« Je suis juste une simple fille Sissala qui poursuit ses rêves » - Wiyaala (Ghana) 1/4

SOURCE PHOTO : WIYAALA.COM

Pendant des siècles, les femmes africaines ont utilisé leurs voix et leurs talents pour mener et influencer le changement dans leurs communautés. L’art demeure un outil puissant pour la justice sociale, et les artistes, à travers le continent et la diaspora, continuent à participer à nos mouvements pour la justice et la libération.

Wiyaala, la lionne de l’Afrique est originaire de Funsi dans la région du Haut Ghana occidental. Icône mondiale, elle se démarque par sa voix singulière, son style unique et son dévouement sans faille pour soutenir les filles de sa communauté à réaliser leurs rêves.

Dans cette conversation avec Jama Jack, elle se livre sur son enfance et ses premières influences (Partie 1), son parcours d’artiste, notamment les choix audacieux concernant sa musique et sa personnalité sur scène (Partie 2). Elle parle également de féminisme et de son œuvre pour lutter contre les mariages précoces et soutenir les filles et les femmes de sa communauté (Partie 3). Dans la dernière partie, Wiyaala partage ses réflexions sur la vie, la liberté et son influence (Partie 4).

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Wiyaala, c’est presque incroyable d’échanger avec une icône mondiale comme toi. Commence par nous parler de toi. Comment souhaites-tu te présenter ? 

Je suis Wiyaala, la lionne de l’Afrique. Parce qu’où que j’aille, je me fais entendre ! Je suis une chanteuse, auteure-compositrice et danseuse. Et je joue un peu la comédie parfois.

Entrons dans l'univers de Wiyaala, la lionne quand elle était plus jeune. Où as-tu grandi et à quoi ressemblait cette expérience ? Quels sont tes souvenirs d’enfance ?

Je viens d'un foyer africain typique. Mon père a plusieurs épouses. Plus de deux, même. Vous pouvez donc imaginer à quoi ressemble le système familial. Il s'agit d'une famille recomposée, où mon père était également responsable des enfants de son frère. Et son frère était aussi en quelque sorte responsable de ses enfants, au cas où il ne serait pas là. C'est dans ce système que j'ai grandi : une sœur s'occupe des enfants de sa sœur et un voisin s'occupe des enfants de son voisin. Il arrivait donc que l'on se retrouve avec les voisins lorsque les parents partaient travailler.

Quand j'étais enfant, je courais partout, je jouais, je faisais les choses habituelles d'un enfant africain typique. Parfois, nous sortions et nous nous amusions à nous battre. De retour à la maison, les parents nous grondaient un peu. J'étais dans un environnement où presque tous les parents emmenaient leurs enfants à l'école. C'était comme une compétition pour savoir lequel des enfants s'en sortait le mieux. Personne ne voulait que son enfant ne soit pas doué en classe. Nous rentrions à la maison avec nos résultats, et s’ils étaient bons, nous recevions des friandises. Cependant, certains d'entre nous avaient de bons résultats, mais pas sur le plan scolaire. L'enfance a donc été un peu difficile pour moi.

De quelle manière ?

J’étais considérée comme étant un peu pénible parce que je ne voulais pas écrire. Je préférais chanter ou danser, ce qui était bon pour moi. Mais on me disait que c'était trop, et que si je voulais vraiment avancer, il fallait que j'aime les livres et que j'apprenne à lire et à écrire. C'était donc ça l'enfance pour moi. Je suis la deuxième enfant de la famille. Nous sommes huit filles et ma mère est la première épouse. La vie a été faite de hauts et de bas. J'ai vécu dans notre village pendant un bon moment et je sais ce qu'est la vie d'un village. C'est soit dur, soit amusant, soit très traditionnel. J'ai également vécu dans une petite ville où la vie était bien meilleure. Il y a eu des moments difficiles et d'autres très agréables. Oui, j'ai grandi au village et dans la ville. Mais je garde toujours l'équilibre. Aujourd'hui, je suis de retour au village.

Tu as parlé de l'école et de la nécessité de trouver un équilibre entre les études et les activités que tu aimais – le chant, la danse. D'où vient le chant ? Te souviens-tu de la première fois que tu as commencé à chanter et que tu t’es dit : « C'est ce que je veux faire » ?

L'église ! Le premier endroit était l'église. Même si j'avais commencé à chanter, je ne savais pas que c'était un talent. Je pensais que tout le monde savait chanter et donc je chantais moi aussi. Lors des funérailles dans le village, les gens chantaient et nous chantions tous avec eux. Lors des cérémonies de mariage, ils chantaient et nous chantions également. Nous avions aussi des soirées jazz.

Mais quand j'ai commencé à chanter, beaucoup de gens ont remarqué que je chantais avec un style qui sortait de l’ordinaire. Je chantais, je dansais et je jouais du tambour, et l'excitation qui se lisait sur mon visage faisait rire les gens. Par exemple, ils pouvaient nous dire à tous : « OK, vous allez tous bouger comme ça ». Tout le monde bougeait de cette façon, mais je mettais un peu de style dans mes mouvements. À l'époque, je ne savais même pas qu'il s'agissait d'un talent, jusqu'à ce que les gens commencent à dire « Elle fait toujours un truc en plus. Elle est vraiment douée. Tu es très douée pour le chant ». Cela m'a encouragée.

