Afrifem en Action : Amandine Yao et Meganne Boho partagent l'expérience de la campagne féministe #CANSafe pour la CAN 2024 (Côte d'Ivoire)

Nouvelle interview de notre série Afrifem en Action qui met en lumière les initiatives, les actions et les mouvements créés et dirigés par et pour les féministes africaines.

Nous parlons avec Amandine Yao et Meganne Boho, toutes de la Côte d’Ivoire à propos de la campagne #CANSafe initiée par le collectif Voix Féministes d’Afrique Francophone dont elles font partie, dans le cadre de la Coupe d'Afrique des Nations de football 2023 qui s’est déroulée du 13 janvier au 11 février 2024.

(Avertissement : Cette conversation contient des mentions de violence et d’abus qui pourraient choquer les personnes qui nous lisent. Veuillez prendre un moment pour décider si vous souhaitez continuer la lecture. Si vous continuez, nous vous encourageons à vous concentrer sur votre bien-être et d’arrêter la lecture à tout moment, selon vos besoins.)

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Bonjour à vous deux. Merci de vous présenter.

Amandine : Je m’appelle Amandine Yao, militante féministe ivoirienne. Je suis présidente d’une organisation qui s’appelle Gouttes Rouges qui lutte contre la précarité menstruelle et l’illettrisme autour des menstruations. Nous travaillons avec les jeunes filles dans les lycées notamment grâce à la création de clubs de jeunes filles et de camps de vacances dans les établissements scolaires et les quartiers. Professionnellement, je suis Social Media Manager et j’aime dire que je travaille pour des marques éthiques et très cool.

Meganne : Je suis Meganne Boho, présidente de la Ligue des droits des femmes et aussi promotrice de la marque “Féministes Radicales” ou “Radical Feminists”. Je suis présidente de la Ligue des droits des femmes depuis 2020. Nous travaillons principalement sur le féminisme. Nous faisons la promotion du féminisme. Nous travaillons également sur la question des violences faites aux filles et aux femmes et sur l'empowerment des femmes. Depuis que nous travaillons sur ces questions-là, nous avons pu aider plus de 2000 femmes en Côte d'Ivoire dans les zones rurales et dans les zones urbaines.

La Côte d'Ivoire était l'hôte de la CAN de cette année. Avez-vous assisté à des matchs au stade pendant le tournoi ? Si oui, comment avez-vous trouvé l'ambiance et l'expérience ?

Amandine : C’était ma première expérience au stade. Je n’avais jamais été au stade de ma vie. Je n’ai pas grand intérêt pour le football. Mais la CAN est une fête qui réunit presque toute l’Afrique, donc on profite pour célébrer aussi. L’ambiance à Abidjan pendant la CAN était très bien. On sent la fête, il y a des villages CAN, plusieurs filles se déplacent pour aller voir les matchs aussi. C’est une belle expérience. Maintenant, en tant que femme, comment est-ce que je me suis sentie au stade ? C’est comme dans la vie de tous les jours. On se sent regardé, on a l’impression d’être de la viande, un produit. C’est l’endroit pour eux pour “chasser”, comme ils disent. Ce n’est pas forcément safe pour les femmes. J’étais accompagnée. Je me suis rendue au stade en me disant que je suis accompagnée et que rien ne va se passer. Il s’est passé quelque chose quand même. Les gens se sont permis de venir m’agripper, de me toucher et puis de s'enfuir après. Soi-disant que c’est l’euphorie, les gens infligent des attouchements aux femmes dans les espaces comme ça.

Meganne : Je suis allée au stade pendant la CAN, je crois dans 4 stades. Je suis allée au stade de Bouaké, de Yamoussoukro, au stade Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan et au stade Ebimpé d’Abidjan. C'était vraiment festif. Les forces de l'ordre étaient déployées. Je n’ai vraiment eu aucun problème au niveau de la sécurité extérieure, mais j'ai vécu une situation assez délicate. Au stade de Bouaké, j'ai été agressée par mon voisin d'à côté qui, pendant la célébration d'un but, a effectué des attouchements sur moi. Et on va dire que j'ai été bloquée la première fois. La deuxième fois, lorsqu'il a essayé, j'ai été stricte. Je lui ai dit de ne pas me toucher. Et ça m'a un peu cassé parce qu'après, je n'ai plus envie d'aller dans les stades seule. J'ai toujours été accompagnée lorsque j'allais dans les stades.

On voit à quel point les femmes ne sont pas en sécurité en ces moments. C’est pour prévenir ces agressions que la campagne #CANSafe a été initiée par le collectif Voix féministes d’Afrique francophone dont vous êtes membres. Parlez-moi de cette campagne.

