« Mon féminisme consiste à m'autonomiser et à autonomiser la prochaine génération de jeunes femmes » - Wiyaala (Ghana) 3/4
/SOURCE PHOTO : WIYAALA.COM
Notre conversation avec l'emblématique Wiyaala se poursuit. Dans les parties précédentes, elle nous a fait part de ses souvenirs d'enfance et de ses premières influences (Partie 1), ainsi que de son choix de chanter dans sa langue, de l'accueil réservé à sa musique dans différentes régions du Ghana et dans le reste du monde, et de certains des défis auxquels elle a été confrontée (Partie 2).
Dans cette troisième partie, nous allons plus loin autour de ses expériences en tant qu'artiste féminine dans une industrie dominée par les hommes, elle dévoile également ses idées sur ce que les femmes peuvent faire pour résister à la misogynie dans l'industrie de la musique et s'y épanouir. Nous explorons également ses idées sur le féminisme et la manière dont elle se présente en tant que féministe dans les espaces qu'elle crée et auxquels elle a accès.
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Je suis curieuse de savoir quelle a été ton expérience dans un secteur dominé par les hommes. As-tu été confrontée à des difficultés spécifiquement liées au fait d’être une femme qui s'épanouit dans une industrie contrôlée par les hommes ?
Ô que oui ! Dès que j'ai commencé à travailler dans l'industrie, j'ai été confrontée à ce problème. En fait, c'était tellement sous mon nez que pouvais presque le toucher. Ce sentiment... on pouvait presque le toucher.
Comment as-tu vécu cela ?
Dans les chansons que l’on s’apprête à chanter, certains ingénieurs tentent de réarranger vos chansons pour te sexualiser pour faire vendre. Ils ne s'intéressent qu'à ton joli visage et à la manière dont ils peuvent utiliser ta sexualité pour faire de vous un sex-symbol. Beaucoup de femmes nous voyaient, nous les artistes, comme des gens qui étaient là pour le plus offrant. Elles nous voyaient comme des musiciennes à la recherche d'un homme riche à épouser, pour ensuite disparaitre. Il y avait cette croyance – et je pense qu'elle existe toujours – qu'une femme ne peut pas évoluer dans l'industrie. Nous sommes perçues comme étant trop fragiles, pas assez fortes. Ainsi, lorsque tu entres dans un espace et qu'il n'y a que des hommes, ils essaient de te décrédibiliser. Mais nous sommes toutes ici pour faire des affaires. Si je peux porter un bébé dans mon ventre et donner la vie, pourquoi croyez-vous que je ne puisse pas gérer le secteur de la musique ? Il n'y a rien qu'une femme ne puisse gérer.
Ce n'était pas facile. Ils tentent de te sexualiser et d'influencer ta façon de t’habiller. Quand tu te produis sur scène, ce sont surtout les hommes ou les jeunes garçons qui viennent te voir. Lorsque tu commences à "réussir", les gens commencent à te harceler pour devenir mère. Ils disent des choses comme « ton horloge tourne ». Je dis toujours : cet utérus m’appartient. Je décide de ce qui va y vivre. Peut-être que je ne suis pas encore prête. Peut-être que je ne peux pas avoir d'enfant. Peut-être que j'ai déjà un enfant, ou peut-être que j'ai adopté. Nous venons tous d'horizons différents et nous avons des choses que nous pouvons faire passer avant d'autres.
J'entendais aussi dire : « Ton teint est trop foncé, tu devrais éclaircir ta peau ». Aujourd'hui, personne n'a essayé de le faire avec moi. Ma peau a changé et j'en suis très heureuse. Mais dans le passé, on m'a encouragée à me blanchir la peau et j'ai refusé. Je ne toucherai pas à ma peau si précieuse. Voilà qui je suis. Si vous ne m'aimez pas, je suis sûre que d'autres m'aimeront.
C’est fou de voir ce à quoi les artistes féminines sont confrontées, à la fois dans l'industrie et au sein du grand public.
Oui, on m'a même dit que je devais augmenter mes fesses. Que si j'avais de grosses fesses, je pourrais les remuer. Mais je suis là pour chanter et je ne chante pas avec mes fesses. Quelqu'un m'a aussi dit de ralentir et de prendre mon temps, parce que les choses que les gens me conseillaient de faire étaient comme des paroles en l’air qui disparaitraient rapidement. Que j’étais remplaçable. Que l'industrie ne m’accorderait qu’une courte période de succès avant de passer à quelqu’un d’autre.