Dès que j'en avais l'occasion, je me rendais à l'église, où il y avait un endroit réservé au chant après la prière. J'allais directement dans cette section. C'est aussi parce que ma mère est catholique. Elle nous emmenait à l'église. Et lorsqu’elle chantait dans la chorale, je gardais ma sœur. Chaque fois qu'ils chantaient, j'adorais ça. Et j'aimais leur manière de jouer du piano. Au fil du temps, j'ai rejoint la chorale. C'est là que j'ai réalisé que j'aimais vraiment chanter. Pour moi, c'était la seule partie amusante de l'église. J'attendais toujours que le prêtre se retourne et dise : « Maintenant, nous allons écouter la chorale ». Je me sentais alors très excitée... et ma voix se faisait entendre. L'église était donc le premier endroit où je me sentais à l'aise pour chanter.

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 C’est donc un don que tu as cultivé dès l'enfance ? À quel moment t’es-tu dit : « Je peux en faire quelque chose de plus grand » ? Au-delà du simple plaisir d'enfant qui chante avec tout le monde à l'église, quel a été le déclic ?

J'ai vu des gens chanter à la télévision et ils étaient très spéciaux pour moi, parce qu'ils portaient des costumes différents. Ils chantaient, et l’une des personnes qui chantait, faisait des choses que je ne faisais que dans ma tête. Malheureusement, je ne grandissais pas dans un environnement où l’on conseillait les bons chanteurs.

Personne ne m'apprenait que « c'est une scène et que cette personne qui chante est un.e musicien.ne, une star, et qu'elle a des tenues de scène ». Dans ma tête, je me disais : « J'ai toujours pensé à quelque chose de ce style-là. » Mais je craignais un peu qu'ils n'aiment pas ce que je faisais.

Dès que je voyais quelqu'un chanter, surtout s'il s'agissait d'une femme, je ne me souciais pas de savoir si elle était la meilleure chanteuse du monde. Je voyais quelqu'un chanter pour la première fois et la musique était si agréable à mes oreilles. Les gens jouaient d'instruments de musique et mon cerveau a fait "pouf". C’est devenu ce que je voulais faire quand je serais grande. J'ai commencé à imiter la chanteuse, et les costumes étaient tout simplement incroyables. Elle représentait presque tout ce que je voulais être, mais je n'étais qu'une enfant en train de grandir. Quand j'ai essayé de le faire dans la vraie vie, c'était un défi. Les gens me disaient : « Tu es folle ? »

Quel âge avais-tu à l'époque ?

Le début de mon adolescence. Je pense que j'avais entre treize et quinze ans. C'est l'âge où l'on pense parfois avoir conquis le monde et l'avoir dominé.

Et cette chanteuse à laquelle tu es tellement attachée... T’en souviens-tu ?

C'était Madonna ! Je m'en souviens parce que c'était la seule cassette que j'avais trouvée dans la maison de mon père, dans la ville voisine. Ils avaient l'électricité, alors chaque fois que nous allions passer des vacances avec lui et ma belle-mère, sa seconde femme, nous pouvions regarder la télévision. Je suis donc tombée par hasard sur cette cassette, sur laquelle était écrit "Madonna". J'ai pensé qu'il s'agissait d'un film d'action dont la femme était peut-être l’héroïne. Puis j'ai vu cette femme chanter, et le tour était joué.

Je me souviens de toutes les personnes qui m'entouraient à l'époque et de ce qu'elles me disaient. Je venais d'arriver du village. Je voyais ces choses à la télévision et en tant qu'adolescente qui se découvrait encore, je sortais et reproduisais les costumes dans mon propre style. Ensuite, je me mettais à chanter et certains me disaient : « Tu fais du bruit. Tais-toi ! Sérieusement, ça ne t’avancera à rien ». D'autres disaient : « Ne faites pas attention à elle. Vous savez, c'est une fille de la brousse, une fille du village. Elle est venue ici et a vu une télévision pour la première fois. Elle s'en remettra. Vous savez, elle est jeune, elle ne sait pas ce qu'elle fait. »

Qu'as-tu ressenti ?

Je ne sais pas pour quelle raison, mais quand certaines choses t’arrivent, et ce peu importe ton âge, les mots t’atteignent. Ils restent en toi. Personnellement, je pense qu'ils m'ont motivée même si certains mots étaient horribles. Pour une raison ou une autre, je ne me suis pas mise en colère. J'ai juste utilisé la colère de manière positive et j'ai dit : « Je vais vous montrer que vous vous trompez à mon sujet ». C'est comme si j'essayais vraiment d'impressionner Madonna.

Ces mots étaient censés m’intimider, me faire me sentir insultée ou être des blagues innocentes, pour se moquer de moi. Et je dis que ce sont des intimidateurs parce que personne ne m'a jamais dit : « OK, peut-être qu'on devrait prêter attention à ce qui te passionne ». Personne ne voyait rien dans la musique. Tout ce qu'ils voyaient, c'est que la musique ne se faisait qu'en Europe. Et qu’elle était jouée par des femmes à moitié nues. Ces gens avaient donc l'impression de connaître la distraction dans laquelle je m'apprêtais à m'engager.

Dans la suite de notre entretien, Wiyaala nous parle de son choix de chanter dans sa langue, de l'accueil réservé à sa musique dans différentes régions du Ghana et dans le reste du monde, et de certains des défis qu'elle a dû relever. Cliquez ici pour lire la deuxième partie.

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