Amandine : On nous a parlé de célébration, de football africain, de fêtes, de la CAN la plus chic et tout, mais on sait que ce n’était pas forcément un espace très sûr pour les femmes. On sait qu’il y aura des regroupements et quand il y a des regroupements, il y a malheureusement des risques d’agressions des femmes. Nous en tant que collectif, on a décidé de faire de la prévention en créant la campagne #CANSafe. Quelques membres du collectif dont moi avec l’approbation des membres ont travaillé sur cette campagne. Nous avons réalisé des affiches avec des messages qui ont été partagés en ligne. Notre message était de dire haut et fort que l’hospitalité, la grande hospitalité de la Côte d’Ivoire dont on parlait pour cette CAN, ce n’est pas les femmes.Venez vivre la plus belle fête du football sans prendre les femmes pour le trophée.

Comment vous vous êtes organisées pour concevoir et travailler ensemble sur la campagne #CANSafe ?

Meganne : Nous avons travaillé d'abord sur le brainstorming par rapport aux messages qu'on voulait vraiment faire passer. On a travaillé sur les questions de consentement, violence sexuelle et de violence physique. Ensemble, on a sorti les messages. Amandine est notre experte en communication digitale. C’est elle qui a fait des visuels qui ont été vulgarisés partout sur les réseaux sociaux. On a diffusé les numéros utiles pour les personnes qui auraient besoin d'aide. Par exemple, le numéro de la police, le numéro vert du ministère de la Femme, le numéro de la Ligue, le numéro de CPDFM… Ce sont des organisations qui interviennent dans la prise en charge des cas de violences faites aux femmes et aux filles.

Au niveau de la Ligue des droits des femmes, on a publié ces messages en ligne sur tous nos canaux. On a imprimé les messages sur les t-shirts qu'on a portés dans les stades. Des personnes de l’organisation ont participé à des marches avec d'autres associations qui travaillent sur la question des VBG. Nous avons aussi participé à une activité de sensibilisation à l'Agora de Port-Bouet ici à Abidjan pour permettre aux jeunes de comprendre la campagne #CANSafe.

Notre message était de dire haut et fort que la grande hospitalité de la Côte d’Ivoire dont on parlait pour cette CAN, ce n’est pas les femmes.

On a vu que les messages qui ont été amplifiés en ligne. Pensez-vous que ces messages ont touché beaucoup de personnes ? Y a-t-il eu un fort engouement pour les amplifier, et cela a-t-il joué un rôle significatif ?

Amandine : Oui, les messages ont été amplifiés et ça a même permis à d’autres personnes de pouvoir témoigner de ce qu’elles avaient subi comme agression dans les stades ou lors d’autres événements et regroupements. On a eu un témoignage d’une agression qui s’est passée, je crois, il y a deux ou trois ans, d’une femme dans un hôtel.

J’ai écouté son témoignage lorsqu’elle l’a partagé via ses stories Instagram.

Amandine : Voilà. Les messages de la campagne #CANSafe ont également été partagés par des personnes qui sont suivies par des millions de personnes et tout. 

Meganne : Nous avons vu que la campagne a été vraiment suivie. Nous avons eu beaucoup de retours des populations, des institutions qui ont dit qu'ils avaient suivi ce qu'on avait fait au niveau digital, mais aussi au niveau physique. Au début, quand on a lancé la campagne #CANSafe, on a eu beaucoup de retours négatifs, principalement des hommes qui disaient qu'on exagérait, qu'on en faisait trop, qu'on allait gâcher la fête avec des choses inutiles, mais on a tenu à rester ferme parce qu'on savait ce que c'était la violence liée à des périodes festives, liées au football ou au sport. Il y a des études qui ont été menées sur la question. L'année passée, il y a eu une collaboratrice de la Ligue qui a été agressée au Sénégal lors de la célébration de la CAN au Sénégal.

Son témoignage et celui d’une autre femme ont été partagés. Il y a un article et une vidéo de BBC dans laquelle des femmes racontent comment elles ont été agressées lors des célébrations de la victoire du Sénégal. 

Meganne : Ces choses ne sont pas éloignées comme les gens pensent. En continuant la campagne, on a vu que des gens ont commencé à prendre conscience que ça existait quand il y a eu des personnes qui ont été agressées, des filles qui ont été agressées. On a même eu en direct un monsieur qui a harcelé une dame pendant une victoire de la Côte d'Ivoire. Ça avait pris une ampleur lorsqu’une chaîne de télévision a voulu inviter cette personne-là sur le plateau.

Amandine : Les médias ne parlent pas des agressions jusqu’à ce que quelqu’un agresse. Et c’est l’agresseur qu’on met en tête d’affiche pour parler à la télévision. C’est impardonnable.