Je pense également que la raison pour laquelle le secteur reste dominé par les hommes et qu'il est devenu difficile d’y percer est que presque tous les postes sont occupés par des hommes. Je ne sais pas si c'est parce que les femmes ne sont pas intéressées par ces rôles, ou parce que nous avons nos propres façons de gérer ces rôles, mais nous ne nous mettons pas en avant. Par exemple, j'avais l'habitude de puiser des idées auprès des hommes avec lesquels j'ai commencé. Presque tous avaient au moins un ordinateur portable dans leur chambre où ils pouvaient créer leurs propres rythmes avant de les amener au studio. Mais beaucoup d'artistes féminines s'en remettaient aux ingénieurs pour obtenir de l'aide. Les gars achetaient des ordinateurs portables et d'autres instruments pour apprendre à faire des choses basiques. Cela m'a vraiment motivée et j'ai commencé à réinvestir en moi-même. J'ai décidé d'acheter un ordinateur portable et une guitare pour pouvoir écrire et composer mes propres chansons. Je suis devenu très douée à la guitare, et certains de ces gars sont aussi d'excellents ingénieurs du son aujourd'hui.
Que peut-on faire pour que davantage de femmes du secteur investissent dans l'apprentissage et la croissance de la même manière ?
Je crois simplement que nous, les femmes, pouvons faire les choses selon nos propres conditions, à notre manière, avec notre propre énergie et en créant l'environnement adéquat. Nous avons besoin de femmes ingénieures et productrices. Il n'y en a pas beaucoup. Je ne sais pas combien de femmes sont propriétaires de maisons de disques, mais nous avons besoin de femmes à tous ces postes. Nous pouvons apprendre beaucoup de ces choses en ligne. Nous pouvons investir dans l'équipement. Nous pouvons abolir l'idée qu'il suffit juste d'être un « joli minois » dans l'industrie.
Et lorsque nous aurons acquis de l'expérience et que nous serons parvenues au sommet, nous créerons l'espace nécessaire pour aider une autre femme. Ainsi, lorsqu'une sœur viendra nous voir, il y aura une entraide mutuelle et nous éliminerons certaines choses qu'un homme a pu essayer de faire et qui n'ont rien à voir avec la musique. Si nous sommes nombreuses à faire cela, nous pourrons aussi dominer à notre manière. Les hommes peuvent faire ce qu'ils veulent, nous pouvons aussi faire ce que nous voulons et nous nous rencontrerons à mi-chemin.
Je pense que cela peut être un défi, surtout après avoir entendu certaines des expériences que tu as partagées. Mais il se peut très bien que ce soit LE défi à relever pour changer la réalité actuelle.
Ce n'est pas un travail d'un jour. Quand on reste fidèle à soi-même et qu'on avance pas à pas, on se construit et on grandit. Lorsque vous aimez quelque chose, profitez-en. Ça grandira avec vous et plus le temps passera, plus vous vous améliorerez. Et ce sera pour toujours.
En fin de compte, je peux aussi aider quelqu'un. Je peux aider une sœur. Parce que le voyage n'est pas facile. Il n'a pas été facile, mais avec le recul, j'ai survécu. J'ai survécu.
Tu l’as fait, et d'une manière si belle et si puissante. Certaines personnes doivent travailler dur pour que d'autres n'aient pas à souffrir des mêmes choses... Parlons du féminisme. Te considères-tu comme féministe ?
C’est ce que je dis toujours. Je dis à quelqu'un que je suis une femme. J'ai mes droits et aussi mes responsabilités. Je ferai de mon mieux. Je ferai ce que j'aime. Vous ne m'arrêterez pas et vous ne me mépriserez pas parce que je suis une femme. Je vous respecterai, mais vous me respecterez aussi. J'oserai rêver et parfois me démarquer et être différente. Et vous ne me ferez pas taire.
Si cela et tant d'autres choses positives peuvent ressortir avec force et intimider n'importe quel homme à me traiter de féministe, alors oui, je suis une féministe.
Quand en es-tu arrivée à cette prise de conscience ? Est-ce à cause d'un événement survenu dans ta vie ou de choses que tu as observées autour de toi ?
Je ne savais même pas que le mot "féministe" signifiait toutes ces choses qu'une femme défend. Je pense que j'ai été féministe dès le départ, parce que je n'ai pas choisi une voie ordinaire. J'ai joué au football. Je suis musclée. J’aimais ça, je ne l'ai pas caché. Si vous êtes un homme et que vous êtes grossier avec moi, je vous répondrais avec la même énergie, au point que j’en suis venue aux mains avec certaines personnes. En grandissant, je ne faisais rien d’habituel, surtout parce que je suis une femme. Et ce n'était que des choses que je faisais par passion et par amour.
