère de manière positive et j'ai dit : « Je vais vous montrer que vous vous trompez à mon sujet ». C'est comme si j'essayais vraiment d'impressionner Madonna.

Ces mots étaient censés m’intimider, me faire me sentir insultée ou être des blagues innocentes, pour se moquer de moi. Et je dis que ce sont des intimidateurs parce que personne ne m'a jamais dit : « OK, peut-être qu'on devrait prêter attention à ce qui te passionne ». Personne ne voyait rien dans la musique. Tout ce qu'ils voyaient, c'est que la musique ne se faisait qu'en Europe. Et qu’elle était jouée par des femmes à moitié nues. Ces gens avaient donc l'impression de connaître la distraction dans laquelle je m'apprêtais à m'engager.

Dans la suite de notre entretien, Wiyaala nous parle de son choix de chanter dans sa langue, de l'accueil réservé à sa musique dans différentes régions du Ghana et dans le reste du monde, et de certains des défis qu'elle a dû relever. Cliquez ici pour lire la deuxième partie.

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