Meganne : On a fait, on va dire, une contre-campagne de masse sur internet. On a tagué le média et dénoncé ça. Finalement, ce qui était censé être un plateau de moquerie et tout, avec le coup de pression qu'on a mis, a changé automatiquement sa ligne conductrice et a été un plateau où on a essayé de faire de la sensibilisation sur la question. Ça prouve que la campagne a porté ses fruits parce que des gens ont compris qu'il y a des choses qui n'allaient pas se faire. Des gens ont compris que la Ligue et toutes les organisations étaient sur pied, on va dire, de guerre entre griffes parce qu'on surveillait les réseaux sociaux, on était disponible pour aider les survivantes au cas où.

Cette campagne m'a permis aussi de me sentir en sécurité, parce que lorsque je portais mon t-shirt et que je rentrais dans un stade, sur mon t-shirt il y avait déjà tout ce qu'il fallait que tu saches en tant que personne ou possible agresseur, parce qu'il y avait déjà le message que je voulais faire passer. Ça m'a permis aussi de sensibiliser mon entourage direct qui ne comprenait pas vraiment l'importance de cette campagne. Avec ce que j'ai vécu moi dans les stades, ce que des amis à moi ont vécu, ils se sont rendus compte que vraiment on n'exagérait pas du tout. 

Est-ce que la campagne #CANSafe a amené les autorités à renforcer les mesures qu’elles avaient déjà prises à leur niveau pour la sécurité dans le cadre de cette CAN ?

Amandine : Oui, il y a eu des efforts en tout cas. Le gouvernement ivoirien a profité du moment de la CAN pour mener une campagne de sensibilisation contre les violences basées sur le genre nommée « carton rouge au VBG ». Au début, on n'avait pas le bouton pour dénoncer les violences sur l’application du COCAN. Cela a été pris en compte au fur et à mesure qu’on amplifiait les messages de la campagne #CANSafe. Par contre, je ne l'ai pas testé, je ne sais pas si ça a marché. Je sais que le numéro déployé là, le 1308, il ne fonctionne pas. Il a fonctionné la première journée, après il n’a plus fonctionné.

C’est pourquoi, sur les affiches de la campagne #CANSafe, nous avons mis les numéros des organisations Stop Au Chat Noir, de la Ligue Ivoirienne des Droits des Femmes et de la police. L’autre impact de la campagne #CANSafe, c’est qu’on a vu d’autres organisations en Côte d’Ivoire aussi faire des campagnes dans ce sens. Donc nous, on se dit que le message est passé. Les organisations qui ne sont pas féministes se sont alignées dessus pour amplifier le message.

Si vous aviez la possibilité de faire plus dans le cadre de cette campagne ou de proposer des actions pour garantir la sécurité des femmes dans le cadre de cette CAN, qu’est-ce que vous auriez fait ?

Meganne : Lorsqu’on a su que la CAN arrivait en Côte d'Ivoire, avec mon équipe à la Ligue, on avait une idée. C'était d'avoir des stands dans les stades, des stands de sensibilisation, des stands de prise en charge, en fait, au cas où il y aurait des cas de violence. J'ai essayé dans les débuts d’approcher des personnes qui travaillaient sur la question au niveau du ministère des Sports. Ça n'a pas pu se faire. L'idée au début, c'était d'avoir des banderoles énormes dans les stades, d'avoir des stands, de pouvoir dérouler des messages de sensibilisation dans les stades. Je pense que si on avait assez de sous, assez de financement, on aurait fait ça. On se serait mis dans les stades, on aurait fait des convois pour aller rassurer les femmes dans les stades, se dire vous n'êtes pas seules, s'il y a quelque chose, vous pouvez nous appeler. C'était en fait le projet d'origine, mais ça n'a pas pu se faire pour faute de moyens. 

Amandine : Dans les mesures, parce qu’on a vu toutes les mesures qui ont été prises et qui ont été communiquées aux festivaliers et amoureux du football qui se rendaient en fait au stade, on aurait pu mettre des messages de sensibilisation sur les agressions sexuelles. On aurait aimé voir ça dans les interdits du COCAN. En tout cas, à ce niveau-là, tout le monde n’est pas sur internet et tout le monde n’a pas l’application. On aurait pu avoir aussi un espace dans les stades, pouvoir communiquer directement, que ce soit avec les femmes ou que ce soit avec les hommes, de la situation et de leur parler de cette culture d’agression qui règne quand il y a des festivités comme ça. Ça aurait été bien d’être sur place pour sensibiliser, mais on n’a pas pu. Néanmoins, il y a une ONG qui s’appelle BLOOM qui a créé un espace safe dans les villages Akwaba.