Aujourd’hui, je regarde en arrière — et même ce que je fais maintenant — et je réalise à quel point ça a été difficile. Les gens disaient que j’étais têtue et que personne ne m'épouserait parce que je n'écoutais pas et que je montrais mes muscles. On m'a dit que j'étais trop indépendante et que je devais laisser de la place aux hommes pour qu'ils m'aident parce que j'avais besoin d'eux. On m'a également dit que j'étais "trop savante", une expression qui désigne les personnes qui se croient plus intelligentes que les autres. C'est grâce à tout cela que certaines personnes se sont rapprochées de moi, et j'ai toujours résisté.
Quand j'ai enfin entendu le mot "féministe" et que j'ai compris ce qu'il signifiait, je me suis dit : « Eh bien, je crois que je suis féministe ». Et si quelqu'un ne l’accepte pas, c'est son problème. Je suis féministe. Mon féminisme consiste à me donner du pouvoir et à donner du pouvoir à la prochaine génération de jeunes femmes qui veulent elles aussi se lancer et bâtir pour elles-mêmes, parce que c'est possible. Je sais que c'est difficile, mais ce n'est pas aussi difficile que certaines personnes essaient de le faire croire. C'est pourquoi je sais que je suis féministe et je le dis toujours.
Je pense que c'est une histoire que de nombreuses féministes partagent. Nous y avons cru pendant longtemps. Mais nous ne savions pas qu'il existait un nom pour cela. En parlant de noms, tu es connue comme "la lionne de l'Afrique" et c'est ainsi que tu t’es présentée au début de cette conversation. As-tu choisi ce surnom ou t’a-t-il été donné ?
Eh bien, deux choses. Tout d'abord, j'ai choisi ce nom à cause de l'Afrique. Les lions vivent en Afrique et sont considérés comme les rois de la jungle. Être la lionne, fait de moi la reine. J'en suis très, très fière. Et j'ai choisi cela parce que lorsque je sors, oui, je suis une Africaine et je suis ici, mais ne pensez pas que je peux être manipulée. Vous n'allez pas me regarder de haut et essayer d'être raciste. Je suis la lionne de l'Afrique, la reine de l'Afrique, et je suis ici pour vous parler de mon continent. Je rugirai et vous entendrez mon nom. Je ne suis pas contre vous. Je suis juste ici pour me faire des ami.e.s, faire de la musique et partir. Je ne viens pas pour vous intimider. N'ayez pas peur de moi. Je ne vous prendrai rien. Soyons ami.e.s et avançons ensemble.
Lorsque certaines personnes m'appellent, elles s'attendent à ce que je vienne en tant qu'Africaine avec une calebasse. Cela correspond à l'image qu'ils se font d'un.e Africain.e qui n'est pas éduqué.e et qui n'est qu'un objet de curiosité. C'était donc l'occasion pour moi d'embrasser mon africanité avec fierté et de leur montrer. Je suis africaine ! Je vais vous parler de l'Afrique. Mais je ne le ferai pas avec de la haine et du racisme ou en étant imbue de ma personne. Je prendrai mon temps pour vous faire découvrir mon continent. Je suis en mesure de changer les choses, et ce changement doit commencer par moi. Mon attitude. Ma mentalité. Je ne suis pas mentalement esclave de qui que ce soit et je ne suis pas née esclave. Et personne ne me mettra en cage.
Tu te rends compte que tu es comme une galerie et que tu as l'occasion de présenter l'Afrique sous un jour favorable. Et je ne plaisante pas avec ces moments. Je fais savoir aux gens que c'est ce que nous sommes. Je suis fière d'être Africaine et de chanter dans ma propre langue. Et j'apprécie aussi le fait qu'il y ait tant de gens qui écoutent, soutiennent, achètent et veulent vraiment en savoir plus sur l'Afrique. En fin de compte, nous sommes amie.s. Et vous savez, la lionne est forte, elle est indépendante, c'est un animal très majestueux et très intelligent. Elle peut chasser toute seule. Elle n'a pas besoin du lion pour cela. Elle met au monde ses lionceaux et s'en occupe. Pour moi, toutes les femmes africaines sont comme ça. Nous sommes toutes des lionnes à part entière.
Dans la dernière partie de cet entretien, nous discutons avec Wiyaala du travail qu'elle accomplit dans sa communauté pour élever les filles. Elle nous parle de l'impact de ses actions, du soutien qu'elle reçoit de la communauté et de sa vision de la liberté pour elle-même et pour toutes les filles et les femmes. Cliquez ici pour lire cette partie.