C’est quoi les villages Akwaba déjà ?

Amandine : Ce sont les villages qui sont déployés à Abidjan comme à l’intérieur du pays avec un écran géant pour aller regarder le match pour ceux et celles qui ne peuvent pas aller au stade. Donc, l’ONG BLOOM avec d’autres organisations ont créé dans ce village un espace safe où quand tu pars, tu es sensibilisé sur les questions liées aux VBG. C’était à Abidjan et Koumassi. On aurait aimé avoir un espace safe dans presque tous les villages Akwaba. Ça aurait été plus impactant et plus intéressant. Il y avait beaucoup de choses qu’on aurait pu faire d’autre. Comme occuper les médias, en parler.

Quel message souhaitez-vous adresser aux autorités concernant l'importance de la collaboration entre les institutions publiques et les organisations de la société civile dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles ?

Meganne : Si j'avais un message à adresser aux autorités, ce serait de donner de la place, de collaborer le plus souvent avec les organisations de la société civile. Parce que c'est important de mettre sur la table ce qu'on sait, nous, et ce qu'ils savent, pour qu'ensemble nous puissions arriver à renforcer les moyens de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles.

Mon message à ces autorités, serait de continuer à renforcer les moyens de répression contre les agresseurs, contre les criminels, contre les violeurs. Il faut qu'on continue de mettre nos efforts ensemble. Il faut qu'on accentue la formation sur les agents de santé, les agents de police, les agents de gendarmerie, parce que c'est comme ça qu'on pourra, à chaque niveau, déconstruire cette société patriarcale, parce que lorsque des femmes vont à la police et ce sont les mêmes hommes sexistes qui y sont, c'est un problème. Donc, il va falloir qu'on puisse ensemble se former pour déconstruire, se déconstruire ensemble pour que le bien-être des femmes et des filles en Côte d'Ivoire soit une priorité.

En voyant la campagne #CANSafe, j’ai réfléchi loin. Je me suis dit aussi que les grands événements peuvent devenir des plateformes qui prennent la responsabilité de sensibiliser parce qu’il y a une audience assez très large. Est-ce que vous voyez des perspectives dans ce sens par exemple pour les éditions à venir ?

Meganne : Je pense qu'il faut s'intéresser à tous les événements, les grands événements, parce que ça offre des opportunités de sensibilisation. La veille de la finale de la CAN, nous, la Ligue, on était à l'agora de Port-Bouët, pour participer à un festival CAN, au village CAN qui parlait un peu de la santé, de la reproduction des jeunes. Nous utilisons chaque opportunité comme ça pour sensibiliser sur la question. Et on était en partenariat avec TACKLE, qui est une ONG qui utilise le sport pour faire de la sensibilisation sur la santé de la reproduction des jeunes et des violences enceintes aux femmes et aux filles.

Et c'est un peu ce que la Ligue fait, c'est-à-dire qu'on essaie de trouver des lucarnes peu importe où, l'endroit, de poser en bas de notre kakemono, d'avoir des flyers, de sensibiliser sur la question. Et je pense que pour les prochaines fois, peu importe l'occasion, il y a plusieurs événements en Côte d’Ivoire qui se déroulent. Par exemple, il y a le Massa, il y a des grands événements et tout. Je pense que pour les prochaines fois, on va continuer de renforcer notre force de frappe pour pouvoir être visible un peu partout sur les grands événements. 

Alors, pouvez-vous me parler du collectif Voix Féministes d’Afrique Francophone ?

Amandine : Le collectif, alors c’est une réunion de sorcières… (rires) de la Côte d’Ivoire, de la Mauritanie, du Bénin, du Mali, du Cameroun, du Sénégal, du Burkina Faso, du Niger, du Togo. C’est un gros collectif de sorcières avec des pouvoirs magiques qui ont décidé de se mettre ensemble, de mettre leurs pouvoirs ensemble pour pouvoir contrer le patriarcat. Voix féministe d’Afrique Francophone s’est constitué à la suite du premier Agora féministe qui s’est déroulé en 2022. Après les rencontres à l’Agora, on a décidé de nous réunir et créer un groupe pour faire mouvement et agir ensemble. 

Et aujourd’hui Voix féministes d’Afrique Francophone, c’est un groupe de plus d’une centaine de féministes. On discute de ce qui se passe dans nos pays, on se nourrit des expériences des autres, on arrive à avoir en fait le soutien des autres féministes. On s’exprime et on arrive à dénoncer. Nous avons déjà mené plusieurs actions ensemble en ligne qui ont porté leurs fruits. Comme le communiqué sur l’affaire d’enlèvement de plus d’une cinquantaine de femmes au Burkina Faso, l’appel au boycott d’une chanson qui fait l’apologie du viol, et la campagne #CANSafe dernièrement.

Meganne : Nous essayons de coordonner nos actions dans nos pays respectifs, mais aussi de coordonner nos actions régionales pour avoir plus d'impact sur les questions du féminisme et les questions des violences faites aux femmes que nous combattons, et les questions des droits des femmes en particulier.

Et pour finir, notre légendaire question : quelle est votre devise féministe chacune ?

Amandine : Pour moi, ce qui est très important en tant que féministe, c’est l’amour. Tout simplement. Aujourd’hui, demain, après-demain. Je pense qu’en tant que personne amoureuse de l’amour, j’ai envie de dire ça comme ça, je suis quelqu’un qui n’écoute pas beaucoup son cerveau et qui écoute beaucoup son cœur. Et je pense que c’est l’écoute de mon cœur qui m’a amenée dans le féminisme. C’est l’amour pour mes sœurs, c’est l’amour pour moi même d’abord, parce que je veux beaucoup mieux pour moi, je souhaite beaucoup mieux pour moi et pas cette case dans laquelle on m’a cantonnée en tant que femme. Et vu que j’ai de l’amour pour moi et que je vise beaucoup plus loin, cet amour-là se déploie aussi pour d’autres sœurs. J’ai de l’amour pour elles et je souhaite le meilleur pour elles et pour moi en tant que féministe. Ce qui compte le plus, c’est cet amour-là qui ne doit pas disparaître dans nos mouvements. Parce que dans tous les mouvements de lutte pour les droits des humains, c’est l’amour au centre. Parce que si tu veux que quelqu’un se sente mieux et que tu veux que la condition de vie de quelqu’un s’améliore, c’est parce que tu as de l’amour pour cette personne-là et voilà. Et c’est l’amour en fait qui régit nos mouvements. En tant que féministe, je me définirais comme très amoureuse. Amoureuse des femmes.

Meganne : Je ne sais pas si c'est une devise, mais je pense que moi en tant que féministe radicale, quand je me lève c'est le féminisme, je bois c'est le féminisme. Je pense que le féminisme c'est un peu ma propre religion. C’est, comme on dit souvent, c'est un ministère de toute une vie pour moi en fait. Je pense que si on m'enlève le féminisme, on m'a tout enlevé. Je suis la femme que je suis aujourd'hui parce que j'ai découvert le féminisme. Je pense que c'est la plus belle histoire d'amour que je n’ai jamais eue avec moi-même, c'est d'être féministe et d'être féministe radicale.

Merci beaucoup à vous deux !

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Vous pouvez également suivre Amandine et Meganne.

Afrifem en Action : Bénédicte Bailou présente Femin-In, un mouvement féministe qui promeut la participation des jeunes femmes en politique (Burkina Faso)

Notre série d’interviews Afrifem en Action met en lumière les initiatives, les actions et les mouvements créés et dirigés par et pour les féministes africaines. Dans cette interview, Chanceline Mevowanou discute avec Bénédicte Bailou, une juriste féministe originaire du Burkina Faso, fondatrice et présidente de Femin-In, un mouvement féministe qui travaille pour plus de femmes en politique. 

Bonjour Bénédicte. Merci de prendre le temps de discuter avec nous. Peux-tu te présenter ?

Je suis Bénédicte BAILOU. Je suis juriste, spécialiste des questions liées aux droits des femmes et violences basées sur le genre (VBG).  Je suis du Burkina Faso et je vis à Ouagadougou. Je suis la Directrice Exécutive de Fémin-in, une organisation féministe et de jeunesse du Burkina Faso. Je suis également députée désignée à l’Assemblée Législative de Transition (ALT) pour le compte des organisations féminines de la société civile au plan national.

Félicitations pour cette désignation. Députée pour la transition. Est-ce que tu peux expliquer un peu ?

Député.e pour la transition, c’est comme un.e parlementaire, juste qu’on n’est pas élu.e mais désigné.e par nos composantes. Moi je suis la représentante des organisations de la société civile féminine sur le plan national. Donc, ce sont des composantes de la société qui désignent des personnes pour venir siéger à l’Assemblée Législative de Transition, afin de pouvoir faire respecter la constitution, les prérogatives de la constitution, et accompagner le chef de l’État et le gouvernement à la résolution du problème que nous vivons aujourd’hui au Burkina Faso.

Pour toi Bénédicte, c’est quoi être féministe ?

Pour moi être féministe c’est être révoltée. Être révoltée contre le patriarcat qui est un système d’oppression des femmes sur la base d’une supposée suprématie naturelle des hommes sur les femmes. Donc je suis quelqu’une de révoltée. Je suis contre tous les rapports sociaux qui mettent la femme dans une position de subordination. Pour moi c’est ça être féministe.

Tu as dit tout à l’heure dans ta présentation que tu es la directrice exécutive de Fémin-In, qui est une organisation féministe et de jeunesse du Burkina Faso. Quelle est la signification de Femin-In ? 

L’objectif principal qui a conduit à la création du mouvement, c’est la promotion de la participation des jeunes femmes en politique de façon générale et aussi la promotion de la participation citoyenne des jeunes femmes. Donc Fémin-in veut dire « Fémin » pour femmes, « In » pour “dans”. Pour dire “Les femmes dans…la politique”.

Comment Femin-In est née ? 

L’idée de Femin-in est née au début de l’année 2017. J’avais participé à un programme de leadership féminin. Ce programme m’a aidé à mettre le point sur ce que je voulais faire, la vision que j’avais de ma vie et ce que je pouvais apporter à ma communauté. Ensuite j’ai rencontré notre secrétaire générale actuelle lors d’un forum et on a réfléchi ensemble. On avait la même façon de voir les choses. On dit que les jeunes femmes ne sont pas suffisamment engagées en politique. Pourtant, ce n’est pas vrai. Il y a cette présomption d’incompétence qu’on attribue aux femmes automatiquement quand elles sont promues. Pour combler ça, pour qu’on ne dise plus aux femmes qu’elles ne sont pas compétentes, on a qu’à les former à la chose politique. On va le faire et aussi on se forme en même temps, parce que nous avons des ambitions politiques dans ce pays-là. C’est ce qui a motivé la création de Femin-in. 

Inspirant. Comment Fémin-In a commencé ses actions alors pour plus de jeunes femmes en politique ? 

Femin-In a été lancé en 2019 après la phase d’idéation. Nous avons la reconnaissance légale depuis le 06 Novembre 2021. Nous avons fonctionné depuis 2019 sans reconnaissance légale. Mais les réalités nous ont fait…On va dire nous ont un peu obligées. Les réalités nous ont un peu forcé à faire la démarche de l’enregistrement légal. Nous avons commencé les actions en mettant en place un programme d’incubation qui offre aux jeunes femmes qui veulent s’engager une formation sur un an. Pour démarrer, on s’est rapproché d’une grande sœur qui travaille aussi pour la promotion de la participation politique de la jeune femme. Elle nous a donné des conseils, nous a montré comment nous pouvons agir.  Nous avons ainsi lancé le programme. 

Comment se passe le programme de façon concrète ? 

Nous commençons par un appel à candidatures pour des jeunes filles et jeunes femmes de 18 à 35 ans. Lorsqu’on finit de faire le recrutement, il y a la première phase d’entretien. Puis la formation de façon pratique. Parce qu’on n’a pas des financements pour ce programme-là, on se rapproche des formateurs et formatrices qui sont convaincus de la nécessité de capaciter les jeunes filles et aussi qui épousent la vision de Femin-In. Nous les contactons, nous demandons à ce qu’ils•elles mettent leur temps à la disposition de ce programme pour les formations. Lors du programme, les participantes sont formées sur la rédaction des discours, la communication politique, l’analyse des programmes politiques des candidats et candidates. On travaille les samedis et en ligne. Parce que nous avons des participantes qui ne sont pas à Ouagadougou. 

Et est-ce qu’à la fin de l’incubation, il y a d’autres actions avec les participantes en matière de suivi ? 

Oui, on fait un suivi. Au cours de l’incubation, on a un programme de mentorat. C’est-à-dire qu’on met les jeunes filles en contact avec des hommes et des femmes engagé.e.s en politique, pour qu’elles puissent toucher du doigt la réalité des choses. Parce qu’il ne sert pas de former et de les laisser. Le programme de mentorat rentre dans le cadre du suivi que nous faisons. Il y a aussi des missions terrain qu’on fait comme des visites auprès des municipalités, au parlement pour que les jeunes filles puissent voir. Pour la première édition du programme d’incubation, nous sommes parties avec quinze jeunes femmes. Parce que nous estimons que quinze jeunes femmes, c’est un nombre qu’on peut suivre après le programme. Le suivi peut se faire sur cinq ans. Notre objectif c’est d’aller avec le moins de personnes, mais d’avoir des résultats palpables. 

En 2021, on devait avoir les élections municipales et législatives. On avait des incubé.e.s de notre programme qui voulaient se présenter à ces élections. Certaines avaient rejoint des partis politiques et voulaient participer à ces élections en tant que candidates. Malheureusement, la situation politique devenue problématique dans notre pays a fait que les élections ont été annulées. Elles n’ont pas pu se présenter.

Très intéressant à savoir. Vous êtes déjà à combien d’éditions de ce programme ?

C’est juste la première édition que nous avons faite en 2021. On est en train de réorienter le programme. Parce qu’on s’est rendu compte qu’une année, c’est lourd pour les filles. On est en train de revoir le format. En 2023 nous allons relancer. 2022 a été une année pour solutionner toutes les lacunes de la première édition.

Quelles sont les défis que vous avez rencontrés pour la mise en œuvre de ce programme  ?

Femin-in c’est une organisation féministe. Dès le départ, la couleur était déjà donnée. Fémin-In est féministe, Bénédicte est féministe, toutes celles qui sont à Femin-In sont des féministes. Donc, le premier défi qu’on a eu c’était la compréhension du mot féministe, l’acceptation du mot féministe dans notre société. 

On a eu beaucoup d'attaques, de cyber harcèlements. On continue toujours à le vivre, mais on va dire que malheureusement on s’est habitué. Ce n’est plus quelque chose d’exceptionnel. Le deuxième défi c’était la participation politique des femmes. Pourquoi est-ce qu’on veut que les femmes participent ? Pourquoi est-ce qu’on veut que les femmes occupent les postes de responsabilité ? Pourquoi est-ce que les femmes doivent être présentes dans les sphères de décision ? Les responsabilités traditionnelles des femmes dans les partis politiques c’est chargée à la mobilisation, chargée à la restauration, chargée de la trésorerie. Ça, c’était le deuxième défi, faire accepter à la société que les femmes doivent participer, ont leur mot à dire, leur partition à jouer aussi dans le développement du Burkina. 

Pour surmonter ces défis et pour la mise en œuvre en général du programme, vous avez eu du soutien des  femmes aînées qui sont déjà dans le milieu politique au Burkina ?

On va dire oui, en général…Il y a eu quelques-unes qui n’étaient pas disponibles pour nous accompagner, parce qu’elles estimaient que l’idée devrait venir d’elles. Mais dans le grand nombre de soutien qu’on a eu, c’est vraiment des gouttes d’eau dans la mer de soutien qu’on a reçu. On a eu beaucoup de femmes qui nous ont soutenues, beaucoup de devancières qui nous ont portées, qui nous ont fait rencontrer des personnes formidables, qui ont été des mentors pour nos jeunes incubées. 

Comment est-ce que tu penses que la collaboration intergénérationnelle peut aider à pousser le travail de participation politique et citoyenne des jeunes femmes que Femin-In fait  ? 

La collaboration intergénérationnelle est une belle chose hein. Elle est importante parce que ça permet aux jeunes, aux plus jeunes, de voir les réalités, de connaître les réalités et aussi d’éviter les erreurs, d’éviter de commettre les erreurs que ces devancières-là ont faites.

Mais je pense que le problème qu’on a franchement pour avoir l’accompagnement des devancières, c’est la communication. Parce qu’elles ne voient pas forcément les choses de la même façon que nous. Certaines voient toujours les choses sous le prisme de l’après-colonisation. Enfin, je veux dire des indépendances, des réalités des indépendances. Pourtant, aujourd’hui, l’ouverture au monde qu’ont les États africains nous offre des facilités qu’elles n’ont pas eues malheureusement. Et ces facilités qu’on a, même s’il y a encore des difficultés dans ces facilités-là, nous placent dans une position où elles vont dire “on n’a pas souffert”. Mais c’est important de discuter, de collaborer avec elles.  

Dans le mouvement féministe au Burkina Faso, les collaboration avec des devancières se passe comment selon toi ? 

Le problème au Burkina Faso c’est qu’il n’y a pas beaucoup de devancières qui se déclarent féministes. Elles se disent défenseurs des droits des femmes, mais elles ne se disent pas “féministes”. Donc on ne peut malheureusement pas discuter avec quelqu’un qui refuse même la terminologie féministe… Féminisme. C’est difficile. Il y en a quelques-unes qui se disent féministes. Notamment une, que je connais beaucoup, qui accompagne les organisations féministes, Monique Ilboudo. Elle a été ministre des droits humains ici au Burkina Faso et est professeure de droit à l’université. Elle a même écrit beaucoup de livres. Elle est écrivaine. Elle porte la casquette de féministe. Il y a aussi Madame Mariam Lamizana qui lutte contre les mutilations génitales féminines. Elle aussi, elle se dit féministe. Elles ont participé à faire évoluer les textes de loi ici. Avec elles, le dialogue peut se faire…

Quelles sont les autres actions que Fémin-In mène aujourd’hui en dehors du programme pour la participation politique des jeunes femmes ?

Après le programme pour la promotion de la participation politique des jeunes femmes, Femin-In a commencé par organiser des sensibilisations sur les violences basées sur le genre et sur la santé sexuelle et reproductive. Nous faisons de la sensibilisation, de la formation et de la documentation. En Afrique de l’ouest, nous avons une absence de données réelles et récentes en matière de santé sexuelle et reproductive. Nous faisons beaucoup d’études comme par exemple des études sur la disponibilité des intrants en matière de santé sexuelle et reproductive pour les jeunes, pour les adolescents et pour les minorités. Fémin-In mène aussi des actions de réparation des violences faites aux femmes. Nous avons mis en place la clinique juridique et psychologique qui accompagne les filles et femmes victimes de violences sur le plan judiciaire et automatiquement sur le plan psychologique. 

C’est bien cet accompagnement psychologique. Nous en avons besoin. 

Oui. Parce que malheureusement les organes étatiques ne prennent pas automatiquement en compte le volet psychologique. Même des organisations de la société civile ne mettent pas ça en priorité automatiquement quand une femme ou une fille est victime de violences. Nous avons aussi le volet social qu’on met en marche quand il se trouve que la femme, la survivante n’a pas de revenus pour pouvoir se prendre en charge. C’est par exemple la mise en place d’une activité génératrice de revenus pour elle. Notre accompagnement est holistique.

Fémin-In fait aussi de l’éducation au féminisme. Nous sommes une organisation féministe et nous pensons que plus il y aura de féministes au Burkina Faso, plus les problèmes que les femmes et les filles vivent pourront être résorbés. Nous éduquons la population de façon générale et les filles et les femmes de façon spécifique au féminisme, à la compréhension du féminisme et à ce qu’elles deviennent des féministes. 

Est-ce que le travail que tu fais avec Femin-In pour la participation politique des femmes a un impact sur toi-même ? 

Oui, indéniablement. Parce que j’aime dire que moi aussi j’ai besoin d’être formée. Les formations, moi-même je les suivais. Parce que j’avais besoin de ça, et d’autres aussi avaient besoin de ça. Lors de la validation de notre mandat, on devait faire l’élection du président ou de la présidente de l’ALT. Je tenais vraiment à me présenter à cette élection en tant que candidate présidente de l’ALT pour deux messages. 

Pour les plus jeunes, parce qu’on parle de représentativité, de représentation, jamais au Burkina Faso, une femme n’a été candidate à l’élection de président de l’assemblée. Donc, dans la conscience collective, la société pense qu’il n’y a qu’un homme pour occuper ce siège. Moi je me suis présentée pour dire que non, les femmes aussi peuvent occuper cette position. Le deuxième message aussi c’était pour dire que les femmes peuvent et les femmes font…et vont le faire. Elles sont capables. Les jeunes femmes sont engagées, sont suffisamment engagées, sont suffisamment compétentes pour occuper ces postes de responsabilité là. La formation du programme d’incubation m’a beaucoup servi pour le faire. 

Quelles sont tes ambitions avec Femin-In pour les années à venir et de quoi auriez-vous besoin pour arriver à concrétiser ces ambitions ?

L'ambition de Femin-In, c’est de former le plus de femmes possibles, le plus de jeunes femmes possibles à assumer qui elles sont, à avoir confiance en elle et à occuper les postes de responsabilité. Qu’elles puissent être aujourd’hui, qu’elles puissent être dans cinq ans, des candidates ou électrices. Qu’elles décident que si elles ne sont pas des candidates, qu’elles jugent les programmes politiques des candidats et des candidates. On ne va plus voter quelqu’un parce qu’il est de mon village. On ne va plus voter quelqu’un parce qu’il parle bien, il est éloquent. Non. On va voter la personne sur un projet de société. Quelle est la place des femmes dans son programme politique ? Quelle est la place de l’éducation dans son programme politique ? C’est ça que nous voulons faire. C’est ça que nous voulons avoir. Nous voulons former des femmes qui feront de la politique et qui verront la politique autrement. C’est ça l’ambition première de Femin-in. 

La deuxième ambition de Femin-in c’est de devenir une organisation féministe de référence au Burkina Faso et dans la sous-région, parce que nous croyons que le féminisme est politique. Nous savons que c’est en ayant une approche féministe des problèmes que nous vivons que nous pouvons avoir des solutions durables. Pour le faire, Femin-In a besoin de capacitation technique sur beaucoup de thématiques et aussi des financements pour pouvoir mettre en œuvre nos programmes. Le programme d’incubation n’a pas encore de financement.

Aujourd’hui si on veut suivre les actions de Femin-in, où est-ce qu’on peut se rendre ? 

On a un site en construction. En attendant, sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter.

Merci Bénédicte. Nous souhaitons plus de portée aux actions de Fémin-In. 

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